Note de la fic :
Le Cycle Des Calepins Oubliés
Par : Tacitus42
Genre : Science-Fiction, Action
Statut : Terminée
Chapitre 26 : Dies Irae
Publié le 24/02/2012 à 02:18:32 par Tacitus42
6. Dies Irae
A l’époque où je l’ai rencontré, j’étais guerrier…
Je l’ai toujours été en définitive et mon bref passage dans les ordres n’y a rien changé : c’était compris dans le contrat.
Je ne connaissais encore Rome que par ouï-dire et par son rayonnement d’avantage religieux que culturel.
Ceux qui me connaissent disent souvent que je me suis planqué dans l’armée (pour échapper au contact souvent létal de la justice : même quand on n’est que témoin à décharge). Et je m’étais planqué dans l’église bien avant pour une raison similaire (et même franchement supérieure quand on considère que le bien être de ma femme était en jeu).
En fait, je ne serais jamais qu’un planqué : mais pour le coup, j’assume.
Il s’agissait à l’époque d’une question de survie.
C’était bien avant de rencontrer Victor, bien avant d’entrer dans le Primus Sector et bien avant d’entrer dans Rome.
Notre situation était loin d’être envieuse, nous avons été obligés d’en arriver à cette extrémité…
Enfin,…
« Obligés », non : mais ma femme pensait que c’était préférable.
Bref et quoiqu’il en soit, elle m’avait assuré d’avoir fait en sorte de pouvoir se dédire légalement de son engagement en disant devant témoins qu’elle ne penserait pas ses voeux au moment de les réciter (comme je le lui avais demandé du reste et comme je m’y étais préparé moi-même : paraît aussi que ça marche mieux si on croise les doigts).
Ce qui en théorie rendait l’émission du vœu nul et non avenu.
L’idée de nous enrôler venait d’elle à la base (de nous deux, c’était elle qui détenait le meilleur cerveau), mais je ne pense pas qu’elle se soit faites prier…
Surtout qu’elle n’était pas franchement ravie de devoir faire de si gros sacrifices et encore moins de nous voir nous conformer aux réformes de ce bon vieux Grégoire VII…
Et je ne dirais pas souvent du bien d’un pape (surtout quand il préconise la chasteté ou au minimum l’abstinence).
Mais ça a probablement évité un tas d’emmerdes à ma dame (surtout rapport à certains membres du clergé qui cumulaient les charges tout en se gardant bien d’émettre un quelconque vœu castrateur).
Ma belle pensait par ailleurs que c’était un acte d’amour éternel que de se promettre à une relation exclusivement platonique.
Pensée stupide, qu’elle a vite regrettée je pense…
Parce que notre séparation a duré trois ans tout de même. Cela aurait pu prendre une vie entière qui plus est : nous aurions été séparés à jamais…
(Peut-être aurait-il mieux valu en fin de compte).
…
Le malin…
Trouver une telle créature n’était pas dans notre intention : nous ne connaissions l’existence de ce genre d’êtres que par le biais des légendes, des mythes (sans pour autant y croire d’avantage).
Nous vivions à un âge obscur ou tout un chacun peinait à se redresser des ruines d’empires depuis longtemps perdus (sinon en décadence)…
Au sein de cultures qui ne disparurent pas totalement précisément parce qu’elles usaient encore les pierres des vestiges de citées enfouies et aux noms changeant pour établir les fondations du renouveau à venir.
Rome (certains ont dit Babylone, citant l’apocalypse) : la superstition populaire ajoutée aux dogmes religieux aurait pu nous mettre en garde.
Mais le danger est propre à cet instinct exclusivement humain qui tend à l’autodestruction : l’homme est un loup pour l’homme.
Il n’a qu’un prédateur : lui-même.
Nous étions simplement en transit quand il nous est tombé dessus pour la première fois.
Nous - mon contingent, j’entends - étions simplement en escorte d’un convoi de biens qui partait pour la Terre Sainte : nous composions l’arrière garde d’un groupe de pèlerins.
Nota bene : quand j’ai quitté la « citée 42 », nous en étions à la quatorzième croisade…
Même s’il s’agit à présent d’avantage de fouilles archéologiques qu’autre chose (si vous voulez tout savoir)…
Et si je n’ai pris part à aucune de ce genre de campagnes c’est uniquement parce que l’incube nous a pris de cours.
Je dirais même que le démon nous a choisis.
En fin de compte, il nous attaquait systématiquement à la faveur de l’obscurité de la nuit tombée, réduisant notre troupe petit à petit…
Notre équipée déjà bien maigre a du en conséquence troquer la mission d’escorte de biens pour la protection de la colonne de piétons innocents (à contrario du pape)…
Nota bene : oui, c’était « encore » une vanne à deux balles (un jeu de mot vaseux à propos de son nom en l’occurrence)…
Et je savais depuis un petit temps que ma dame en faisait partie (pour l’avoir aperçue dans la troupe parmi les badauds). C’était logique du reste : une nouvelle croisade venait d’être décrétée (et bien que demeurant jusque-là dans des établissements différents, nous étions encore issus du même patelin).
Mais, elle, ne pouvait pas se douter de ma présence (à cause de mon heaume que je portais en permanence).
Pour information, une colonne de piétons se compose essentiellement au fur et à mesure de son trajet en enrôlant systématiquement les types qu’on est parvenu à rendre suffisamment ivres pour les faire signer n’importe quoi (c’est même un vieux truc de bidasse, cf. Archibald Samson).
…
Des coureurs nocturnes, des ombres meurtrières décimant le troupeau aux points où il était le plus vulnérable…
Les adeptes de la bête ne semblaient nombreux que parce que nous n’avions rien pour nous éclairer correctement.
A dire vrai, et au début tout du moins, nous pensions plus à la conséquence de l’ire d’autochtones des suites du passage de notre avant-garde sur un territoire de l’ancienne Vénétie… Et s’il devait bien y avoir un peu de cela aussi, ce n’était en rien la seule raison.
Nous n’avons jamais su qui nous combattions réellement…
Nous avons seulement commencé à connaître sa façon de faire quand nous avons retrouvé les corps nus de deux de nos patrouilleurs, atrocement mutilés.
Leurs effets étaient bien pliés, tout à côté d’eux (même s’il n’en restait pas grand-chose à dire vrai).
Et les miens n’étaient pourtant pas des tendres : pratiquement ce qui se faisait de mieux en matière de soldats dans tout le monde connu (et donc chrétien à fortiori : pour nous tout du moins).
Je me rappelle encore des dires de mon sergent lorsqu’il nous entretint au sujet d’une histoire macabre impliquant de jeunes vierges (des paysannes) qui ne l’étaient plus quand on les retrouva dans pareil état.
Et si ces deux guerriers avaient jamais subit le même sort, le monstre ne s’y était pris qu’en guise de bienvenue, après leur trépas qui plus est (à en juger par l’état des armures qui trahissaient une mort subite).
Tout à la guerre, tout à la souffrance, tout à la domination!
Les velléités de l’ordre dans lequel j’officiai alors n’étaient pas différentes d’une certaine manière (bien que ce fut plus diffus, plus hypocrite peut-être) mais c’est ma femme qui a payé pour moi le tribut qui aurait du m’échoir, de par ma charge…
Le mal n’était pourtant pas le seul but de la bête : selon moi, il cherchait surtout la pérennité… Trouver un moyen d’échapper au jugement de Dieu en vagabondant de conscience en conscience.
La possession : Ulrich ne fut pas le premier et en aucun cas le dernier.
Ils nous ont finalement acculés dans un hameau perdu (apparemment lui aussi touché par la crise depuis un certain temps bien que la chose apparut moins évidente).
C’est là-bas que j’ai pu revoir ma belle en tête à tête…
Et uniquement pour avoir combattu un des mignons de la bête (ce dont nous doutions encore)…
Ulrich (qui devint Ulrich le borgne après mon passage : mais il n’eut pas à souffrir longtemps ce surnom).
Il comptait pourtant parmi nos gens : dans notre avant-garde même (laquelle nous avait distancé de plusieurs jours et avait déjà ses quartiers dans ce patelin à la requête des moniales qui voyaient leurs ouailles se faire trucider un par un, jour après jour).
Une novice de l’hospice de la minuscule bourgade se sera en tout cas suicidée après son passage.
Nous étions donc venu le prévenir que notre sergent requérait sa présence dans le cadre d’une questure lorsqu’il porta le premier coup.
J’avoue d’ailleurs qu’il m’a pris de cours (je ne pensais pas vraiment au combat lorsque j’ai eu le malheur de poser une main sur son épaule), tandis que le frère qui me secondait se parait aussitôt en conséquence.
Ulrich venait d’effacer l’attaque d’un certain Marcus, le désarmant d’une touche à la main coupable (lui ôtant deux doigts au passage), pour se tourner vers moi quand je portais la mienne (revenant rageusement à la charge) : un coup bien placé qui lui défonça l’orbite gauche…
Il avait pourtant fait voler mon heaume au préalable (fendu, de la pointe à la cape) révélant mon visage désormais marqué de cette blessure qui cicatrisa en un long sillon déchirant mon faciès en deux…
Ce qui n’était pas du luxe d’ailleurs : j’avais un visage aux traits trop fins à l’époque, ce qui ne sied point à un combattant, n’en déplaise à ma dame qui en fut fort attristée…
Ce qui ne l’empêcha pourtant pas de me donner aussitôt le surnom « d’Hayden le balafré ».
