Note de la fic : Non notée

L__Autobiographie_de_Kaileena


Par : Pseudo supprimé
Genre : Inconnu
Statut : C'est compliqué



Chapitre 3 : Sable Rouge


Publié le 19/08/2013 à 01:15:34 par Pseudo supprimé

[c]Sable Rouge[/c]



Alors que notre barque voguait en direction de l'une de ses plages, mes yeux ne pouvaient se détacher de son impressionnante silhouette. A ne plus savoir si la sensation de mouvement que j'éprouvais émanait des vagues, de ma respiration,... ou de l'essence de cet endroit. La mer faisait balancer notre esquif dans une sorte de danse initiatique, rythmée par les soupirs de l'écume. Nous étions deux chaloupes, à nous rendre là-bas, chacune occupée par deux ou trois zervanistes et quelques marins volontaires. Des outils avaient été chargés dans l'autre barque, mais j'ignorais leur fonction. Le bateau n'avait pas nécessité beaucoup de travaux, durant la traversée. J'en avais suffisamment usé les composants pour le savoir, partout où j'avais crapahuté. Les mats se dressaient encore intactes, loin derrière nous. La lumière du soleil brouillait leur image, devant l'horizon. J'aurais tellement voulu y rester, avec les autres membres de l'équipage...

Mais il fallait que je sois là. J'allais devoir les accompagner dans cette jungle, trop jeune pour oser en juger de l'utilité. Nous étions maintenant tout proches. Je discernais enfin les arbres, avant les premières montagnes. Les timoniers poussaient notre coque au dessus des flots, turquoises par dessus le rebord. Nous dérapâmes sur le sable et les zervanistes marchèrent dans l'eau, leur robe aux mollets. Zohak m'aida à enjamber le rebord de mes petites jambes, juste avant que les marins charpentés aillent tirer l'embarcation jusqu'à un cocotier, pour l'y attacher en cas de marée inattendue. La longue manche du grand prêtre m'enveloppait.

Zohak était un zervaniste avec qui je liai mes premiers contacts, des années avant les créatures de sables. Nos relations remontaient à mon plus jeune âge, quand nous n'avions pas encore embarqué sur le navire. Du plus loin que je me souvienne, il avait toujours veillé sur moi, au milieu de ses rustres confrères. Au cours du voyage, il venait souvent me voir, pendant que je rêvais au clair de lune, sur la proue. Nous parlions de tout, de rien, de nos goûts, de nos idées... J'avais beau être une petite fille curieuse, jamais je n'avais compris pourquoi il s'était conduit de cette manière, avec moi. Il m'avait l'air d'être un zervaniste comme les autres, mais aucun d'eux ne m'avait approchée comme il le fit. Rapidement, un lien amical se tissa entre nous.

Lorsqu'il m'eut garantit que je n'avais rien à craindre de cette île perdue, j'acceptai sans réfléchir de participer à l'exploration. Cela m'aérerait l'esprit, disait-il. Et je lui cédais toute ma confiance. Alors que les marins finalisaient les taches du débarquement, il me vit tournée vers la sombre forêt.

« Désires-tu que l'on aille se promener ? fit-il avec douceur.
Je me tournai vers lui, les lèvres tremblantes.
- J'ai entendu des bruits...
Son sourire faiblit un peu, sous sa barbiche noire. Son crâne chauve se plissa, dans une expression interrogative. Zohak suivit mon regard. Les buissons à l'orée du bois frémirent.
- Ce sont sûrement des... sangliers, ou des gazelles Nous verrons cela bientôt, ou... des félins, je ne sais pas, réfléchit-il. Nous verrons cela bientôt.
- J'ai peur...
Le zervaniste se figea, l'air pensif. Je pus lire de la tristesse dans ses yeux. Il se mit à ma hauteur et me caressa la joue. Je sentis le malaise, dans sa voix.
- Tu n'as pas à avoir peur... murmura-t-il en souriant.
- Ces animaux,... ils sont dangereux ?
Le grand homme me considéra en étirant ses joues, faussement attendri.
- Non... Ce sont des êtres vivants, comme toi et moi... Tu verras, tu vas beaucoup les aimer... »

