Note de la fic :
L'Apostolat des Oiseaux
Par : Loiseau
Genre : Science-Fiction
Statut : C'est compliqué
Chapitre 3 : Longue marche
Publié le 03/12/2013 à 20:37:20 par Loiseau
[c]Vellere
Longue marche[/c]
Les pillards s’étaient rendus. Sage décision de leur part. Dans le cas contraire, ils ne seraient plus que des cadavres gisants au sol. Malgré leurs armes de bonne qualité, ils ne pouvaient décemment pas rivaliser avec mes cinquante guerriers braquant des snipers ou des fusils mitrailleurs sur eux. Le chef de la petite bande m’explique, alors que j’examine notre prise, que je n’obtiendrai rien de lui ou de ses hommes. Un bon coup de botte dans l’occiput suffit à le faire taire. Bien entendu, je l’interrogerai pour la forme mais ce n’est pas de lui que j’attends le plus de renseignements. De ce que je peux voir ils ne sont qu’une petite faction du clan, restée là pour nettoyer les lieux comme des hyènes nettoient une carcasse déjà bien entamée. Pas si différents de nous, au final.
Sur ces réflexions je remonte en direction de l’école, laissant mes vautours ligoter les Berbères. Nous allons devoir les trimballer sur plusieurs dizaines de kilomètres, à pieds. Pas une partie de plaisir… D’autant plus que l’Institut Météorologique avait prévu une tempête de sable dans les heures à venir. Prévision confirmée par Karl, le doyen du Cercle, dont les rhumatismes s’étaient réveillés. Il doit être la seule personne au monde à qui les tempêtes de sables à venir donnent des rhumatismes… Je secoue la tête, dépité. Décidément nos Cercles n’ont pas le prestige que nous voulions leur donner. Nous ne sommes guère plus qu’un mélange hétéroclite d’anciens soldats, d’étudiants, d’intellectuels et d’activistes un peu radicaux. Mais nous avons sût nous créer une identité, c’est ce qui importe. Nous ne recherchons pas la gloire, ni même une image positive, nous cherchons l’efficacité.
Je pousse la porte de l’école en espérant ne pas trouver les deux gars de tout à l’heure en train de besogner la gueuse. Heureusement ce n’est pas le cas. Le blanc-bec est en train de fumer une clope en examinant les dessins d’enfants encore accrochés aux murs et le taciturne surveille la Berbère fermement ligotée à une chaise. J’avance vers cette dernière d’un pas assuré. Mes lourdes bottes ferrées claquent sur le parquet défoncé du hall de l’école.
-Tu n’obtiendras rien de moi, oiseau de malheur ! lance-t-elle avec défi.
Sans répondre je continue d’avancer. Une fois à environ un mètre d’elle, je m’accroupis et la regarde dans les yeux. Je peux lire la peur sur son visage. Ces peuples du désert sont remarquablement dangereux en clans, mais si l’on isole un individu de ses amis il perd toute bravoure, toute force. Celle-ci se montre même particulièrement courageuse, habituellement j’obtiens des aveux divers sans même avoir à les réclamer.
-Fille du désert, il me semble que tu me dois une fière chandelle…
Son regard fuit le mien. Bien sûr qu’elle m’est redevable, mais quand bien même l’aurais-je sauvée des griffes des Dirigeants eux-mêmes elle refuserait de m’aider ou de me révéler quoi que ce soit à propos de son clan. Je crains qu’il ne me faille être plus persuasif. Ou plus violent. Je sors de ma poche une vieille montre sans bracelet. Il est encore tôt, j’ai tout mon temps.
D’un geste je congédie les deux hommes présents dans la pièce et contemple la prisonnière. Je laisse une certaine pression monter, attendant qu’elle prenne la parole, ce qui ne tarde pas.
-Alors, qu’est-ce que tu attends pour me violer ?
-Tu es pressée à ce point ?
-Non, je m’inquiète juste pour tes… capacités.
Elle cherche à blesser mon ego masculin. Piètre tentative, même Lynot n’aurait pas marché. Un simple sourire lui répond. Passons aux questions.
-Pourquoi avoir pris ce village comme cible ?
