Note de la fic :
Les Fantômes Peuvent Mourir
Par : BaliBalo
Genre : Polar, Réaliste
Statut : C'est compliqué
Chapitre 3 : Visite
Publié le 25/11/2012 à 17:15:02 par BaliBalo
Laurent l’attendait, installé auprès d’une des tables en terrasse du petit café qui subsistait juste en face de l’immeuble où vivait Line. Cette dernière s’assit en face du jeune homme. Pas de baiser cette fois : en public l’usage était de rester platonique. Elle lui accorda cependant un sourire et un remerciement pour s’être installé dehors malgré la fraîcheur et le vent hardi qui soufflait dans la rue, soulevant les feuilles rouge que l’automne avait assassiné. S’il avait choisi cette table, c’était pour que Line puisse fumer tranquillement, elle l’avait compris. Une fois de plus, Laurent faisait preuve d’une attention sans faille. Au moment où Line allumait sa cigarette, le serveur vint prendre leur commande. Deux cafés, voilà qui les réchaufferait et donnerait du courage à Line pour terminer la journée.
« Vous souhaitiez m’expliquer quelque chose, commença Laurent, vouvoyant Line selon l’usage, je vous écoute.
— Oui, c’est au sujet d’hier soir… répondit-elle, ce n’est pas une affaire ordinaire qui m’a retenue.
— Ah ? fit Laurent qui se pencha légèrement en avant, visiblement intéressé.
— Oui, en vérité on m’a procuré l’adresse de ma mère.
Alors que Line s’attendait à voir la stupéfaction peindre le visage de Laurent, celui-ci ne fit qu’esquisser un maigre sourire. Elle haussa un sourcil, surprise, aussi il assura :
— C’est bien.
— Bien ?
— Oui, bien. Vous ne l’aviez pas revue depuis un bout de temps non ? Retrouver sa mère est quelque chose de magique selon moi. C’est réjouissant de penser que vous allez connaître ça. Je suis heureux pour vous.
— Pourquoi magique ?
— Parce que c’est votre mère. »
Line n’avait absolument pas étudié la situation sous cet angle. Elle n’avait vu en ce fantôme du passé qu’une femme étrangère, liée aux souvenirs douloureux d’une époque de décadence. A aucun moment elle ne s’était figuré cette femme comme une mère, quelqu’un qui l’avait engendrée, semblable à une moitié d’elle-même. Cette femme, ce spectre n’était qu’un amas de souvenirs, pas une femme, et encore moins une mère. Cependant, si Line adoptait le point de vue de Laurent, il lui était plus aisé d’imaginer rencontrer Madame Bertau-Jeannet, de son nom de jeune fille. Un ectoplasme qui, peu à peu, prenait forme et devenait matériel et presque familier. En effet, une mère est une personne proche, une personne qui vous ressemble. Appréhender une personne semblable à soi-même est une idée plus évidente que d’aborder quelqu’un d’étranger, dont on ne sait absolument rien. Bizarrement, cette histoire de parenté rassurait la jeune femme. Ravie par le bienfait que lui avaient apporté les mots de Laurent, elle lui sourit et, en guise de réponse, le jeune homme lui prit simplement la main.
Après cette brève entrevue, Line réintégra son bureau, perché sur la cime de la Tour Carpe Diem, dressée au cœur de la Défense, dard brillant de reflets ombreux. D’ici, Line avait vue sur son empire, repérant chaque Bertaus qui glissait entre les immobiles immeubles de glace acérée. La jeune femme aimait cette hauteur et cette distance entre le monde et elle qui lui était conférées par son bureau et sa grande baie vitrée. Mais Line n’eut pas l’occasion de contempler les minuscules rues du haut de sa tour de verre, puisque toute sa famille l’attendait justement devant l’observatoire. Encore un imprévu. Caroline s’approcha de sa sœur tandis que celle-ci s’asseyait derrière son bureau.
« Line, commença la rouquine, nous avons tous pensé qu’il serait mieux d’en finir au plus vite avec cette histoire.
