Note de la fic : Non notée
Kaileena,_l__Imperatrice_du_Temps_[V2]_
Par : Pseudo supprimé
Genre : Inconnu
Statut : C'est compliqué
Chapitre 24 : Le Palais des Zervanistes
Publié le 19/08/2013 à 01:13:49 par Pseudo supprimé
[c]Le Palais des Zervanistes[/c]
Zohak dormait encore. L'aube approchait imperceptiblement. Dans deux heures et cinquante sept minutes. C'était bien peu, quoi que mon expérience de la veille m'eût exténuée et que cet horaire aussi court fût-il n'aurait pas été un luxe compte tenu de ma fatigue. Le sommeil était encore à cet âge quelque chose d'important pour mon épanouissement. Pourtant, je teins à me relever, sur mes draps. Je rattraperais ce sommeil plus tard, me disais-je. Mes journées n'étaient pas tant occupées. C'était là ce que mon quotidien m'avait inspiré, car je pensais le côtoyer encore longtemps. Et je jugeais mon dernier rêve suffisamment inhabituel pour lui sacrifier quelques minutes d'éveil supplémentaires, malgré l'appel du repos. Si j'avais pu savoir ce que me réservait encore l'avenir...
Sur la pointe des pieds, je me déplaçai sans un bruit vers la cabane. La nuit semblait figée. Et je crus sentir son refus de bouger lorsque je tirai la porte de bois dans un grincement. Mais j'étais encore bien fine et pus rapidement me glisser dans l'entrebâillement obscur. A tâtons, je me rendis dans ma chambre par des gestes que je connaissais par coeur : enjamber la petite racine dans l'antre, éviter les amas de paperasses sur le parquet, contourner le lit de Zohak, longer l'armoire, pousser le battant de la porte... Je pénétrai dans ma chambre, et c'était comme si je ne l'avais plus vue depuis des millénaires. Les choses étaient pourtant pareillement rangées. J'avais encore mes repères, lointains mais assurés. Mon dessin n'avait pas changé de place. Sa couleur s'était un peu brunie. Je le pris sur mes mains et le roulai avec précaution entre mes doigts. A l'affût, je résolus que la pièce était trop sombre. Il était encore tard. C'est ce que disent toujours les humains, dès lors qu'ils sont entrés dans les ténèbres : ils ne songent jamais que la lumière est déjà en route. Heureusement, cette nuit était nuit de pleine lune. L'extérieur était encore clair. Une fois que j'eus prit mon pinceau, ma plume et mes teintures, je sortis du cabanon et m'éloignai du campement.
A partir de quelques pas, je réalisai l'acte que j'étais en train de commettre : ce que l'on appelait le mur. J'étais là où jamais mon tuteur n'aurait voulu que j'allasse, dans la forêt, au creux de la nuit. Autrefois, je pensais que c'était son veto qui me dissuadait de le faire. Mais après notre dernière conversation, je compris que la Seule autorité suprême qui m'eût jamais ordonné en mon fort intérieur, comme dans celui de tous les humains... c'était le danger. Or donc, que pouvait bien craindre la progéniture d'un Dieu du Temps ? Je me sentais toute puissante, bien que je ne connusse même pas la vraie nature de mes pouvoirs. Les idées les plus folles m'avaient traversé l'esprit, cette nuit-là, dont bien sûr celle d'être immortelle. Mais invulnérable ? Cela était encore à dire. Mais je n'aimais pas parler.
Ma promenade nocturne fut très douce. Les pâles rayons que filtraient les feuillages d'encre possédaient une féerie que même le soleil ne savait me transmettre. Valsant entre les piliers végétaux, je me laissai bercer par cette agréable rêverie éveillée. Ô Silence, combien ton écoute est cent fois plus musicale que le tumulte de la vie... Si le sommeil restaurait la santé du corps, il fallait bien qu'une telle volupté restaure celle de mon morale. Pourquoi mon protecteur n'avait-il jamais guéri ainsi mes tourments adolescents ? Voyons... sa simple présence m'aurait terrifié, en de telles conditions. Tout cette paisible jouissance aurait basculé en cauchemar, si j'avais seulement imaginé qu'il pût m'avoir suivie, caché dans les broussailles.