-Il en fallait bien une. répond-t-elle après un instant d’hésitation
-C’était le plus proche de votre campement principal ?
La peur de se trahir flotte dans ses yeux bruns aux subtils reflets ambrés. Elle a dû entendre parler de moi et doit réaliser que si elle se lance dans une conversation avec moi, elle finira nécessairement par me donner des informations cruciales sur elle et son peuple.
-Nous sommes encore loin du QG du Cercle. Est-ce que tu as faim ?
-Tu crois que je vais tout te révéler pour un bout de pain ?
-Il y a des choses à révéler ?
-Va te faire foutre ! crie-t-elle.
La panique la gagne déjà. C’est très simple de tourmenter psychologiquement les faibles, spécialement lorsqu’ils sont acculés et craignent de dévoiler des secrets. Il suffit de leur faire croire que quoi qu’ils disent, cela les desservira. En réalité je ne suis guère plus avancé qu’il y a quelques minutes. Tout ce que j’ai deviné, c’est que le campement berbère ne doit pas être loin d’ici. Et que l’attaque de ce village avait peut-être un but autre que le pur pillage. Étrange, car ce n’est pas un patelin minier, donc pas de diamants, d’uranium, d’or ou autre matériau pouvant rapporter une forte somme sur le marché noir.
Je tente encore quelques questions mais la fille s’enferme dans un silence buté. Inutile de poursuivre pour l’instant. Je me redresse et me dirige vers la sortie. Un cri m’interrompt. Je me retourne.
-Oui ?
-Tu ne vas pas me laisser seul ?
-Pourquoi pas ?
-Mais… Je… Je vais mourir !
-Bien sûr, mais tu comprends bien que je ne peux pas m’encombrer de trop de prisonniers. Je comptais conduire les membres les plus importants de votre petit groupe au Nid. Et exécuter les autres. Mais, comme tu le fais si bien remarquer, t’abandonner ici fera tout aussi bien l’affaire et me permettra d’économiser une balle qui pourrait bien me sauver la vie plus tard.
Le silence flotte pendant quelques secondes. Je renifle et poursuis mon chemin vers la sortie.
-Pitié…
Pour la deuxième fois je me retourne. La Berbère a la tête baissée, une larme perle au bord de sa paupière.
-Je ne crois pas que ce soit une notion avec laquelle tu es familière…
-Ne m’abandonne pas, Roi Vautour. Je t’en supplie.
Sa voix est chargée de sanglots non-feints et une peur totale l’habite. Elle m’appelle par le surnom que les Berbères m’ont donné, mais c’est la première fois qu’il est utilisé en signe de respect… ou quelque chose d’approchant. D’habitude je l’entends plutôt comme une insulte. Pour ce peuple des sables, le vautour est un oiseau veule et vil, qui ne trouve son bonheur que dans la souffrance d’autrui et dont la seule utilité est sa faculté à nettoyer les champs de bataille et autres charniers.
-En quoi cela me servira-t-il ?
-Ne penses-tu donc qu’en termes d’intérêt ?
-Non, je ne suis pas un Dirigeant. Mais je mets en danger mes soldats si je t’emmène avec nous, car il faudra que j’affecte des hommes à ta surveillance, ce qui fait qu’il y en aura moins pour surveiller les alentours.
-Tu n’as qu’à me surveiller toi-même.
Elle n’a pas tort. De plus, si je reste près d’elle, je pourrais continuer à l’interroger. Fort bien.
Je tire une longue dague militaire sans ornements, mais tranchante, du fourreau accroché à ma ceinture. Les yeux de la fille brillent d’un mélange d’espoir et de peur. Un petit cri de soulagement lui échappe lorsque ses liens tombent. Je lui passe néanmoins promptement des menottes aux poignets. Elle lâche un soupir.
-Impossible de se passer des menottes, n’est-ce pas ?
-En effet.
-Merci quand même… J’imagine.