— Je suis assez d’accord. Approuva Line
— Dans ce cas, reprit sa sœur, nous y allons dès maintenant. Tu es d’accord ? »
Line soupira, elle avait énormément de travail, ne pouvaient-ils pas attendre quelques jours ? Cela dit, à force de repousser l’échéance, la visite ne se ferait jamais. Or il fallait que tous rompent avec leur passé, particulièrement Line à qui ressasser la période où sa vie avait été gâchée par les actions néfastes et irréfléchies de cette mère était pénible. Confortée dans l’idée qu’elle devait se débarrasser de ses démons, Line se leva brusquement et approuva la proposition d’un signe de tête. Ils se massèrent alors dans l’ascenseur le plus proche qui les mena directement au parking privé de la tour Carpe Diem. Paul se passionnait pour les grosses machineries telles les 4x4, sa Land Rover était garée non loin et offrait un confort suffisant pour quatre personnes. Line se hissa sur le siège passager, tandis que Paul prenait place au volant. Elle indiqua l’adresse fournie par Arthur Barrais au GPS et l’itinéraire s’afficha, déroulant la piste jusqu’au terrier du fantôme.
Ils parvinrent à l’angle du boulevard Raspail et de la rue Léopold Robert à peine une demi-heure plus tard. Un bel immeuble haussmannien fraîchement rénové se dressait devant eux, abritant un restaurant créole à son rez-de-chaussée. L’adresse qu’avait donnée Barrais indiquait la salle où s’activaient encore deux serveurs malgré l’heure tardive pour déjeuner, le GPS était formel. Les quatre frères et sœurs échangèrent un regard et poussèrent la petite porte vitrée donnant sur la salle de restaurant. Ils étaient un peu perdus, d’ordinaire un serveur venait les défaire de leurs atours et leur indiquait une table où s’installer, or les serveurs étaient affairés autours d’autres clients et ne semblaient pas les avoir remarqués. Marco héla le plus proche des garçons qui s’approcha après avoir déposé plusieurs verres sur une table.
« En quoi puis-je vous être utile ? demanda-t-il poliment
— Nous cherchons Madame Bertau-Jeannet, répondit Marco sans fléchir, savez-vous où nous pouvons la trouver ?
— La patronne ? Je vais demander aux cuisines, attendez un instant. Qui dois-je annoncer ?
— Ses enfants naturels, pas les bâtards. »
Le garçon agrandit les yeux mais ne fit aucun commentaire et s’éloigna. Caroline lança un regard désapprobateur à Marco : il aurait pu présenter les choses de façon plus élégante. Aucun des quatre enfants ne parlait, rongé d’angoisse. Le cœur de Line fit un bond lorsqu’elle vit le serveur reparaître et se diriger vers eux. Il leur expliqua que leur mère était montée à l’appartement pour faire son ménage puis il leur intima de le suivre et les mena dans une courette empestant la pisse de chat, serrée entre trois immeubles. Le serveur leur ouvrit la porte sur le hall silencieux et leur indiqua l’étage avant de retourner à son travail. Line avait péniblement réussi à articuler un remerciement. Dans un silence de mort, ils gravirent les escaliers tapissés de rouge et se serrèrent devant la porte de l’appartement. Ils marquèrent une pause significative, n’osant aller plus loin puis Paul s’avança et écrasa la sonnette avant de reculer brusquement, comme s’il avait été piqué. Ils entendirent distinctement des pas faire grincer le parquet puis la poignée tourner. La porte s’ouvrit sur elle, sur leur mère.