C’était une sale habitude chez-elle : me donner un tas de sobriquets, des sortes de titres que je ne méritais pas (la plupart du temps).
Mais il est vrai que j’aurais tout aussi bien finir borgne moi-même.
Ma belle, qui était présente au moment des faits (nous nous trouvions alors sur la place du marché), eut toutefois la présence d’esprit de profiter de l’occasion pour « panser mes plaies » en « tête à tête ».
(Je devrais presque dire merci à Ulrich en somme).
Elle avait d’ailleurs l’air plutôt heureuse de me revoir en fin de compte…
Avant de me gifler tout bonnement : quand je lui appris que cela faisait déjà plus d’une semaine au moins que je l’avais aperçue dans un des petits groupes qui transitait par le Veneto.
Ca faisait d’autant plus mal que j’avais toujours la gratification d’Ulrich en travers du visage (et que ma dame était occupée à soigner jusque-là).
J’ai vu une pointe de remords dans ses yeux après ce geste, mais elle n’en démordait pas de sa première réaction (et elle avait en partie raison).
Difficile de lui expliquer que nous étions toujours liés à l’église par vœu de chasteté : je ne pouvais pas faire ce que je voulais devant mes compères.
Elle s’est alors détournée de moi d’un air outré comme c’était son habitude pour des motifs futiles (bien que ce ne fut pas le cas pour lors).
Comme je l’ai dit, ma dame avait coutume de m’affubler d’une multitude de noms stupides :
« Hayden l’invincible », « Scotty le bellâtre » ou « imbécile » (ce genre de chose)…
Mais à contrario de certains de mes frères d’armes, elle ne m’a jamais qualifié de démon.
Elle prétendait que nous faisions tous partie de Dieu, que nous étions tous des fragments infimes et vivants de quelque chose d’énorme : comme des organes ou des parties d’organes.
Du plus bon au plus mauvais.
Et comme il fallait bien trouver un truc pour me racheter…
« Iris de l’œil de Dieu » ai-je alors dit : c’était le titre que j’avais choisi pour elle.
Iris, (c’est ainsi que s’appelait ma belle)…
Un tissu certes non vital et qui ne sert à rien si on le prend à part, mais qui, compris dans le reste, précise la vision…
Le futur, l’avenir, l’anticipation : elle avait énormément d’intuition (et un grand nombre de connaissances).
Malheureusement, elle m’avait même fait part des dispositions à prendre si elle venait à décéder…
Pour elle et même pour moi (puisqu’elle m’a interdit de me laisser mourir quelque soit la manière).
Individuellement, nous ne servons jamais à rien. C’est une fois mis en communs que se révèle l’esprit divin : c’est en tout cas ce qu’elle pensait (et je lui ai pratiquement toujours donné raison quelque soit le sujet).
Mais si je suis une cellule de Dieu, on se rend compte que je n’ai jamais servi qu’à détruire (à la façon d’un cancer en somme).
Toutefois et bien qu’elle fut de dos, je crois pouvoir dire qu’elle a réprimé avec force un violent sourire (à voir la contraction des muscles de ses joues) avant de se jeter dans mes bras tout simplement, dans une expression exempte d’amusement mais mêlée d’envie et de culpabilité (peut-être pour la gifle qu’elle m’avait donnée)…
J’ai honte de dire que c’est la seule fois où j’ai sollicité son amour.
…
Par la suite, j’ai tué en combat singulier celui que le malin avait choisi comme nouvel avatar : je pensais avoir détruit la menace.
Je me rends compte que je me suis toujours trompé d’adversaire.
J’ai remonté sa piste jusque dans les hauteurs alpines avant de l’amputer de sa dernière tête…
J’avais du incinérer ma défunte épouse avant de lancer la traque…
Pas même une pieuse sépulture pour elle.
Mais c’était sa propre requête (qu’elle avait émise suite à mon récit de ce qui était advenu d’une de nos patrouille).
Mes frères d’armes me l’avaient pourtant interdit dans un premier temps…
Et j’ai toujours autant des relents au niveau du poitrail en repensant que nous l’avions déjà enterrée une fois auparavant.
J’aurais du me souvenir des propos de ma femme concernant les vertus de la « belladone »…
Je ne savais pas ce qu’était la pulsion cardiaque : je n’aurais jamais eut l’idée de prendre son pouls…
Iris, elle, savait ce genre de chose (mais elle n’a jamais eu l’occasion de m’en dire d’avantage).
Tout ce que je sais, c’est qu’elle n’était pas morte quand nous l’avons mise en terre…
Et je me souviendrais toujours de ses ongles plantés dans le bois de son cercueil (une simple boîte en bois enterrée à six pieds sous terre), de la trace laissée par ses larmes sur ses joues alors même qu’elle avait du s’étouffer avec la terre : puisque le couvercle a cédé en fin de compte.
…
Elle ne se sentait pas bien : « fortement engourdie » disait-elle. Dame Iris s’est alors couchée en conséquence (pensant à un simple malaise)…
Elle ne s’est pas endormie : elle a gardé les yeux grands ouverts.
Je me souviens d’avoir souris quand je l’appelai alors qu’elle fixait le plafond, de mon interrogation alors qu’elle ne me répondait pas…
De moi, croyant juste à une mauvaise farce (puisqu’elle aimait me charrier) avant de laisser retomber sa main inerte et que la panique ne m’envahisse pour la seconde fois dans toute mon existence.
Je me rappelle aussi de l’avoir secouée pendant plusieurs secondes (ou minutes, je ne saurais dire) avant d’avoir la présence d’esprit de crier à l’aide (en me gardant bien d’arrêter d’essayer de la faire se mouvoir)
Je n’aurais jamais du appeler.
…
Empoisonnement : c’est ce qu’ils ont dit… Et ils n’avaient pas tort (mais ils n’avaient pas raison non plus).
Le démon avait eu recours à quelque chose qui se rapprochait de la substance évoquée plus haut, vraisemblablement pour la prendre malgré elle : mais il n’en a pas eu l’occasion puisque je suis resté avec elle tout ce temps…
Nous venions de nous faire expulser pour avoir briser « une fois de plus » nos vœux de manière « trop sonore » avant même d’avoir pu nous en dédire (ma femme était un peu trop expressive en amour). Je n’avais moi-même échappé au châtiment en vigueur (castration pure et simple) pour ce genre de faute qu’à la faveur de la crise.
Ma femme et moi, pensions simplement que nous pourrions fuir, reprendre notre vie d’avant (maintenant que nous étions à nouveau réunis et affranchis de toute charge).
Cela est apparu très vite impossible.
Nous nous trouvions alors dans un simple relais de poste où m’avaient déjà rejoint quelques uns de mes plus vieux et plus fidèles compagnons qui avaient réussi à survivre pour m’entretenir de la gravité de la situation.
Ce que je ne savais pas, c’est que le démon était occupé à tuer systématiquement chacun de mes frères d’armes jusque-là, alors même que j’avais fais rendre gorge à Ulrich la veille au soir.
Le poison devait nécessairement se trouver dans l’eau de sa gourde qu’elle a bue au relais.
Iris a eu le malheur de remplir une outre d’eau au puit de l’hospice juste avant son départ et précisément en prévision du voyage de retour (parce qu’elle n’a rien mangé à ma connaissance).
J’en suis d’autant plus sûr que l’incube a donné l’assaut final à la nuit tombée, mettant le village à feu et à sang (sans doute parce qu’il a senti que la situation risquait de lui échapper avec notre départ)…
Et je n’ai pas entendu de cris provenant de la direction de l’établissement (qui demeurait isolé par rapports aux autres bâtisses) alors même qu’il brûlait…
Mais il est vrai que je n’y ai pas prêté plus d’attention : je m’en fichais je dois dire.
Il savait qu’elle y résidait un jour auparavant parce que j’y étais moi-même sous ses soins (ou pour une autre raison que je vais évoquer sous peu).
Je présume qu’il n’avait simplement pas prévu que nous allions partir quand il contamina le puit.
Je n’avais eu accès aux quartiers intérieurs de l’hospice que parce que j’avais été blessé par Ulrich le jour même de notre arrivée dans le hameau perdu…
Je suis resté tout ce temps avec Iris et n’ai constaté aucun épisode d’empoisonnement.
Si cette hypothèse est exacte, une sœur a nécessairement du l’aider : il ne pouvait pas avoir un accès direct aux réserves d’eau potable.
Je sais juste qu’il y avait suffisamment de cette substance pour paralyser pendant un long moment mais pas pour qu’elle tue par asphyxie (avec l’interruption du travail des muscles intercostaux)…
Ce qui dépend pourtant forcément de la masse de la cible (même si on ne compte pas la quantité d’eau dans le puit)…
Il a pu/ du tuer quelques novices chétives (lesquelles n’auront pas eu à endurer consciemment ses lubies)…
Mais c’est ma belle qui l’intéressait.