Nous sortons du bâtiment désaffecté. Cinq Berbères sont alignés contre un mur, attachés les uns aux autres et mis en joue par une dizaine de mes hommes. Une petite pile de cadavres, Berbères également, orne ce qui fut la fontaine de la petite place sur laquelle nous nous trouvons. Je trouve la mise en scène de mauvais goût, mais après tout c’est ma faute. Je sais à quoi m’attendre lorsque je laisse Carcasse mener les opérations. Ce dernier s’approche d’ailleurs de moi. Son œil unique, d’un noir d’encre, fixe avec colère la fille que je pousse devant moi.
-Vellere ! Pourquoi avoir épargnée cette fille, ce n’est visiblement qu’une pionne !
Amateur d’échecs, Carcasse aime comparer les gens à des pièces du jeu. Et pour lui, un pion ne vaut même pas la balle qui sert à l’exécuter.
-Je crois, Carcasse, que je suis le seul apte à décider de qui est important et qui ne l’est pas. A moins que tu ne souhaites prendre ma place ?
Bien entendu il ne le souhaite pas. Il est fort, violent, brutal, rusé… mais ce n’est pas un stratège, ni un leader. Il se détourne avec dédain. L’affaire est close. Je lance quelques ordres et en une poignée de minutes nous nous mettons en marche.
Il nous reste un long chemin à parcourir avant d’arriver au Nid. Je marche en tête de la colonne, la Berbère à mes côtés. Depuis une heure que nous marchons elle n’a toujours pas prononcé un mot. Derrière nous, mes hommes et les prisonniers. Ces derniers sont étroitement surveillés. Dans les dunes, des éclaireurs guettent le moindre danger. C’est une mécanique bien huilée et nous n’avons pas eu à déplorer de morts depuis plusieurs mois. Un calme plat et un soleil de plomb règnent, étouffants les esprits, tuant les conversations. C’est un moment parfait pour faire parler la Berbère.
-Comment t’appelles-tu ?
Elle vérifie que je m’adresse bien à elle avant de répondre.
-Jasmyn.
-C’est un joli prénom.
Elle ne relève pas.
-Et vous, c’est quoi ?
Je note qu’elle est passée au vouvoiement. Peut-être espère-t-elle m’amadouer ainsi…
-Tu peux m’appeler Vellere. C’est comme ça que tout le monde m’appelle.
-Vous n’avez pas de prénom que vos parents vous ont donné ?
-Si, bien sûr. Mais si j’utilise un pseudonyme c’est pour ne pas avoir à le dire.
Elle hoche la tête sans réellement se soucier de ce que je raconte. Je suppose qu’elle parle surtout pour s’occuper.
-Pourquoi vous avez créé votre clan ? Ce n’est pas au nom d’une ethnie, si ?
-Non. C’est au nom d’une idée.
-Je peux savoir laquelle ou bien c’est un secret ?
Cette fois-ci une réelle curiosité perce sous sa voix.
-Nous souhaitons éliminer les Dirigeants.
Les yeux de Jasmyn s’écarquillent.
- Vous êtes à peine une cinquantaine !
-Nous sommes beaucoup plus nombreux au Nid.
-Quand bien même vous seriez milles vous ne pourriez pas détruire les Dirigeants !
-En fait… Nous sommes plus proches du douze mille.
-Vous… vous dirigez douze milles hommes ? souffle la fille des sables.
-Non. Mais je ne suis pas le seul chef de clan dans cette histoire. En vérité… Nous sommes des Cercles, pas des clans, tribus ou gangs.
-Je ne comprends pas…
Je soupire. Est-ce que cela vaut vraiment le coup de lui raconter ? Après tout, elle risque de ne jamais revoir la lumière du jour une fois au Nid… Autant lui accorder cette dernière faveur.
-Nous sommes une organisation polyvalente, dont les actions vont de la récupération de données secrètes à l’action directe en passant par les manipulations politiques. Notre but est de faire sauter la Machine de l’intérieur. Nous sommes douze Cercles, réunis sous le nom d’Apostolat des Oiseaux.
Jasmyn me regarde en penchant la tête. Elle doit me prendre pour un fou. D’une certaine manière c’est assez plaisant.
-Et vous, c’est quoi votre domaine ? Quand vous ne massacrez pas mon peuple, bien sûr.
