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L'Apostolat des Oiseaux


Par : Loiseau
Genre : Science-Fiction
Statut : C'est compliqué



Chapitre 5 : Nid et charogne


Publié le 08/12/2013 à 00:59:56 par Loiseau

[c]Vellere

Nid et charogne[/c]


Nous marchons depuis maintenant plusieurs heures. Le soleil impitoyable nous cuit, malgré nos épais vêtements de coton blanc supposés nous protéger. Les Berbères, habitués à ce climat, ne semble pas plus fatigués que mes hommes. Le Nid n’étant plus très loin, je ne songe pas à nous accorder une pause. Ce serait prendre un risque : le désert n’est pas un lieu accueillant, spécialement à la frontière du Territoire Berbère Fédéré. Et même si nous sommes théoriquement dans une zone neutre les peuples des sables n’hésiteront pas à nous charger s’ils s’aperçoivent que nous tenons six des leurs en otages. Sous mon masque, je transpire à grosses gouttes. Pourtant je ne le quitte pas. C’est un bel objet : représentant un crâne de vautour aux couleurs chatoyantes et à l’aspect inquiétant, sculpté par l’un des derniers Shamans de notre monde. Je songe un instant à ses frères éparpillés aux quatre coins de la planète, me rappelant du même coup la tristesse d’être loin de mes compagnons de lutte… Duc, Lynot, Aquila et tous les autres… Je me secoue. Ce n’est pas le moment d’être nostalgique. Je regarde les dunes qui surplombent notre colonne et observe un petit moment les éclaireurs courir, fusils de précision à la main, pour repérer toute éventuelle menace. Je prie intérieurement pour que nous ne tombions pas sur la Milice de Kleyn, que le Pontifex aura sans doute tôt fait de dépêcher au village que les Berbères ont rasé. Un goût amer emplit ma bouche lorsque m’atteint le souvenir des atrocités commises par le Dirigeant et son Inquisiteur favori à Christopolis. Je repense à ces crucifixions en place publique, ces prostituées avortées à l’épée en pleine rue –sous les cris de la foule qui hurle « pècheresses » -, à ces fanatiques prêts à dresser un bûcher au moindre signe de ce qu’ils appellent « rébellion contre l’Autorité Divine »… Notre monde a cessé de tourner rond depuis bien des siècles, mais ces dernières années ont connu une véritable renaissance du totalitarisme et des fanatismes en tout genre. Je n’ai jamais apprécié cela.
La voix de Jasmyn me tire de mes pensées.

-On arrive dans combien de temps ?

Même prisonnières, les femmes restent des femmes.

-Peu de temps.
-Vous pouvez pas être plus précis ?

Je ne réponds pas. Ses questions m’indiffèrent totalement. Peut-être que leur but est de me faire donner une localisation précise du Nid. Piètre tentative, si c’est le cas.
Devant mon mutisme elle se renfrogne, tente de bouger un peu ses poignets liés - sans succès – puis relève la tête vers moi.

-Vous pouvez pas me détacher ? Je risque pas de fuir avec vos chiens embusqués là-bas.
-N’y songe même pas. Je te rappelle, au cas où tu l’aurais oublié, que tu es prisonnière. Ce qui veut dire que si tu as l’intention de revoir la lumière du jour avant de mourir, tu as intérêt à rester sage. Et muette. Du moins… jusqu’à ce qu’on t’interroge.

Son visage s’assombrit, elle baisse les yeux.

-Vous allez nous torturer ?
-A vous de voir. Je ne suis pas un adorateur de la torture mais son usage est nécessaire parfois, alors je m’en accommode.

Elle frissonne.

-Vous n’avez jamais été torturé, n’est-ce pas ?
-J’ai passé quelques semaines dans le garage d’un groupuscule du Renouveau Ásatrú basé à Christopolis. Ils ne m’ont pas fait que des câlins.
-J’ai été enfermée dans une prison d’Al Sayf pendant un mois.

C’est à mon tour de sentir des frissons me parcourir. Les gardiens des prisons d’Al Sayf, capitale du Sultanat d’ Arabie, sont réputés pour leur affection particulière pour la torture, aussi bien physique que psychique. Encore des fanatiques religieux, musulmans eux, qui haïssent les femmes autant qu’ils haïssent les infidèles et préparent un Djihad massif depuis des années. Si la Berbère dit vrai, alors son corps doit porter des marques terribles, et ce n’est peut-être pas le sable qui a fait son visage aussi prématurément ridé.

