L'affiche qui avait attirée mon attention était très étrange. Elle était d'un violet ténébreux, d'un violet qui me rappelait trop mon cauchemar. Les lettres avaient pour couleur le rouge, le rouge carmin, le même rouge que le sang séché. 

Le magasin d'Âmes était lui aussi louche. Il ressemblait de loin au autres bâtisse, pourtant on pouvait voir en vitrine quelque chose des plus insolites : des flammes noires étaient enfermées dans des bocaux transparents. 

J'entrai, curieux et légèrement apeuré par l'aspect lugubre de la maisonnette. La porte était lourde et humide, tout m'éveillait à la prudence. Derrière son énorme comptoir, un vieille femme était assise sur un tabouret. Son nez, de forme oblongue, faisait penser à un bec d'ibis. Elle mixait des poudres aux couleurs criardes dans un bol en argile. Ses yeux étaient fermés, mais cela ne la dérangeait pas : je compris assez vite qu'elle était aveugle. Elle arrêta de pilonner ses ingrédients, et tourna la tête vers moi. 

« -Bienvenu étranger, ton Âme a l'air très intéressante, viendrais-tu me la vendre ? 
-Heu... non. En fait, j'ai vu votre pancarte dehors et... 
-Tu viens me vendre l'autre Âme qui est avec toi, c'est cela ? 
-Non plus, c'est mon compagnon de voyage, Yuro. Je voudrais juste savoir où est la Vallée Ikana. Les gens à qui nous avons demandés jusqu'à présent ne nous ont pas répondus. 
-AH ! Pauvres fous, vous voulez aller dans le royaume de la Mort. Seuls les simples d'esprit s'aventurent là-bas. Personne n'en revient vivant. C'est un endroit infâme. Tiens-tu vraiment à mourir avant l'heure ? Si tu veux un bon conseil, ne va pas dans la vallée. Seules les Âmes y subsistent encore. 
-Je prends en compte votre conseil, et je serait prudent, mais je dois absolument y aller. 
-Si tu le veux tant que ça, je te le dirais, cependant, tu va le regretter. Cette révélation risque de te coûter la vie. La Vallée Ikana est à l'est d'ici, tout droit à l'est. 
-Merci, au fait, pourquoi cherchez-vous des Âmes qui viennent de là-bas, si personne n'en revient ? 
-Les Âmes en reviennent, une fois séparées de leur corps. Les flammes noires que tu vois dans les flacons en sont. Elles m'intriguent, donc, je les achète. C'est très intéressant, sont-elle vivantes, sont elles mortes ? Techniquement, elles sont mortes : elles n'ont plus d’enveloppe charnelle. Mais si on considère que la mort n'est qu'une étape vers une autre vie, elles sont vivantes. En outre, il faut savoir que les Âmes les plus vieilles quittent ce monde à jamais. La mort serait-elle leur disparition définitive ? 
-Ce que vous m'expliquez à l'air très intéressant, je n'en doute pas, cependant, je n'aurais pas l'orgueil de dire que j'ai compris. Et qu'est-ce que vous préparez ici ? Demandai-je en désignant le ravier. 
-Où ça ici, tu oublies que je suis aveugle. 
-Dans votre saladier. 
-Ce n'est pas un saladier. Ce que je prépare ne te concerne pas, c'est un potion à base de plantes. Allez, files, de toutes façon, ce que je fais ne semble pas attirer ton attention plus que ça. » 

Je me retirai doucement, joyeux d'avoir trouvé où aller pour continuer mon épopée. 

« -Bah, il fallait bien que ce soit à l'un des points cardinaux, me fit remarquer Yuro. 
-Oui, mais nous ne pouvions pas nous permettre de nous tromper de temple. Si Siwan a dit qu'il faut aller au temple de la Vallée Ikana, c'est qu'il faut aller au temple de la Vallée Ikana. » 

Alors que nous nous dirigions vers la ruelle est, je vis un autre magasin aussi intriguant, voir plus : le magasin de masques. Des masques étaient éparpillés en vitrine, tous semblaient avoir leur utilité, plus ou moins grande. 

« Fermé » tel était l'unique mot que je lus sur la porte. Il ne m'empêcherait cependant pas d'entrer : je devais rencontrer le vendeur coûte que coûte, ce serait toujours utile pour le reste de mon aventure. 

À peine eu-je posé mon pied sur le parquet de la petite salle de forme ronde, qu'un homme, apparemment asiatique,descendit d'un escalier en spirale à ma droite. 

« -C'est fermé, sortez ! Vous n'avez donc pas lu la pancarte, sortez ! 
-Monsieur, j'ai effectivement lu la pancarte, mais j'ai quelque chose d'important à vous dire. 
-Non ! Rien n'est plus important que la lune ! cria-t-il. » Ses yeux prirent alors une apparence féline et intimidante. 
« -C'est en rapport avec le masque d'Oni, dis-je en conservant mon calme malgré tout. 
-Le masque d'Oni, alors tu sais. Asseyes-toi, m'intima-t-il en désignant un fauteuil au centre de la pièce, nous avons à discuter. » 

Il prit lui-même une chaise, et s'installa face à moi. Son visage avait retrouvé son caractère normal. 

« -C'est Siwan qui t'envoie, c'est cela ? 
-Oui. 
-Il me l'avait dit ! rugit-il. Il m'avait tout dit ! Oh oui, il y a fort longtemps il m'avait prévenu : « Fais attention au masque d'Oni. Il nous sauvera en temps voulu, lorsque les forces sombres seront à l’œuvre. » Maintenant les forces sombres sont à l’œuvre, mais je n'ai plus le masque. J'aurais dû le croire, cacher le masque, mais je ne l'ai pas fait. 
-Il m'a raconté ce qui s'est passé, c'est effectivement tragique, mais nous ne devons pas nous laisser abattre. J'ai triomphé du premier temple, et récupéré le premier fragment. Je compte aller dans la Vallée Ikana à l'est d'ici pour prendre le deuxième. 
-Montres le moi. » 

Je sortis le morceau blanc de ma bourse, et le laissait l’examiner. Après une analyse minutieuse, il me le rendit. 
« -C'est lui, je le reconnais. Si tu sais où aller, pourquoi viens tu me voir ? 
-Je ne sais pas, c'est l'instinct. Je pensais que vous auriez peut-être un masque utile à me vendre. 
-Oui, j'en ai beaucoup, mais le plus utile dans ton cas est le masque de pierre. Il te rendra invisible – tu ressemblera à une pierre – tant que tu le portera. Mais attention, il puisera dans tes forces magiques. Ne l'utilises que lorsque c'est nécessaire. Fais un essai. » 

Il prit un masque gris et rugueux sur une étagère et me le tendit. Je le mis, et il déclara : 
« -Parfait, ça marche. » 
Je regardai mes pieds, et ne vis qu'un mince caillou sur une latte de bois. Je l'enlevai alors pour ne pas m'épuiser, et murmurai : 
« -Merci. 
-Un magicien flairerait la supercherie, mais c'est très utile contre une meute de Wolfos. Au fait, le masque n'enlève pas les bruits, fais attention à ne pas parler ni te cogner. Bonne chance, et retrouve vite le masque d'Oni. » 

Je sortis de la boutique encore plus assuré qu'avant,si du moins c'était possible. Nous allâmes en direction de la porte est de la cité, où le paysage semblait bien peu accueillant. Je saluai le garde de service, et couru pour ne pas perdre de temps. Le royaume des mort m'attendait. Et si j'y trouvais ma place, mieux valais que non. On avait encore besoin de moi en vie. En vie, et en état de combattre.