Et ce produit devait être extrêmement puissant, infiniment plus que la simple belladone, pour avoir un pareil effet (même avec des réserves d’eau au plus bas).
Je n’ai compris ce genre de choses qu’à posteriori, bien après la mort d’Iris, bien après mon arrivée au Vatican, en vagabondant dans la citée première, lisant à mon gré les rares livres que je pouvais trouver…
Lui, ne devait pas seulement être lettré : quelqu’un l’avait formé, « possédé » à la seule fin de ce genre de carnages (comme Lilith le fut bien après lui).
Et je me dis que ce savoir pouvait tout aussi bien lui venir de la bibliothèque du monastère (qui a brûlé lui aussi, mis à sac par mes propres frères d’armes que certains moines réduisaient au silence jusque-là) : il y a toujours « l’enfer » comme on l’appelle…
Une section contenant des livres qu’on garde pieusement mais qu’on n’est pas sensé lire.
Qu’importe à présent…
Je cherche toujours à en savoir le plus possible : mais à quoi bon.
Ca ne changera rien aux faits.
Le mouvement de respiration de ma belle était absolument imperceptible : raison pour laquelle on en a conclu à la mort.
…
Nous ne le savions pas encore, mais à l’heure du prétendu décès de ma femme, nous étions pratiquement tous assurés de mourir d’une manière ou d’une autre. Acculés de toutes parts alors même que je pensais avoir abattu l’avatar du démon.
Le temps était à la crise et je craignais déjà pour la vie de ma moitié avant cela…
Les miens m’ont interdit de la veillée : ils avaient encore besoin de moi (et il n’y avait soi-disant rien à faire qui ne fut déjà fait).
Bande de…
Nous l’avons enterrée dans les plus brefs délais. Je n’ai pas pleuré. Je n’avais jamais pleuré, pas même à son enterrement : je n’aurais pas pu…
Je n’arrivais simplement pas à comprendre qu’elle n’était plus.
Et l’idée d’attendre la fin du cérémonial commençait déjà à me tourmenter : mais il fallait attendre que tout le monde fut parti…
Je les ai tous envoyé paître, chassés le plus vite possible, comme des mal propres…
Que m’importait leur sollicitude : avec le recul je me dis même qu’elle m’a fait perdre de précieuses minutes.
Mais il y en avait un qui demeurait toujours, caché dans l’ombre d’un bâtiment…
Il ne daigna s’approcher qu’à la faveur du départ de mes compagnons : il était moine et les miens venaient de saccager le monastère.
L’abbé lui-même, avec quelques uns de ses plus fidèles suivants avait du fuir avec ce qui restait des miens au constat d’une menace qui était devenue visiblement interne.
Je supposais vaguement que ce clerc (bossu du reste) compta dans sa suite.
J’ai eu du mal à m’en débarrasser et j’avoue que j’ai même du le menacer de mon poignard pour le faire déguerpir (j’aurais du comprendre qu’il attendait la même chose que moi : mais à des fins perverses)…
Il est finalement parti : il ne pouvait que partir pour lors (il faisait jour, bien que le soleil déclina peu à peu).
J’ai mis trop de temps à la déterrer avec mes mains… Je n’avais cure d’y avoir perdu mes ongles moi-même et je me rends compte que je n’aurais pas pu trouver une pelle dans les plus brefs délais de toutes façon (d’autant que je me voyais mal demander ce genre d’outils : ils auraient compris tout de suite le sacrilège que je m’apprêtais à commettre).
…
Un jour, suite à l’évocation de sa peur de ressurgir après son enterrement (à l’extérieur du dôme), Charon m’avait confié (bien que je ne lui eus rien demandé) qu’un cercueil octroyait une trentaine de minutes d’autonomie en oxygène…
Celui de ma femme n’était pas bien grand…
Mais même à supposer que sa panique ait raccourcis le délai, j’aurais pu la sauver si le couvercle n’avait pas cédé…
Il était fait de deux planches sommairement clouées : il a du se briser sous les coups de genoux d’Iris.
Je ne pense pas qu’il est se soit brisé sous mon poids puisque je creusais à côté du tumulus (mais je ne serais jamais d’avantage certain).
Ils l’ont enterrée trop profondément (malgré l’urgence) : les fossoyeurs entendaient la dotée d’une sépulture correcte pour une vraie chrétienne.
…
Je n’ai pleuré qu’après : quand je fus certain cette fois…
La nuit tombait déjà et l’incube de refaire surface…
Mais je m’en fichais…
Le monde pouvait bien crever dans le déferlement des suppôts de l’enfer.
Et le village entier a commencé à brûler sous les rires des satyres et les hurlements des rares habitants qui n’avaient pas pu fuir.
Je pouvais aussi entendre résonner les ordres de mon sergent.
Les miens continuaient de défendre vaillamment ce qui avait encore de l’importance apparemment…
Mes compagnons d’armes seront morts en combattant.
Je pouvais voir les flammes se répandre de toiture en toiture, vacillantes presque dansantes, mais je n’en avais cure.
Mêmes les cris des innocents, femmes ou enfants n’avaient plus d’importance et je gage que ma femme m’en aura voulu assurément.
(Puisse-t-elle me pardonner).
Cette gabegie infernale a duré toute la nuit je crois.
J’aurais du être avec mes frères.
Je ne sais pas moi-même combien de temps je suis resté éploré…
Pas longtemps me semble-t-il : je savais de quoi le monstre indicible était capable, j’étais certain de ce qu’il aurait fait même au corps inerte de ma belle…
D’autant plus que je le savais lié à sa mort d’une quelconque manière.
J’ai donc exécuté les dernières volontés de ma défunte épouse en l’incinérant…
Je l’ai portée jusqu’à la demeure la plus proche et l’ai posée à l’intérieur, devant la porte de la façade arrière d’une maison en proie aux flammes elle aussi. J’ai continué de la veillée depuis l’entrée jusqu’à ce que la bâtisse ne s’effondre.
J’avais placé mon obole dans sa bouche…
Comme le voulait l’antique rituel : un rite païen en l’occurrence.
Maintenant qu’elle ne souffre plus, j’espère que ça la fait même rire depuis les champs Elysée…
Mais j’en doute : puisqu’elle doit avoir aussi perdu la mémoire (toujours selon la mythologie grecque).
Elle, ne se souvient plus de moi…
(Et je ne parviens pas à passer le jour si je ne pense pas à elle).
Des ombres nues ou presque, des êtres grands (pratiquement gigantesques) courant et ricanant en cette soirée fatidique.
J’ai du en combattre aussi devant la porte pour défendre le tombeau d’Iris, tuant deux des leurs qui se sont tournés vers moi après que j’en ai tué un troisième d’un tir bien ajusté (alors même qu’il poursuivait une femme enserrant un enfant).
J’imagine pour me donner bonne conscience qu’il fut au moins deux survivants à cette nuit de terreur (mais ils pouvaient les rattraper plus tard si cela était leur bon plaisir).
C’est à ce moment-là qu’il est venu…
Alors même que le baraquement sombrait (après s’être en partie affaissé).
Je ne l’ai pas vu de suite, il a fallu qu’il m’invective pour que je m’aperçoive de sa présence.
« Qu’as-tu fais ?!!! »
L’une de ses trois facettes étaient désespérée de voir disparaître le corps de ma femme.
Mais l’imbécile venait de trahir son arrivée (ce que ses frères ont sans doute regretté).
Je suppose que ses sbires étaient encore occupés à se battre avec les miens parce qu’il s’est présenté seul. Je crois simplement qu’ils sont tous morts amis ou ennemis dans le déferlement qu’ordonna la bête.
Il ne restait plus que nous : mes frères d’armes ont du chèrement vendre leur peau.
J’ai compris par la suite que le malin comptait survivre, ce qui lui était impossible tant qu’il ne changeait pas de corps (le sien se flétrissant). Avec le recul (et ce que j’ai appris), je me dis même que la syphilis a du le rendre à moitié fou.
Il avait choisi Ulrich comme hôte (mais j’ai tué Ulrich).
Aujourd’hui, je sais qu’il s’est permis à lui-même de vouloir ma femme pour avoir une chance de s’octroyer le corps de son amant…
Je le sais, je le ressens : puisqu’il a réussi (même simplement en partie).
Il compte malheureusement aussi dans mon souvenir.
On a souvent dit de moi que j’étais indolent (voir amorphe)… C’était déjà vrai pendant les trois ans de notre séparation, c’est d’autant plus vrai maintenant qu’elle n’est plus.
La paresse (qui va de paire avec la mélancolie maintenant qu’elle est partie)…
Au moins un pêché capital à sa décharge : j’aurais éventuellement pu aller dans son sens mais sous certaines conditions seulement.
Je l’ai dit, je ne suis pas du genre à m’exciter pour que dalle : c’était déjà le cas à l’époque…
Pour autant la colère que j’ai ressentie immédiatement en le voyant est son œuvre, sa part de conscience qu’il essayait de m’inculquer…
Mais une rage qui se maria bien trop vite à la culpabilité : puisque j’étais fautif (au moins autant que mes comparses pour ne pas avoir compris)…
Et j’ai tendance à croire que ce second sentiment me maintient peut-être hors de son emprise (pour le moment)…
Nous nous sommes pourtant livré bataille. Et c’est lui qui est venu à moi dans ce dessein.
