La pluie s'abat sur notre petit village redevenu tellement paisible. Assise sur mon lit, je contemple ma chambre. Pour la première fois, je me rends compte que j'ai de la chance que j'ai un toit, de la nourriture, des proches aimants, des amis. Un copain, et pas n'importe lequel.
Une robe noire trône sur la chaise de mon bureau. J'observe une minute le mauvais temps en soupirant avant de me lever. J'approche de la chaise et pose mes mains sur son dossier. Lentement, mes doigts se rapprochent du tissu de la robe pour l'effleurer. Je retire mon t-shirt, mes mains se posent sur le bouton de mon jean. Un de ces fameux flash me prend au dépourvu et je revois Maël. Il est blessé, je suis assise sur lui. J'essaie de lui parler, mais il est sur son monde. Ses doigts fins déboutonnent mon jean. J’agrippe le dossier de la chaise pour rester debout. Je me sens soudainement oppressée. Ces flashs surviennent souvent, j'essaie de les ignorer, de faire comme si tout allait bien. Je laisse mon pantalon descendre le long de mes jambes et j'enfile lentement la robe noire. Je m'observe dans mon miroir. J'aperçois ma mère dans l'encadrement de la porte. Un long silence s'installe et elle finit par murmurer :

Tu es magnifique dans cette robe.

Elle cherche mon regard à travers la glace. J'attrape le parapluie d'une main et je sors de la pièce en passant devant ma mère. Je prends soin de ne pas la regarder ni même de l'effleurer. Je quitte ma maison. C'est déjà l'heure...

La voiture me dépose devant le cimetiere. Ethan est là, il m'attend devant la porte. Il est mal à l'aise dans son costard noir mais il affiche un sourire forcé. Je n'ai pas eu le courage d'assister à la cérémonie avant l'enterrement de Ben. Je prends Ethan par le bras et nous rejoignons le groupe formé devant le cercueil de Ben. Un religieux prononce un serment et quelques minutes plus tard, la boite en bois commence sa descente dans la terre. Cette boite renferme Ben. En tout cas ce qu'il reste du jeune homme. L'innocent lâchement manipulé par un psychopathe. Le garçon qui prenait un malin plaisir à cracher sur les travers de la société. A faire son caïd, à taquiner ses amis, à rire. Il était lui même, il se prenait pas la tête et était franc. Je sens une larme perler dans le coin de mon œil. Je suis quand même plus forte que ça... ?
Je ne connaissais pas si bien Ben et pourtant je sais qu'il n'aurait pas aimé que je pleure. J’emmêle mes doigts dans ceux d'Ethan sans réfléchir, pour me donner le courage de finir cet enterrement. L'autre main d'Ethan va chercher celle de Maël qui lui réponds en prenant à son tour son voisin par la main. Tous les survivants, tous de 3°, sont présents. J'attrape la main d’Élodie qui à son tour agrandit la chaîne. Nous nous tenons tous la main. L'homme en noir qui prononçait son serment s'est tut. Je rends hommage à Ben en me remémorant chaque souvenir de lui. Je n'ai plus la notion du temps mais je sens la chaîne se détruire peu à peu, le cimetiere se vider. Il ne reste plus qu'Ethan et Maël. Quand mes paupières se soulèvent, je découvre Ethan qui m'observe et me sourit. Maël est assis par terre, arrachant des brins d'herbes et salissant son costard par la même occasion. Ethan lâche ma main et sort un carnet de sa poche. Il griffonne quelques mots avant de me le montrer : « Je te laisserais plus jamais seule... ». Ces mots représentent tellement pour moi... Je me jette dans ses bras.

Voilà maintenant cinq ans qui se sont écoulés suite au drame du collège Maurice Chevalier. Maël intègre une prestigieuse école de commerce. Son charisme et sa classe naturelle l'aident beaucoup dans le domaine. Élodie est retombée dans les bras de Maël, promettant de ne plus jamais le laisser blesser quelqu'un. Ils vivent un amour fusionnel depuis plus longtemps qu'ils ne l'imaginaient. Elle attaque des études d'infirmière, elle a beaucoup de projets pour l'avenir. Ethan, lui, est muet et souvent atteint d'hallucinations passagères. Il a arrêté le lycée après avoir raté son bac deux fois, et s'est lancé dans l'écriture, faute de pouvoir se lancer dans la politique comme il le voulait. Il compense son incapacité à parler en alignant finement les mots sur le papier. Plusieurs maisons d'éditions sont déjà intéressées par ses récits. Une étrange et incurable maladie a suspendu la vie de Joy deux plus tard. Cette rare pathologie atteint 0,3 % de la population, sans réel remède, et les crises et rechutes de Joy sont assez fréquentes. Elle vit désormais à quelques centimètres d'elle-même, dans un autre monde. Ethan a souvent essayé de résoudre les mystères enfouis profondément en Joy, mais toujours vainement. Il imagine qu'elle vit dans un monde peut-être meilleur. Les premiers signes de schizophrénie sont apparus suite au drame de son collège. Son état n'a fait qu'empirer. Mais trois choses dont Joy se souvient bien, quelque soient les mondes, c'est l'amour inconditionnel que lui porte Ethan, l'emplacement de la tombe de Benjamin et le visage du chef des terroristes...