Note de la fic :
Publié le 22/05/2009 à 09:21:57 par Roi_des_aulnes
Il attendait le début de son histoire. Le moment où le film commencerait, où le fantôme deviendrait le héros.
Elle a du arriver à cette période, elle aussi. Une fille comme les autres. Dans la foule des visages, dans les marées des couloirs, dans ce lycée où vivait et mourait des milliers d'enfances. Elle s'asseyait, avec ses quelques amies, dans un coin, et parlait, se taisait, souriait, regardait le béton blanc et gris, la neige le soleil la pluie. Ne bougeait pas, attendait que les gens, ou les sens, viennent à elle, pendant des années, comme ça. Comme on peut être seul, quand on attend...
C'est Nathan, un jour, qui me l'a montré. Au printemps de notre année de terminale. Je ne pensais pas qu'il tomberait amoureux, un jour. Dans la vie des héros, les princesses n'apparaissent qu'une fois le film commencé. Qu'une fois que le monde nous a sauvé du destin banal et horrible qui nous attend.
Il a souri, gourmand.
Tout les jeudis, il me raconta, comme toujours. Comme pour le piano, les poèmes et les étoiles. L'histoire d'amour qui le liait à cette fille, qui attendait. Il me racontait ses ruses, ses aventures, et, comme toujours, ses récits prenaient formes, magnifiques, héroïques, clichés mais plein de rêves. Moi, comme toujours, je ne disais rien. Je restait là, à regarder la foule, et je me sentais vivant. J'oubliais ma vie, mes pensées, mon quotidien, je sortait de mon rêve pour rejoindre le sien. Je jouais un jeu dangereux, frôlait la zone entre les deux mondes, entre les deux regards, tournant comme une lune autour de sa planète, slalomant, toujours plus rapide.
Nathan m'avait changé. Malgré lui, il m'avait amené dans son orbite. Chaque jour, au lycée, quand je le saluait, je regardait les autres, et je pensais ? Vous ne le voyez pas. Il faut le rencontrer, lui parler, pour le voir apparaître. Mais les fantômes ont des dons. Lui, c'est un génie. Il décante le temps, les secondes et les minutes, les heures de cours interminables, et toute cette vie pleine d'absurde. Il en fait des histoires. Il en fait des rêves. Il transforme le monde en un autre monde, celui qui se cache derrière les écrans, derrière les livres, dans toute ces morales sur l'amitié, l'amour, Dieu, et le rien. Ce n'est pas l'alcool, la drogue, le bonheur. J'ai trouvé l'Alchimiste. Qui fait de la vie une histoire.
C'était comme ça. Tout les jours, je répétais ce texte, comme un enfant un poème. Et j'essayais de trouver la vie moins longue. De moins m'occuper. Et je rêvais, maintenant, que le monde, en cherchant Nathan, vienne me trouver, aussi.
Et puis, un jour, il est allé lui parler. Directement. Son sourire naïf, ses grands yeux et une rose comme seule arme. Elle attendait quelque chose, et c'est lui qui y est allé.
-Qu'est-ce qu'elle a dit?
La magie a de nouveau fonctionné, le jeudi suivant. Je ne me sentais pas encore tout à fait vivant ce jour-là. Mais ça s'approchait. Lentement. Elle avait dit qu'elle réfléchissait. Que peut-être il était ce qu'elle attendait. Mais peut-être qu'il n'était qu'un mirage. Et tout ses mots avaient tant de sens pour moi... Résonnaient dans ma tête pendant des heures.
Deux jours plus tard, la fille attendait toujours, au milieu de ses amis. Nathan n'était pas là. Je suis allé la voir. Mais elle ne voyait pas de quoi je voulais parler. Elle ne l'attendait pas, elle lui avait opposé un non définitif. Sans suite possible. Une histoire tranché en son milieu.
Je suis retourné voir Nathan, ce jeudi-là. Je n'était pas en colère. Je comprenais, même. Et sa folie, ses mensonges, ses trahisons, n'étaient qu'un continent de plus à son monde. Un visage plus triste, moins coloré, peut-être. Mais avec un début, une fin, un héros et des compagnons de route. Ca n'avait rien à voir avec la terre, et avec mon ciel. Ca restait l'autre monde, celui qui avait un sens.
Il a souri.
-Alors tu as fini par comprendre... Ca devait arriver.
-Qu'est-ce que tu va faire, alors?
-Je vais aller lui parler. C'est un peu comme... Comme si je laissait une dernière chance à Dieu.
Il a regardé ses pieds. Ses mains se replièrent sur sa poitrine, comme chez un petit enfant.
-J'ai peur, tu sais. Et si il ne venait pas nous chercher? Si on... Si je finit par rendre les armes?
Je l'ai rassuré. L'ai conforté. Et le lendemain, il retourna voir celle qui attendait. Et le lendemain, encore. Tout les jours. Et moi, qui jonglait avec les groupes, les amis, les discussions, il me semblait le perdre dans la brume et dans la foule. Je me retournais parfois, le cherchais du regard, au milieu de ces millions de visages, et il m'apparaissait à chaque fois plus flou, plus aérien, plus disparu. Il se dissipait.