Hors, s’il ne cherchait pas directement à survivre, c’est qu’il testait le potentiel d’un hôte éventuel (puisque je suis certain qu’il s’est battu de toute son âme).
Il devait nécessairement survivre : par ma mort, ou dans la sienne (par laquelle il entendait me marquer du sceau de l’ire, lequel s’ajouterait au reste).
Il aurait du attaquer de jour, mais je crois qu’il a objecté qu’il valait mieux d’abords finir de s’occuper de mes compères s’il voulait avoir une chance de me tuer moi.
Du moins, je pense que c’est en ces termes que ses deux autres têtes ont convaincue la première.
Trois têtes, trois frères, pour un seul corps difforme…
Il n’était pas entièrement dévêtu. Il s’était paré de protections articulées en acier et, à la façon de certains gladiateurs, avait mieux doté le côté gauche (le côté du bouclier) alors que le droit était pratiquement à nu.
Il s’agissait d’une silhouette voûtée (qui sous l’aube le faisait paraître bossu, puisque je venais de le reconnaître) et dont la tête principale me dévisageait encore de ses yeux exorbités quand il se déploya soudain, révélant toute son imposante stature et sa vraie nature.
Trois têtes aux becs de lièvre, minées par les maladies vénériennes, la principale revêtant une sorte de casque à cornes tandis que ses deux frères susurraient leurs ordres.
Il se tenait debout à présent, de tout son long sur la pointe de ces pieds gigantesques, lesquels étaient mal formés et velus (comme le reste de ses jambes) en plus d’être dotés d’ongles longs, épais et noirs issus d’orteils de tailles fortement inégales et mal répartis sur l’ensemble du métatarse (ce qui leur donnaient l’apparence de pattes de loup presque de sanglier).
Il avait six yeux rouges, le crin blanc et le teint blême.
Il me dépassait d’au moins deux têtes en hauteur (mais paraissait plus grand avec son casque) et se rapprochait maintenant à grandes enjambées…
Tant et si bien que je pus rapidement voir la fine membrane qui se déployait sous ses aisselles et celle qui s’étendait par-dessus l’articulation de son coude dextre quand il lui arrivait de tendre le bras droit (laissant entrevoir les fines veines bleues que le seul brasier parvenait à mettre à jour).
L’embryon d’ailes de cuir.
Le folklore était sensé nous mettre en garde face à ce genre de créature.
Mais la première impression qui me vint fut précisément qu’il paraissait bien humain…
Surtout de par sa réaction je dois dire quand il a constaté avec désarroi que le corps de ma femme était perdu à jamais…
De la peine (on aurait presque pu croire à de la compassion au ton employé).
« Qu’as-tu fait ? » avait-t-il dit…
Je me le demande encore aujourd’hui : j’en crève chaque nuit quand je pense qu’il aurait suffi de si peu.
Crier à l’abomination ?
Je n’avais de toute façon plus de voix en ce jour funeste.
Qui plus est, j’ai vu bien pire par la suite et je me rends compte que les plus humains soi-disant sont les plus dangereux.
J’avais pourtant devant les yeux l’œuvre occulte d’un quelconque sorcier (comme j’en ai vu plusieurs officier sous le couvert de la médecine) et qui ne me touchait guère que par l’attrait qu’il avait pour le cadavre d’Iris se consumant…
Des gens qui (con)damnent les gens : et quelle chance avait-il d’avoir une vie normale dans notre monde…
Quelle chance de connaître quelque chose comme le bonheur (pas même l’amour : le bonheur).
Certains ont pu me qualifier de démon pour une chose que nous avions en commun : la guerre est le fait des autres (si l’enfer c’est les autres et que la guerre est l’enfer)…
Ce qui vaut pour Tobiack valait déjà pour nous.
Pas de choix, pas de libre arbitre…
Pas pour moi, pas pour nous je suppose (même si bien moins pour lui que pour moi).
Mais j’avoue que j’ai vu bien des choses étranges depuis lors…
…
Il était armé : moi aussi…
A l’époque, je n’avais plus qu’une lame à lui opposer (étant à court de munition de toute façon) mais il s’était défaussé bêtement de l’avantage de la surprise (surpris lui-même apparemment)…
Je savais qu’il était en partie responsable de la mort d’Iris
S’il avait une certaine instruction, le domaine de la guerre en faisait partie.
Il m’apparut bien vite délicat de souffrir le combat : il était physiquement beaucoup plus fort que moi.
Il a d’ailleurs failli m’arracher mon arme d’un seul coup à l’entame, m’obligeant à esquiver le second d’un bon de côté.
Mais il avait le gros désavantage d’avoir trois têtes, trois facettes potentiellement contradictoires.
La simple évocation de notre « amour » perdu parvint à faire s’énerver le principal, ce que les deux autres (plus calculateurs) ne pouvaient laisser faire au regard d’une situation qui, par le biais de sa rage, tendait à tourner à mon avantage…
Quand je souffrais moins la colère que la peine de la perte (ce qui me permettait tout du moins de rester lucide : la seule façon d’honorer le serment fait à ma belle).
Alors qu’à contrario, il perdait trop facilement ses moyens (la maladie aidant), se ruant têtes baissées (dans le vide le plus souvent).
Et bien qu’étant visiblement prédominant pour le haut du corps, je sentis bientôt de la raideur dans ses coups : il ne parvenait plus à les lâcher complètement… Ce qui me permettait de parer et qui avait pour effet d’intensifier son ire (qui allait crescendo).
Se faisant, il ne pouvait qu’aller plus avant dans mon sens.
J’aurais eu du mal à tuer l’incube d’un coup, d’un seul, pour la simple et bonne raison que les têtes de ses frères demeuraient légèrement sous-lui, faisant office de couverts involontaires.
En fin de compte, je parvins malgré tout à tuer l’un des trois après plusieurs passes d’armes : le second tomba pratiquement dan la foulée (au profit de la surprise qui suivit la mort du premier)…
Le combat aurait pu se poursuivre, mais le démon préféra s’enfuir pour panser ses blessures (une hémorragie pouvait lui coûter sa dernière tête). Je le laissai faire : je ne pouvais/ ne voulais pas m’éloigner du mausolée de flammes.
J’ai du attendre que le brasier s’arrête au petit matin pour constater que le corps de ma belle avait entièrement disparu.
Je pouvais dès lors me lancer à la poursuite du démon.
Et je me maudi de n’avoir pas inspecté les ruines encore fumantes de l’hospice…
Il y avait peut-être une chance de retrouver le journal intime de ma belle Iris.
Elle m’avait déjà permis de le lire : là n’était pas le problème.
J’aurais du cumuler le maximum de souvenirs d’elle.
Ne me reste d’elle qu’un singulier croquis fait au fusain (et ma mémoire que j’ai tellement peur de perdre).
Je ne pus qu’attester de ce que l’essentiel de la bataille s’était déroulée à même la place du marché.
C’est un Marcus agonisant qui m’indiqua la bonne direction à prendre.
Le corps sans vie de mon sergent demeurait non loin de lui comme l’ensemble de mes compagnons : ils avaient du lutter jusqu’au bout dans une formation en cercle pour faire front à un ennemi visiblement supérieur en nombre à en juger par le nombre d’opposants à terre.
…
J’ai pisté le malin pendant plusieurs jours à travers les hauts plateaux jusque dans les contreforts montagneux, abattant les quelques rares assassins qui lui restait en réserve et qu’il manda dans le vain espoir de mettre un terme à la poursuite.
…
Je l’ai tué : je l’ai amputé de sa dernière tête lorsque je le rattrapai finalement, pratiquement aux cimes et dans sa tanière peut-être même à la faveur de ses membres engourdis par le froid (il était toujours pratiquement nu) bien que j’en doute.
Mais il opposa néanmoins une ultime et farouche résistance.
Et je n’avais pas compris pourquoi il avait choisi les monts comme dernier retranchement au lieu de s’enfuir par le sud (pensant dans un premier temps qu’il craignait simplement de devoir faire face à la puissance de Rome qui s’étendait encore jusque-là).
Je ne suis redescendu que sensiblement plus tard et légèrement groggy (à cause du froid qui m’avait affecté moi aussi) après avoir enduré une tempête de neige.
J’ai eu de la chance de ne pas mourir (si on peut appeler cela de la fortune quand Iris me manque).
Mais j’avais encore la promesse faite à ma dame…
Le démon, y est bel et bien mort (du moins le pensais-je)…
Aux vues de ce que je sais maintenant, ce qui l’a possédé a forcément du survivre au carnage.
Je n’ai rencontré un certain frère inquisiteur que bien plus tard alors que j’errais sans but le long des apennins. Le dit frère devait rallier Rome pour partir en mission.
…
Pour ma part, je ne peux plus compter que sur Pandora comme unique compagnon d’arme : je ne tiens pas à mêler Dana à cette cabale tant que je peux l’éviter.