-Je m’occupe de la propagande et contre-propagande. dis-je sans relever la deuxième partie de sa phrase.
-Ah, vous manipulez les gens.
-Exactement.
-Et pourquoi est-ce que vous voulez vaincre les Dirigeants ?
-Parce que cela fait trop longtemps qu’ils ont le pouvoir et en abusent ! L’Imperator actuel a été élu en 2184, bon sang ! Il est au pouvoir depuis presque un siècle, et ses foutus technoscientifiques parviennent encore à le maintenir en vie, et même en bonne santé ! Tu trouves ça normal ? Ils manipulent le peuple dans les grandes villes et pourchassent ceux qui choisissent des modes de vie alternatifs. Il est interdit de penser, de lire, de visionner, d’écouter ou d’écrire autre chose que ce qui a été approuvé par Eux. La moitié de la planète est sous leur joug et l’autre moitié dépérit lentement car coupée de tout moyen de subsistance !
Je me penche et ramasse une poignée de sable brûlant.
-Autrefois des arbustes pouvaient pousser dans ce sable, et avec l’avancée de la biotechnologie on pourrait même faire pousser d’autres plantes et ainsi nourrir ceux que les Dirigeants ont chassés. Mais c’est impossible depuis qu’ils ont balancé leurs bombes chimiques sur les zones qu’ils ne dirigeaient pas… La nourriture, c’est eux qui l’ont en quantité maintenant… Et il devient difficile de subsister hors des villes. C’est ce qui fait que des peuples comme le vôtre se réunissent en clans et pillent les villages, ou vendent esclaves et organes au marché noir. Nous luttons contre ça, nous luttons contre l’abrutissement de la population des villes, nous luttons contre la Machine et contre Ceux qui la dirige. Tu comprends mieux ?
Jasmyn se contente de baisser les yeux. Je me suis peut-être un peu enflammé, mais après tout… c’est mon boulot de chambouler l’esprit des gens par ma simple parole.
Je n’ajoute rien, Jasmyn non plus et le voyage se poursuit donc dans le silence.
Longue marche[/c]
Les pillards s’étaient rendus. Sage décision de leur part. Dans le cas contraire, ils ne seraient plus que des cadavres gisants au sol. Malgré leurs armes de bonne qualité, ils ne pouvaient décemment pas rivaliser avec mes cinquante guerriers braquant des snipers ou des fusils mitrailleurs sur eux. Le chef de la petite bande m’explique, alors que j’examine notre prise, que je n’obtiendrai rien de lui ou de ses hommes. Un bon coup de botte dans l’occiput suffit à le faire taire. Bien entendu, je l’interrogerai pour la forme mais ce n’est pas de lui que j’attends le plus de renseignements. De ce que je peux voir ils ne sont qu’une petite faction du clan, restée là pour nettoyer les lieux comme des hyènes nettoient une carcasse déjà bien entamée. Pas si différents de nous, au final.
Sur ces réflexions je remonte en direction de l’école, laissant mes vautours ligoter les Berbères. Nous allons devoir les trimballer sur plusieurs dizaines de kilomètres, à pieds. Pas une partie de plaisir… D’autant plus que l’Institut Météorologique avait prévu une tempête de sable dans les heures à venir. Prévision confirmée par Karl, le doyen du Cercle, dont les rhumatismes s’étaient réveillés. Il doit être la seule personne au monde à qui les tempêtes de sables à venir donnent des rhumatismes… Je secoue la tête, dépité. Décidément nos Cercles n’ont pas le prestige que nous voulions leur donner. Nous ne sommes guère plus qu’un mélange hétéroclite d’anciens soldats, d’étudiants, d’intellectuels et d’activistes un peu radicaux. Mais nous avons sût nous créer une identité, c’est ce qui importe. Nous ne recherchons pas la gloire, ni même une image positive, nous cherchons l’efficacité.
Je pousse la porte de l’école en espérant ne pas trouver les deux gars de tout à l’heure en train de besogner la gueuse. Heureusement ce n’est pas le cas. Le blanc-bec est en train de fumer une clope en examinant les dessins d’enfants encore accrochés aux murs et le taciturne surveille la Berbère fermement ligotée à une chaise. J’avance vers cette dernière d’un pas assuré. Mes lourdes bottes ferrées claquent sur le parquet défoncé du hall de l’école.