La stupéfaction fut partagée. D’un côté quatre des plus riches français réduis à l’état d’enfants terrifiés, de l’autre une femme, autrefois mère, décontenancée par la présence de ces quatre enfants, ses enfants. Aucun des partis ne savait comment réagir face à ses propres fantômes. L’instant dura, dérangeant et effrayant jusqu’à ce que la mère ne reprenne ses esprits et invite les Quatre Tétanisés à entrer. En pénétrant dans le petit appartement sombre, ils furent surpris par l’aspect de la vie de leur mère. Le sol et les murs étaient tapissés de lourdes tentures aux couleurs chatoyantes, l’espace étroit était encombré par de nombreuses sculptures de bois noir et lisse ou de guéridons supportant multitude de bibelots. Le salon abritait une lourde table basse en ébène autour de laquelle s’étalait un grand canapé couvert de plaids aux motifs pseudo africains et trois fauteuils d’osier. Tous s’installèrent autour de la grande table, face à leur mère qui prit place dans un des fauteuils. Seul Paul resta debout, étudiant tranquillement l’agencement de la pièce.
« Je suis heureuse de vous revoir, avoua Mme Bertau-Jeannet, je n’aurais jamais imaginé que vous reviendriez me voir.
— Ne te fatigue pas à mentir, intervint Marco, nous sommes une gêne pour toi. Je sens bien que ça te dérange de nous accueillir ici.
— C’est seulement bizarre de vous revoir tous si brusquement. Félicitation pour Bertaus d’ailleurs, surtout à toi Line, dit-elle en posant son regard sur la jeune PDG qui se détourna, elle reprit : ça me fait tellement plaisir de voir mes enfants réussir.
Brusquement, Paul frappa sur la table et haussa le ton, ce qui n’était absolument pas dans ses habitudes :
— Cesse de bavasser. Nous sommes ici pour entendre tes excuses. Tu as détruit une bonne partie de nos vie, tu as brisé notre famille, tu as abandonné notre père. Or tu sais pertinemment que tu aurais pu les chasser, étouffer le scandale. Tu avais les relations nécessaires ! Mais tu as laissé faire. Parce que ça te plaisait. Tu aimais te voir en une des magazines, montrer que tu étais la mère de la plus grande star de l’époque. Mais nous, tu n’en avais rien à faire, tu nous as laissé souffrir. Nous pensions te soutenir alors que tu jouissais de la situation. Puis tu nous as abandonné, tu nous as laissé nous embourber dans notre malheur, comme si nous n’avions jamais existé pour toi. Maintenant que nous avons remonté la pente tous ensemble, tu es ravie de nous accueillir chez toi, nous faisons partie des grands du pays. Tu n’es qu’une hypocrite, une saloperie d’immondice pleine de faux semblants. Excuse-toi ! cracha-t-il finalement.
Caroline posa une main sur le bras de Paul, comme pour le calmer. Il était au bord des larmes. Line était abasourdie, son frère n’était pas du genre à perdre son sang-froid, il trouvait même une certaine facilité à observer d’un point de vue objectif et distant tout ce qui l’entourait. C’est pourquoi le voir crier, insulter et presque pleurer était significatif de la haine qui portait envers cette mère indigne. Line le comprenait.
— Je ne regrette pas ce que j’ai fait, trancha la mère, je ne m’excuserais pas.
— Considère que tu n’es plus qu’une salope libidineuse à nos yeux alors, conclut Marco en se levant, nous n’avons plus rien à faire chez cette étrangère.
Tandis que tous se levaient pour quitter l’appartement, il ajouta :
— Pour avoir gâché notre jeunesse, tu mériterais de mourir.
Pour nuancer ces propos violents, Caroline ajouta :
— Ne nous considère plus comme tes enfants. »
Elle claqua la porte derrière elle, tremblante de colère. De son côté Line éclata en sanglots, se confondant en excuse pour n’avoir rien su dire. Paul la réconforta, lui expliquant qu’un silence dédaigneux valait sans doute mieux qu’une flopée d’injures. Marco serrait les dents, les yeux brillant d’une flamme ardente et haineuse. Line eut peur un instant qu’il se jette sur la sonnette de l’appartement pour arracher les cheveux de cette femme horrible, au lieu de quoi il écrasa le bouton d’appel de l’ascenseur en grognant contre Line de cesser de pleurnicher. La jeune femme ravala ses pleurs, admettant combien cette attitude était indigne. Elle se remaquilla dans la voiture, ne pouvant se permettre d’afficher des joues humides dans les couloirs de la tour Carpe Diem. Selon l’ordonnancement qui régissait les gestes de Line, un PDG devait toujours se montrer fort, hautain et inébranlable. Cependant, en se souvenant de la pile de comptes rendus qui l’attendaient dans son bureau, elle songea que la fin de journée allait être difficile.
