Note de la fic :
Publié le 18/07/2015 à 19:27:59 par MonsieurF
Bloquée, c'est ce terme que j'aime employer quand je parle de là où je suis. Honnêtement je ne vois pas d'autres mots pour définir mon purgatoire. Je voulais quitter ce monde à tout prix, m'en éloigner, m'en extirper et vivre le plus paisiblement possible mon "après-vie" telle que l'humanité avait pu l'imaginer; le paradis, le retour sur terre sous une autre forme en oubliant tout de la précédente, ou bien seulement le néant... Tout me convenait. Tout sauf ça. Cette espèce d'antichambre de l'enfer dans lequel j'évolue. Revoir sa vie, passer sous crible celle des autres, mettre en avance rapide l'humanité, retourner dans les abysses de l'histoire, n'en être réduite qu'à être spectatrice du temps du s'écoule; une torture.
Je n'ai pas la notion du temps ici, pas la possibilité de compter ou de faire le point sur la durée qui me sépare entre ma mort et "maintenant". Que faire lorsque l'une des choses les plus élémentaires comme le temps nous échappe complètement?
Je me suis remise à observer. Pas ma mère, cette fois j'avais envie de voir comment Paul, mon frère et la personne la plus sage que j'ai connue de mon vivant, avait atterri parmi les vivants.
Mes parents étaient très amoureux lors de sa conception. Mon père avait tout prévu lors de leur lune de miel à Paris; après une soirée romantique à souhait à dîner devant la tour Eiffel illuminée, ce dernier ramena ma mère dans la belle chambre d'Hôtel qu'il avait réservée.
Ils firent l'amour comme peu de fois ils l'avaient fait, et c'est là que mon frère amorça son arrivée dans le monde.
Quelques semaines plus tard, ma mère eu la nouvelle qu'elle était enceinte, et sa joie ne fît pas un pli. Elle était la plus heureuse.
Mon père aussi l'était. On avait là un beau portrait de famille. Cet enfant n'était pas encore né que mes parents auraient déjà pu tout lui donner; de l'amour, de l'argent, tout pour bien démarrer dans la vie. Il avait même déjà un prénom. "Paul", en hommage à mon grand-père paternel décédé il y a longtemps.
Paul grandissait dans ce petit cocon d'affection parfait et tout allait.
Ils avaient une petite maison, au bord de la mer, en Floride. C'était leur projet depuis longtemps, quitter leur Montréal natal pour partir vivre aux États-Unis. Et quand Paul est arrivé, le projet fût amorcé.
Mon grand frère avait deux ans, et tout allait pour le mieux. Leur petite vie en Floride était parfaite, ils avaient tout.
Puis mon père a commencé à chérir en cachette l'idée d'avoir un deuxième enfant, une fille. Il en avait toujours rêvé. Lorsqu'elle l'entendu en parler pour la première fois, ma mère avait feint qu'elle ne souhaitait pas se précipiter, mais que l'idée ne la rebutait pas. En réalité, elle en était malheureusement complètement réfractaire. Elle ne voulait qu'un fils unique, elle ne voulait que Paul.
Elle évoquait des raisons professionnelles principalement, l'argent, le fait de mettre sa propre vie entre parenthèses un peu plus, mais cela ne se limitait pas qu'à ça. Il s'agissait d'une véritable peur. Un mal-être qui la rongeait. Ne voulant pas se résoudre à laisser derrière lui l'idée d'avoir une fille, mon père tenta nombre de fois de convaincre ma mère de se laisser tenter à l'idée. Cette peur se transforma petit à petit en colère, en refus catégorique, en "non" pur et dur. Leurs relations se dégradèrent petit à petit, et avec cette obnubilation de mon père, Paul n'était plus le sujet d'intérêt au sein de la famille.
Colères, disputes, ambiance électrique... les déconvenues se multipliaient dans cette vie de couple qui était si bien partie.
Ma grand-mère paternelle décéda pendant cette période, et ce fût la goute d'eau de trop.
Mon père disparu du foyer pendant de très longs mois.
Puis il revint. Et ma mère se jeta dans ses bras. Oh il n'avait rien fait d'incroyable pendant cette absence. Il avait vécu chez un ami d'enfance au Canada.
Marjorie croyait que les envies de son mari s'étaient évanouies et qu'ils pourraient reprendre l'existence qu'ils avaient laissée de côté. Mais ce n'était pas du tout le cas.