-Tu n’obtiendras rien de moi, oiseau de malheur ! lance-t-elle avec défi.
Sans répondre je continue d’avancer. Une fois à environ un mètre d’elle, je m’accroupis et la regarde dans les yeux. Je peux lire la peur sur son visage. Ces peuples du désert sont remarquablement dangereux en clans, mais si l’on isole un individu de ses amis il perd toute bravoure, toute force. Celle-ci se montre même particulièrement courageuse, habituellement j’obtiens des aveux divers sans même avoir à les réclamer.
-Fille du désert, il me semble que tu me dois une fière chandelle…
Son regard fuit le mien. Bien sûr qu’elle m’est redevable, mais quand bien même l’aurais-je sauvée des griffes des Dirigeants eux-mêmes elle refuserait de m’aider ou de me révéler quoi que ce soit à propos de son clan. Je crains qu’il ne me faille être plus persuasif. Ou plus violent. Je sors de ma poche une vieille montre sans bracelet. Il est encore tôt, j’ai tout mon temps.
D’un geste je congédie les deux hommes présents dans la pièce et contemple la prisonnière. Je laisse une certaine pression monter, attendant qu’elle prenne la parole, ce qui ne tarde pas.
-Alors, qu’est-ce que tu attends pour me violer ?
-Tu es pressée à ce point ?
-Non, je m’inquiète juste pour tes… capacités.
Elle cherche à blesser mon ego masculin. Piètre tentative, même Lynot n’aurait pas marché. Un simple sourire lui répond. Passons aux questions.
-Pourquoi avoir pris ce village comme cible ?
-Il en fallait bien une. répond-t-elle après un instant d’hésitation
-C’était le plus proche de votre campement principal ?
La peur de se trahir flotte dans ses yeux bruns aux subtils reflets ambrés. Elle a dû entendre parler de moi et doit réaliser que si elle se lance dans une conversation avec moi, elle finira nécessairement par me donner des informations cruciales sur elle et son peuple.
-Nous sommes encore loin du QG du Cercle. Est-ce que tu as faim ?
-Tu crois que je vais tout te révéler pour un bout de pain ?
-Il y a des choses à révéler ?
-Va te faire foutre ! crie-t-elle.
La panique la gagne déjà. C’est très simple de tourmenter psychologiquement les faibles, spécialement lorsqu’ils sont acculés et craignent de dévoiler des secrets. Il suffit de leur faire croire que quoi qu’ils disent, cela les desservira. En réalité je ne suis guère plus avancé qu’il y a quelques minutes. Tout ce que j’ai deviné, c’est que le campement berbère ne doit pas être loin d’ici. Et que l’attaque de ce village avait peut-être un but autre que le pur pillage. Étrange, car ce n’est pas un patelin minier, donc pas de diamants, d’uranium, d’or ou autre matériau pouvant rapporter une forte somme sur le marché noir.
Je tente encore quelques questions mais la fille s’enferme dans un silence buté. Inutile de poursuivre pour l’instant. Je me redresse et me dirige vers la sortie. Un cri m’interrompt. Je me retourne.
-Oui ?
-Tu ne vas pas me laisser seul ?
-Pourquoi pas ?
-Mais… Je… Je vais mourir !
-Bien sûr, mais tu comprends bien que je ne peux pas m’encombrer de trop de prisonniers. Je comptais conduire les membres les plus importants de votre petit groupe au Nid. Et exécuter les autres. Mais, comme tu le fais si bien remarquer, t’abandonner ici fera tout aussi bien l’affaire et me permettra d’économiser une balle qui pourrait bien me sauver la vie plus tard.
Le silence flotte pendant quelques secondes. Je renifle et poursuis mon chemin vers la sortie.
-Pitié…
Pour la deuxième fois je me retourne. La Berbère a la tête baissée, une larme perle au bord de sa paupière.
-Je ne crois pas que ce soit une notion avec laquelle tu es familière…
-Ne m’abandonne pas, Roi Vautour. Je t’en supplie.