Si ce fut le cas, je ne pouvais le distinguer de toute manière. L'obscurité était encore trop forte. Il me fallut plisser les yeux pour discerner les détails de mon dessin. Par deux traumatismes confondus - l'un de mon aquaphobie, l'autre de ma vision - je remarquai néanmoins les deux pupilles turquoises de mon prince. Car c'en était bien un. Je l'avais d'abord senti depuis que j'en rêvais quelques mois plus tôt, jugeant d'après son regard alourdi par la responsabilité. Ensuite, la représentation plus précise que m'offrit la respiration des sables appuya ce pressentiment de par ses riches rubans pourprés et son attitude emplie d'honneur. Et enfin, mon rêve d'il y avait quelques minutes me l'avait confirmé, présentant l'humain dans son habit cérémonial, à coté de son père monarque. Les deux individus se disputaient dans la salle des trésors, inondée de joyaux divers. Tout n'était là-bas que dorures et diamants, tel une caverne fabuleuse. Mais des tremblements apparurent, interrompant les agressions des deux mâles. Une vapeur noire émana du plafond. A cette vue le dauphin prit peur et, avant même que son roi n'eût prononcé la moindre exclamation, détala vers la sortie. Ce fut alors que des tentacules noires jaillirent des murs...
L'orée du bois n'était pas loin. Je débouchai bientôt sur une prairie faite de hautes herbes, où aucun arbre ne masquait la clarté de la lune. Je marchai dans cet espace, cherchant un point auquel m'installer et un support sur lequel dessiner. Il y avait un tas de rocailles non loin de là. J'allai m'y assoir et démarrer mes ajouts. Inspirée par l'extrême quiétude de ma solitude, je traçai un somptueux palais en arrière fond de ma scène d'affrontement, entre le prince et le monstre. Des tours blanches, des charnières ornées, de vastes balcons fleuries,... J'imaginais avec bonheur quelle pouvait être l'habitation d'un tel Homme. Et je n'osais même pas me figurer ce qu'auraient été ses majestueux appartements, dans lesquelles j'aurais apprécié le retrouver. Je voyais bien sa demeure au dessus d'une vallée, d'un lac, même, qu'elle abreuvait par des fontaines murales, jaillissant de milles cascades argentées. Le château s'élevait vers le ciel grâce à un nombre considérable d'étages et de terrasses. Je le fis si grand que sa moitié était cachée derrière la bête de ténèbres. En frottant le papier avec une craie minérale, je blanchis ces immenses façades. Une fois mon oeuvre terminée, je la portai à bout de bras pour l'estimer dans son ensemble. J'étais presque satisfaite (un comble pour un être d'éternité), mais il manquait toutefois à ce tableau une certaine dignité, alors tachée par l'expression apeurée de mon héros. Avec le fusain que je m'étais confectionnée, j'épaissis ses deux sourcils pour lui attribuer un regard plus sévère, mi-colère, mi-crainte.
Enfin, j'avais rempli chaque coin de mon support. Je n'avais plus qu'à poser mes outils et le contempler. Et puis quoi d'autre ? Oh non, je n'allais pas le jeter, il comptait beaucoup trop pour moi. Je pouvais éventuellement l'accrocher, mais où ? Il ne tenait pas debout, et Zohak ne me permettrait pas de toucher à ses clous pour le fixer à un mur. J'aurais bien entendu aimé voyager dans ce décor fabuleux, aussi. Mon humeur était aux idéaux. Mais en dépit de mon incroyable potentiel, il n'y avait aucun lien faisable entre cette création personnelle et l'écoulement du temps dont j'avais le contrôle. D'ailleurs, la création est par elle-même un certain écart vis-à-vis de l'Histoire, de la Chronologie, ou de quelque autre logique de cause et conséquence. Non, la seule chose qu'il me restait à faire était de le ramener dans ma chambre et le ranger sous le meuble. Le seul palais qui eût réellement existé, et qui existait peut-être encore à ce jour, c'était celui de mon ami, le temple des zervanistes. Je n'en avais jamais connu d'autre. Mais je ne perdais rien pour attendre.