Lors de leur première soirée en couple depuis leurs retrouvailles, mon père déposa Paul chez la voisine et mes parents partirent en balade en ville. C'était une très belle soirée. Ma mère était heureuse de nouveau, et elle lui avait pardonné sa disparition, le fait de l'avoir laissée seule avec Paul, de s'être laissée s’endetter. Il fallait probablement vendre la maison au vu des finances. Mais cela importait peu. Le principal était le retour de mon père.
Ce dernier lors de cette soirée n'était pas aussi gai. D'une manière très discrète et sans trop attirer l'attention, il fit boire ma mère encore et encore, sans cesse, sans que lui en ingurgite une seule goutte.
Puis ils rentrèrent à la maison. Marjorie était dans un état pitoyable, ne pouvant même plus marcher, à la limite de l'inconscience. Ce qui n'était pas le cas de mon père, du tout. Ce qui devait arriver arriva.
Je fus officiellement conçue cette nuit-là, alors que ma mère n'était même pas capable de se rendre compte de ce qui se produisait. Chaque détail avait été pensé pour que cette conception ait lieu.
C'est quelques semaines plus tard, que les espoirs secrets de mon géniteur furent récompensés. Marjorie était enceinte, mais on n’entendit aucun cri de joie. Elle pleura longuement, s’énerva aussi, brisa de la vaisselle. Elle en voulait à la terre entière, et s'en voulait-elle, de ne pas avoir fait "attention".
Lui n'avait rien avoué de ce qu'il avait fait pour rendre possible cet événement.
Elle ne pouvait rien faire, pas reculer, pas se dérober, cet enfant, elle allait l'avoir. Elle allait m'avoir moi, et le tout à son grand désarroi.
Les choses s’accélérèrent ensuite. La maison fût vendue, très vite, et l’emménagement dans une maison moins ambitieuse eut lieu à Sherbrooke, une toute petite ville à l'est de Montréal, que mon père avait repéré lorsqu'il était chez son ami d'enfance.
Et je suis née, et papa m'aimait, il m'aimait d'une telle force, d'une telle puissance. Son vœu le plus cher était exaucé; il tenait sa fille dans ses bras.
Ma mère, quant à elle, commença très tôt à me délaisser. Elle ne m'avait pas voulu, et ne me voulait pas. Mon père me prénomma Gabrielle, en hommage à Gabriel, le frère jumeau de ma mère, décédée lorsqu'elle était enfant. Était-ce l'une des nombreuses raisons pour lesquelles je n'avais jamais eu ma place dans le cœur de Maman? Assurément. J'incarnais et symbolisais ses échecs, quelque chose qu'elle n'avait pas contrôlé ni désiré, le fruit d'une erreur. Je portais le nom de la personne qu'elle avait probablement le plus aimé de toute sa vie, mais pour elle, cet hommage n'en était pas un.
Je n'ai pas la notion du temps ici, pas la possibilité de compter ou de faire le point sur la durée qui me sépare entre ma mort et "maintenant". Que faire lorsque l'une des choses les plus élémentaires comme le temps nous échappe complètement?
Je me suis remise à observer. Pas ma mère, cette fois j'avais envie de voir comment Paul, mon frère et la personne la plus sage que j'ai connue de mon vivant, avait atterri parmi les vivants.
Mes parents étaient très amoureux lors de sa conception. Mon père avait tout prévu lors de leur lune de miel à Paris; après une soirée romantique à souhait à dîner devant la tour Eiffel illuminée, ce dernier ramena ma mère dans la belle chambre d'Hôtel qu'il avait réservée.
Ils firent l'amour comme peu de fois ils l'avaient fait, et c'est là que mon frère amorça son arrivée dans le monde.
Quelques semaines plus tard, ma mère eu la nouvelle qu'elle était enceinte, et sa joie ne fît pas un pli. Elle était la plus heureuse.
Mon père aussi l'était. On avait là un beau portrait de famille. Cet enfant n'était pas encore né que mes parents auraient déjà pu tout lui donner; de l'amour, de l'argent, tout pour bien démarrer dans la vie. Il avait même déjà un prénom. "Paul", en hommage à mon grand-père paternel décédé il y a longtemps.
Paul grandissait dans ce petit cocon d'affection parfait et tout allait.
Ils avaient une petite maison, au bord de la mer, en Floride. C'était leur projet depuis longtemps, quitter leur Montréal natal pour partir vivre aux États-Unis. Et quand Paul est arrivé, le projet fût amorcé.
Mon grand frère avait deux ans, et tout allait pour le mieux. Leur petite vie en Floride était parfaite, ils avaient tout.