Sa voix est chargée de sanglots non-feints et une peur totale l’habite. Elle m’appelle par le surnom que les Berbères m’ont donné, mais c’est la première fois qu’il est utilisé en signe de respect… ou quelque chose d’approchant. D’habitude je l’entends plutôt comme une insulte. Pour ce peuple des sables, le vautour est un oiseau veule et vil, qui ne trouve son bonheur que dans la souffrance d’autrui et dont la seule utilité est sa faculté à nettoyer les champs de bataille et autres charniers.
-En quoi cela me servira-t-il ?
-Ne penses-tu donc qu’en termes d’intérêt ?
-Non, je ne suis pas un Dirigeant. Mais je mets en danger mes soldats si je t’emmène avec nous, car il faudra que j’affecte des hommes à ta surveillance, ce qui fait qu’il y en aura moins pour surveiller les alentours.
-Tu n’as qu’à me surveiller toi-même.
Elle n’a pas tort. De plus, si je reste près d’elle, je pourrais continuer à l’interroger. Fort bien.
Je tire une longue dague militaire sans ornements, mais tranchante, du fourreau accroché à ma ceinture. Les yeux de la fille brillent d’un mélange d’espoir et de peur. Un petit cri de soulagement lui échappe lorsque ses liens tombent. Je lui passe néanmoins promptement des menottes aux poignets. Elle lâche un soupir.
-Impossible de se passer des menottes, n’est-ce pas ?
-En effet.
-Merci quand même… J’imagine.
Nous sortons du bâtiment désaffecté. Cinq Berbères sont alignés contre un mur, attachés les uns aux autres et mis en joue par une dizaine de mes hommes. Une petite pile de cadavres, Berbères également, orne ce qui fut la fontaine de la petite place sur laquelle nous nous trouvons. Je trouve la mise en scène de mauvais goût, mais après tout c’est ma faute. Je sais à quoi m’attendre lorsque je laisse Carcasse mener les opérations. Ce dernier s’approche d’ailleurs de moi. Son œil unique, d’un noir d’encre, fixe avec colère la fille que je pousse devant moi.
-Vellere ! Pourquoi avoir épargnée cette fille, ce n’est visiblement qu’une pionne !
Amateur d’échecs, Carcasse aime comparer les gens à des pièces du jeu. Et pour lui, un pion ne vaut même pas la balle qui sert à l’exécuter.
-Je crois, Carcasse, que je suis le seul apte à décider de qui est important et qui ne l’est pas. A moins que tu ne souhaites prendre ma place ?
Bien entendu il ne le souhaite pas. Il est fort, violent, brutal, rusé… mais ce n’est pas un stratège, ni un leader. Il se détourne avec dédain. L’affaire est close. Je lance quelques ordres et en une poignée de minutes nous nous mettons en marche.
Il nous reste un long chemin à parcourir avant d’arriver au Nid. Je marche en tête de la colonne, la Berbère à mes côtés. Depuis une heure que nous marchons elle n’a toujours pas prononcé un mot. Derrière nous, mes hommes et les prisonniers. Ces derniers sont étroitement surveillés. Dans les dunes, des éclaireurs guettent le moindre danger. C’est une mécanique bien huilée et nous n’avons pas eu à déplorer de morts depuis plusieurs mois. Un calme plat et un soleil de plomb règnent, étouffants les esprits, tuant les conversations. C’est un moment parfait pour faire parler la Berbère.
-Comment t’appelles-tu ?
Elle vérifie que je m’adresse bien à elle avant de répondre.
-Jasmyn.
-C’est un joli prénom.
Elle ne relève pas.
-Et vous, c’est quoi ?
Je note qu’elle est passée au vouvoiement. Peut-être espère-t-elle m’amadouer ainsi…
-Tu peux m’appeler Vellere. C’est comme ça que tout le monde m’appelle.
-Vous n’avez pas de prénom que vos parents vous ont donné ?
-Si, bien sûr. Mais si j’utilise un pseudonyme c’est pour ne pas avoir à le dire.