Sans me laisser le temps de répondre, Zohak se leva et rejoignit ses frères, regroupés plus loin, me laissant seule face à mes craintes. Du regard, je le suppliai de me ramener à bord, mais il ne me prêta aucune attention, et me fit signe de rester où j'étais, me tournant le dos. Je vis les zervanistes parler entre eux, à voix basse. A l'époque, je n'avais aucune idée de ce qu'ils pouvaient se raconter. On aurait dit qu'il prenait des sortes de marquages. Ils regardaient tous dans la même direction, sur le sol, dans un dénivelé. Certains faisaient autour les cent pas, une besace dans la main. De ma position, je ne pus voir ce qui suscitait tant d'intérêt. Je décidai de m'approcher. A peine faisais-je quelques mètres vers le groupe d'adultes, que l'un d'entre eux me remarqua. Zohak se retourna vivement et, plusieurs secondes d'hésitation après, s'exclama comme s'il en fut obligé :

« Kaileena ! Reste là-bas quelques secondes ! Nous devons parler de choses très importantes !
Je stoppai net. Réflexe de jeune bébé. Intimidation de son libre arbitre.

Des choses très importantes... Depuis mes premiers pas, je savais que les zervanistes nourrissaient un projet en secret. Ils s'étaient souvent réunis, dans une cale, à débattre de je-ne-sais-quoi. Chaque soir, ils m'imposaient un couvre feu et m'enfermaient à clé dans ma cellule. J'avais beau coller mon oreille contre les planches de bois, nulle son autre que celui intimiste des flots ne me parvenait. Lorsque je demandais à Zohak ce qu'ils se racontaient, il me répondait que cela ne me regardait pas. Bien sûr, comme une naïve, je le prenais comme argent comptant...

Mais ce jour-là, il n'y avait plus de cellule, plus de porte fermée à clé, plus de cale, et surtout : plus de silence ! Je savais que ces « choses très importantes » étaient sous nos pieds, bien visibles. Ma curiosité s'ajouta à ma peur. Je repris la marche vers les zervanistes. Ce coup-ci, ils semblaient davantage investis dans leurs affaires, assez pour ne pas me voir approcher. Les formes derrière eux se précisaient alors. Elles étaient faites de courbes régulières, des ronds peut-être... Mais quelques uns des mages virent ce que j'étais en train de faire. Jehak fut évidemment le premier à réagir. Sa rigide carrure s'avança précipitamment vers moi, m'empêchant de voir quoi que ce soit de plus.

- Ça suffit, petite ! me gronda-t-il. On t'a dit que ça ne te regardait pas !

Il me prit par le dos du col et me souleva presque, pour m'emmener à l'écart. Derrière, les zervanistes semblaient déconcertés. Jehak me tira vers une souche d'arbre effondrée. La peur, visée sur le terrifiant prêtre, se transforma en colère. Mon front rougit. Il me fit asseoir sur le bois séché et me regarda dans les yeux.

- Écoute moi bien ! Si tu lèves ne serait-ce qu'une seule fois ton postérieur de cet arbre mort, je te jure que tu verras en "détails" ce qu'il y a sous le sable ! Tu m'as compris ? »

Je hochai de la tête, les larmes aux bord des yeux. Jehak me regarda lui aussi un moment, sa mâchoire remuante. Il avait comme toujours une expression partagée entre la haine et la crainte, au fond de ses larges yeux bleus. Tandis qu'il se relevait lentement, écartant ses mèches grasses, il paraissait plongé dans ses réflexions. Comme s'il venait de réaliser ce qu'il venait de faire. J'ai toujours eu du mal à savoir comment interpréter ses regards, lourds de mystère. En dépit de toute son animosité, il me semblait toujours y voir l'étincelle torturée d'une sorte d'amour que je ne connaissais pas. Qu'il se trompait de ressentir à mon égard. Car c'était chaque fois comme s'il voyait une autre, à travers moi. Et ce constat le faisait regretter la méchanceté avec laquelle il m'avait traitée... Le pas hésitant, il fit demi tour et revint auprès de ses camarades, là-bas.