Il faisait déjà nuit depuis longtemps lorsque Line gagna sa petite Bluecar, inévitablement branchée. Line connectait systématiquement sa voiture à la borne électrique du parking de la tour pour être sûre d’y avoir pensé. Elle grimpa dans la voiturette et démarra le moteur absolument silencieux. Arrêtée au feu rouge, elle appela le numéro de Laurent puis activa le haut-parleur. Alors qu’elle redémarrait, elle fit glisser le téléphone sur ses genoux et une voix masculine résonna dans le petit habitacle de l’automobile.
« Line ?
— Oui, je t’appelle pour décommander, répondit-elle en donnant un coup de volant à droite parce qu’une Mercedes la collait d’un peu trop près en la doublant, elle poursuivit : je ne me sens pas trop d’aller au restau ce soir.
— Tu es malade ? demanda Laurent, d’une voix inquiète.
— Non, j’ai simplement vu ma mère aujourd’hui et ça ne s’est vraiment pas bien passé, je vais digérer ça toute seule dans mon coin.
— Comme tu veux.
— Merci Laurent, je suis vraiment désolée de te délaisser.
— Je comprends, ne t’inquiète pas. »
Ils échangèrent encore quelques politesses puis Laurent raccrocha tandis que Line glissait sur la pente menant au parking souterrain de son immeuble. C’est en gravissant les escaliers menant à son appartement qu’elle craqua à nouveau et laissa les larmes zébrer le contour de ses yeux. Elle se hâta jusqu’à sa porte et, une fois qu’elle l’eu refermée derrière elle, voulu parler à quelqu’un. D’abord elle pensa à ses frères et sa sœur mais elle se ravisa, songeant à la piètre opinion qu’ils auraient d’elle à l’entendre pleurnicher, il en allait de même pour Laurent, elle ne l’aimait pas mais ne souhaitait compromettre les futures avantages qu’elle tirerait de sa liaison avec lui. Il ne restait plus qu’une personne à qui elle pouvait parler : son propre père. Il n’était sans doute pas très délicat de lui parler de son ex-femme mais dans l’état où Line se trouvait, elle était convaincue que son père chercherait à la réconforter avant d’exprimer son dégoût pour cette femme. Line prit son téléphone fixe et composa le numéro de son père.
« Vous souhaitiez m’expliquer quelque chose, commença Laurent, vouvoyant Line selon l’usage, je vous écoute.
— Oui, c’est au sujet d’hier soir… répondit-elle, ce n’est pas une affaire ordinaire qui m’a retenue.
— Ah ? fit Laurent qui se pencha légèrement en avant, visiblement intéressé.
— Oui, en vérité on m’a procuré l’adresse de ma mère.
Alors que Line s’attendait à voir la stupéfaction peindre le visage de Laurent, celui-ci ne fit qu’esquisser un maigre sourire. Elle haussa un sourcil, surprise, aussi il assura :
— C’est bien.
— Bien ?
— Oui, bien. Vous ne l’aviez pas revue depuis un bout de temps non ? Retrouver sa mère est quelque chose de magique selon moi. C’est réjouissant de penser que vous allez connaître ça. Je suis heureux pour vous.
— Pourquoi magique ?