Je roulai le parchemin dans ma paume droite et le serrai dans ma ceinture. Soudain, je sentis le vent se lever. Le phénomène fut si rapide que je le captai instantanément. De frêles bourrasques caressèrent mes joues, et levèrent ma chevelure. L'herbe environnante se coucha, en même temps que le feuillage des arbres crépitait. Intriguée par ce brusque changement météorologique, je contemplais la forêt se profiler au souffle de la tempête. Cela se produisait quelques fois, deux par mois en moyenne, lorsque la lune appelait une montée des marées. En tendant un peu plus l'oreille, j'entendis rugir les flots sur la plage assiégée. Il faisait bon, pour ma part, de s'y tenir à distance, à l'abri des remparts végétaux qui dans le pire cas d'une inondation constituaient un perchoir. J'avais toujours le syndrome de notre débarquement sur l'île, bien que jamais plus nous n'essuyâmes d'aussi terribles précipitations par la suite. Ainsi, malgré notre sécurité statistique, la levée du vent et la montée des eaux étaient toujours pour moi un mauvais présage. Et cette nuit-là plus que les autres, de même qu'avec ma récente expérience, notre conversation nocturne entre moi et mon hôte, et mon rêve davantage précisé... je sentais que quelque chose de surnaturel était sur le point de se produire.
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Un bruit vint alors se superposer à celui des vagues déchaînées. Un bruit qui se rapprochait. Une nouvelle sorte de tempête. Plus libre que l'océan. Plus implacable que la mort. Aussi insaisissable que le Temps. Mille troncs barrant sa route étaient aussi illusoires que cinq doigts dans le creux de ma paume. Ils sifflaient dans leurs barreaux tel un serpent railleur. Eux aussi fuyaient. Et leur traquenard forestier ne les retiendrait pas, immunisés par ma divinité. Depuis huit ans, ils m'avaient observée. Ils avaient patiemment attendu mon heure. Celle de mon réveil. Celle de ma nuit blanche. Celle où la jeune fille piégée se délivrerait de ses chaînes, dès la seconde où elle établirait le premier contact. Dès linstant où j'avais franchi la limite, de l'autre coté du miroir, mon évasion était devenue la leur. J'étais reliée à eux, de la même manière que j'étais reliée à mon géniteur. Autrefois, ils m'avaient invisiblement accompagnée sur les littoraux où la peur et l'inquiétude m'avaient scellée. Mais maintenant que je les avais acceptés, que je les avais imprégnés dans mon âme et dans mes veines, maintenant que nous avions pour la première fois communié... Les Sables étaient de retour, destinés à me retrouver. Moi, leur Maîtresse. Eux, mon Essence.
De nouvelles bourrasques écartèrent puissamment les cimes des arbres entourant la clairière. Des jets de lumière firent irruption dans ma direction. Les cheveux en bataille, je manquai de décoler sous la force du vent. Les sables plongèrent vers moi dans des nuées flamboyantes. Mon coeur ne fit qu'un bond. Avant que le voile ocre ne me submerge, je détalai dans la direction opposée. Je désertai la clairière à toute vitesse. Les volutes de sables perdirent leur élan. Je disparus à nouveau dans la jungle, tandis que d'autres bourrasques les propulsaient à ma poursuite. Entre les palmiers, j'entendis me rattraper leur rugissement. Je pris mes jambes à mon cou et redoublai mon allure. Peu à peu, mes foulées s'affaiblirent. J'étais très essoufflée. Mais je continuais de fuir, titubante entre les racines et les buissons. Derrière moi, le souffle impétueux perdait de sa force, si bien que je le distançais toujours.