Jehak était, à l'échelle de mes affinités, aux antipodes de Zohak. Je ne savais pour quelle raison il n'avait jamais eu l'air de me porter dans son coeur. Depuis que je le connaissais, il avait toujours été distant, me foudroyant des yeux quand je voulais m'intéresser à lui. Les autres n'avaient jamais rien manifesté à ma vue que de l'agacement, ou de la sympathie dans l'exception de Zohak. Mais lui, pourtant, me voua constamment une injuste rancoeur. Une profonde aversion que même ma tristesse n'avait pu égaler. Le souvenir est encore gravé dans ma mémoire, de la nuit où il avait tenté de me ligoter au mat du bateau, parce que je m'étais accidentellement trouvée dans son bureau. Il avait ensuite subi les foudres de ses collègues...

De retour parmi eux, sur la plage, le bougre fut interpellé par mon ami. Sûrement pour lui passer un savon, à propos sa violence excessive. La situation parut s'envenimer, quand Jehak voulut s'en prendre à lui, échauffé par mon comportement. Ses confrères s'efforcèrent de le maîtriser, tandis que mon ami se dressait courageux face à lui, prêt à se battre pour ma cause. Alors, ses compagnons se tournèrent vers lui, étrangement, puis lui dirent quelque chose au nom du groupe que je ne pus entendre, en raison du faible volume de leur voix. Seulement puis-je discerner, quelques secondes plus tard, les bribes d'une dispute que Jehak raviva, en tendant l'oreille.

« Y en a marre de tes réactions de gamin ! C'est une petite fille ! Bon sang !
- Ta gueule, Zohak ! Tu n'es pas son père !
- Si je l'avais été, cela fera un moment que je t'aurais éjecté hors de ce monde !
- Ça suffit, vous deux ! » s'exclama bruyamment un autre zervaniste.

Le silence revint. L'atmosphère se calmait, bien que les deux rivaux se défiaient encore du regard. Les cachotteries redémarrèrent. Cependant, il était visible que Zohak était mis à part, dans la conversation. Toutes les têtes étaient rivées vers lui et il semblait avoir du mal à se justifier de leurs accusations. Jehak restait en retrait, de peur d'avoir à trop s'énerver. Finalement, Zohak baissa les bras, et donna l'air de capituler.

Quant à moi, je n'en pouvais plus de rester immobile. Cela faisait trop longtemps que je me taisais, et supportais l'attitude d'exclusion de ces maudits prêtres. Je n'en pouvais plus d'être rejetée. J'avais une soudaine envie de grandir. Grandir d'une vingtaine d'années, afin de pouvoir me mesurer à ces lâches adultes. Quelque chose en moi me persuadait que je pouvais leur être supérieure. Que j'avais un potentiel jusque là inexploré. Comme si je pouvais tout détruire d'un simple souffle. Les réduire à l'état de poussière. Malheureusement je n'avais que 6 ans, à l'époque, et me sentais bien impuissante.

Les larmes continuaient de verser sur mes paupières, et s'égouttaient maintenant sur ma robe rouge. Je n'aimais pas cette couleur. Elle donnait une impression de violence. D'agressivité. Comme la peau de Jehak lorsqu'il se mettait en colère. Comme la douleur que j'éprouvais en me scarifiant. Comme le sang qui coulait de mon coeur, lorsque je le transperçais de rage avec ma plume. Tout cela me ramenait à une sensation de haine enfouie. Pourtant, selon Zohak, ces blessures qui m'étaient seulement douloureuses lorsque je me les infligeais, pouvaient être mortelles chez la plupart des humains.

