Note de la fic : :noel: :noel: :noel:

Le Péché selon Jack


Par : SyndroMantic
Genre : Horreur, Nawak
Statut : Abandonnée



Chapitre 2 : L'embarquement


Publié le 31/10/2010 à 17:50:14 par SyndroMantic

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[c]
Le Péché
Selon
:mort: ~ J A C K ~ :mort: [/c]




Ici-bas, nous ne sommes guère habitués aux génies. Le destin nous amène rarement de grands penseurs. Et c'est un fait très exceptionnel pour nous que de rencontrer de vrais talents. Hélas, le péché est un art que peu de mortels peuvent comprendre, malgré l'attrait qu'il a pour eux en général. Certes, il est déjà arrivé que des maîtres en la matière franchissent nos portes, adorables élèves de la débauche, et que le Très-Bas trouvât sérieusement de quoi s'occuper. Virgile... Médicis... Sade... Napoléon... Madoff... Autant de noms qui ont fait le tour des enfers (tout comme certains de leurs porteurs dans des conditions propres à la maison). Autant d'exemples, aussi, de parfaites crapules que nous jouirions beaucoup de voir plus souvent, si le sort nous le permettait. Car en dehors, malheureusement, il ne s'agit presque toujours que de médiocres scélérats, quand de nouvelles âmes arrivent à notre perron. Les uns pas plus intelligents que leurs pieds, les autres pas moins détraqués que leur libido. C'est de ces gens-là, dont j'ai toujours eu l'habitude, depuis l'aube des temps. Et cela tombait bien, le jour où cette histoire commença, parce que Jack était tout sauf quelqu'un de sensé.

Après être parvenu à déchiffrer son nom sur la liste des damnés, celle où il venait d'écrire laborieusement, j'ouvris un tiroir de mon bureau et l'y rangeai avec la plume au-dessus d'autres paperasses. Une fois le compartiment refermé, je le verrouillai à l'aide d'un cadenas puis relevai ma capuche vers le nouveau venu, comptant faire à présent mon célèbre office. Et ce fut alors que j'eus ma première surprise : mon client, à quelques mètres de là, était en train de s'en aller. Les pas traînants, le dos tourné, fidèle à son attitude, il repartait en direction des limbes, dans le brouillard, comme si son affaire était réglée. Je me suis longtemps demandé, des années plus tard, ce que Jack avait pu imaginer ainsi, quelle utilité il avait pu trouver à signer cette liste si rien ne devait selon lui y donner suite. La réponse était bien évidemment qu'il n'avait pensé à rien de tout cela, pauvre esprit vide de volonté. Il y avait juste inscrit son nom parce que c'était ce que je lui avais demandé. Point final, quoique très crétin tout de même. Ainsi, je dus taper du poing sur mon bureau afin qu'il m'entendît et retournât sa tignasse blanche. Je lui fis de nouveau signe de venir et, plus soucieux et plus ronchonnant, il revint à mon attention.

« Qu'est-ce qu'y a ? toussa-t-il d'une voix glaireuse. J'ai fait une faute, c'est ça ?

Je secouai la tête en signe de négation.

- J'étais pas sûr si j'devais mettre un "c" entre le "a" et le...

Je redoublai les secousses de ma tête, un peu pressé. Cela m'indifférait totalement. Il fallut que sous son nez je lui tapasse mon pouce contre mes autres doigts, comme une bec qui claque, pour qu'il le comprît et se tût. Ensuite, je désignai son corps maigrichon de mon index, avant de lui indiquer la direction de ma barque, amarrée derrière moi. Le bonhomme suivit mon regard de ses yeux caverneux.

- Oh, tiens, s'étonna-t-il, j'avais pas vu qu'y avait un truc derrière...

Seconde surprise. Le bord de l'eau était à cinq mètres de nous.