Après cette folle cavale, je débouchai sur des sentiers montagneux, au pied des reliefs de l'île. Je n'étais jamais allée si loin depuis la fois où nous nous étions réfugiés dans une grotte en amont. A nouveau, je craignis de ne pas pouvoir rentrer à temps pour que Zohak n'eût jamais connaissance de ma fugue. Je craignais pour mon futur, pauvre sotte ! J'allais déjà bien assez avoir à faire avec le passé. Si la révélation de ma destiné m'avait premièrement réjouie plus que tout, ma réelle confrontation avec lui me pétrifiait de peur. Le savoir est un présent que chacun espère. Pourtant, l'ignorance est bien la seule garantie du bien-être que peut désirer une fille de l'âge que j'avais. Une intuition qui nous reste à tous, mais qui malheureusement ne peut empêcher cette quête vitale. L'homme chasse la connaissance. La connaissance me chassa moi. Les Sables se rapprochaient. Je fuyais à bout de souffle.
Prudemment, je longeais les sentiers de ce versant, crapahutant sur les roches instables. Je sortis bientôt de la forêt, marchant au-dessus d'un précipice feuillu. Plus je gagnais en altitude, mieux je discernais les sables se soulever par-delà les hautes branches. Des vapeurs dorées émergèrent de la végétation, infatigablement à ma recherche. Tremblant de tout mon long, j'escaladais toujours plus anxieuse. Pendant que je me cramponnais à une prise rocheuse, je levai le regard vers le ciel limpide devant une pleine lune resplendissante. J'observai quelques secondes cet astre millénaire, avant de reprendre mon ascension. Les nuages de sables grimpaient toujours, eux aussi. Imperceptiblement, mais résolument. Près de la fin de mon parcours, ils formèrent une couche opaque d'étincelles, comme un tapis bienveillant. J'étais partagée entre la crainte de m'y laisser plonger, et la foi qu'ils seraient là pour me rattraper. Aujourd'hui encore, je ne sais vraiment ce qu'il en est advenu. Rapidement, je regagnai une nouvelle zone plane où poussaient en dépit de tout quelques arbres et des touffes d'herbe.
Je suffoquai, après le trajet que je venais d'effectuer. Les sables semblaient encore plus lents qu'auparavant. Je les aurais presque crus immobiles, si au fond de moi je n'avais eu la certitude qu'ils continuaient de me poursuivre, où que je fusse. Lorsque je m'éloignai en boitant, la main droite sur mon poing de coté, ils se hissèrent mélancoliquement par dessus le rebord. Rien ne les pouvait les arrêter. Le coeur en tambours, je sentis poindre en moi la résignation de mon destin. C'est peut-être à cet endroit précis que j'aurais du me rebeller, laisser éclater tout entier mon refus, et empêcher quoiqu'il advînt les sables de me prendre. Mais ils m'auraient suivis à travers l'éternité. J'étais trop jeune pour accepter une telle existence. Quitte à risquer ma mort...
J'atteignis les bords du ravin, en dessous desquelles florissait une partie de la forêt que je n'avais ô grand jamais explorée. Seul une large crevasse plusieurs kilomètres à l'est me rappela des souvenirs familiers. Plus loin encore, il y avait la plage. Cette fameuse plage. Celle où les zervanistes avaient fini par nous abandonner. Celle par laquelle nous avions accosté. Celle où j'avais pleuré, sur cette morne souche de bois. Celle où j'avais soutenu Zohak, le temps de fuir la tempête... J'avais vécu tant de choses, sur cette plage, en une seule et unique journée qui ressemblait à une vie entière. J'estimais mon passé trop chargé pour avoir le courage d'y revenir. Mais que je le veuille ou non, j'avais encore des choses à y découvrir. Ces mystérieux cratères dans le sables,... comme les si nombreux qui parsèment la lune. Cette dernière descendait obliquement vers l'horizon, où devait bientôt naître le soleil... Malheureusement pour moi, il semblait déjà trop Tard pour que la lumière me vienne.
