Note de la fic :
Publié le 06/05/2012 à 12:51:48 par Gregor
3.
— Mais…
Inutile de reculer. Roman pourrait me briser en deux, comme une allumette. Je respire, essaye de trouver une question cohérente. Rien à faire. Un uppercut ne m'aurait pas autant sonné.
— Je… Comment … Je
hésitations ridicules, je n'arrive même plus à parler. Tout fourmille, mes bras, ma tête. J'ai des vertiges, la nausée.
— Il est normal que tu te poses des questions, Max. Nous sommes tous passés par là.
Le major sourit, un peu en coin, malicieux.
— Il n'y a pas de réponse simple au pourquoi. Ou du moins, pas de réponse simple qui soit satisfaisante. Il n'y a rien à tenter de comprendre. Toi, moi, Roman, tous les autres, nous avons été choisis par le Dieu-Machine. Pour jouer avec le temps, pour effectuer des sauts et des missions bien particulières. La situation est très simple dans le fond.
Il fait une pause, entame quelques pas.
— Pourquoi, et comment faire ? Nous ne sommes plus de simples hommes. Roman est un cyborg, depuis quelques mois à peine. Comme moi, et comme tous les autres.
Je deviens livide. J'ai l’impression que je vais m'évanouir.
— Tout comme tu vas le devenir, reprend Roman. Il faut que tu passes au-delà des apparences, pour que tu puisses comprendre, que tu puisses accepter cette charge. Il n'y a qu'une seule autre issue, et elle me parait franchement peu recommandable…
Inutile de reculer. Inutile de fuir aussi. De cette terrasse, dix étages nous séparent de la rue. Je suis même certain qu'ils seraient capables de me rattraper, si je sautais.
— M… Major ?
— Oui Max ?
Son ton devient presque paternel.
— Major, mais… Ma vie ici ?
— Oublie là. Elle n'en vaut pas la peine. Tu t'es déjà tué en quinze jours. Pas vraiment dans le sens où tu es — après — la mort. Plutôt comme si tu avais renoncé. Comme si tu avais senti. Il fallait que tu t'éloignes du commun des mortels. Il fallait que tu sentes ce qui allait se passer.
— Tout était prévu ?
— Depuis des secondes ou depuis des années, est-ce que cela change quelque chose, Max ?
Je secoue la tête.
— Dans ce cas, viens avec nous.
Je tente de me relever. Je chancelle. Roman me soutient. Il fait plus de deux mètres, peut-être deux mètres cinquante. Je suis ridiculement petit à côté de lui.
— Ne lâche pas, glissé-je faiblement.
— Ce n'était pas dans mes intentions, Max.
Nous avançons vers le bord de la terrasse. Je suis cloué par la peur. Je me pisse dessus, littéralement parlant ; mais aucun de mes deux sauveurs ne fait la moindre remarque là dessus. Ils sont bien plus concentrés.
— Nous allons sauter. Un transporteur nous attrapera au vol.
— QUOI ?
Ils ne disent plus rien. Plutôt que d'escalader la rambarde, le major la découpe. La déchire comme du papier, pour être exact. Un grincement lugubre emplit la nuit. Il pose le morceau de ferraille déformé derrière lui, comme un vulgaire paquet. Une bagatelle en papier mâché lui aurait semblé aussi légère sans doute.
Roman me tient fermement, par les épaules. Je ne peux plus bouger. Il se laisse tomber dans le vide. Je ferme les yeux, je ne peux rien faire d'autre. Même, crier me semble impossible.
Le vent, la chute. Puis un nouveau ronronnement. Le sol, bien ferme, mat, noir. Un cockpit, où quelque chose s'en approchant. Roman me lâche, me rattrape aussitôt.
— Tout va bien, Max. Nous y sommes, dans ce transporteur.
Mais c'est trop. Trop d'émotion. Je ne peux plus rester éveillé. Je le regarde une dernière fois.
Je n'ai même pas la force de lui dire merci.
Le transporteur prenait de la vitesse et de la hauteur. La nuit de Paris n'avait pas été troublée par le passage de l'engin à mi-hauteur d'une rue pourtant passante. Personne n'avait rien vu, son camouflage l'ayant dissimulé des yeux trop indiscrets. Un ronronnement étrange résonna derrière son passage, comme le passage d'un métro trop roche de la surface.