Ses alluvions grimpaient jusque sous mes pieds, foncés comme le ciel, et tapissaient une modeste plage d'une dizaine de mètres de long environ. Quelques rochers gisaient sur le coté, depuis un âge qui avait échappé à ma mémoire, présentant les dernières zones d'ombre qu'on pût encore trouver en ce désert. Léchés par les vagues discrètes, une multitude d'ossements s'accumulait dans le sable gris et humide, des côtes, des crânes, des cubitus et autres joyeusetés qui n'avaient pas apprécié la rencontre du large. Celui-ci était au passage noyé dans la brume, comme tout ce que nos yeux pouvaient chercher alors. La végétation, même à cet endroit, se faisait rare. Il ne poussait en effet pas plus de quinze touffes d'herbe à la ronde, pas plus hautes que mes chevilles (ou que les genoux de Jack, selon sa référence). La pousse d'un arbre étant utopique, j'avais moi-même planté un poteau non loin du rivage pour y accrocher ma barque, le temps de prendre un nouvel équipage. Son unique membre de la journée l'examinait à ce moment d'un regard songeur.

- Qu'est-ce qu'elle fait là, c'te barcasse ? demanda-t-il soudain.

La stupéfaction me frappa. Je ne savais que lui répondre. Avait-il vraiment besoin que je lui apprisse la fonction d'un bateau ? Sa question n'avait pas de sens, comme lui-même tout entier, en fait. Ne pouvant user de l'affirmative ou de la négative pour le satisfaire, je choisis un type de réponse autrement plus pratique. À savoir une autre question. De même nature, dans l'idéal. Je le montrai à son tour du doigt et haussai le menton vers lui par accoup, interrogatif.

- Moi ? Bah... J'sais pas, lâcha-t-il avec mollesse. Ça a commencé quand Ray le Barman m'a réveillé en me l'vant par les ch'veux, pendant qu'j'buvais pépère une chope de bière. Y voulait m'dire qu'y avait qu'qu'un qui voulait m'causer, à l'aut'bout du pub, mais j'ai pas vu qui c'était. D'ailleurs, j'ai pas vu non plus qu'y m'a fait signe, quand j'ai regardé, mais y paraît qu'il l'a quand même fait. 'fin bref, j'me suis ram'né vers ce type. Il était mêm'pas seul, l'enculé. Il avait ses deux macaques à coté d'lui. Ou trois, j'sais plus... Parce qu'en fait, c'était Le Rapace, mais de loin j'l'avais pas r'connu. En mêm'temps, il s'met toujours là où on y voit que dalle, c'bâtard. Mais bon, j'y ai pas dit, il est pas très tolérant. Du coup, j'ai posé mon cul, et c'est là qu'y commence à m'bassiner avec des "dattes", des "embruns", comm'quoi ça f'sait trop longtemps qu'il attendait et qu'j'avais pas l'air d'comprendre comment ça fonctionnait dans l'coin. Faut dire qu'y voulait jamais m'expliquer jusqu'au bout. A chaqu'fois il s'arrêtait en plein dans une phrase, comm'ça, sans rien. 'fin, sans rien... si, p't-être le fait qu'j'rôtais souvent quand il parlait, mais bon, c'pas une raison. Mêm'quand il m'a chopé par le col et qu'y m'a approché d'lui, il a pas réussi à finir c'qu'y disait, avant d'me r'lâcher. Il m'a juste dit que si j'voulais pas qu'y m'arrive un pépin, j'devais lui rendre un service. C'était d'planquer d'la marchandise dans ma baraque. Moi, brav'couillon, j'ai dit oui. Le problème, c'est qu'c'est juste après qu'un d'ses macaques ait pris le train pour faire v'nir la marchandise, que j'me suis souv'nu qu'j'avais plus d'baraque. Le Rapace l'a un peu mal pris.

Oublier être un clochard, je devais avouer qu'on me l'avait rarement faite. Toutefois, son cas ne me surprenait que bien peu, connaissant la réussite qu'était notre alcool chéri.