Lorsque je me retournai, je vis les sables m'enlacer de leurs bras d'or.
Zohak dormait encore. L'aube approchait imperceptiblement. Dans deux heures et cinquante sept minutes. C'était bien peu, quoi que mon expérience de la veille m'eût exténuée et que cet horaire aussi court fût-il n'aurait pas été un luxe compte tenu de ma fatigue. Le sommeil était encore à cet âge quelque chose d'important pour mon épanouissement. Pourtant, je teins à me relever, sur mes draps. Je rattraperais ce sommeil plus tard, me disais-je. Mes journées n'étaient pas tant occupées. C'était là ce que mon quotidien m'avait inspiré, car je pensais le côtoyer encore longtemps. Et je jugeais mon dernier rêve suffisamment inhabituel pour lui sacrifier quelques minutes d'éveil supplémentaires, malgré l'appel du repos. Si j'avais pu savoir ce que me réservait encore l'avenir...
Sur la pointe des pieds, je me déplaçai sans un bruit vers la cabane. La nuit semblait figée. Et je crus sentir son refus de bouger lorsque je tirai la porte de bois dans un grincement. Mais j'étais encore bien fine et pus rapidement me glisser dans l'entrebâillement obscur. A tâtons, je me rendis dans ma chambre par des gestes que je connaissais par coeur : enjamber la petite racine dans l'antre, éviter les amas de paperasses sur le parquet, contourner le lit de Zohak, longer l'armoire, pousser le battant de la porte... Je pénétrai dans ma chambre, et c'était comme si je ne l'avais plus vue depuis des millénaires. Les choses étaient pourtant pareillement rangées. J'avais encore mes repères, lointains mais assurés. Mon dessin n'avait pas changé de place. Sa couleur s'était un peu brunie. Je le pris sur mes mains et le roulai avec précaution entre mes doigts. A l'affût, je résolus que la pièce était trop sombre. Il était encore tard. C'est ce que disent toujours les humains, dès lors qu'ils sont entrés dans les ténèbres : ils ne songent jamais que la lumière est déjà en route. Heureusement, cette nuit était nuit de pleine lune. L'extérieur était encore clair. Une fois que j'eus prit mon pinceau, ma plume et mes teintures, je sortis du cabanon et m'éloignai du campement.
A partir de quelques pas, je réalisai l'acte que j'étais en train de commettre : ce que l'on appelait le mur. J'étais là où jamais mon tuteur n'aurait voulu que j'allasse, dans la forêt, au creux de la nuit. Autrefois, je pensais que c'était son veto qui me dissuadait de le faire. Mais après notre dernière conversation, je compris que la Seule autorité suprême qui m'eût jamais ordonné en mon fort intérieur, comme dans celui de tous les humains... c'était le danger. Or donc, que pouvait bien craindre la progéniture d'un Dieu du Temps ? Je me sentais toute puissante, bien que je ne connusse même pas la vraie nature de mes pouvoirs. Les idées les plus folles m'avaient traversé l'esprit, cette nuit-là, dont bien sûr celle d'être immortelle. Mais invulnérable ? Cela était encore à dire. Mais je n'aimais pas parler.
Ma promenade nocturne fut très douce. Les pâles rayons que filtraient les feuillages d'encre possédaient une féerie que même le soleil ne savait me transmettre. Valsant entre les piliers végétaux, je me laissai bercer par cette agréable rêverie éveillée. Ô Silence, combien ton écoute est cent fois plus musicale que le tumulte de la vie... Si le sommeil restaurait la santé du corps, il fallait bien qu'une telle volupté restaure celle de mon morale. Pourquoi mon protecteur n'avait-il jamais guéri ainsi mes tourments adolescents ? Voyons... sa simple présence m'aurait terrifié, en de telles conditions. Tout cette paisible jouissance aurait basculé en cauchemar, si j'avais seulement imaginé qu'il pût m'avoir suivie, caché dans les broussailles.
