Les couloirs étaient vaguement éclairés par des flambeaux maintenus aux murs. De toute façon, avec ou sans lumière, ça ne changeait pas grand chose. Shanoa ne savait pas trop comment ni pourquoi, mais elle voyait très bien dans le noir. Elle pensait que c'était naturel et que tout le monde possédait cet attribut, elle n'avait par conséquent jamais posé de questions à ses parents à ce sujet.
Elle traversa donc le long corridor et quitta les appartements princiers. La suite de son parcours se fit sans encombres, si l'on excepte le fait qu'elle avait failli se faire prendre par Agni, une torche à la main, qui faisait sereinement sa traditionnelle ronde de nuit afin de s'assurer que l'ordre régnait. Heureusement qu'elle avait eu le réflexe de se plaquer contre un mur et d'attendre silencieusement qu'il se dirige vers une direction opposée à la sienne...
Après avoir longuement marché, voir galopé à travers tout le palais en direction de la sortie, elle parvint devant de grandes portes opulentes.
Pas celles de l'entrée, malheureusement, mais celles de la chambre de ses parents. Nouveau pincement au coeur. Elle était bien tentée d'entrer ne serait-ce que pour entrevoir une dernière fois leurs doux portraits endormis. Mais il en était bien sûr hors de question, elle était presque dehors, un dernier effort et...

- Le moment est arrivé, Rajan. Elle est assez âgée et mâture maintenant, nous ne pouvons plus nous permettre de continuer à lui mentir de la sorte...
- Nous ne lui mentons pas. Nous la préservons juste d'une réalité qui la meurtrirait et anéantirait son bonheur à jamais...
- Ce n'est pas ce que je souhaite moi non plus ! Mais que veux-tu, nous n'avons pas le choix, tôt ou tard elle finira par l'apprendre d'une manière ou d'une autre, et elle nous en voudra encore plus de ne pas tout lui avoir dit nous-mêmes plus tôt... et, de plus, tu oublis la promesse que tu as faites à notre fille 15 ans plus tôt...
- Je ne l'ai pas oublié. J'estime juste qu'elle est encore trop jeune pour encaisser une telle révélation...

« Mais de quoi ils parlent ces deux barjots ? Quelle révélation ? Qui est trop jeune ? Ils peuvent pas roupiller tranquillement comme tout le monde hein ? Bordel, c'est pas une heure à débattre, là... »

- Elle a quinze ans ! Ce n'est plus une petite fillette fragile et innocente, tu sais !
- Mais elle est encore loin d'être une adulte !

« Bon, là au moins c'est clair comme le cristal... ils parlent de moi. Classieux !... Attends, comment ça je suis pas une adulte ?! »
Elle avait à présent l'oreille scotchée à la porte. Elle fulminait intérieurement. Jamais elle n'avait été aussi attentive à une conversation de sa vie, surtout quand il s'agissait d'un dialogue entre ses parents... et quel bonheur que d'être témoin d'une conversation clandestinement ! Elle retombait en enfance !

- Ça suffit. J'en ai assez de ta couardise, Rajan. Puisque tu ne veux rien lui dire toi-même, j'irais la voir demain en personne, et je lui avouerais tout. Y compris ta lâcheté.
- Je ne suis ni un couard ni un lâche ! Et tu as tout intérêt à t'abstenir de lui dire quoi que ce soit sans ma présence et mon consentement ! C'est ma fille autant que la tienne !
- Alors assume ton rôle de père adoptif ! rugit-elle.

« Père... adoptif...? »

- C'est toi qui a voulu l'adopter, Priya. Tout est de ta faute, c'est à toi d'assumer ton acte maintenant, je n'ai accepté que par amour pour toi. Je savais qu'on finirait par avoir cette conversation tôt ou tard et qu'on serait en désaccord...
- Je t'interdis de rejeter entièrement la faute sur mon dos et d'utiliser tes sentiments pour moi comme excuse ! C'est tout bonnement inacceptable ! Et c'est indigne de l'homme que j'ai épousé...
- "L'homme que tu a épousé" s'est laisser aveugler par ses sentiments et a prit une décision inconsidérée, navré de te le dire. Pense ce qu'il te plaira de moi, ça ne change rien au fait que c'est bel et bien de ta faute si nous en sommes là aujourd'hui, à se disputer sur une enfant qui n'est même pas de notre sang. C'est RIDICULE ! répliqua-t-il.

« Adopter... une enfant qui n'est pas de notre sang... »

Des bruits sourds se faisaient entendre de l'autre côté de la porte, apparemment le roi et la reine faisaient les cent pas dans leur chambre et se défoulaient sur les meubles... impossible de perdre une seule syllabe de leur discussion, surtout avec une ouïe aussi fine que celle de Shanoa.
C'était si perceptible qu'elle avait l'impression d'être à l'intérieur de la pièce, bien qu'il valait mieux éviter pour tout le monde que ce soit le cas...