Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Les Fantômes Peuvent Mourir


Par : BaliBalo
Genre : Polar, Réaliste
Statut : C'est compliqué



Chapitre 1 : Secousses


Publié le 11/11/2012 à 01:08:35 par BaliBalo

« Line Bertau est une conceptrice automobile française de renom actuellement à la tête de sa propre compagnie : Bertaus.

Biographie :
Née en 1995 à Issy les Moulineaux, c’est la cadette d’une famille de quatre enfants. Elle étudie au collège Louis Prunier (rebaptisé Collège Bertau en 2020, en hommage à Line et sa famille). Dès son plus jeune âge, elle se distingue par des résultats scolaires excellents, tout particulièrement dans le domaine de la mécanique. Elle déménage en 2010 à Versailles et poursuit ses études au Lycée Jules Ferry avec pour but de devenir ingénieure.
C’est en 2012 que les choses changent : le scandale Ariès est révélé et fait de la mère de Line un monstre de luxure. Un an plus tard, M. Bertau et sa femme divorcent. Puis la mère disparaît dans la nature et n’a, à ce jour, toujours pas repris contact avec ses enfants. C’est un grand choc pour Line et, pendant 3 ans, il est impossible de reconstituer son histoire. Mais il semble qu’elle mène alors une vie peu recommandable puisque la jeune fille réapparaît plusieurs fois en garde à vue et semble déscolarisée. C’est en 2016 qu’on apprend qu’elle a repris ses études à l’ESTACA ce qui marque le début de sa renaissance. A partir de 2018, Line Bertau devient une célébrité grâce à sa première voiture : la Bertaus-1 qui connaît, encore aujourd’hui, un succès énorme.
Après la création de trois autres automobiles, Line Bertau s’inscrit parmi les plus grandes fortunes de France et la marque Bertaus dépasse désormais les ventes de Renault. Line Bertau vit actuellement à Paris et poursuit son œuvre.

L’œuvre :
En 2018, c’est la révolution automobile avec la Bertaus-1. Fortement inspirée de la 2CV de Citroën, la première production de la compagnie Bertaus se présente comme une vieille automobile totalement revisitée et aménagée pour accueillir un moteur entièrement électrique. C’est un énorme succès, d’abord auprès des amoureux de l’automobile puis à l’échelle de la France entière. C’est aussi la Bertaus-1 qui marque la naissance de l’entreprise Bertaus créée de concert par Line, ses deux frères et sa sœur.
Le groupe continue sur sa lancée avec, en 2019, la sortie d’un nouveau modèle plus familial et inspirée de la 204 de Peugeot : la Berline-F. Cette voiture connait un grand succès comme la précédente.
L’entreprise Bertaus a deux objectifs simples nés de l’imaginaire de Line et de l’esprit pragmatique de son ainé Marco : ressusciter les classiques de l’automobile française et les allier avec les énergies renouvelables, deux fils rouges incarnés par la Bertaus-1, symbole de la renaissance de l’automobile française et de l’évolution technologique. Cependant, il semble que le groupe commence à s’intéresser à l’automobile allemande et les premières automobiles américaines potentiellement pour faire renaître d’anciennes machines mythiques.
A.F. Petunia
»

Elle sourit. L’article était plus qu’élogieux. Line ferma la page. Elle se disait qu’on lui attribuait tout le mérite d’une entreprise qu’elle n’avait pas créée seule. Marco y était pour beaucoup, entre autre la conception du moteur de la Bertaus-1, et il n’était cité qu’une fois. Quant aux autres… Paul avait été d’une grande aide pour tout ce qui était juridique. Il était vrai que l’idée de Line de reprendre de vieilles automobiles et de les rendre électriques relevait du génie, cependant la réaliser avait été une autre affaire. Paul avait dû parlementer avec les dirigeants de Citroën afin d’obtenir leur assentiment pour la Bertaus-1, et le schéma s’était reproduit par la suite plus d’une fois. Le sac de nœud juridique que constituait chaque automobile de Bertaus ralentissait considérablement la production, et ce malgré l’armée de juristes qui étaient employés depuis l’essor de l’entreprise. Bien entendu, Paul restait à la tête de cette équipe, assisté par Caroline, de deux ans l’aînée de Line, qui maniait parfaitement les chiffres de l’entreprise. La mathématicienne était un élément clé du groupe, dirigeant la branche commerciale et regroupant l’ensemble des chiffres qu’elle transmettait à sa cadette autant qu’à chaque charnière de l’entreprise. Ainsi, toute la compagnie Bertaus s’articulait autour de la même famille, c’était un empire qu’ils avaient bâti seuls et qu’ils ne cèderaient à personne.