Si ce fut le cas, je ne pouvais le distinguer de toute manière. L'obscurité était encore trop forte. Il me fallut plisser les yeux pour discerner les détails de mon dessin. Par deux traumatismes confondus - l'un de mon aquaphobie, l'autre de ma vision - je remarquai néanmoins les deux pupilles turquoises de mon prince. Car c'en était bien un. Je l'avais d'abord senti depuis que j'en rêvais quelques mois plus tôt, jugeant d'après son regard alourdi par la responsabilité. Ensuite, la représentation plus précise que m'offrit la respiration des sables appuya ce pressentiment de par ses riches rubans pourprés et son attitude emplie d'honneur. Et enfin, mon rêve d'il y avait quelques minutes me l'avait confirmé, présentant l'humain dans son habit cérémonial, à coté de son père monarque. Les deux individus se disputaient dans la salle des trésors, inondée de joyaux divers. Tout n'était là-bas que dorures et diamants, tel une caverne fabuleuse. Mais des tremblements apparurent, interrompant les agressions des deux mâles. Une vapeur noire émana du plafond. A cette vue le dauphin prit peur et, avant même que son roi n'eût prononcé la moindre exclamation, détala vers la sortie. Ce fut alors que des tentacules noires jaillirent des murs...
L'orée du bois n'était pas loin. Je débouchai bientôt sur une prairie faite de hautes herbes, où aucun arbre ne masquait la clarté de la lune. Je marchai dans cet espace, cherchant un point auquel m'installer et un support sur lequel dessiner. Il y avait un tas de rocailles non loin de là. J'allai m'y assoir et démarrer mes ajouts. Inspirée par l'extrême quiétude de ma solitude, je traçai un somptueux palais en arrière fond de ma scène d'affrontement, entre le prince et le monstre. Des tours blanches, des charnières ornées, de vastes balcons fleuries,... J'imaginais avec bonheur quelle pouvait être l'habitation d'un tel Homme. Et je n'osais même pas me figurer ce qu'auraient été ses majestueux appartements, dans lesquelles j'aurais apprécié le retrouver. Je voyais bien sa demeure au dessus d'une vallée, d'un lac, même, qu'elle abreuvait par des fontaines murales, jaillissant de milles cascades argentées. Le château s'élevait vers le ciel grâce à un nombre considérable d'étages et de terrasses. Je le fis si grand que sa moitié était cachée derrière la bête de ténèbres. En frottant le papier avec une craie minérale, je blanchis ces immenses façades. Une fois mon oeuvre terminée, je la portai à bout de bras pour l'estimer dans son ensemble. J'étais presque satisfaite (un comble pour un être d'éternité), mais il manquait toutefois à ce tableau une certaine dignité, alors tachée par l'expression apeurée de mon héros. Avec le fusain que je m'étais confectionnée, j'épaissis ses deux sourcils pour lui attribuer un regard plus sévère, mi-colère, mi-crainte.
Enfin, j'avais rempli chaque coin de mon support. Je n'avais plus qu'à poser mes outils et le contempler. Et puis quoi d'autre ? Oh non, je n'allais pas le jeter, il comptait beaucoup trop pour moi. Je pouvais éventuellement l'accrocher, mais où ? Il ne tenait pas debout, et Zohak ne me permettrait pas de toucher à ses clous pour le fixer à un mur. J'aurais bien entendu aimé voyager dans ce décor fabuleux, aussi. Mon humeur était aux idéaux. Mais en dépit de mon incroyable potentiel, il n'y avait aucun lien faisable entre cette création personnelle et l'écoulement du temps dont j'avais le contrôle. D'ailleurs, la création est par elle-même un certain écart vis-à-vis de l'Histoire, de la Chronologie, ou de quelque autre logique de cause et conséquence. Non, la seule chose qu'il me restait à faire était de le ramener dans ma chambre et le ranger sous le meuble. Le seul palais qui eût réellement existé, et qui existait peut-être encore à ce jour, c'était celui de mon ami, le temple des zervanistes. Je n'en avais jamais connu d'autre. Mais je ne perdais rien pour attendre.