— Parce que c’est votre mère. »
Line n’avait absolument pas étudié la situation sous cet angle. Elle n’avait vu en ce fantôme du passé qu’une femme étrangère, liée aux souvenirs douloureux d’une époque de décadence. A aucun moment elle ne s’était figuré cette femme comme une mère, quelqu’un qui l’avait engendrée, semblable à une moitié d’elle-même. Cette femme, ce spectre n’était qu’un amas de souvenirs, pas une femme, et encore moins une mère. Cependant, si Line adoptait le point de vue de Laurent, il lui était plus aisé d’imaginer rencontrer Madame Bertau-Jeannet, de son nom de jeune fille. Un ectoplasme qui, peu à peu, prenait forme et devenait matériel et presque familier. En effet, une mère est une personne proche, une personne qui vous ressemble. Appréhender une personne semblable à soi-même est une idée plus évidente que d’aborder quelqu’un d’étranger, dont on ne sait absolument rien. Bizarrement, cette histoire de parenté rassurait la jeune femme. Ravie par le bienfait que lui avaient apporté les mots de Laurent, elle lui sourit et, en guise de réponse, le jeune homme lui prit simplement la main.
Après cette brève entrevue, Line réintégra son bureau, perché sur la cime de la Tour Carpe Diem, dressée au cœur de la Défense, dard brillant de reflets ombreux. D’ici, Line avait vue sur son empire, repérant chaque Bertaus qui glissait entre les immobiles immeubles de glace acérée. La jeune femme aimait cette hauteur et cette distance entre le monde et elle qui lui était conférées par son bureau et sa grande baie vitrée. Mais Line n’eut pas l’occasion de contempler les minuscules rues du haut de sa tour de verre, puisque toute sa famille l’attendait justement devant l’observatoire. Encore un imprévu. Caroline s’approcha de sa sœur tandis que celle-ci s’asseyait derrière son bureau.
« Line, commença la rouquine, nous avons tous pensé qu’il serait mieux d’en finir au plus vite avec cette histoire.
— Je suis assez d’accord. Approuva Line
— Dans ce cas, reprit sa sœur, nous y allons dès maintenant. Tu es d’accord ? »
Line soupira, elle avait énormément de travail, ne pouvaient-ils pas attendre quelques jours ? Cela dit, à force de repousser l’échéance, la visite ne se ferait jamais. Or il fallait que tous rompent avec leur passé, particulièrement Line à qui ressasser la période où sa vie avait été gâchée par les actions néfastes et irréfléchies de cette mère était pénible. Confortée dans l’idée qu’elle devait se débarrasser de ses démons, Line se leva brusquement et approuva la proposition d’un signe de tête. Ils se massèrent alors dans l’ascenseur le plus proche qui les mena directement au parking privé de la tour Carpe Diem. Paul se passionnait pour les grosses machineries telles les 4x4, sa Land Rover était garée non loin et offrait un confort suffisant pour quatre personnes. Line se hissa sur le siège passager, tandis que Paul prenait place au volant. Elle indiqua l’adresse fournie par Arthur Barrais au GPS et l’itinéraire s’afficha, déroulant la piste jusqu’au terrier du fantôme.
Ils parvinrent à l’angle du boulevard Raspail et de la rue Léopold Robert à peine une demi-heure plus tard. Un bel immeuble haussmannien fraîchement rénové se dressait devant eux, abritant un restaurant créole à son rez-de-chaussée. L’adresse qu’avait donnée Barrais indiquait la salle où s’activaient encore deux serveurs malgré l’heure tardive pour déjeuner, le GPS était formel. Les quatre frères et sœurs échangèrent un regard et poussèrent la petite porte vitrée donnant sur la salle de restaurant. Ils étaient un peu perdus, d’ordinaire un serveur venait les défaire de leurs atours et leur indiquait une table où s’installer, or les serveurs étaient affairés autours d’autres clients et ne semblaient pas les avoir remarqués. Marco héla le plus proche des garçons qui s’approcha après avoir déposé plusieurs verres sur une table.
« En quoi puis-je vous être utile ? demanda-t-il poliment
— Nous cherchons Madame Bertau-Jeannet, répondit Marco sans fléchir, savez-vous où nous pouvons la trouver ?
— La patronne ? Je vais demander aux cuisines, attendez un instant. Qui dois-je annoncer ?