Personne ne s’aperçut non plus de la disparition de Max. Une enquête vite bâclée, pour conclure qu'il était parti, sans laisser de trace de son passage.
Le transporteur prenait de la vitesse et de la hauteur. Il franchit le terminateur quelque part au dessus de l'Europe, à plusieurs dizaines de kilomètres d'altitudes, laissant le soleil percer les ténèbres de la nuit. À son bord, quatre hommes, dont trois cyborgs, et dont deux veillaient sur le sommeil sans rêve d'une jeune évanoui. Les tressautements de la haute atmosphère firent bientôt place au néant du vide spatial, le vaisseau filant désormais à plusieurs centaines de kilomètres par secondes. Contournant bien vite la Lune, il s'accrocha sur une orbite géostationnaire, se retrouvant nez à nez avec un appareil de taille bien plus conséquente. Anguleux, noir, large de cent mètres, le long de plus de cinq cents. Un croiseur spatial, frappé sur son flanc des symboles de la Confédération. Une myriade de lueurs bleutées brillait sur sa poupe, réacteurs à fusions dont l'activité croissait régulièrement. De faibles traînées commençaient se dégager sur son sillage. Il s’apprêtait à effectuer un saut.
À bord du transporteur, l’impatience gagnait Roman, soldat premier classe sous les ordres du Major Asweltorf. Son chef lui fit signe de continuer à veiller sur son nouveau protégé. Il regardait, paternel et confiant, cet adolescent aux joues creusées par la faim. Quelques heures de plus, et ils trouvaient un cadavre glacé. Il remercia silencieusement le Dieu-Machine de leur avoir permis de le rencontrer et de le ramener vers le croiseur. Le plus dur était déjà fait, et la suite ne serait qu'une formalité pour le major.
La manœuvre d'approche se fit sans heurts. L'accrochage du transporteur se fit dans un silence quasi religieux, et lorsque le sas s'ouvrit enfin, dévoilant un couloir rectiligne et faiblement éclairé, ils soupirent, tous les trois. Roman passant devant, suivi du major, et du pilote qui ferma la marche.
Personne ne les accueillit. Asweltorf avait insisté pour que la nouvelle recrue ne soit présentée une fois qu'elle pleinement intégré. Il avait simplement fait réserver un bloc médical et un caisson de croissance. Max ne pourrait pas survivre des jours, non seulement compte tenu de son état physique dégradé, mais aussi des conditions de vie qu'allaient lui imposer les sauts temporels.
Avant d'être sous-officier au sein des armées confédérées, Oscar Asweltorf était surtout l'un des plus anciens et des plus illustres cybernautes de la Confédération. Il avait lui-même assisté le second Magister, le chef suprême de cette nation construite par la technologie, et avait grandement contribué à diverses évolutions des implants cybernétiques. Il avait aussi poussé à inclure le génie génétique dans le processus d'Intégration, qui conduisait de simples humains mortels à devenir de puissants hybrides, capables de survivre dans des conditions extrêmes. Un tel homme était apparu comme une évidence pour servir au sein d'une mission aussi atypique que celle-ci. Et il comptait bien le prouver, à nouveau.
Il marcha à la suite de Roman une poignée de minutes. Lorsqu'ils débouchèrent dans le secteur médical et trouvèrent le bloc qu'il avait fait garder, il demanda à son subordonné de l’assister durant la première phase des opérations. Ce dernier ne broncha pas, déposa délicatement le corps inerte de Max sur une table blanche, stérile, et écouta attentivement les directives d'Asweltorf.
La première phase dura une dizaine d'heures. Si elle semblait monstrueuse et digne des arrières d'une boucherie sanglante, elle n'en demeurait pas moins maîtrisée. Le Major se montrait peu loquace, se contentant de suivre une procédure bien huilée : remplacer chaque organe défaillant ou susceptible de l'être par des implants, instiller les centres neuraux cybernétiques sur lesquels viendraient se construire un second cerveau, artificiel, apte à prendre en charge l'interface entre le biologique et le robotique. Max dormait, paisiblement. Son dos était pourtant à vif, écartelé dans un champ de stase ou le sang flottait en sphères éclatantes. Son bras droit et sa jambe gauche manquaient à l'appel, de même qu'un de ses yeux, une de ses oreilles, une partie de son crâne. Asweltorf se contenta de refermer les plaies par un assemblage de structures mécaniques et de nanorobots, pâte grasse et irisée comme du mercure, avant de placer le jeune homme dans une cuve remplie d'eau et de liquide nutritif.