Qui plus est, Pandora aussi en a souffert à sa manière.
Mais faut-il perpétuer la lutte ou attendre que ce démon meure de lui-même ?
Là est la question.
A l’époque où je l’ai rencontré, j’étais guerrier…
Je l’ai toujours été en définitive et mon bref passage dans les ordres n’y a rien changé : c’était compris dans le contrat.
Je ne connaissais encore Rome que par ouï-dire et par son rayonnement d’avantage religieux que culturel.
Ceux qui me connaissent disent souvent que je me suis planqué dans l’armée (pour échapper au contact souvent létal de la justice : même quand on n’est que témoin à décharge). Et je m’étais planqué dans l’église bien avant pour une raison similaire (et même franchement supérieure quand on considère que le bien être de ma femme était en jeu).
En fait, je ne serais jamais qu’un planqué : mais pour le coup, j’assume.
Il s’agissait à l’époque d’une question de survie.
C’était bien avant de rencontrer Victor, bien avant d’entrer dans le Primus Sector et bien avant d’entrer dans Rome.
Notre situation était loin d’être envieuse, nous avons été obligés d’en arriver à cette extrémité…
Enfin,…
« Obligés », non : mais ma femme pensait que c’était préférable.
Bref et quoiqu’il en soit, elle m’avait assuré d’avoir fait en sorte de pouvoir se dédire légalement de son engagement en disant devant témoins qu’elle ne penserait pas ses voeux au moment de les réciter (comme je le lui avais demandé du reste et comme je m’y étais préparé moi-même : paraît aussi que ça marche mieux si on croise les doigts).
Ce qui en théorie rendait l’émission du vœu nul et non avenu.
L’idée de nous enrôler venait d’elle à la base (de nous deux, c’était elle qui détenait le meilleur cerveau), mais je ne pense pas qu’elle se soit faites prier…
Surtout qu’elle n’était pas franchement ravie de devoir faire de si gros sacrifices et encore moins de nous voir nous conformer aux réformes de ce bon vieux Grégoire VII…
Et je ne dirais pas souvent du bien d’un pape (surtout quand il préconise la chasteté ou au minimum l’abstinence).
Mais ça a probablement évité un tas d’emmerdes à ma dame (surtout rapport à certains membres du clergé qui cumulaient les charges tout en se gardant bien d’émettre un quelconque vœu castrateur).
Ma belle pensait par ailleurs que c’était un acte d’amour éternel que de se promettre à une relation exclusivement platonique.
Pensée stupide, qu’elle a vite regrettée je pense…
Parce que notre séparation a duré trois ans tout de même. Cela aurait pu prendre une vie entière qui plus est : nous aurions été séparés à jamais…
(Peut-être aurait-il mieux valu en fin de compte).
…
Le malin…
Trouver une telle créature n’était pas dans notre intention : nous ne connaissions l’existence de ce genre d’êtres que par le biais des légendes, des mythes (sans pour autant y croire d’avantage).
Nous vivions à un âge obscur ou tout un chacun peinait à se redresser des ruines d’empires depuis longtemps perdus (sinon en décadence)…
Au sein de cultures qui ne disparurent pas totalement précisément parce qu’elles usaient encore les pierres des vestiges de citées enfouies et aux noms changeant pour établir les fondations du renouveau à venir.
Rome (certains ont dit Babylone, citant l’apocalypse) : la superstition populaire ajoutée aux dogmes religieux aurait pu nous mettre en garde.
Mais le danger est propre à cet instinct exclusivement humain qui tend à l’autodestruction : l’homme est un loup pour l’homme.
Il n’a qu’un prédateur : lui-même.
Nous étions simplement en transit quand il nous est tombé dessus pour la première fois.
Nous - mon contingent, j’entends - étions simplement en escorte d’un convoi de biens qui partait pour la Terre Sainte : nous composions l’arrière garde d’un groupe de pèlerins.
Nota bene : quand j’ai quitté la « citée 42 », nous en étions à la quatorzième croisade…
Même s’il s’agit à présent d’avantage de fouilles archéologiques qu’autre chose (si vous voulez tout savoir)…
Et si je n’ai pris part à aucune de ce genre de campagnes c’est uniquement parce que l’incube nous a pris de cours.
Je dirais même que le démon nous a choisis.
En fin de compte, il nous attaquait systématiquement à la faveur de l’obscurité de la nuit tombée, réduisant notre troupe petit à petit…
Notre équipée déjà bien maigre a du en conséquence troquer la mission d’escorte de biens pour la protection de la colonne de piétons innocents (à contrario du pape)…
Nota bene : oui, c’était « encore » une vanne à deux balles (un jeu de mot vaseux à propos de son nom en l’occurrence)…
Et je savais depuis un petit temps que ma dame en faisait partie (pour l’avoir aperçue dans la troupe parmi les badauds). C’était logique du reste : une nouvelle croisade venait d’être décrétée (et bien que demeurant jusque-là dans des établissements différents, nous étions encore issus du même patelin).
Mais, elle, ne pouvait pas se douter de ma présence (à cause de mon heaume que je portais en permanence).
Pour information, une colonne de piétons se compose essentiellement au fur et à mesure de son trajet en enrôlant systématiquement les types qu’on est parvenu à rendre suffisamment ivres pour les faire signer n’importe quoi (c’est même un vieux truc de bidasse, cf. Archibald Samson).
…
Des coureurs nocturnes, des ombres meurtrières décimant le troupeau aux points où il était le plus vulnérable…
Les adeptes de la bête ne semblaient nombreux que parce que nous n’avions rien pour nous éclairer correctement.
A dire vrai, et au début tout du moins, nous pensions plus à la conséquence de l’ire d’autochtones des suites du passage de notre avant-garde sur un territoire de l’ancienne Vénétie… Et s’il devait bien y avoir un peu de cela aussi, ce n’était en rien la seule raison.
Nous n’avons jamais su qui nous combattions réellement…
Nous avons seulement commencé à connaître sa façon de faire quand nous avons retrouvé les corps nus de deux de nos patrouilleurs, atrocement mutilés.
Leurs effets étaient bien pliés, tout à côté d’eux (même s’il n’en restait pas grand-chose à dire vrai).
Et les miens n’étaient pourtant pas des tendres : pratiquement ce qui se faisait de mieux en matière de soldats dans tout le monde connu (et donc chrétien à fortiori : pour nous tout du moins).
Je me rappelle encore des dires de mon sergent lorsqu’il nous entretint au sujet d’une histoire macabre impliquant de jeunes vierges (des paysannes) qui ne l’étaient plus quand on les retrouva dans pareil état.
Et si ces deux guerriers avaient jamais subit le même sort, le monstre ne s’y était pris qu’en guise de bienvenue, après leur trépas qui plus est (à en juger par l’état des armures qui trahissaient une mort subite).
Tout à la guerre, tout à la souffrance, tout à la domination!
Les velléités de l’ordre dans lequel j’officiai alors n’étaient pas différentes d’une certaine manière (bien que ce fut plus diffus, plus hypocrite peut-être) mais c’est ma femme qui a payé pour moi le tribut qui aurait du m’échoir, de par ma charge…
Le mal n’était pourtant pas le seul but de la bête : selon moi, il cherchait surtout la pérennité… Trouver un moyen d’échapper au jugement de Dieu en vagabondant de conscience en conscience.
La possession : Ulrich ne fut pas le premier et en aucun cas le dernier.
Ils nous ont finalement acculés dans un hameau perdu (apparemment lui aussi touché par la crise depuis un certain temps bien que la chose apparut moins évidente).
C’est là-bas que j’ai pu revoir ma belle en tête à tête…
Et uniquement pour avoir combattu un des mignons de la bête (ce dont nous doutions encore)…
Ulrich (qui devint Ulrich le borgne après mon passage : mais il n’eut pas à souffrir longtemps ce surnom).
Il comptait pourtant parmi nos gens : dans notre avant-garde même (laquelle nous avait distancé de plusieurs jours et avait déjà ses quartiers dans ce patelin à la requête des moniales qui voyaient leurs ouailles se faire trucider un par un, jour après jour).
Une novice de l’hospice de la minuscule bourgade se sera en tout cas suicidée après son passage.
Nous étions donc venu le prévenir que notre sergent requérait sa présence dans le cadre d’une questure lorsqu’il porta le premier coup.
J’avoue d’ailleurs qu’il m’a pris de cours (je ne pensais pas vraiment au combat lorsque j’ai eu le malheur de poser une main sur son épaule), tandis que le frère qui me secondait se parait aussitôt en conséquence.
Ulrich venait d’effacer l’attaque d’un certain Marcus, le désarmant d’une touche à la main coupable (lui ôtant deux doigts au passage), pour se tourner vers moi quand je portais la mienne (revenant rageusement à la charge) : un coup bien placé qui lui défonça l’orbite gauche…
Il avait pourtant fait voler mon heaume au préalable (fendu, de la pointe à la cape) révélant mon visage désormais marqué de cette blessure qui cicatrisa en un long sillon déchirant mon faciès en deux…
Ce qui n’était pas du luxe d’ailleurs : j’avais un visage aux traits trop fins à l’époque, ce qui ne sied point à un combattant, n’en déplaise à ma dame qui en fut fort attristée…
Ce qui ne l’empêcha pourtant pas de me donner aussitôt le surnom « d’Hayden le balafré ».