- Là-d'sus, continua Jack, v'là pas que j'tombe sur un portier paumé sur un nuage, qui m'dit avec des mots bizarres que j'ai pas été sympa durant ma vie, que ça s'fait pas d'arnaquer un magnat du crime, et que j'peux direct aller voir ailleurs si j'y suis. Il est con, c'portier. J'suis là où j'suis, j'le sais très bien, mêm'si j'sais pas où c'est... 'fin bon, j'lui ai quand même demandé s'il avait pas une p'tite piècette pour qu'j'aille m'beurrer la gueule mais, j'sais pas pourquoi, d'un coup, j'me mets à tomber dans l'vide. Je tombe, je tombe, j'vois que dalle parce que partout c'est l'brouillard, et j'dois attendre une bonn'demie heure avant d'm'écraser ici, comm'ça, comme par enchant'ment...

Sans lui laisser le temps de poursuivre, je tapai le creux de ma main du dos de mes doigts, comme stupéfait d'une coïncidence, et, après avoir de nouveau désigné la barque, montrai quelque chose en train de chuter au sol comme par enchantement. C'était que son récit commençait à m'ennuyer, maintenant, et que je m'impatientais de rentrer chez moi, de l'autre coté... D'un geste désabusé du bras, je l'enjoignis à me suivre sur le rivage, vers lequel je m'étais déjà dirigé. Ma perche à la main, je fis quelques pas avant de m'arrêter sur le sable visqueux. Cette fois-là, je ne ressentis absolument aucun étonnement en refaisant face à mon nouveau client, qui n'avait pas eu le temps de faire ne serait-ce qu'un mètre, tout durant. J'hésitai presque à venir lui donner de l'élan. Jack s'aperçut au bout de vingt-cinq secondes de mes bras croisés et de mon pied battant un rythme rapide sur le sol, du fait de mon impatience. Son expression, alors, se tordit légèrement dans une sorte de mou pathétique.

- Quoi ? maugréa-t-il. Vas-y, dis-le, qu'tu m'trouves chiant...

Je hochai la tête en signe d'approbation.

Jack mit, en tout et pour tout, quarante secondes pour me rejoindre. Ma perche avait déjà fait un trou de cinq centimètres dans le sol tellement je m'y étais appuyé, de lassitude. Quand il posa le premier pied dans l'eau, avant la barque, je le retins de mon bras gauche et ramenai en arrière ce petit tricheur. Devant lui, je frottai mon pouce contre mon index et mon majeur, signifiant qu'il manquait un argent à me donner, pour embarquer. Immédiatement, le damné pesta.

- Parce qu'en plus, c'est payant ! s'exclama-t-il, mécontent. Attends, j'sais mêm'pas où tu veux m'emm'ner, avec ton truc. Qu'est-ce que tu veux que j'te file le moindre ticket ?

Je haussai les bras d'un air désolé, quoi que je fusse loin de l'être en mon for intérieur. Ainsi fonctionnait le monde. Et ce n'était pas moi qui m'en plaindrait, s'il était alors de mon coté. Par ailleurs, je n'avais pas la motivation de lui écrire le mot "ENFER" dans le sable, avec mon bâton, afin qu'il sût notre cap. Mon instrument était ancré si profondément dans le sol qu'il resta immobile lorsque je le lâchai. C'était bien comme ça. Le damné n'avait pas le choix, de toute façon. Je ne le lui laissais pas.

- Mouais... bon... avisa-t-il bientôt. Remarque, comm'disait La Mathilde, "tout s'achète, coco, pas qu'le loyer". Allez, annonce. T'en d'mandes combien ?

L'impératif de son discours avait du mal à passer dans mon oreille, mais il commençait à se faire tard et des affaires plus importantes m'appelaient. J'extirpai donc sans faire d'histoire une bourse de mon manteau, et en prélevai une des soixante-dix neuf pièces qu'elle contenait, avant de la montrer à Jack d'une main ferme. Ce dernier mit quelques instants à comprendre ma réponse.