— Ses enfants naturels, pas les bâtards. »
Le garçon agrandit les yeux mais ne fit aucun commentaire et s’éloigna. Caroline lança un regard désapprobateur à Marco : il aurait pu présenter les choses de façon plus élégante. Aucun des quatre enfants ne parlait, rongé d’angoisse. Le cœur de Line fit un bond lorsqu’elle vit le serveur reparaître et se diriger vers eux. Il leur expliqua que leur mère était montée à l’appartement pour faire son ménage puis il leur intima de le suivre et les mena dans une courette empestant la pisse de chat, serrée entre trois immeubles. Le serveur leur ouvrit la porte sur le hall silencieux et leur indiqua l’étage avant de retourner à son travail. Line avait péniblement réussi à articuler un remerciement. Dans un silence de mort, ils gravirent les escaliers tapissés de rouge et se serrèrent devant la porte de l’appartement. Ils marquèrent une pause significative, n’osant aller plus loin puis Paul s’avança et écrasa la sonnette avant de reculer brusquement, comme s’il avait été piqué. Ils entendirent distinctement des pas faire grincer le parquet puis la poignée tourner. La porte s’ouvrit sur elle, sur leur mère.
La stupéfaction fut partagée. D’un côté quatre des plus riches français réduis à l’état d’enfants terrifiés, de l’autre une femme, autrefois mère, décontenancée par la présence de ces quatre enfants, ses enfants. Aucun des partis ne savait comment réagir face à ses propres fantômes. L’instant dura, dérangeant et effrayant jusqu’à ce que la mère ne reprenne ses esprits et invite les Quatre Tétanisés à entrer. En pénétrant dans le petit appartement sombre, ils furent surpris par l’aspect de la vie de leur mère. Le sol et les murs étaient tapissés de lourdes tentures aux couleurs chatoyantes, l’espace étroit était encombré par de nombreuses sculptures de bois noir et lisse ou de guéridons supportant multitude de bibelots. Le salon abritait une lourde table basse en ébène autour de laquelle s’étalait un grand canapé couvert de plaids aux motifs pseudo africains et trois fauteuils d’osier. Tous s’installèrent autour de la grande table, face à leur mère qui prit place dans un des fauteuils. Seul Paul resta debout, étudiant tranquillement l’agencement de la pièce.
« Je suis heureuse de vous revoir, avoua Mme Bertau-Jeannet, je n’aurais jamais imaginé que vous reviendriez me voir.
— Ne te fatigue pas à mentir, intervint Marco, nous sommes une gêne pour toi. Je sens bien que ça te dérange de nous accueillir ici.
— C’est seulement bizarre de vous revoir tous si brusquement. Félicitation pour Bertaus d’ailleurs, surtout à toi Line, dit-elle en posant son regard sur la jeune PDG qui se détourna, elle reprit : ça me fait tellement plaisir de voir mes enfants réussir.
Brusquement, Paul frappa sur la table et haussa le ton, ce qui n’était absolument pas dans ses habitudes :
— Cesse de bavasser. Nous sommes ici pour entendre tes excuses. Tu as détruit une bonne partie de nos vie, tu as brisé notre famille, tu as abandonné notre père. Or tu sais pertinemment que tu aurais pu les chasser, étouffer le scandale. Tu avais les relations nécessaires ! Mais tu as laissé faire. Parce que ça te plaisait. Tu aimais te voir en une des magazines, montrer que tu étais la mère de la plus grande star de l’époque. Mais nous, tu n’en avais rien à faire, tu nous as laissé souffrir. Nous pensions te soutenir alors que tu jouissais de la situation. Puis tu nous as abandonné, tu nous as laissé nous embourber dans notre malheur, comme si nous n’avions jamais existé pour toi. Maintenant que nous avons remonté la pente tous ensemble, tu es ravie de nous accueillir chez toi, nous faisons partie des grands du pays. Tu n’es qu’une hypocrite, une saloperie d’immondice pleine de faux semblants. Excuse-toi ! cracha-t-il finalement.
Caroline posa une main sur le bras de Paul, comme pour le calmer. Il était au bord des larmes. Line était abasourdie, son frère n’était pas du genre à perdre son sang-froid, il trouvait même une certaine facilité à observer d’un point de vue objectif et distant tout ce qui l’entourait. C’est pourquoi le voir crier, insulter et presque pleurer était significatif de la haine qui portait envers cette mère indigne. Line le comprenait.