C’était une sale habitude chez-elle : me donner un tas de sobriquets, des sortes de titres que je ne méritais pas (la plupart du temps).
Mais il est vrai que j’aurais tout aussi bien finir borgne moi-même.
Ma belle, qui était présente au moment des faits (nous nous trouvions alors sur la place du marché), eut toutefois la présence d’esprit de profiter de l’occasion pour « panser mes plaies » en « tête à tête ».
(Je devrais presque dire merci à Ulrich en somme).
Elle avait d’ailleurs l’air plutôt heureuse de me revoir en fin de compte…
Avant de me gifler tout bonnement : quand je lui appris que cela faisait déjà plus d’une semaine au moins que je l’avais aperçue dans un des petits groupes qui transitait par le Veneto.
Ca faisait d’autant plus mal que j’avais toujours la gratification d’Ulrich en travers du visage (et que ma dame était occupée à soigner jusque-là).
J’ai vu une pointe de remords dans ses yeux après ce geste, mais elle n’en démordait pas de sa première réaction (et elle avait en partie raison).
Difficile de lui expliquer que nous étions toujours liés à l’église par vœu de chasteté : je ne pouvais pas faire ce que je voulais devant mes compères.
Elle s’est alors détournée de moi d’un air outré comme c’était son habitude pour des motifs futiles (bien que ce ne fut pas le cas pour lors).
Comme je l’ai dit, ma dame avait coutume de m’affubler d’une multitude de noms stupides :
« Hayden l’invincible », « Scotty le bellâtre » ou « imbécile » (ce genre de chose)…
Mais à contrario de certains de mes frères d’armes, elle ne m’a jamais qualifié de démon.
Elle prétendait que nous faisions tous partie de Dieu, que nous étions tous des fragments infimes et vivants de quelque chose d’énorme : comme des organes ou des parties d’organes.
Du plus bon au plus mauvais.
Et comme il fallait bien trouver un truc pour me racheter…
« Iris de l’œil de Dieu » ai-je alors dit : c’était le titre que j’avais choisi pour elle.
Iris, (c’est ainsi que s’appelait ma belle)…
Un tissu certes non vital et qui ne sert à rien si on le prend à part, mais qui, compris dans le reste, précise la vision…
Le futur, l’avenir, l’anticipation : elle avait énormément d’intuition (et un grand nombre de connaissances).
Malheureusement, elle m’avait même fait part des dispositions à prendre si elle venait à décéder…
Pour elle et même pour moi (puisqu’elle m’a interdit de me laisser mourir quelque soit la manière).
Individuellement, nous ne servons jamais à rien. C’est une fois mis en communs que se révèle l’esprit divin : c’est en tout cas ce qu’elle pensait (et je lui ai pratiquement toujours donné raison quelque soit le sujet).
Mais si je suis une cellule de Dieu, on se rend compte que je n’ai jamais servi qu’à détruire (à la façon d’un cancer en somme).
Toutefois et bien qu’elle fut de dos, je crois pouvoir dire qu’elle a réprimé avec force un violent sourire (à voir la contraction des muscles de ses joues) avant de se jeter dans mes bras tout simplement, dans une expression exempte d’amusement mais mêlée d’envie et de culpabilité (peut-être pour la gifle qu’elle m’avait donnée)…
J’ai honte de dire que c’est la seule fois où j’ai sollicité son amour.
…
Par la suite, j’ai tué en combat singulier celui que le malin avait choisi comme nouvel avatar : je pensais avoir détruit la menace.
Je me rends compte que je me suis toujours trompé d’adversaire.
J’ai remonté sa piste jusque dans les hauteurs alpines avant de l’amputer de sa dernière tête…
J’avais du incinérer ma défunte épouse avant de lancer la traque…
Pas même une pieuse sépulture pour elle.
Mais c’était sa propre requête (qu’elle avait émise suite à mon récit de ce qui était advenu d’une de nos patrouille).
Mes frères d’armes me l’avaient pourtant interdit dans un premier temps…
Et j’ai toujours autant des relents au niveau du poitrail en repensant que nous l’avions déjà enterrée une fois auparavant.
J’aurais du me souvenir des propos de ma femme concernant les vertus de la « belladone »…
Je ne savais pas ce qu’était la pulsion cardiaque : je n’aurais jamais eut l’idée de prendre son pouls…
Iris, elle, savait ce genre de chose (mais elle n’a jamais eu l’occasion de m’en dire d’avantage).
Tout ce que je sais, c’est qu’elle n’était pas morte quand nous l’avons mise en terre…
Et je me souviendrais toujours de ses ongles plantés dans le bois de son cercueil (une simple boîte en bois enterrée à six pieds sous terre), de la trace laissée par ses larmes sur ses joues alors même qu’elle avait du s’étouffer avec la terre : puisque le couvercle a cédé en fin de compte.
…
Elle ne se sentait pas bien : « fortement engourdie » disait-elle. Dame Iris s’est alors couchée en conséquence (pensant à un simple malaise)…
Elle ne s’est pas endormie : elle a gardé les yeux grands ouverts.
Je me souviens d’avoir souris quand je l’appelai alors qu’elle fixait le plafond, de mon interrogation alors qu’elle ne me répondait pas…
De moi, croyant juste à une mauvaise farce (puisqu’elle aimait me charrier) avant de laisser retomber sa main inerte et que la panique ne m’envahisse pour la seconde fois dans toute mon existence.
Je me rappelle aussi de l’avoir secouée pendant plusieurs secondes (ou minutes, je ne saurais dire) avant d’avoir la présence d’esprit de crier à l’aide (en me gardant bien d’arrêter d’essayer de la faire se mouvoir)
Je n’aurais jamais du appeler.
…
Empoisonnement : c’est ce qu’ils ont dit… Et ils n’avaient pas tort (mais ils n’avaient pas raison non plus).
Le démon avait eu recours à quelque chose qui se rapprochait de la substance évoquée plus haut, vraisemblablement pour la prendre malgré elle : mais il n’en a pas eu l’occasion puisque je suis resté avec elle tout ce temps…
Nous venions de nous faire expulser pour avoir briser « une fois de plus » nos vœux de manière « trop sonore » avant même d’avoir pu nous en dédire (ma femme était un peu trop expressive en amour). Je n’avais moi-même échappé au châtiment en vigueur (castration pure et simple) pour ce genre de faute qu’à la faveur de la crise.
Ma femme et moi, pensions simplement que nous pourrions fuir, reprendre notre vie d’avant (maintenant que nous étions à nouveau réunis et affranchis de toute charge).
Cela est apparu très vite impossible.
Nous nous trouvions alors dans un simple relais de poste où m’avaient déjà rejoint quelques uns de mes plus vieux et plus fidèles compagnons qui avaient réussi à survivre pour m’entretenir de la gravité de la situation.
Ce que je ne savais pas, c’est que le démon était occupé à tuer systématiquement chacun de mes frères d’armes jusque-là, alors même que j’avais fais rendre gorge à Ulrich la veille au soir.
Le poison devait nécessairement se trouver dans l’eau de sa gourde qu’elle a bue au relais.
Iris a eu le malheur de remplir une outre d’eau au puit de l’hospice juste avant son départ et précisément en prévision du voyage de retour (parce qu’elle n’a rien mangé à ma connaissance).
J’en suis d’autant plus sûr que l’incube a donné l’assaut final à la nuit tombée, mettant le village à feu et à sang (sans doute parce qu’il a senti que la situation risquait de lui échapper avec notre départ)…
Et je n’ai pas entendu de cris provenant de la direction de l’établissement (qui demeurait isolé par rapports aux autres bâtisses) alors même qu’il brûlait…
Mais il est vrai que je n’y ai pas prêté plus d’attention : je m’en fichais je dois dire.
Il savait qu’elle y résidait un jour auparavant parce que j’y étais moi-même sous ses soins (ou pour une autre raison que je vais évoquer sous peu).
Je présume qu’il n’avait simplement pas prévu que nous allions partir quand il contamina le puit.
Je n’avais eu accès aux quartiers intérieurs de l’hospice que parce que j’avais été blessé par Ulrich le jour même de notre arrivée dans le hameau perdu…
Je suis resté tout ce temps avec Iris et n’ai constaté aucun épisode d’empoisonnement.
Si cette hypothèse est exacte, une sœur a nécessairement du l’aider : il ne pouvait pas avoir un accès direct aux réserves d’eau potable.
Je sais juste qu’il y avait suffisamment de cette substance pour paralyser pendant un long moment mais pas pour qu’elle tue par asphyxie (avec l’interruption du travail des muscles intercostaux)…
Ce qui dépend pourtant forcément de la masse de la cible (même si on ne compte pas la quantité d’eau dans le puit)…
Il a pu/ du tuer quelques novices chétives (lesquelles n’auront pas eu à endurer consciemment ses lubies)…
Mais c’est ma belle qui l’intéressait.
Et ce produit devait être extrêmement puissant, infiniment plus que la simple belladone, pour avoir un pareil effet (même avec des réserves d’eau au plus bas).