Line, quant à elle, travaillait principalement avec Marco et son équipe d’ingénieurs. A la tête du groupe Bertaus, c’était ses idées qui prônaient. Line était la reine, la maîtresse d’usine, la seule capable de révolutionner le monde de l’automobile avec une simple idée. Bertaus suivait la politique de Line à la lettre. Elle ne visait pas un public en particulier, elle ne voulait pas offrir ses voitures. Line ne faisait qu’obéir à son imagination, à son goût. La BM-B était la dernière conception qui avait germée de son esprit. Une automobile bien plus luxueuse, des contraintes technologiques bien plus nombreuses. Mais Line avait été claire : la BM-B devait être parfaite, toutes ses exigences devaient être respectées ce qui constituait un défi majeur pour Marco et ses hommes. Après un mois de travail, les premiers plans de la nouvelle voiture était parvenus à la maîtresse de maison et cela faisait maintenant trois jours qu’elle les étudiait avec attention et rédigeait un rapport sur les améliorations nécessaires au prototype. Il restait énormément de travail à fournir sur la BM-B, elle était encore trop loin de correspondre à l’idéal que Line s’en était fait. Si Marco respectait les délais, elle serait présentable au Mondial de l’Automobile de l’année à venir.

Lorsque Line constata qu’il était déjà vingt heures trente, elle sauta sur ses pieds, fébrile. Il ne lui restait plus qu’une heure avant son rendez-vous avec Laurent. Laurent était son ami, comme on disait dans la société mondaine, et ce soir, elle devait dîner en sa compagnie. Rien que d’y penser, elle s’ennuyait déjà. Laurent était quelqu’un de profondément gentil, attentionné et pas mal fichu qui plus est mais il n’intéressait pas Line. Il était pourtant parfait. D’autant plus qu’il entretenait des liens personnels avec les patrons de Renault et Peugeot, ce qui constituait un sacré avantage pour Bertaus. C’est pourquoi Line prenait sur elle. Laurent avait beau ne pas être le genre de Line, elle s’imaginait parfaitement mariée avec lui : il serait aimant et ne la gênerait pas outre mesure.

Au volant de sa petite Bluecar, Line s’engagea dans la descente du parking de son immeuble. Elle extirpa la télécommande et ouvrit la porte avant de se garer. La minuscule auto n’occupait que la moitié de la place qui lui était attribuée. C’était cette petitesse qui avait séduite Line lorsqu’elle avait découvert l’existence de cette première voiture entièrement électrique. Elle brancha, comme d’ordinaire, la Bluecar sur la prise secteur et sorti en fermant le garage d’une simple pression sur la télécommande. Elle grimpa au pas de course les trois étages qui la séparait de son appartement, il ne lui restait désormais qu’une petite demi-heure pour se rendre présentable. Elle entra en trombe, jeta sa veste et son sac en vrac sur l’immense canapé du salon, attrapa la première robe en velours qui lui tombait sous la main et sauta dans la douche.

Line s’était installée dans le canapé pour attendre Laurent et accomplissait la tâche répétitive de trier le courrier. Elle faisait deux piles : une pour les lettres administratives et la seconde pour les grandes enveloppes beiges qui concernaient le travail supplémentaire. L’organisation de Line était sans détour. La précision et l’anticipation, voilà ce qui lui permettait de tenir son entreprise d’une main de fer. Elle gérait son quotidien de la même façon, suivant à la lettre un rituel essentiel à ses yeux. Trier le courrier en deux piles en faisait partie.

Alors, lorsque Line tomba sur une lettre inclassable et que son ordre établit en fut dévasté, elle marqua cette découverte inattendue par un froncement de sourcil. C’était une petite enveloppe blanche sur laquelle on avait rédigé l’adresse de la jeune femme à la main. Dans le coin droit, figurait un joli timbre représentant le Pont de l’Alma. Line n’avait pas l’habitude de recevoir du courrier de ce type : elle entretenait ses correspondances par mail. Elle retourna l’enveloppe et y lu le destinateur : Barrais.