Elle hoche la tête sans réellement se soucier de ce que je raconte. Je suppose qu’elle parle surtout pour s’occuper.
-Pourquoi vous avez créé votre clan ? Ce n’est pas au nom d’une ethnie, si ?
-Non. C’est au nom d’une idée.
-Je peux savoir laquelle ou bien c’est un secret ?
Cette fois-ci une réelle curiosité perce sous sa voix.
-Nous souhaitons éliminer les Dirigeants.
Les yeux de Jasmyn s’écarquillent.
- Vous êtes à peine une cinquantaine !
-Nous sommes beaucoup plus nombreux au Nid.
-Quand bien même vous seriez milles vous ne pourriez pas détruire les Dirigeants !
-En fait… Nous sommes plus proches du douze mille.
-Vous… vous dirigez douze milles hommes ? souffle la fille des sables.
-Non. Mais je ne suis pas le seul chef de clan dans cette histoire. En vérité… Nous sommes des Cercles, pas des clans, tribus ou gangs.
-Je ne comprends pas…
Je soupire. Est-ce que cela vaut vraiment le coup de lui raconter ? Après tout, elle risque de ne jamais revoir la lumière du jour une fois au Nid… Autant lui accorder cette dernière faveur.
-Nous sommes une organisation polyvalente, dont les actions vont de la récupération de données secrètes à l’action directe en passant par les manipulations politiques. Notre but est de faire sauter la Machine de l’intérieur. Nous sommes douze Cercles, réunis sous le nom d’Apostolat des Oiseaux.
Jasmyn me regarde en penchant la tête. Elle doit me prendre pour un fou. D’une certaine manière c’est assez plaisant.
-Et vous, c’est quoi votre domaine ? Quand vous ne massacrez pas mon peuple, bien sûr.
-Je m’occupe de la propagande et contre-propagande. dis-je sans relever la deuxième partie de sa phrase.
-Ah, vous manipulez les gens.
-Exactement.
-Et pourquoi est-ce que vous voulez vaincre les Dirigeants ?
-Parce que cela fait trop longtemps qu’ils ont le pouvoir et en abusent ! L’Imperator actuel a été élu en 2184, bon sang ! Il est au pouvoir depuis presque un siècle, et ses foutus technoscientifiques parviennent encore à le maintenir en vie, et même en bonne santé ! Tu trouves ça normal ? Ils manipulent le peuple dans les grandes villes et pourchassent ceux qui choisissent des modes de vie alternatifs. Il est interdit de penser, de lire, de visionner, d’écouter ou d’écrire autre chose que ce qui a été approuvé par Eux. La moitié de la planète est sous leur joug et l’autre moitié dépérit lentement car coupée de tout moyen de subsistance !
Je me penche et ramasse une poignée de sable brûlant.
-Autrefois des arbustes pouvaient pousser dans ce sable, et avec l’avancée de la biotechnologie on pourrait même faire pousser d’autres plantes et ainsi nourrir ceux que les Dirigeants ont chassés. Mais c’est impossible depuis qu’ils ont balancé leurs bombes chimiques sur les zones qu’ils ne dirigeaient pas… La nourriture, c’est eux qui l’ont en quantité maintenant… Et il devient difficile de subsister hors des villes. C’est ce qui fait que des peuples comme le vôtre se réunissent en clans et pillent les villages, ou vendent esclaves et organes au marché noir. Nous luttons contre ça, nous luttons contre l’abrutissement de la population des villes, nous luttons contre la Machine et contre Ceux qui la dirige. Tu comprends mieux ?
Jasmyn se contente de baisser les yeux. Je me suis peut-être un peu enflammé, mais après tout… c’est mon boulot de chambouler l’esprit des gens par ma simple parole.
Je n’ajoute rien, Jasmyn non plus et le voyage se poursuit donc dans le silence.
Commentaires
- Isaac
04/12/2013 à 03:23:55
Hâte de voir la suite, ce monde m'intérresse !
- VonDaklage
03/12/2013 à 22:22:27
Biotechnologie + Dictateur futuriste = Un VonDaklage qui attend la suite afin d'en savoir plus. C'est bien, tu introduis l'univers peu à peu.