— Mais…
Inutile de reculer. Roman pourrait me briser en deux, comme une allumette. Je respire, essaye de trouver une question cohérente. Rien à faire. Un uppercut ne m'aurait pas autant sonné.
— Je… Comment … Je
hésitations ridicules, je n'arrive même plus à parler. Tout fourmille, mes bras, ma tête. J'ai des vertiges, la nausée.
— Il est normal que tu te poses des questions, Max. Nous sommes tous passés par là.
Le major sourit, un peu en coin, malicieux.
— Il n'y a pas de réponse simple au pourquoi. Ou du moins, pas de réponse simple qui soit satisfaisante. Il n'y a rien à tenter de comprendre. Toi, moi, Roman, tous les autres, nous avons été choisis par le Dieu-Machine. Pour jouer avec le temps, pour effectuer des sauts et des missions bien particulières. La situation est très simple dans le fond.
Il fait une pause, entame quelques pas.
— Pourquoi, et comment faire ? Nous ne sommes plus de simples hommes. Roman est un cyborg, depuis quelques mois à peine. Comme moi, et comme tous les autres.
Je deviens livide. J'ai l’impression que je vais m'évanouir.
— Tout comme tu vas le devenir, reprend Roman. Il faut que tu passes au-delà des apparences, pour que tu puisses comprendre, que tu puisses accepter cette charge. Il n'y a qu'une seule autre issue, et elle me parait franchement peu recommandable…
Inutile de reculer. Inutile de fuir aussi. De cette terrasse, dix étages nous séparent de la rue. Je suis même certain qu'ils seraient capables de me rattraper, si je sautais.
— M… Major ?
— Oui Max ?
Son ton devient presque paternel.
— Major, mais… Ma vie ici ?
— Oublie là. Elle n'en vaut pas la peine. Tu t'es déjà tué en quinze jours. Pas vraiment dans le sens où tu es — après — la mort. Plutôt comme si tu avais renoncé. Comme si tu avais senti. Il fallait que tu t'éloignes du commun des mortels. Il fallait que tu sentes ce qui allait se passer.
— Tout était prévu ?
— Depuis des secondes ou depuis des années, est-ce que cela change quelque chose, Max ?
Je secoue la tête.
— Dans ce cas, viens avec nous.
Je tente de me relever. Je chancelle. Roman me soutient. Il fait plus de deux mètres, peut-être deux mètres cinquante. Je suis ridiculement petit à côté de lui.
— Ne lâche pas, glissé-je faiblement.
— Ce n'était pas dans mes intentions, Max.
Nous avançons vers le bord de la terrasse. Je suis cloué par la peur. Je me pisse dessus, littéralement parlant ; mais aucun de mes deux sauveurs ne fait la moindre remarque là dessus. Ils sont bien plus concentrés.
— Nous allons sauter. Un transporteur nous attrapera au vol.
— QUOI ?
Ils ne disent plus rien. Plutôt que d'escalader la rambarde, le major la découpe. La déchire comme du papier, pour être exact. Un grincement lugubre emplit la nuit. Il pose le morceau de ferraille déformé derrière lui, comme un vulgaire paquet. Une bagatelle en papier mâché lui aurait semblé aussi légère sans doute.
Roman me tient fermement, par les épaules. Je ne peux plus bouger. Il se laisse tomber dans le vide. Je ferme les yeux, je ne peux rien faire d'autre. Même, crier me semble impossible.
Le vent, la chute. Puis un nouveau ronronnement. Le sol, bien ferme, mat, noir. Un cockpit, où quelque chose s'en approchant. Roman me lâche, me rattrape aussitôt.
— Tout va bien, Max. Nous y sommes, dans ce transporteur.
Mais c'est trop. Trop d'émotion. Je ne peux plus rester éveillé. Je le regarde une dernière fois.
Je n'ai même pas la force de lui dire merci.
Le transporteur prenait de la vitesse et de la hauteur. La nuit de Paris n'avait pas été troublée par le passage de l'engin à mi-hauteur d'une rue pourtant passante. Personne n'avait rien vu, son camouflage l'ayant dissimulé des yeux trop indiscrets. Un ronronnement étrange résonna derrière son passage, comme le passage d'un métro trop roche de la surface.
Personne ne s’aperçut non plus de la disparition de Max. Une enquête vite bâclée, pour conclure qu'il était parti, sans laisser de trace de son passage.