Il existait de ces gens qu’on n’oubliait jamais, ces gens qui nous apportaient tant et si peu, qu’ils restaient gravés dans un coin du cœur ou de la tête. On pouvait oublier les visages mais pas les noms, parce que ces noms reflétaient une œuvre majeure. Arthur Barrais faisait partie de ceux-là aux yeux de Line. C’était le seul qui était parvenu à la sortir du gouffre attirant dans lequel Line s’était évadée après la disparition de sa mère. Il l’avait soutenue, sans arrêt, sans rien demander en retour et avait finalement tiré sa révérence. Un jour, sans plus de cérémonie qu’un simple au revoir, son chemin et celui de Line s’étaient séparés. C’était arrivé brusquement, à la fin de leurs études communes. Il lui avait simplement souhaité bonne chance, était rentré chez lui et n’avait plus reparu. Bien sûr Line avait été profondément ébranlée par cette disparition, mais le succès l’avait rapidement rattrapée et Barrais était définitivement sorti de sa tête. Il n’était déjà plus qu’un vieux souvenir qu’elle aimait parfois se remémorer, comme une vieille photo qu’on admire à la lumière vacillante d’une bougie. Un élément abstrait, perfectionné et lissé par le temps. Mais voilà que ce passé faisait brusquement irruption dans l’ordre de Line, réduisant à néant le rituel, d’ordinaire bénin, de trier le courrier.
La jeune femme était curieuse de connaître le contenu de cette fameuse lettre, de cette perturbation. Barrais l’avait toujours fascinée, cette fois encore il avait réussi son coup. L’homme qui n’était plus qu’un souvenir écrivait :
« Chère Line,

Quel parcours tu as fait ! Félicitations ! Moi qui pensais que j’irai plus loin que toi, je suis grillé. Mais peut-être m’as-tu déjà oublié… Arthur Barrais, tu me remets ? On a fait nos études ensemble ! J’ai toujours cherché à reprendre contact avec toi, on n’a jamais achevé ce qu’on avait commencé…

L’autre jour, nous avons organisé une rencontre d’anciens étudiants. Tu aurais dû venir, qu’est-ce qu’on a rigolé ! Toujours est-il que j’y ai croisé Adèle, tu étais toujours fourrée avec elle à l’époque. Du coup je lui ai demandé de tes nouvelles et elle m’a fourni ton adresse. Moi qui voulais te parler, je me suis empressé de t’écrire et voilà !

Tu me connais assez pour savoir que je ne t’écris pas sans raison… Je voudrais te revoir, si c’est possible, j’ai quelque chose pour toi. Alors je t’attendrais tous les soirs au Chien Qui Fume jusqu’à l’heure de fermeture. Si je ne t’ai pas revue avant le 27 au soir, je considèrerais et comprendrais que tu ne veux plus me voir et j’abandonnerais.
A bientôt j’espère !

Arthur.
»

A en juger le ton de sa lettre, Barrais n’avait toujours pas mûri, mais Line avait autrefois apprécié ce franc parler et cette certaine naïveté. La perturbation devenait une légère secousse, accentuée par le tutoiement que Barrais employait dans sa missive. En effet, Line avait l’habitude d’être traitée comme une supérieure : lorsqu’on s’adressait à elle, on l’appelait Mademoiselle Bertau et on ne la tutoyait surtout pas. Le tutoiement était réservé à la famille, même Laurent ne s’autorisait pas à lui parler aussi familièrement en public. Tandis que Barrais n’avait pas hésité à employer un ton des plus cavaliers. Voilà qui ébranlait encore l’agencement du jardin intérieur de Line.

Alors qu’elle baignait dans une torpeur de réminiscences, le regard de Line s’accrocha à un détail du mur : le calendrier. Quelque chose clochait avec la date, elle en était persuadée. Il s’agissait d’un calendrier comme on en voit dans les films : une simple feuille de papier marquée de la date en rouge et le numéro, énorme. Déchirer la date de la veille était un moment charnière de la journée bien ordonnée de Line. Elle savait qu’elle avait bel et bien déchiré la feuille ce matin, en attendant que le café passe, comme elle avait l’habitude de le faire. Pourtant, elle ne pouvait détacher son regard… Obnubilée par cette histoire de calendrier, elle laissa tomber la lettre de Barrais au sol. Alors qu’elle sentait la feuille lui glisser des doigts, elle comprit. C’était aujourd’hui sa dernière chance de revoir Arthur Barrais, il ne l’attendrait plus demain au Chien Qui Fume. On était bel et bien le vingt-sept novembre.

Sans même réfléchir, Line récupéra son sac, en vrac un peu plus loin sur le canapé puis enfila prestement son imperméable beige. Alors qu’elle ouvrait la porte de son appartement, elle surprit Laurent, le doigt suspendu au-dessus de la sonnette, un bouquet de fleur dans la main. Il sourit et l’embrassa furtivement en guise de salutations.