Je n’ai compris ce genre de choses qu’à posteriori, bien après la mort d’Iris, bien après mon arrivée au Vatican, en vagabondant dans la citée première, lisant à mon gré les rares livres que je pouvais trouver…
Lui, ne devait pas seulement être lettré : quelqu’un l’avait formé, « possédé » à la seule fin de ce genre de carnages (comme Lilith le fut bien après lui).
Et je me dis que ce savoir pouvait tout aussi bien lui venir de la bibliothèque du monastère (qui a brûlé lui aussi, mis à sac par mes propres frères d’armes que certains moines réduisaient au silence jusque-là) : il y a toujours « l’enfer » comme on l’appelle…
Une section contenant des livres qu’on garde pieusement mais qu’on n’est pas sensé lire.
Qu’importe à présent…
Je cherche toujours à en savoir le plus possible : mais à quoi bon.
Ca ne changera rien aux faits.
Le mouvement de respiration de ma belle était absolument imperceptible : raison pour laquelle on en a conclu à la mort.
…
Nous ne le savions pas encore, mais à l’heure du prétendu décès de ma femme, nous étions pratiquement tous assurés de mourir d’une manière ou d’une autre. Acculés de toutes parts alors même que je pensais avoir abattu l’avatar du démon.
Le temps était à la crise et je craignais déjà pour la vie de ma moitié avant cela…
Les miens m’ont interdit de la veillée : ils avaient encore besoin de moi (et il n’y avait soi-disant rien à faire qui ne fut déjà fait).
Bande de…
Nous l’avons enterrée dans les plus brefs délais. Je n’ai pas pleuré. Je n’avais jamais pleuré, pas même à son enterrement : je n’aurais pas pu…
Je n’arrivais simplement pas à comprendre qu’elle n’était plus.
Et l’idée d’attendre la fin du cérémonial commençait déjà à me tourmenter : mais il fallait attendre que tout le monde fut parti…
Je les ai tous envoyé paître, chassés le plus vite possible, comme des mal propres…
Que m’importait leur sollicitude : avec le recul je me dis même qu’elle m’a fait perdre de précieuses minutes.
Mais il y en avait un qui demeurait toujours, caché dans l’ombre d’un bâtiment…
Il ne daigna s’approcher qu’à la faveur du départ de mes compagnons : il était moine et les miens venaient de saccager le monastère.
L’abbé lui-même, avec quelques uns de ses plus fidèles suivants avait du fuir avec ce qui restait des miens au constat d’une menace qui était devenue visiblement interne.
Je supposais vaguement que ce clerc (bossu du reste) compta dans sa suite.
J’ai eu du mal à m’en débarrasser et j’avoue que j’ai même du le menacer de mon poignard pour le faire déguerpir (j’aurais du comprendre qu’il attendait la même chose que moi : mais à des fins perverses)…
Il est finalement parti : il ne pouvait que partir pour lors (il faisait jour, bien que le soleil déclina peu à peu).
J’ai mis trop de temps à la déterrer avec mes mains… Je n’avais cure d’y avoir perdu mes ongles moi-même et je me rends compte que je n’aurais pas pu trouver une pelle dans les plus brefs délais de toutes façon (d’autant que je me voyais mal demander ce genre d’outils : ils auraient compris tout de suite le sacrilège que je m’apprêtais à commettre).
…
Un jour, suite à l’évocation de sa peur de ressurgir après son enterrement (à l’extérieur du dôme), Charon m’avait confié (bien que je ne lui eus rien demandé) qu’un cercueil octroyait une trentaine de minutes d’autonomie en oxygène…
Celui de ma femme n’était pas bien grand…
Mais même à supposer que sa panique ait raccourcis le délai, j’aurais pu la sauver si le couvercle n’avait pas cédé…
Il était fait de deux planches sommairement clouées : il a du se briser sous les coups de genoux d’Iris.
Je ne pense pas qu’il est se soit brisé sous mon poids puisque je creusais à côté du tumulus (mais je ne serais jamais d’avantage certain).
Ils l’ont enterrée trop profondément (malgré l’urgence) : les fossoyeurs entendaient la dotée d’une sépulture correcte pour une vraie chrétienne.
…
Je n’ai pleuré qu’après : quand je fus certain cette fois…
La nuit tombait déjà et l’incube de refaire surface…
Mais je m’en fichais…
Le monde pouvait bien crever dans le déferlement des suppôts de l’enfer.
Et le village entier a commencé à brûler sous les rires des satyres et les hurlements des rares habitants qui n’avaient pas pu fuir.
Je pouvais aussi entendre résonner les ordres de mon sergent.
Les miens continuaient de défendre vaillamment ce qui avait encore de l’importance apparemment…
Mes compagnons d’armes seront morts en combattant.
Je pouvais voir les flammes se répandre de toiture en toiture, vacillantes presque dansantes, mais je n’en avais cure.
Mêmes les cris des innocents, femmes ou enfants n’avaient plus d’importance et je gage que ma femme m’en aura voulu assurément.
(Puisse-t-elle me pardonner).
Cette gabegie infernale a duré toute la nuit je crois.
J’aurais du être avec mes frères.
Je ne sais pas moi-même combien de temps je suis resté éploré…
Pas longtemps me semble-t-il : je savais de quoi le monstre indicible était capable, j’étais certain de ce qu’il aurait fait même au corps inerte de ma belle…
D’autant plus que je le savais lié à sa mort d’une quelconque manière.
J’ai donc exécuté les dernières volontés de ma défunte épouse en l’incinérant…
Je l’ai portée jusqu’à la demeure la plus proche et l’ai posée à l’intérieur, devant la porte de la façade arrière d’une maison en proie aux flammes elle aussi. J’ai continué de la veillée depuis l’entrée jusqu’à ce que la bâtisse ne s’effondre.
J’avais placé mon obole dans sa bouche…
Comme le voulait l’antique rituel : un rite païen en l’occurrence.
Maintenant qu’elle ne souffre plus, j’espère que ça la fait même rire depuis les champs Elysée…
Mais j’en doute : puisqu’elle doit avoir aussi perdu la mémoire (toujours selon la mythologie grecque).
Elle, ne se souvient plus de moi…
(Et je ne parviens pas à passer le jour si je ne pense pas à elle).
Des ombres nues ou presque, des êtres grands (pratiquement gigantesques) courant et ricanant en cette soirée fatidique.
J’ai du en combattre aussi devant la porte pour défendre le tombeau d’Iris, tuant deux des leurs qui se sont tournés vers moi après que j’en ai tué un troisième d’un tir bien ajusté (alors même qu’il poursuivait une femme enserrant un enfant).
J’imagine pour me donner bonne conscience qu’il fut au moins deux survivants à cette nuit de terreur (mais ils pouvaient les rattraper plus tard si cela était leur bon plaisir).
C’est à ce moment-là qu’il est venu…
Alors même que le baraquement sombrait (après s’être en partie affaissé).
Je ne l’ai pas vu de suite, il a fallu qu’il m’invective pour que je m’aperçoive de sa présence.
« Qu’as-tu fais ?!!! »
L’une de ses trois facettes étaient désespérée de voir disparaître le corps de ma femme.
Mais l’imbécile venait de trahir son arrivée (ce que ses frères ont sans doute regretté).
Je suppose que ses sbires étaient encore occupés à se battre avec les miens parce qu’il s’est présenté seul. Je crois simplement qu’ils sont tous morts amis ou ennemis dans le déferlement qu’ordonna la bête.
Il ne restait plus que nous : mes frères d’armes ont du chèrement vendre leur peau.
J’ai compris par la suite que le malin comptait survivre, ce qui lui était impossible tant qu’il ne changeait pas de corps (le sien se flétrissant). Avec le recul (et ce que j’ai appris), je me dis même que la syphilis a du le rendre à moitié fou.
Il avait choisi Ulrich comme hôte (mais j’ai tué Ulrich).
Aujourd’hui, je sais qu’il s’est permis à lui-même de vouloir ma femme pour avoir une chance de s’octroyer le corps de son amant…
Je le sais, je le ressens : puisqu’il a réussi (même simplement en partie).
Il compte malheureusement aussi dans mon souvenir.
On a souvent dit de moi que j’étais indolent (voir amorphe)… C’était déjà vrai pendant les trois ans de notre séparation, c’est d’autant plus vrai maintenant qu’elle n’est plus.
La paresse (qui va de paire avec la mélancolie maintenant qu’elle est partie)…
Au moins un pêché capital à sa décharge : j’aurais éventuellement pu aller dans son sens mais sous certaines conditions seulement.
Je l’ai dit, je ne suis pas du genre à m’exciter pour que dalle : c’était déjà le cas à l’époque…
Pour autant la colère que j’ai ressentie immédiatement en le voyant est son œuvre, sa part de conscience qu’il essayait de m’inculquer…
Mais une rage qui se maria bien trop vite à la culpabilité : puisque j’étais fautif (au moins autant que mes comparses pour ne pas avoir compris)…
Et j’ai tendance à croire que ce second sentiment me maintient peut-être hors de son emprise (pour le moment)…
Nous nous sommes pourtant livré bataille. Et c’est lui qui est venu à moi dans ce dessein.