-Si tu ne veux pas être torturée il te suffit de parler. Ce n’est vraiment pas compliqué.

Elle se tait. Je suis persuadé qu’elle préférera vendre son peuple plutôt que d’être à nouveau torturée. Ce n’est pas dur à deviner. Ensuite elle essaiera probablement de gagner ma protection, en m’offrant ses charmes par exemple. Dommage qu’elle n’en ai plus tant que ça…

Nous arrivons finalement en vue du Nid. Une antique ruine égyptienne, désensablée par une centaine d’hommes déterminés il y a quelques années. Et à la tête de ces hommes : moi. C’était le début de l’Apostolat, alors que nous venions tout juste de nous rencontrer. Des liens plus solides que les chaînes qui nous liaient à nos anciennes vies se sont créés et nous ont poussé devenir ce que nous sommes désormais. Chacun a son domaine, ses terres, ses champs d’actions, ses méthodes… Des Apôtres sans religion, des prêcheurs du renouveau… ou de petits terroristes anarchistes, selon la presse. On ne nous voit pas d’un bon œil, j’en ai peur… Les gens sous la coupe des Dirigeants sont persuadés que nous sommes un groupuscule d’agitateurs assassins, cherchant uniquement la destruction pour le plaisir. La désinformation marche remarquablement bien auprès de ces moutons aliénés.

J’entraîne ma troupe vers l’imposante porte d’entrée. D’après Duc ces ruines datent peut-être de -1400 avant notre ère. Je ne sais pas par quel miracle elles ont été épargnées par les Berbères, le temps et les diverses catastrophes qui ont frappé la région, mais j’en suis heureux car elles font une base à la fois solide et discrète, car principalement souterraine, mais aussi spacieuse. Parfait pour faire tourner clandestinement une batterie d’ordinateurs et d’imprimantes pour inonder à la fois Internet, aussi limité soit-il, et les villes.

A l’instant même où je pose le pied à l’intérieur de la base, j’entends une série de cliquetis d’armes à feu. Je sais parfaitement que cinq tireurs expérimentés ont leurs fusils pointés sur moi et Jasmyn, et qu’une mitrailleuse lourde affectueusement surnommée « Elizabeth » par son propriétaire – un britannique grognon – fera feu sur tout le groupe dans quelques secondes si je ne réagis pas. Je pointe du doigt le vautour empaillé qui trône sur un piédestal dans l’antichambre des ruines, où nous nous trouvons, et dis :

-Et pourtant vous serez semblable à cette ordure. A cette horrible infection.
-Étoile de mes yeux, soleil de ma nature. Vous mon ange et ma passion. répond une voix rocailleuse.

Un sourire un peu crispé s’affiche sur mon visage. Habituellement c’est une voix féminine qui complète le code. Mais il semblerait qu’aujourd’hui Crevure soit absente, laissant donc à Cadavre le soin de m’accueillir. Le grand allemand se plante en face de moi, un sourire aux lèvres et me salue chaleureusement.

-Je vois que la pêche a été fructueuse. Tu les as déjà interrogés ?
-Pas encore. Tu veux bien les emmener directement en bas ? J’ai besoin d’un peu de repos. Je m’occuperai de les interroger après.

Cadavre fait un signe aux hommes chargés de surveiller les Berbères et commence à se diriger vers les escaliers menant aux sous-sols. Je l’interpelle une seconde fois.

-Attends. Tu oublies celle-ci.

Je pousse Jasmyn dans sa direction. Elle se retourne et me foudroie du regard, mais je peux lire de la terreur au fond de ses prunelles. Dans une dernière tentative pour que je la prenne en pitié la nomade me crie :

-Je peux faire tout ce que tu veux. Tout !

Classique, attendu, risible et inefficace. Je hausse les épaules pour toute réponse et me détourne. Je n’ai besoin que de repos pour l’instant, pas d’une esclave.
Cadavre saisit la Berbère par le bras et la lie à ses semblables qui la regardent d’un air méprisant. A leurs yeux, elle vient de perdre toute dignité.

C’est amusant comme au fil des jours je deviens ce que je hais, contraint d’utiliser les mêmes méthodes que mes adversaires pour survivre. Une phrase de Nietzsche, tirée d’un livre que Duc a réussi à sauver et stocker dans ses archives, me vient en tête : « Si tu luttes contre des monstres, prends garde de ne pas devenir un monstre toi-même. » Je me demande à quel moment nous atteindrons le point de non-retour sur la route de la monstruosité.


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