— Je ne regrette pas ce que j’ai fait, trancha la mère, je ne m’excuserais pas.
— Considère que tu n’es plus qu’une salope libidineuse à nos yeux alors, conclut Marco en se levant, nous n’avons plus rien à faire chez cette étrangère.
Tandis que tous se levaient pour quitter l’appartement, il ajouta :
— Pour avoir gâché notre jeunesse, tu mériterais de mourir.
Pour nuancer ces propos violents, Caroline ajouta :
— Ne nous considère plus comme tes enfants. »
Elle claqua la porte derrière elle, tremblante de colère. De son côté Line éclata en sanglots, se confondant en excuse pour n’avoir rien su dire. Paul la réconforta, lui expliquant qu’un silence dédaigneux valait sans doute mieux qu’une flopée d’injures. Marco serrait les dents, les yeux brillant d’une flamme ardente et haineuse. Line eut peur un instant qu’il se jette sur la sonnette de l’appartement pour arracher les cheveux de cette femme horrible, au lieu de quoi il écrasa le bouton d’appel de l’ascenseur en grognant contre Line de cesser de pleurnicher. La jeune femme ravala ses pleurs, admettant combien cette attitude était indigne. Elle se remaquilla dans la voiture, ne pouvant se permettre d’afficher des joues humides dans les couloirs de la tour Carpe Diem. Selon l’ordonnancement qui régissait les gestes de Line, un PDG devait toujours se montrer fort, hautain et inébranlable. Cependant, en se souvenant de la pile de comptes rendus qui l’attendaient dans son bureau, elle songea que la fin de journée allait être difficile.
Il faisait déjà nuit depuis longtemps lorsque Line gagna sa petite Bluecar, inévitablement branchée. Line connectait systématiquement sa voiture à la borne électrique du parking de la tour pour être sûre d’y avoir pensé. Elle grimpa dans la voiturette et démarra le moteur absolument silencieux. Arrêtée au feu rouge, elle appela le numéro de Laurent puis activa le haut-parleur. Alors qu’elle redémarrait, elle fit glisser le téléphone sur ses genoux et une voix masculine résonna dans le petit habitacle de l’automobile.
« Line ?
— Oui, je t’appelle pour décommander, répondit-elle en donnant un coup de volant à droite parce qu’une Mercedes la collait d’un peu trop près en la doublant, elle poursuivit : je ne me sens pas trop d’aller au restau ce soir.
— Tu es malade ? demanda Laurent, d’une voix inquiète.
— Non, j’ai simplement vu ma mère aujourd’hui et ça ne s’est vraiment pas bien passé, je vais digérer ça toute seule dans mon coin.
— Comme tu veux.
— Merci Laurent, je suis vraiment désolée de te délaisser.
— Je comprends, ne t’inquiète pas. »
Ils échangèrent encore quelques politesses puis Laurent raccrocha tandis que Line glissait sur la pente menant au parking souterrain de son immeuble. C’est en gravissant les escaliers menant à son appartement qu’elle craqua à nouveau et laissa les larmes zébrer le contour de ses yeux. Elle se hâta jusqu’à sa porte et, une fois qu’elle l’eu refermée derrière elle, voulu parler à quelqu’un. D’abord elle pensa à ses frères et sa sœur mais elle se ravisa, songeant à la piètre opinion qu’ils auraient d’elle à l’entendre pleurnicher, il en allait de même pour Laurent, elle ne l’aimait pas mais ne souhaitait compromettre les futures avantages qu’elle tirerait de sa liaison avec lui. Il ne restait plus qu’une personne à qui elle pouvait parler : son propre père. Il n’était sans doute pas très délicat de lui parler de son ex-femme mais dans l’état où Line se trouvait, elle était convaincue que son père chercherait à la réconforter avant d’exprimer son dégoût pour cette femme. Line prit son téléphone fixe et composa le numéro de son père.