Cela fait maintenant un mois que je n’ai plus eu aucun contact extérieur. Les seuls trajets que je fais sont maintenant ceux de ma chambre vers la petite salle d’entrainement à laquelle j’avais le seul accès. C’était une salle plus petite que celle habituelle, mais je ne m’en plaignais pas. Les poutres étaient vieilles et pleines de rouille, la poussière était omniprésente, ce qui rendait l’atmosphère difficilement supportable. Et la poudre en suspension n’arrangeait rien. Dorénavant je m’entrainais seul dans cette pièce, sombre et crasseuse. Personne n’était au courant de mes affaires, et ils ne s’en occupaient pas ; au moins j’étais tranquille. Je m’entrainais du matin au soir, parfois sans manger, je dormais parfois sur place, seul avec moi-même en essayant d’entendre les murmures de mes « alter-égo », mais tant que mes bracelets étaient ancrés à mes poignets, rien ne me parvenait.

Couché sur mon matelas de fortune, je repensais à ce qu’il s’était passé lorsque mon sang blanc s’est déchainé ; mais surtout à ce qu’il s’est passé après. Même s’il était entravé, mon démon m’a parlé. Comment le pouvait-il ? Est-ce qu’il arrive à se faufiler entre les entraves ? Mon esprit se torturait, je savais qu’il n’y avait qu’un seul moyen pour les entendre, c’était de les libérer. Mais j’avais déjà rejeté cette éventualité de peur que cela se conclue par une catastrophe. Je ne connaissais qu’une seule personne capable de résoudre ce problème, celui-là même qui a créé mes entraves : Prax. Lui pourra me dire comment communiquer avec ceux qui forment ma personnalité complète sans tuer tout le monde.
Décidé, je me levai, puis me dirigeai vers le bureau de mon père. Ma nouvelle salle était plus éloignée, et je devais traverser les couloirs froids et crasseux de l’aile nord. Même en pleine nuit, j’arrivais à distinguer ou j’allais. Une fois devant la porte en bois noir portant simplement l’inscription « Prax », je soufflai un coup puis frappai doucement. J’entendis un râle de l’autre côté de la porte, puis des bruits de pas. La porte s’ouvrit dans un léger grincement et il apparut.

_Ah c’est toi. Qu’est ce qui t’arrive ? Dit-il encore somnolent.

J’étais décidé. Je voulais des réponses.
_Dis-moi comment je peux communiquer avec mes alter-égo.
Il se réveilla d’un coup, mais me demanda dans un ton de reproche

_Tu ne crois pas que tu as déjà fait assez de dégâts avec eux ? Tu n’es pas prêt pour les contrôler. Et même si tu es mon fils, cela ne te donne pas le droit de faire ce que tu veux. Je veux bien te défendre mais il y a des limites. Tu as tiré sur deux de mes hommes, et ils sont encore en convalescence. Tes tirs dans leurs épaules ne se sont toujours pas refermés ; même si tu t’es défendu contre eux, tes actes mettent en péril toute la fraternité, ils sont, ou plutôt étaient parmi nos meilleurs éléments, et exécutaient nos contrats les plus périlleux.

J’étais abasourdi. Ces mecs m’ont sauté dessus pour se venger, et je n’aurais pas du me défendre ? Je lui répliquai

_A l’heure actuelle, ce sont eux qui sont venus juste après que TU sois parti, pour venger le collègue que TU as tué lors du rassemblement. Ils ont rejeté la faute sur moi, justement à cause d’eux.

J’étouffais mes paroles pour ne pas les lui crier, je ne voulais pas rameuter tout le monde en pleine nuit. Mais j’étais vraiment en colère.

_Ca suffit maintenant. Je n’ai pas de temps à perdre avec ça. Retourne dans ta chambre, va te coucher et réfléchis à tes actes passés. Et si j’apprends que tu as encore retiré tes bracelets, je te tuerai de mes propres mains.