Je roulai le parchemin dans ma paume droite et le serrai dans ma ceinture. Soudain, je sentis le vent se lever. Le phénomène fut si rapide que je le captai instantanément. De frêles bourrasques caressèrent mes joues, et levèrent ma chevelure. L'herbe environnante se coucha, en même temps que le feuillage des arbres crépitait. Intriguée par ce brusque changement météorologique, je contemplais la forêt se profiler au souffle de la tempête. Cela se produisait quelques fois, deux par mois en moyenne, lorsque la lune appelait une montée des marées. En tendant un peu plus l'oreille, j'entendis rugir les flots sur la plage assiégée. Il faisait bon, pour ma part, de s'y tenir à distance, à l'abri des remparts végétaux qui dans le pire cas d'une inondation constituaient un perchoir. J'avais toujours le syndrome de notre débarquement sur l'île, bien que jamais plus nous n'essuyâmes d'aussi terribles précipitations par la suite. Ainsi, malgré notre sécurité statistique, la levée du vent et la montée des eaux étaient toujours pour moi un mauvais présage. Et cette nuit-là plus que les autres, de même qu'avec ma récente expérience, notre conversation nocturne entre moi et mon hôte, et mon rêve davantage précisé... je sentais que quelque chose de surnaturel était sur le point de se produire.
&feature=related
Un bruit vint alors se superposer à celui des vagues déchaînées. Un bruit qui se rapprochait. Une nouvelle sorte de tempête. Plus libre que l'océan. Plus implacable que la mort. Aussi insaisissable que le Temps. Mille troncs barrant sa route étaient aussi illusoires que cinq doigts dans le creux de ma paume. Ils sifflaient dans leurs barreaux tel un serpent railleur. Eux aussi fuyaient. Et leur traquenard forestier ne les retiendrait pas, immunisés par ma divinité. Depuis huit ans, ils m'avaient observée. Ils avaient patiemment attendu mon heure. Celle de mon réveil. Celle de ma nuit blanche. Celle où la jeune fille piégée se délivrerait de ses chaînes, dès la seconde où elle établirait le premier contact. Dès linstant où j'avais franchi la limite, de l'autre coté du miroir, mon évasion était devenue la leur. J'étais reliée à eux, de la même manière que j'étais reliée à mon géniteur. Autrefois, ils m'avaient invisiblement accompagnée sur les littoraux où la peur et l'inquiétude m'avaient scellée. Mais maintenant que je les avais acceptés, que je les avais imprégnés dans mon âme et dans mes veines, maintenant que nous avions pour la première fois communié... Les Sables étaient de retour, destinés à me retrouver. Moi, leur Maîtresse. Eux, mon Essence.
De nouvelles bourrasques écartèrent puissamment les cimes des arbres entourant la clairière. Des jets de lumière firent irruption dans ma direction. Les cheveux en bataille, je manquai de décoler sous la force du vent. Les sables plongèrent vers moi dans des nuées flamboyantes. Mon coeur ne fit qu'un bond. Avant que le voile ocre ne me submerge, je détalai dans la direction opposée. Je désertai la clairière à toute vitesse. Les volutes de sables perdirent leur élan. Je disparus à nouveau dans la jungle, tandis que d'autres bourrasques les propulsaient à ma poursuite. Entre les palmiers, j'entendis me rattraper leur rugissement. Je pris mes jambes à mon cou et redoublai mon allure. Peu à peu, mes foulées s'affaiblirent. J'étais très essoufflée. Mais je continuais de fuir, titubante entre les racines et les buissons. Derrière moi, le souffle impétueux perdait de sa force, si bien que je le distançais toujours.