Puis mon père a commencé à chérir en cachette l'idée d'avoir un deuxième enfant, une fille. Il en avait toujours rêvé. Lorsqu'elle l'entendu en parler pour la première fois, ma mère avait feint qu'elle ne souhaitait pas se précipiter, mais que l'idée ne la rebutait pas. En réalité, elle en était malheureusement complètement réfractaire. Elle ne voulait qu'un fils unique, elle ne voulait que Paul.
Elle évoquait des raisons professionnelles principalement, l'argent, le fait de mettre sa propre vie entre parenthèses un peu plus, mais cela ne se limitait pas qu'à ça. Il s'agissait d'une véritable peur. Un mal-être qui la rongeait. Ne voulant pas se résoudre à laisser derrière lui l'idée d'avoir une fille, mon père tenta nombre de fois de convaincre ma mère de se laisser tenter à l'idée. Cette peur se transforma petit à petit en colère, en refus catégorique, en "non" pur et dur. Leurs relations se dégradèrent petit à petit, et avec cette obnubilation de mon père, Paul n'était plus le sujet d'intérêt au sein de la famille.
Colères, disputes, ambiance électrique... les déconvenues se multipliaient dans cette vie de couple qui était si bien partie.
Ma grand-mère paternelle décéda pendant cette période, et ce fût la goute d'eau de trop.
Mon père disparu du foyer pendant de très longs mois.
Puis il revint. Et ma mère se jeta dans ses bras. Oh il n'avait rien fait d'incroyable pendant cette absence. Il avait vécu chez un ami d'enfance au Canada.
Marjorie croyait que les envies de son mari s'étaient évanouies et qu'ils pourraient reprendre l'existence qu'ils avaient laissée de côté. Mais ce n'était pas du tout le cas.
Lors de leur première soirée en couple depuis leurs retrouvailles, mon père déposa Paul chez la voisine et mes parents partirent en balade en ville. C'était une très belle soirée. Ma mère était heureuse de nouveau, et elle lui avait pardonné sa disparition, le fait de l'avoir laissée seule avec Paul, de s'être laissée s’endetter. Il fallait probablement vendre la maison au vu des finances. Mais cela importait peu. Le principal était le retour de mon père.
Ce dernier lors de cette soirée n'était pas aussi gai. D'une manière très discrète et sans trop attirer l'attention, il fit boire ma mère encore et encore, sans cesse, sans que lui en ingurgite une seule goutte.
Puis ils rentrèrent à la maison. Marjorie était dans un état pitoyable, ne pouvant même plus marcher, à la limite de l'inconscience. Ce qui n'était pas le cas de mon père, du tout. Ce qui devait arriver arriva.
Je fus officiellement conçue cette nuit-là, alors que ma mère n'était même pas capable de se rendre compte de ce qui se produisait. Chaque détail avait été pensé pour que cette conception ait lieu.
C'est quelques semaines plus tard, que les espoirs secrets de mon géniteur furent récompensés. Marjorie était enceinte, mais on n’entendit aucun cri de joie. Elle pleura longuement, s’énerva aussi, brisa de la vaisselle. Elle en voulait à la terre entière, et s'en voulait-elle, de ne pas avoir fait "attention".
Lui n'avait rien avoué de ce qu'il avait fait pour rendre possible cet événement.
Elle ne pouvait rien faire, pas reculer, pas se dérober, cet enfant, elle allait l'avoir. Elle allait m'avoir moi, et le tout à son grand désarroi.
Les choses s’accélérèrent ensuite. La maison fût vendue, très vite, et l’emménagement dans une maison moins ambitieuse eut lieu à Sherbrooke, une toute petite ville à l'est de Montréal, que mon père avait repéré lorsqu'il était chez son ami d'enfance.
Et je suis née, et papa m'aimait, il m'aimait d'une telle force, d'une telle puissance. Son vœu le plus cher était exaucé; il tenait sa fille dans ses bras.
Ma mère, quant à elle, commença très tôt à me délaisser. Elle ne m'avait pas voulu, et ne me voulait pas. Mon père me prénomma Gabrielle, en hommage à Gabriel, le frère jumeau de ma mère, décédée lorsqu'elle était enfant. Était-ce l'une des nombreuses raisons pour lesquelles je n'avais jamais eu ma place dans le cœur de Maman? Assurément. J'incarnais et symbolisais ses échecs, quelque chose qu'elle n'avait pas contrôlé ni désiré, le fruit d'une erreur. Je portais le nom de la personne qu'elle avait probablement le plus aimé de toute sa vie, mais pour elle, cet hommage n'en était pas un.