C'était la dernière semaine de lycée. Le rêve touchait à sa fin. Tout avait déjà été joué, tout avait été dit, tout avait été pensé. Désormais, il ne nous restait qu'a tomber, à se laisser porter dans le courant, et à attendre la mort.
Nathan s'assit à mes cotés. Pour la dernière fois. Et il avait réussi. Le monde était venu le chercher. Lentement, avec un sourire gourmand, il me raconta les disputes, d'abord. Puis les larmes. L'amitié éphémère. Et le baiser final. Je souriait, mais j'étais un peu triste, sans doute: Bientôt, je devrais rejoindre mon monde. Et peut-être devenir Alchimiste, moi aussi.
Deux semaines après, j'appris la nouvelle par la bouche de notre professeur de musique: Nathan avait été retrouvé dans sa chambre, après que sa petite amie soit partie. Il avait avalé deux boites de somnifère.
Ils ne s'étaient pas disputés. N'avaient pas rompus. Non. Il avait compris que le monde ne l'avait pas sauvé. C'était une illusion. Personne, même un fantôme, ne peut créer la Pierre Philosophale.
Les autres ne l'ont pas pleuré, et je n'ai rien dit. Car tout cela avait encore du sens. Il restait une histoire. Et quand je suis allé à la fête de fin d'année, imbibé d'alcool et d'amis, j'ai vu la jeune fille qui attendait, les larmes aux yeux. Celle qui avait failli sauver Nathan. Je suis allé la voir, allé la consoler. On ne pleure pas un fantôme. Je l'ai pris par la main et, dans la nuit rouge de juillet, dans l'apothéose de ma vie, j'ai cru apercevoir "le" Sens.
Elle est morte, il y a dix ans de cela. Elle a attendue toute sa vie, avec sa douce patience de femme. Moi, j'ai bu, beaucoup. Et j'ai regardé le temps passer. J'ai oublié l'Alchimiste, et toutes ses histoires.
Je me souviens, maintenant. Pourquoi j'ai écrit ce texte. Pour trouver un sens, à tout ça, au crépuscule de ma vie sans histoires, pour voir ce qu'il y a après les après. Mais je n'aurais pas de conclusion. Pas de fin.
Tout ce que j'espère, c'est que le monde viendra me chercher, un jour ou l'autre.
[3/3]
Elle a du arriver à cette période, elle aussi. Une fille comme les autres. Dans la foule des visages, dans les marées des couloirs, dans ce lycée où vivait et mourait des milliers d'enfances. Elle s'asseyait, avec ses quelques amies, dans un coin, et parlait, se taisait, souriait, regardait le béton blanc et gris, la neige le soleil la pluie. Ne bougeait pas, attendait que les gens, ou les sens, viennent à elle, pendant des années, comme ça. Comme on peut être seul, quand on attend...
C'est Nathan, un jour, qui me l'a montré. Au printemps de notre année de terminale. Je ne pensais pas qu'il tomberait amoureux, un jour. Dans la vie des héros, les princesses n'apparaissent qu'une fois le film commencé. Qu'une fois que le monde nous a sauvé du destin banal et horrible qui nous attend.
Il a souri, gourmand.
Tout les jeudis, il me raconta, comme toujours. Comme pour le piano, les poèmes et les étoiles. L'histoire d'amour qui le liait à cette fille, qui attendait. Il me racontait ses ruses, ses aventures, et, comme toujours, ses récits prenaient formes, magnifiques, héroïques, clichés mais plein de rêves. Moi, comme toujours, je ne disais rien. Je restait là, à regarder la foule, et je me sentais vivant. J'oubliais ma vie, mes pensées, mon quotidien, je sortait de mon rêve pour rejoindre le sien. Je jouais un jeu dangereux, frôlait la zone entre les deux mondes, entre les deux regards, tournant comme une lune autour de sa planète, slalomant, toujours plus rapide.
Nathan m'avait changé. Malgré lui, il m'avait amené dans son orbite. Chaque jour, au lycée, quand je le saluait, je regardait les autres, et je pensais ? Vous ne le voyez pas. Il faut le rencontrer, lui parler, pour le voir apparaître. Mais les fantômes ont des dons. Lui, c'est un génie. Il décante le temps, les secondes et les minutes, les heures de cours interminables, et toute cette vie pleine d'absurde. Il en fait des histoires. Il en fait des rêves. Il transforme le monde en un autre monde, celui qui se cache derrière les écrans, derrière les livres, dans toute ces morales sur l'amitié, l'amour, Dieu, et le rien. Ce n'est pas l'alcool, la drogue, le bonheur. J'ai trouvé l'Alchimiste. Qui fait de la vie une histoire.
C'était comme ça. Tout les jours, je répétais ce texte, comme un enfant un poème. Et j'essayais de trouver la vie moins longue. De moins m'occuper. Et je rêvais, maintenant, que le monde, en cherchant Nathan, vienne me trouver, aussi.
Et puis, un jour, il est allé lui parler. Directement. Son sourire naïf, ses grands yeux et une rose comme seule arme. Elle attendait quelque chose, et c'est lui qui y est allé.