- Une pièce, c'est ça ? déduit-il de mon geste. Euh... Ouais... Attends... hum, tu sais qu'avec une pièce, on peut ach'ter une âme ? J'te jure, c'est vrai. J'l'ai d'jà fait moi. 'fin... c'tait moi l'vendeur et c'tait mon âme, mais bon... N'empêche que j'trouve ça super cher, une pièce. On peut s'ach'ter plein d'trucs, avec. Alors à moins d'me vendre ton âme...

Ce prêcheur s'arrêta, immobile, comme je l'étais depuis "ach'ter une âme". Les mots tardaient à atteindre ma conscience. Il me fallait encore un peu de temps pour les réaliser. Jack avait déjà abandonné l'idée quelques secondes plus tôt. Diable, que cette tentative de marchandage était pitoyable ! C'en était vraiment affligeant pour lui. Taisant tout commentaire, je rangeai ma pièce dans la bourse comme s'il n'avait rien dit, ou que je n'avais rien entendu, et tendis à l'individu ma main vide en attente de sa propre monnaie. La surprise apparut alors sur son visage.

- Hein ? suffoqua-t-il. T'acceptes le marché ? J't'échange ma pièce contre ton âme ?

Mon front atterrit dans la paume de ma main. J'étais consterné. Cependant, il n'était plus question de perdre davantage de temps. Je secouai la tête avec insistance et agitai la main avec empressement. L'idiot parut enfin saisir ma pensée, un peu déçu.

Soudain, sans que je comprisse pourquoi, il dégrafa la ceinture de son pantalon, l'étira d'une main, et y glissa l'autre quelque part où l'intimité faisait défaut.

- J'ai les poches trouées, expliqua-t-il. Le slibard, c'est plus sûr. »

Quelle répugnance, pensai-je.

Le bonhomme sortit de son sous-vêtement une pièce de deux pence, qu'il posa dans ma main avec naturel. Son métal était complètement oxydé, d'une humidité que j'imaginais pour le moins fort peu alléchante. Je pris cette monnaie britannique et la lâchai dans ma besace, avant de faire disparaître celle-ci sous mon manteau. Puis j'ouvris le chemin à mon client d'un geste grave et cérémonieux, la main sur ma perche. Jack passa lentement devant moi, avançant jusqu'au coté de la barque où le niveau de l'eau lui arrivait au nombril. Ce paramètre lui donnait l'air encore plus petit qu'à son apparition dans les ténèbres. J'avais en effet surestimé sa taille, auparavant, et n'avais donc pas prévu la difficulté que représenterait pour lui l'embarquement sur ma gondole. Le malheureux s'accrocha au rebord de ses frêles doigts, après quoi il resta ainsi figé, statique, les sourcils froncés, comme victime d'une absence. Pourtant, il me sembla qu'alors il essayait de monter de toutes ses forces, quand dix secondes plus tard il y renonça, épuisé malgré son immobilité, et lâcha la barque des mains. Ses muscles étaient visiblement trop faibles. Alors, Jack tenta de sauter à l'intérieur, en un coup, tête en avant, mais ne réussit bien sûr qu'à y embarquer ses bras, pendu au rebord par les aisselles. Non pas que j'eusse pris pitié de cette ridicule image, mais je trouvais la comédie un peu longue, à présent. C'est pourquoi j'aidai cette âme en peine d'un coup de pied au derrière qui le fit se rétamer dans la coque encrassée.

J'enjambai le rebord, puis me positionnai à l'avant de ma barque, extrémité que j'avais attachée au poteau. Je connaissais les noeuds par coeur. Celui du jour était en forme de pentacle. Je le défis de mes fines griffes, la perche posée contre mon épaule, et jetai les cordages sur le sable. Ensuite, je me rendis à l'arrière, ignorant un petit "aïe" qu'on émit sous mes pieds, de sorte que je pusse manoeuvrer un demi-tour avec mon long instrument.

Lorsqu'enfin notre direction fut établie, je poussai la barque loin du rivage, et nous glissâmes dans le brouillard insondable de nos aventures prochaines...


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