Peut-être aussi n'aimais-je pas cette couleur parce qu'elle m'avait été imposée par les zervanistes. Sur le bateau, n'ayant pas d'habit pour jeune fille, ils avaient découpé une de leur toge inutilisée pour la mettre à ma taille. Ce qu'ils appelaient un vêtement ne m'allait en vérité pas du tout.

Je sanglotais, abandonnée sur cette sinistre souche. J'en avais du mal à percevoir les lointaines silhouettes des adultes. Un rideau liquide coulait sur mes yeux. Autour de moi, les formes se confondirent. Tout n'était que brume. C'est alors que je baissai les yeux. Je fus soudain prise de véritables vertiges : les sables de la plage se mouvaient autour de mes pieds. Le sol ondulait en formes circulaires, continuellement perturbées. Des reflets de lumière apparaissaient, à certains endroits. Comme si des vagues minuscules s'échouaient à partir de mes talons, vers l'extérieur. Le sable semblait influencé par ma présence. J'étais hallucinée.

Des formes se dessinèrent alors, devant moi. Sur la toile ocre, je vis le tableau d'un monstre poursuivant un homme. C'était une créature immonde. Noire. Hérissée de piques. Avec des cornes. Des tentacules palpitants sortaient de son ventre. Ses yeux brillaient d'une lueur pale comme deux étoiles. Prisonniers du néant. J'entendis alors des voix. Leur intonation était effroyablement grave. Ces voix me parlaient, mais dans un langage totalement incompréhensible. Leur détenteur n'était pas humain. Pas divin non plus.

Zohak revenait vers moi. Je levai la tête, sans m'apercevoir que tout mon corps l'était déjà, pris de panique devant cette vision. Le prêtre remarqua mon expression de terreur. Il tenta d'adapter la sienne et me prit par les mains. Les images dans le sable avaient disparu.

« Détends toi, ma chérie... me dit-il. Jehak ne voulait pas te faire du mal. Il est juste un peu nerveux. Ne lui en veux pas... Maintenant viens avec moi. Il faut les laisser entre adultes...
- Zohak ! hurlai-je, de nouveaux sanglots dans la gorge. C'est hanté ! Cette île est hantée !
- Quoi ? Mais... Qu'est-ce que tu racontes !
- Laisse moi partir ! criai-je de plus belle.
- Non, tu restes ici ! Tu vas me dire ce qu'il t'arrive !
Je me débattit avec fureur. Zohak me prit par la taille et me bloqua les bras. Je continuais de hurler.
- Il veut me tuer !
- Qui ! Jehak ?
- La bêêête !

Alors que je me débattais dans tous les sens, le coeur battant la chamade, Zohak se figea. Ma peur semblait lui aussi le gagner. J'avais toujours eu ce pouvoir, sans comprendre pourquoi, d'intimider les gens par mes paroles. Rien de ce que je pouvais dire n'était anodin. Pourtant, ce jour-là fut le premier où Zohak osa me contredire.

- Il n'y a aucun danger à l'intérieur de cette île, tonna-t-il encore plus fort, tu m'entends ! Alors tu te tais, maintenant !

Je me tus. Zohak paraissait hors de lui. C'était la première fois, depuis l'accident de Jehak sur le bateau. Ses tempes étaient rouges. Ses yeux étaient luisants, presque au bord des larmes. A cet instant je compris que lui aussi était à bout de nerfs, depuis un certain temps déjà. Je n'étais, finalement, peut-être pas seule, dans mon malheur. Cette constatation me réconforta. Je me calmai, dans ses bras puissants.

Après quelques secondes, Zohak me serra fortement dans ses bras. Au contact de sa poitrine, je sentais son coeur battre à toute allure. Il ne m'avait jamais tenue avec autant d'affection. Son visage était grave. Lentement, il se tourna vers ses frères, alertés par mes précédents hurlements. Ils étaient tous immobiles, impassibles. Zohak les foudroya du regard. Il me semble que Jehak sourit, à cet instant. Puis le prêtre me fit, d'un air monocorde :

- Viens... Nous allons nous promener dans les bois... Ça nous détendra... »


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