« Je suis désolée Laurent, commença Line, j’ai une affaire urgente à régler.

Le sourire de Laurent ne s’évanouit pas pour autant. Il hocha la tête de côté et cligna des yeux, l’air de dire qu’il comprenait et que ce n’était pas grave. Laurent devait penser qu’une tâche chez Bertaus attendait sa promise. Cela arrivait souvent : Line était une femme très occupée, faisant passer le travail avant tout autre agrément. Pourtant, ce soir, Line changeait ses habitudes. En effet, Laurent concernait la compagnie Bertaus, d’une certaine manière. Selon les priorités de la jeune femme, il aurait dû passer avant Barrais. Laurent n’avait aucunement conscience du brusque chavirement qui secouait Line, aussi se montra-t-il indulgent pour la femme de ses rêves et proposa gentiment :

- Je t’attendrais.

Attendrie par la complaisance de Laurent, la jeune femme s’autorisa à lui donner un baiser avant d’assurer :

- Je n’en ai que pour une heure ou deux. Merci. »

Sans rien attendre de plus, elle se glissa dans l’antique et noble ascenseur et écrasa le bouton du rez-de-chaussée. Arrivée dans le hall d’entrée marbré, elle descendit quatre à quatre les escaliers menant au parking et se jeta dans sa petite automobile électrique, non sans l’avoir débranchée. Line jeta un coup d’œil à l’horloge numérique et s’alarma : à l’époque où elle vivait encore à Versailles, Le Chien qui Fume fermait tôt. Croiser Barrais n’était désormais qu’une question de chance et de temps.

Lorsqu’elle parvint sur la Place du Marché, Line gara la minuscule Bluecar entre deux poteaux et sortit en trombe. Retrouver le bar n’allait pas être une mince affaire : se repérer sur cette place circulaire relevait de l’impossible pour Line. En effet, la place, divisée en quatre par les deux avenues qui s’y croisaient, n’offrait aucun point de repère puisque chacun des quartiers étaient identiques, et que les ruelles où abondaient les bars étaient masquées par le marché couvert qui entourait l’ensemble de la place. Au hasard, Line se dirigea vers l’artère la plus proche. Par chance, elle n’eût qu’à longer la moitié du cercle avant de trouver le Chien qui Fume. C’est alors qu’elle constata avec tristesse qu’elle était arrivée trop tard : toutes les tables et les chaises de la terrasse avait été soigneusement rangées tandis qu’à l’intérieur, tout était éteint.

Déçue, Line s’autorisa un instant de répit et sorti une cigarette de son sac à main. Après avoir longuement cherché, elle retrouva son briquet au fond du fourre-tout. En plus de se cacher entre son portefeuille et un dossier journalistique sur la Bertaus-1, le briquet refusa de s’allumer. Un peu plus loin, Line avisa un homme de dos, elle repéra le tison ardent de la cigarette dans sa main. Ravie, elle se dirigea vers l’homme :

« Excusez-moi, demanda-t-elle, vous n’auriez pas du feu ?

Sans répondre, l’homme voulut sortir son briquet, se battant avec l’intérieur de la poche contenant visiblement trop de choses. Enfin, il tendit le briquet salvateur sous le nez de Line et alluma la cigarette d’un geste expert. Elle le remercia et allait s’éloigner mais l’homme la retint :

- Vous ne seriez pas Line Bertau par hasard ?
- Je… Oui, c’est moi, répondit la jeune femme légèrement décontenancée, comment m’avez-vous reconnue ?
- Vous êtes célèbre. Et, à vrai dire, je vous cherchais. Arthur Barrais, pour vous servir.

Il lui tendit la main en un geste amical. Line, elle, restait bouche-bée. Elle serra la main qu’il lui tendait d’un geste mécanique. Jamais elle n’aurait imaginé le croiser avec ce retard. La lettre avait déjà provoqué des vagues mais se retrouver véritablement face à Arthur Barrais entraînait un véritable raz de marée. Si bien que la talentueuse PDG ne pouvait même plus prononcer un mot. Pour parer à ce silence, Barrais reprit :

- Vous avez tellement changé que j’ai failli ne pas vous reconnaître.