-Qu'est-ce qu'elle a dit?
La magie a de nouveau fonctionné, le jeudi suivant. Je ne me sentais pas encore tout à fait vivant ce jour-là. Mais ça s'approchait. Lentement. Elle avait dit qu'elle réfléchissait. Que peut-être il était ce qu'elle attendait. Mais peut-être qu'il n'était qu'un mirage. Et tout ses mots avaient tant de sens pour moi... Résonnaient dans ma tête pendant des heures.
Deux jours plus tard, la fille attendait toujours, au milieu de ses amis. Nathan n'était pas là. Je suis allé la voir. Mais elle ne voyait pas de quoi je voulais parler. Elle ne l'attendait pas, elle lui avait opposé un non définitif. Sans suite possible. Une histoire tranché en son milieu.
Je suis retourné voir Nathan, ce jeudi-là. Je n'était pas en colère. Je comprenais, même. Et sa folie, ses mensonges, ses trahisons, n'étaient qu'un continent de plus à son monde. Un visage plus triste, moins coloré, peut-être. Mais avec un début, une fin, un héros et des compagnons de route. Ca n'avait rien à voir avec la terre, et avec mon ciel. Ca restait l'autre monde, celui qui avait un sens.
Il a souri.
-Alors tu as fini par comprendre... Ca devait arriver.
-Qu'est-ce que tu va faire, alors?
-Je vais aller lui parler. C'est un peu comme... Comme si je laissait une dernière chance à Dieu.
Il a regardé ses pieds. Ses mains se replièrent sur sa poitrine, comme chez un petit enfant.
-J'ai peur, tu sais. Et si il ne venait pas nous chercher? Si on... Si je finit par rendre les armes?
Je l'ai rassuré. L'ai conforté. Et le lendemain, il retourna voir celle qui attendait. Et le lendemain, encore. Tout les jours. Et moi, qui jonglait avec les groupes, les amis, les discussions, il me semblait le perdre dans la brume et dans la foule. Je me retournais parfois, le cherchais du regard, au milieu de ces millions de visages, et il m'apparaissait à chaque fois plus flou, plus aérien, plus disparu. Il se dissipait.
C'était la dernière semaine de lycée. Le rêve touchait à sa fin. Tout avait déjà été joué, tout avait été dit, tout avait été pensé. Désormais, il ne nous restait qu'a tomber, à se laisser porter dans le courant, et à attendre la mort.
Nathan s'assit à mes cotés. Pour la dernière fois. Et il avait réussi. Le monde était venu le chercher. Lentement, avec un sourire gourmand, il me raconta les disputes, d'abord. Puis les larmes. L'amitié éphémère. Et le baiser final. Je souriait, mais j'étais un peu triste, sans doute: Bientôt, je devrais rejoindre mon monde. Et peut-être devenir Alchimiste, moi aussi.
Deux semaines après, j'appris la nouvelle par la bouche de notre professeur de musique: Nathan avait été retrouvé dans sa chambre, après que sa petite amie soit partie. Il avait avalé deux boites de somnifère.
Ils ne s'étaient pas disputés. N'avaient pas rompus. Non. Il avait compris que le monde ne l'avait pas sauvé. C'était une illusion. Personne, même un fantôme, ne peut créer la Pierre Philosophale.
Les autres ne l'ont pas pleuré, et je n'ai rien dit. Car tout cela avait encore du sens. Il restait une histoire. Et quand je suis allé à la fête de fin d'année, imbibé d'alcool et d'amis, j'ai vu la jeune fille qui attendait, les larmes aux yeux. Celle qui avait failli sauver Nathan. Je suis allé la voir, allé la consoler. On ne pleure pas un fantôme. Je l'ai pris par la main et, dans la nuit rouge de juillet, dans l'apothéose de ma vie, j'ai cru apercevoir "le" Sens.
Elle est morte, il y a dix ans de cela. Elle a attendue toute sa vie, avec sa douce patience de femme. Moi, j'ai bu, beaucoup. Et j'ai regardé le temps passer. J'ai oublié l'Alchimiste, et toutes ses histoires.
Je me souviens, maintenant. Pourquoi j'ai écrit ce texte. Pour trouver un sens, à tout ça, au crépuscule de ma vie sans histoires, pour voir ce qu'il y a après les après. Mais je n'aurais pas de conclusion. Pas de fin.
Tout ce que j'espère, c'est que le monde viendra me chercher, un jour ou l'autre.
[3/3]
Commentaires
- VonDaklage
03/11/2012 à 20:44:47
J'ai beaucoup aimé ce texte, vraiment, c'était cool et plaisant a lire en plus d'etre bien écrit. Un petit 4 comme note
- Droran
22/05/2009 à 11:49:19
J'ai aimé, mais je ne sais pas quoi écrire dans ce commentaire
- Lucille
22/05/2009 à 09:31:31
C'est...
Au début de la troisième partie j'ai cru qu'en fait l'Alchimiste n'existait pas, vu que le narrateur lui-même l'appelait "fantôme".
Et bah en fait non. Mais lire ta nouvelle ça fait vraiment du bien