Qui ose peindre les roses en rouge ?
Par : Loiseau
Genre : Fantastique, Réaliste
Statut : Terminée
Chapitre 1 : Wonderland
Publié le 12/04/2014 à 00:58:10 par Loiseau
Pourtant voyez (ou imaginez très fort) comment la Reine s’approche d’elle et la toise de haut en bas et de bas en haut en s’attardant sur le milieu. Et comment elle se mordille la lèvre inférieure, se tâchant les dents de rouge à lèvres criard. Elle réfléchit, compte, manigance, calcule et songe au potentiel de la jeune Alice. Un regard dans la salle un peu enfumée du lupanar suffirait à convaincre le plus infâme Fagin qu’il faut éloigner l’enfant de ce lieu de débauche au plus vite. Mais la Reine est au contraire réconfortée lorsqu’elle distingue les yeux luisants de stupre des clients présents. Ils sont des loups affamés et voilà que la Grande Brebis décide de jeter son agnelet entre leurs crocs. Ils la déchireront sans nul doute, mes amis.
-Alice, mon enfant… Quelle est donc cette horreur que tu portes ?
La voix douce et courtoise de la Reine contraste avec son tempérament agressif et sa dégaine oscillant entre le baroque flamboyant, le bohémien coloré et la tavernière médiévale. Lourdes bagues en or, un empilement improbable de colliers et pendentifs aux couleurs criardes, des jupons rouges, un maquillage outrancier et un décolleté qui auraient pu abriter une nichée de perdreaux si les perdreaux avaient eu la mauvaise habitude de loger dans les décolletés trop larges. Quant à « l’horreur » que porte notre pauvre Alice, il s’agit d’une vieille robe trop large pour elle, déchirée au niveau des genoux et des coudes et aux couleurs défraichies. Quelque part cela la rend encore plus séduisante.
-C’est une robe dont vous m’avez fait cadeau, mère.
Quelle humilité dans la voix, quelle délicate soumission. Elle est une sorte de Justine des temps modernes : vertueuse et naïve. Mais comme Justine, il lui en coûtera. Notre monde ne tolère pas la bonté. C’est bien beau d’être bon, mais ça ne nourrit pas son homme. Et voilà que la Reine tire un éventail de son pigeonnant balcon, tente (en vain, je tiens à le préciser) de se rafraîchir le visage et prend un air affligé.
-Mais ma chérie, elle ne te va plus du tout. Monte donc et choisis la robe qui te plaira le plus dans mon armoire rose !
Il faut que vous sachiez que l’armoire rose de la Reine contient ce qui se fait de mieux en matière d’économie de tissu. Un mètre de soie suffit à faire un habit complet, bien que parfaitement indécent ailleurs qu’ici. Mais Alice décoche un large sourire qui rappelle un croissant de lune et grimpe quatre à quatre les marches en remerciant sa « mère ». Je la suis discrètement. Après tout, il faut bien que je vous narre ce qu’il se passe.
Elle pénètre avec un respect religieux dans la chambre de la Reine. La décoration y est lourde, les odeurs de parfum aussi. Un portrait hideux de la propriétaire des lieux pend tristement entre deux tentures pourpres. L’armoire rose est située juste à côté du lit à baldaquin (de très mauvais goût, surtout à notre époque) et Alice s’en approche en frémissant d’excitation. Le plaisir de pouvoir troquer ses presqu’haillons contre une robe neuve (ou si peu usée...) se lit dans ses yeux. Et lorsqu’elle ouvre en grand les deux battants de l’armoire et qu’une odeur de naphtaline vient s’ajouter aux autres, elle laisse même échapper un petit cri de joie. Elle contemple les vêtements pendant un instant puis, comme d’instinct, elle en choisit un d’un beau bleu mésange. Je détourne pudiquement le regard quand elle quitte ses oripeaux pour enfiler sa nouvelle vie. Et qu’elle est belle dedans. Elle a su choisir le seul vêtement de l’armoire qui ne soit pas vulgaire ou uniquement composé de cuir et cette robe, bien que courte, lui sied à la perfection. Elle ressort de la pièce sans me voir, après s’être longuement admirée dans la glace et descend les escaliers à toute allure. Sautillante et heureuse dans cet univers d’ombres et de fumée elle ne voit pas la grande silhouette qui se dresse subitement devant elle et lui rentre dedans. Une main aux doigts puissants la rattrape avant qu’elle ne chute et la remet doucement sur ses pieds. A la lueur tamisée d’une des lampes, on peut voir une croix de mauvais augure sur un brassard rouge orner le bras de la silhouette.
Commentaires
- Loiseau
08/05/2014 Ã 18:45:32
Merci !
Bah, du coup ce sera pour la prochaine fois - Camion2LaGalayr
07/05/2014 Ã 16:01:47
Cela mérite d'être la fic du mois (même si je suis dégoûté d'avoir été nominé et pas choisi )
- Loiseau
13/04/2014 Ã 10:45:06
Wow merci beaucoup. Je pensais pas que ça plairait autant.
- DovahFish
13/04/2014 Ã 05:31:37
je veux la suite :3
- VonDaklage
12/04/2014 Ã 20:46:04
KOM SA ROCKS !
Toujours dans la qualité Nemesis de toute façon Très bonne description et l'ambiance est posée dès le début, c'est cool.
Sinon ouais, pour le narrateur j'ai aussi pensé au Cheshire Cat, ça collerait au texte. - Loiseau
12/04/2014 Ã 12:29:15
Dro > La réponse à cette question arrivera bien vite.
Quant à l'aspect glauque... Merci. - Sheyne
12/04/2014 Ã 12:24:43
Toute façon c'est pas un mal puisque ça colle à merveille au texte !
- Sheyne
12/04/2014 Ã 12:17:22
MMmmmhhhh. Peut être bien. Mais même en voyant les choses comme ça, cela n'enlève rien à la perversité de la chose, puisque le chat a une conscience d'humain.
- Droran
12/04/2014 Ã 11:35:12
Le narrateur est peut-être le chat de chat de cheshire, sheyne /
- Sheyne
12/04/2014 Ã 11:10:07
La narration est très bien faite. Les descriptions arrivent à point au fil du récit. Globalement, j'ai adoré !
Je vois que tu t'es essayé aux interventions du narrateur. C'est plutôt bien réussi je trouve. J'aime enormement les parenthèses qui viennent alléger l'aspect glauque du texte.
Ce que je trouve étrange, en revanche, c'est lorsqu'en plus des parenthèses il est dit qu'il se met à la suivre, puis qu'elle ne le voit pas, il décrit ainsi sa comment elle se change, regarde ses formes dans la glace ect...
Ce n'est pas forcement un mal, mais cela donne un air un peu pervers au texte je trouve, que le narrateur incarne un personnage qui voit tout sans que lui même ne puisse être vu ni influer en quoi que ce soit. Le lecteur s'identifie du coup à un voyeur ( Aux bonnes intentions certes, mais cela installe un certain malaise. Si c'est voulu, c'est du génie. ) - Droran
12/04/2014 Ã 10:42:52
J'aime la narration. En revanche, j'ai peur qu'il arrive du mal à cette pauvre Alice... Va-t-elle s'inventer le pays des merveilles pour échapper à l'horreur, qui elle ne serait que suggérer. Ce serait bien