Lui aussi avait terriblement changé. Cette maturité qu’il avait gagnée était visible jusque dans ses traits qui s’étaient durcit. Il y avait encore quelques années, il avait gardé cette fraicheur et cette rondeur de visage propre aux jeunes enfants, ces lignes étaient toujours présentes mais associées à un air plus sévère, plus vif. D’autre part, ses cheveux noirs se dressaient sur sa tête en une curieuse bataille, comme si chacune des mèches prenait appui sur l’autre pour gagner en hauteur. De ce côté-là, rien n’avait évolué. En revanche, Barrais semblait avoir maigrit alors que ses épaules s’étaient élargies, son apparence molle et flegmatique avait disparue. Impression renforcée par sa posture : bien campé sur ses deux longues jambes solides, Barrais n’avait plus du tout cette attitude de l’étudiant mou et négligé qu’il était auparavant. Il dégageait une présence, un charisme surdéveloppé. Mais toute cette prestance passait avant tout, et comme toujours, par les yeux de Barrais : deux splendides joyaux bleus sertis de chaque côté de son nez un peu long. Ces deux petits bijoux brillaient de reflets d’un bleu nacré fascinant, enveloppant quiconque les regardait d’une profonde béatitude admirative. Ils renfermaient le plus grand pouvoir de Barrais et avaient pris l’ascendant sur Line qui, une fois de plus, s’était perdue dans leur contemplation. Malgré tout, la jeune PDG parvint à articuler :

_ Vous avez aussi terriblement changé, je ne vous avais véritablement pas reconnu.
_ Vous trouvez ? répondit-il, l’air gêné, pourtant la plupart de mes amis me disent que je devrais grandir un peu. Mais laissons ça de côté, je suis ravi de vous revoir.
_ Vous pouvez me tutoyer. Que devenez-vous ?
_ Toi aussi, ça me fait bizarre de t’entendre me parler de façon si solennelle, répliqua Barrais d’une voix, une fois encore, emplie de gêne, j’ai complètement changé d’orientation : d’ingénieur je suis devenu flic.
_ Flic rien que ça, constata Line étonnée, et pourquoi ce revirement ?
_ J’avais besoin d’action. Que dirais-tu de boire quelque chose ? Il fait sacrément froid et je me réchaufferais bien avec un coup de gnôle, comme à l’époque.
- C’est que je suis pressée, un rendez-vous m’attend.
- Je comprends, ce sera pour une autre fois alors, conclut-il avec un sourire rapide, dans ce cas je vais être bref : j’ai quelque chose à te donner. Je pense que ça pourrait t’intéresser.

Une fois de plus, Barrais fourra la main dans sa poche et se battit avec son contenu. Ses poches devaient vraiment être trop pleines. Enfin son visage s’éclaira et il parvint à extirper un petit morceau de papier, probablement arraché d’un calepin. Dans un sourire, il le tendit à Line qui le lut d’une traite. Il s’agissait d’une simple adresse, écrite à la va-vite. Elle adressa un regard interrogateur au policier :

- Ton adresse ? demanda-t-elle, sourcils froncés
- Non, celle de ta mère disparue. »

La bombe était larguée, créant résolument le chaos dans l’esprit de Line. Toute pensée rituelle perdait son sens : l’absurde prenait la place de l’ordonnancement. Cependant, la jeune femme luttait de toutes ses forces contre ces émotions trop fortes qui explosaient chaque instant dans son cerveau. Plus de sept ans que sa mère avait disparu, Line avait eu le temps de se faire à l’idée qu’elle n’existait plus que dans ses souvenirs. Mais voilà que Barrais réapparaissait et chamboulait son monde en ressuscitant l’idée d’une mère, tel un fantôme amenant un spectre terrifiant et fascinant. La possibilité de revoir sa génitrice effrayait autant qu’elle excitait la jeune femme. Mais elle savait pertinemment qu’elle ne pourrait faire cette rencontre seule : le soutient de ses frères et sœur serait indispensable. C’est pourquoi elle décida de rentrer, elle serait plus à l’aise pour penser à sa mère avec Laurent qu’avec Barrais qui était devenu un parfait inconnu. Laurent saurait la rassurer avec sa gentillesse habituelle et ses touchantes attentions qui gênait le plus souvent Line mais qu’elle voyait aujourd’hui comme une source de réconfort, un cocon protecteur. Peut-être Laurent parviendrait-il à lui remettre les idées en place.

Désorientée, Line balbutia un remerciement à l’attention de Barrais et s’en retourna à sa petite voiture dans un état second. L’autonomie serait tout juste suffisante. Que lui avait expliqué l’ingénieur déjà ? Ah oui : en cas de besoin, la batterie moteur utilisait celle des équipements intérieurs. Prévoyante, Line n’alluma ni la radio, ni le chauffage malgré son besoin de se distraire et le froid mordant qui régnait. Décidément, Barrais savait secouer les méninges.


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