Il referma la porte juste devant moi. J’étais seul dans le couloir dont la seule lumière d’appoint était celle de la lune. Je n’en croyais pas mes oreilles. Mon propre père m’a abandonné et me laisse seul contre tous. Je retournai dans ma salle complètement anéanti. La colère grondait en moi…

Le lendemain matin j’avais vraiment une sale tête. Je n’avais pas pu dormir à cause des paroles de mon père ; il ne me faisait plus confiance.
Lors de mon entrainement du jour, la rage se sentait dans mes tirs, mais également une chose assez particulière : on aurait dit que mes tirs possédaient plus de puissance ; moi qui d’habitude laissait l’impact d’une taille correcte pour le calibre de mes armes, le centre était encore visible même lorsque je faisais mouche plusieurs fois, mais là, J’avais littéralement pulvérisé les deux cercles centraux de ma cible, et le mur la supportant avait été transpercé de part en part. Même si un simple tir de pistolet est puissant, il n’aurait jamais pu percer un mur comme ca. Quelque chose n’allait pas ; je regardai mes bracelets, mais ils étaient toujours la. Cependant je remarquais qu’une des mailles du bracelet blanc était fendue, et une légère vapeur noire s’en échappait. Je levais la manche de ma veste, mes veines prenaient une très légère teinte noire, mais elle était trop peu visible pour que j’y prête attention. Cela me donnait une idée, le sceau étant fragilisé, je pourrais peut être communiquer avec mon alter-égo obscur sans que cela se finisse en bataille ! Je décidais de tenter ma chance. Je m’assis sans bruit, et fermai les yeux. Je sentais que j’approchais de mon but, j’allais retourner dans mon monde intérieur. J’étais arrivé, je reconnaissais ce décor vierge, d’un blanc uni, et d’un coté une petite boule de lumière chaude, et de l’autre un petit brasier noir. Étrangement, le brasier semblait plus conséquent que la lumière. Je m’approchais des flammes noires, et bien qu’un peu inquiet de ce qui allait se passer, je ne perdais pas courage.

_Tiens, tiens, voilà le faible. Disait le foyer des flammes avant de prendre une forme semi-humaine.

_La ferme. Je ne suis pas comme toi. Je ne suis pas un meurtrier. J’étais déterminé dans mes paroles. Plus jamais je ne me laisserai avoir par lui !

_Oh mais c’est qu’il prendrait de l’assurance le petit ! dit-il faussement étonné. Que me vaut le déplaisir de ta visite ici ?

_Parle-moi de toi. Je sais que mon alter-égo blanc m’a dit que toi et lui étiez complémentaires dans mon cas, mais je veux pouvoir cohabiter avec vous sans que cela finisse en carnage total.

_Hahahahaha !!! T’es vraiment drôle petit. Tu veux faire ami-ami avec nous ? C’est trop mignon ! Il riait aux éclats et se moquait de moi pendant un petit moment avant que je le coupe excédé.

_Ca suffit maintenant ! Ce n’est pas drôle ! J’en ai marre que les autres s’occupent de moi à cause de vous ! Et vu que vous êtes des parties distinctes de moi, je dois faire en sorte que vous ne causiez plus de destruction…

_Mais tu as besoin de puissance, sinon tu ne nous garderais pas enfermés comme des animaux, après tout ça ne fait que 16 ans que tu nous enchaines comme des prisonniers. Dit-il. Bizarrement je sentais de la peine dans sa voix, mais j’en doutais. Ce ne devait être que du bluff..

_Non. C’est parce que je deviens incontrôlable par votre faute et je tue mon entourage à cause de cette puissance. Si je ne peux pas vous tuer, alors je dois cohabiter avec vous.

_Ne me fais pas rire gamin. « Cohabiter avec nous » ? Tu veux simplement nous contrôler comme tous les autres. Il me pointa d’un doigt accusateur.
Jamais tu ne t’intéresses à nous, vous nous voyez moi et l’autre, que l’on soit ensemble ou séparés, comme des armes de destruction massive corvéables à souhait. Sa voix était plus grave.

_ « Les autres » ? Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

_Et voilà... Tu ne veux que savoir qui sont les autres…

_Je veux connaitre votre passé à tous les deux. De toute manière je dois le connaitre pour savoir quoi faire. Alors parle-moi !
L’être noir inspira un grand coup, avant de regarder la boule de lumière, de la pointer du doigt ou de ce qui s'en rapprochait, et de lui ordonner

_Réveille-toi un peu ! Il est là.
Je me retournai brusquement. La lumière continuait de briller, mais rien d’autre ne se passait.

_Comment est-ce que tu es venu jusqu’ici ? me demandait l’homme de flammes.

_Ta partie s’est fendue. J’en ai profité et je suis venu.

_Je vois c’est pour ça qu’il ne dit rien. Et que je peux parler librement… Je me disais bien que tu ne pouvais pas être assez fort pour forcer les sceaux. Bon alors je vais devoir m’y coller. Je vais te raconter notre histoire et t’as pas intérêt à poser de question ou j’arrête tout !

Tout a commencé il y a trois mille ans….