Après cette folle cavale, je débouchai sur des sentiers montagneux, au pied des reliefs de l'île. Je n'étais jamais allée si loin depuis la fois où nous nous étions réfugiés dans une grotte en amont. A nouveau, je craignis de ne pas pouvoir rentrer à temps pour que Zohak n'eût jamais connaissance de ma fugue. Je craignais pour mon futur, pauvre sotte ! J'allais déjà bien assez avoir à faire avec le passé. Si la révélation de ma destiné m'avait premièrement réjouie plus que tout, ma réelle confrontation avec lui me pétrifiait de peur. Le savoir est un présent que chacun espère. Pourtant, l'ignorance est bien la seule garantie du bien-être que peut désirer une fille de l'âge que j'avais. Une intuition qui nous reste à tous, mais qui malheureusement ne peut empêcher cette quête vitale. L'homme chasse la connaissance. La connaissance me chassa moi. Les Sables se rapprochaient. Je fuyais à bout de souffle.
Prudemment, je longeais les sentiers de ce versant, crapahutant sur les roches instables. Je sortis bientôt de la forêt, marchant au-dessus d'un précipice feuillu. Plus je gagnais en altitude, mieux je discernais les sables se soulever par-delà les hautes branches. Des vapeurs dorées émergèrent de la végétation, infatigablement à ma recherche. Tremblant de tout mon long, j'escaladais toujours plus anxieuse. Pendant que je me cramponnais à une prise rocheuse, je levai le regard vers le ciel limpide devant une pleine lune resplendissante. J'observai quelques secondes cet astre millénaire, avant de reprendre mon ascension. Les nuages de sables grimpaient toujours, eux aussi. Imperceptiblement, mais résolument. Près de la fin de mon parcours, ils formèrent une couche opaque d'étincelles, comme un tapis bienveillant. J'étais partagée entre la crainte de m'y laisser plonger, et la foi qu'ils seraient là pour me rattraper. Aujourd'hui encore, je ne sais vraiment ce qu'il en est advenu. Rapidement, je regagnai une nouvelle zone plane où poussaient en dépit de tout quelques arbres et des touffes d'herbe.
Je suffoquai, après le trajet que je venais d'effectuer. Les sables semblaient encore plus lents qu'auparavant. Je les aurais presque crus immobiles, si au fond de moi je n'avais eu la certitude qu'ils continuaient de me poursuivre, où que je fusse. Lorsque je m'éloignai en boitant, la main droite sur mon poing de coté, ils se hissèrent mélancoliquement par dessus le rebord. Rien ne les pouvait les arrêter. Le coeur en tambours, je sentis poindre en moi la résignation de mon destin. C'est peut-être à cet endroit précis que j'aurais du me rebeller, laisser éclater tout entier mon refus, et empêcher quoiqu'il advînt les sables de me prendre. Mais ils m'auraient suivis à travers l'éternité. J'étais trop jeune pour accepter une telle existence. Quitte à risquer ma mort...
J'atteignis les bords du ravin, en dessous desquelles florissait une partie de la forêt que je n'avais ô grand jamais explorée. Seul une large crevasse plusieurs kilomètres à l'est me rappela des souvenirs familiers. Plus loin encore, il y avait la plage. Cette fameuse plage. Celle où les zervanistes avaient fini par nous abandonner. Celle par laquelle nous avions accosté. Celle où j'avais pleuré, sur cette morne souche de bois. Celle où j'avais soutenu Zohak, le temps de fuir la tempête... J'avais vécu tant de choses, sur cette plage, en une seule et unique journée qui ressemblait à une vie entière. J'estimais mon passé trop chargé pour avoir le courage d'y revenir. Mais que je le veuille ou non, j'avais encore des choses à y découvrir. Ces mystérieux cratères dans le sables,... comme les si nombreux qui parsèment la lune. Cette dernière descendait obliquement vers l'horizon, où devait bientôt naître le soleil... Malheureusement pour moi, il semblait déjà trop Tard pour que la lumière me vienne.
Lorsque je me retournai, je vis les sables m'enlacer de leurs bras d'or.