Le transporteur prenait de la vitesse et de la hauteur. Il franchit le terminateur quelque part au dessus de l'Europe, à plusieurs dizaines de kilomètres d'altitudes, laissant le soleil percer les ténèbres de la nuit. À son bord, quatre hommes, dont trois cyborgs, et dont deux veillaient sur le sommeil sans rêve d'une jeune évanoui. Les tressautements de la haute atmosphère firent bientôt place au néant du vide spatial, le vaisseau filant désormais à plusieurs centaines de kilomètres par secondes. Contournant bien vite la Lune, il s'accrocha sur une orbite géostationnaire, se retrouvant nez à nez avec un appareil de taille bien plus conséquente. Anguleux, noir, large de cent mètres, le long de plus de cinq cents. Un croiseur spatial, frappé sur son flanc des symboles de la Confédération. Une myriade de lueurs bleutées brillait sur sa poupe, réacteurs à fusions dont l'activité croissait régulièrement. De faibles traînées commençaient se dégager sur son sillage. Il s’apprêtait à effectuer un saut.
À bord du transporteur, l’impatience gagnait Roman, soldat premier classe sous les ordres du Major Asweltorf. Son chef lui fit signe de continuer à veiller sur son nouveau protégé. Il regardait, paternel et confiant, cet adolescent aux joues creusées par la faim. Quelques heures de plus, et ils trouvaient un cadavre glacé. Il remercia silencieusement le Dieu-Machine de leur avoir permis de le rencontrer et de le ramener vers le croiseur. Le plus dur était déjà fait, et la suite ne serait qu'une formalité pour le major.
La manœuvre d'approche se fit sans heurts. L'accrochage du transporteur se fit dans un silence quasi religieux, et lorsque le sas s'ouvrit enfin, dévoilant un couloir rectiligne et faiblement éclairé, ils soupirent, tous les trois. Roman passant devant, suivi du major, et du pilote qui ferma la marche.
Personne ne les accueillit. Asweltorf avait insisté pour que la nouvelle recrue ne soit présentée une fois qu'elle pleinement intégré. Il avait simplement fait réserver un bloc médical et un caisson de croissance. Max ne pourrait pas survivre des jours, non seulement compte tenu de son état physique dégradé, mais aussi des conditions de vie qu'allaient lui imposer les sauts temporels.
Avant d'être sous-officier au sein des armées confédérées, Oscar Asweltorf était surtout l'un des plus anciens et des plus illustres cybernautes de la Confédération. Il avait lui-même assisté le second Magister, le chef suprême de cette nation construite par la technologie, et avait grandement contribué à diverses évolutions des implants cybernétiques. Il avait aussi poussé à inclure le génie génétique dans le processus d'Intégration, qui conduisait de simples humains mortels à devenir de puissants hybrides, capables de survivre dans des conditions extrêmes. Un tel homme était apparu comme une évidence pour servir au sein d'une mission aussi atypique que celle-ci. Et il comptait bien le prouver, à nouveau.
Il marcha à la suite de Roman une poignée de minutes. Lorsqu'ils débouchèrent dans le secteur médical et trouvèrent le bloc qu'il avait fait garder, il demanda à son subordonné de l’assister durant la première phase des opérations. Ce dernier ne broncha pas, déposa délicatement le corps inerte de Max sur une table blanche, stérile, et écouta attentivement les directives d'Asweltorf.
La première phase dura une dizaine d'heures. Si elle semblait monstrueuse et digne des arrières d'une boucherie sanglante, elle n'en demeurait pas moins maîtrisée. Le Major se montrait peu loquace, se contentant de suivre une procédure bien huilée : remplacer chaque organe défaillant ou susceptible de l'être par des implants, instiller les centres neuraux cybernétiques sur lesquels viendraient se construire un second cerveau, artificiel, apte à prendre en charge l'interface entre le biologique et le robotique. Max dormait, paisiblement. Son dos était pourtant à vif, écartelé dans un champ de stase ou le sang flottait en sphères éclatantes. Son bras droit et sa jambe gauche manquaient à l'appel, de même qu'un de ses yeux, une de ses oreilles, une partie de son crâne. Asweltorf se contenta de refermer les plaies par un assemblage de structures mécaniques et de nanorobots, pâte grasse et irisée comme du mercure, avant de placer le jeune homme dans une cuve remplie d'eau et de liquide nutritif.