Hors, s’il ne cherchait pas directement à survivre, c’est qu’il testait le potentiel d’un hôte éventuel (puisque je suis certain qu’il s’est battu de toute son âme).
Il devait nécessairement survivre : par ma mort, ou dans la sienne (par laquelle il entendait me marquer du sceau de l’ire, lequel s’ajouterait au reste).
Il aurait du attaquer de jour, mais je crois qu’il a objecté qu’il valait mieux d’abords finir de s’occuper de mes compères s’il voulait avoir une chance de me tuer moi.
Du moins, je pense que c’est en ces termes que ses deux autres têtes ont convaincue la première.
Trois têtes, trois frères, pour un seul corps difforme…
Il n’était pas entièrement dévêtu. Il s’était paré de protections articulées en acier et, à la façon de certains gladiateurs, avait mieux doté le côté gauche (le côté du bouclier) alors que le droit était pratiquement à nu.
Il s’agissait d’une silhouette voûtée (qui sous l’aube le faisait paraître bossu, puisque je venais de le reconnaître) et dont la tête principale me dévisageait encore de ses yeux exorbités quand il se déploya soudain, révélant toute son imposante stature et sa vraie nature.
Trois têtes aux becs de lièvre, minées par les maladies vénériennes, la principale revêtant une sorte de casque à cornes tandis que ses deux frères susurraient leurs ordres.
Il se tenait debout à présent, de tout son long sur la pointe de ces pieds gigantesques, lesquels étaient mal formés et velus (comme le reste de ses jambes) en plus d’être dotés d’ongles longs, épais et noirs issus d’orteils de tailles fortement inégales et mal répartis sur l’ensemble du métatarse (ce qui leur donnaient l’apparence de pattes de loup presque de sanglier).
Il avait six yeux rouges, le crin blanc et le teint blême.
Il me dépassait d’au moins deux têtes en hauteur (mais paraissait plus grand avec son casque) et se rapprochait maintenant à grandes enjambées…
Tant et si bien que je pus rapidement voir la fine membrane qui se déployait sous ses aisselles et celle qui s’étendait par-dessus l’articulation de son coude dextre quand il lui arrivait de tendre le bras droit (laissant entrevoir les fines veines bleues que le seul brasier parvenait à mettre à jour).
L’embryon d’ailes de cuir.
Le folklore était sensé nous mettre en garde face à ce genre de créature.
Mais la première impression qui me vint fut précisément qu’il paraissait bien humain…
Surtout de par sa réaction je dois dire quand il a constaté avec désarroi que le corps de ma femme était perdu à jamais…
De la peine (on aurait presque pu croire à de la compassion au ton employé).
« Qu’as-tu fait ? » avait-t-il dit…
Je me le demande encore aujourd’hui : j’en crève chaque nuit quand je pense qu’il aurait suffi de si peu.
Crier à l’abomination ?
Je n’avais de toute façon plus de voix en ce jour funeste.
Qui plus est, j’ai vu bien pire par la suite et je me rends compte que les plus humains soi-disant sont les plus dangereux.
J’avais pourtant devant les yeux l’œuvre occulte d’un quelconque sorcier (comme j’en ai vu plusieurs officier sous le couvert de la médecine) et qui ne me touchait guère que par l’attrait qu’il avait pour le cadavre d’Iris se consumant…
Des gens qui (con)damnent les gens : et quelle chance avait-il d’avoir une vie normale dans notre monde…
Quelle chance de connaître quelque chose comme le bonheur (pas même l’amour : le bonheur).
Certains ont pu me qualifier de démon pour une chose que nous avions en commun : la guerre est le fait des autres (si l’enfer c’est les autres et que la guerre est l’enfer)…
Ce qui vaut pour Tobiack valait déjà pour nous.
Pas de choix, pas de libre arbitre…
Pas pour moi, pas pour nous je suppose (même si bien moins pour lui que pour moi).
Mais j’avoue que j’ai vu bien des choses étranges depuis lors…
…
Il était armé : moi aussi…
A l’époque, je n’avais plus qu’une lame à lui opposer (étant à court de munition de toute façon) mais il s’était défaussé bêtement de l’avantage de la surprise (surpris lui-même apparemment)…
Je savais qu’il était en partie responsable de la mort d’Iris
S’il avait une certaine instruction, le domaine de la guerre en faisait partie.
Il m’apparut bien vite délicat de souffrir le combat : il était physiquement beaucoup plus fort que moi.
Il a d’ailleurs failli m’arracher mon arme d’un seul coup à l’entame, m’obligeant à esquiver le second d’un bon de côté.
Mais il avait le gros désavantage d’avoir trois têtes, trois facettes potentiellement contradictoires.
La simple évocation de notre « amour » perdu parvint à faire s’énerver le principal, ce que les deux autres (plus calculateurs) ne pouvaient laisser faire au regard d’une situation qui, par le biais de sa rage, tendait à tourner à mon avantage…
Quand je souffrais moins la colère que la peine de la perte (ce qui me permettait tout du moins de rester lucide : la seule façon d’honorer le serment fait à ma belle).
Alors qu’à contrario, il perdait trop facilement ses moyens (la maladie aidant), se ruant têtes baissées (dans le vide le plus souvent).
Et bien qu’étant visiblement prédominant pour le haut du corps, je sentis bientôt de la raideur dans ses coups : il ne parvenait plus à les lâcher complètement… Ce qui me permettait de parer et qui avait pour effet d’intensifier son ire (qui allait crescendo).
Se faisant, il ne pouvait qu’aller plus avant dans mon sens.
J’aurais eu du mal à tuer l’incube d’un coup, d’un seul, pour la simple et bonne raison que les têtes de ses frères demeuraient légèrement sous-lui, faisant office de couverts involontaires.
En fin de compte, je parvins malgré tout à tuer l’un des trois après plusieurs passes d’armes : le second tomba pratiquement dan la foulée (au profit de la surprise qui suivit la mort du premier)…
Le combat aurait pu se poursuivre, mais le démon préféra s’enfuir pour panser ses blessures (une hémorragie pouvait lui coûter sa dernière tête). Je le laissai faire : je ne pouvais/ ne voulais pas m’éloigner du mausolée de flammes.
J’ai du attendre que le brasier s’arrête au petit matin pour constater que le corps de ma belle avait entièrement disparu.
Je pouvais dès lors me lancer à la poursuite du démon.
Et je me maudi de n’avoir pas inspecté les ruines encore fumantes de l’hospice…
Il y avait peut-être une chance de retrouver le journal intime de ma belle Iris.
Elle m’avait déjà permis de le lire : là n’était pas le problème.
J’aurais du cumuler le maximum de souvenirs d’elle.
Ne me reste d’elle qu’un singulier croquis fait au fusain (et ma mémoire que j’ai tellement peur de perdre).
Je ne pus qu’attester de ce que l’essentiel de la bataille s’était déroulée à même la place du marché.
C’est un Marcus agonisant qui m’indiqua la bonne direction à prendre.
Le corps sans vie de mon sergent demeurait non loin de lui comme l’ensemble de mes compagnons : ils avaient du lutter jusqu’au bout dans une formation en cercle pour faire front à un ennemi visiblement supérieur en nombre à en juger par le nombre d’opposants à terre.
…
J’ai pisté le malin pendant plusieurs jours à travers les hauts plateaux jusque dans les contreforts montagneux, abattant les quelques rares assassins qui lui restait en réserve et qu’il manda dans le vain espoir de mettre un terme à la poursuite.
…
Je l’ai tué : je l’ai amputé de sa dernière tête lorsque je le rattrapai finalement, pratiquement aux cimes et dans sa tanière peut-être même à la faveur de ses membres engourdis par le froid (il était toujours pratiquement nu) bien que j’en doute.
Mais il opposa néanmoins une ultime et farouche résistance.
Et je n’avais pas compris pourquoi il avait choisi les monts comme dernier retranchement au lieu de s’enfuir par le sud (pensant dans un premier temps qu’il craignait simplement de devoir faire face à la puissance de Rome qui s’étendait encore jusque-là).
Je ne suis redescendu que sensiblement plus tard et légèrement groggy (à cause du froid qui m’avait affecté moi aussi) après avoir enduré une tempête de neige.
J’ai eu de la chance de ne pas mourir (si on peut appeler cela de la fortune quand Iris me manque).
Mais j’avais encore la promesse faite à ma dame…
Le démon, y est bel et bien mort (du moins le pensais-je)…
Aux vues de ce que je sais maintenant, ce qui l’a possédé a forcément du survivre au carnage.
Je n’ai rencontré un certain frère inquisiteur que bien plus tard alors que j’errais sans but le long des apennins. Le dit frère devait rallier Rome pour partir en mission.
…
Pour ma part, je ne peux plus compter que sur Pandora comme unique compagnon d’arme : je ne tiens pas à mêler Dana à cette cabale tant que je peux l’éviter.
Qui plus est, Pandora aussi en a souffert à sa manière.
Mais faut-il perpétuer la lutte ou attendre que ce démon meure de lui-même ?
Là est la question.