Note de la fic :
Vaati
Par : Lunastyx
Genre : Horreur, Fantastique
Statut : C'est compliqué
Chapitre 5 : Chapitre 4 : Imprévu
Publié le 01/04/2013 à 14:50:07 par Lunastyx
La journée suivante fut elle aussi assez radieuse : en effet, le lendemain matin, en étude, l'enseignant ne parla pas de l'incident d'hier, même si on voyait clairement sur son visage que ce souvenir le mettait encore hors de lui, il annonça juste le report de la sortie dû à un petit problème avant de reprendre aussi sec ses cours. Quant à Liwn, il ne dit pas un mot de toute la matinée, ni même de l'après-midi, pas de moqueries, pas de rires, pas de surnoms ridicules, rien. Moi et Flora étions aux anges, les événements d'hier les avaient sérieusement chamboulés tous les deux. Heureux de cette journée, j'étais assez impatient de rentrer chez moi, je ne tenais pas en place, je savais que j'avais de la lecture en rentrant. Je fus donc plus soulagé que d'habitude en entendant l'enseignant nous dire que nous étions libres, je rassemblais mes affaires aussi vite que je pus pour partir d'ici et regagner ma maison.
- Deux minutes, toi !
Je fus stoppé net dans mon élan alors que je partais et je me retournai vers l'enseignant qui me tenait le bras. Il attendit que mes camarades soient tous partis avant de relâcher sa prise et d'aller fermer la porte qui menait vers la liberté, il revint ensuite vers moi, fulminant d'une rage qu'il contenait depuis hier et qu'il allait enfin déverser.
- Bravo pour votre petit plan d'évasion hier, dit-il entre ses dents.
Il parlait bien évidemment de moi et de Maître Exelo.
- Quel plan ? répliquai-je. Je ne savais même pas qu'il allait vous abandonner pour venir me chercher !
- Toi non, mais j'ai pu remarquer l'absence de Flora dès notre retour en classe, j'ai eu quelques doutes qui se sont confirmés lorsque je vous ai vus ensemble avec Maître Exelo, tu n'as rien comploté, mais je sais pertinemment que les deux autres l'ont fait pour toi !
Je me figeai sur place. Alors comme ça, il avait percé à jour notre petite méthode d'hier, il était bien plus futé que ce que je pensais, trop même. Devant mon silence, il fit volte-face et commença à fouiller de fonds en comble mon pupitre. Après quelques minutes d'acharnement, il se redressa et revint vers moi, encore plus furieux. Heureusement que je n'avais pas ramené mon cahier de dessins en classe, sinon j'aurais été très mal.
- D'accord, tu peux partir, maugréa-t-il vaincu, mais ne crois pas que tu vas t'en tirer comme ça, garde bien à l'esprit que je vous ai à l'oeil, toi et Flora, au moindre faux pas, je vous attendrai au tournant !
J'acquiesçai doucement, il se retourna et je pus enfin sortir de l'étude. Mon amie m'attendait dehors inquiète.
- Il a percé à jour notre plan d'hier, lui dis-je, on fait une bêtise et il nous attend au tournant.
- C'est ce qu'il t'a dit ?
- Oui, en résumé, bien évidemment.
- C'est compris, on fera bien attention !
Nous repartîmes alors, moins joyeux qu'il y a une poignée de minutes, mais joyeux quand même.
A travers une fenêtre de l'étude, l'enseignant suivait les deux enfants des yeux.
- Il fallait bien que le rêve s'arrête, n'est-ce pas Maître Exelo...
Le sage sortit de l'ombre et alla guetter lui aussi les deux jeunes Minishs.
- Tu as bien fait, dit-il, le rêve ne doit pas durer longtemps, il risquerait d'y prendre goût. Mais je te suis quand même redevable, Widel, merci de m'avoir permis d'emmener ces deux-là.
- Ce n'est rien, dit l'enseignant, si c'est pour soutenir Vaati, je suis prêt à accepter toutes vos escapades.
- C'est un gentil gamin, enchaîna le sage, tu as vu comment il dessine ?
- Oui, il gribouille souvent en classe, j'en ai eu des occasions de voir ses dessins, je faisais semblant de ne pas voir qu'il dessinait en passant à côté de lui, mais je me suis aperçu que je n'avais rien vu lorsque j'ai feuilleté son cahier hier, c'est incroyable le coup de crayon qu'il a, et c'est un excellent élève en plus.
- J'avais remarqué, il connait déjà toutes les règles d'or des Minish, il lit beaucoup, j'ai été assez impressionné.
Il y eut quelques minutes de silence.
- C'est ironique, reprit l'enseignant, on essaye de l'aider alors qu'il faut que nous fassions le contraire, je dois avouer que c'est assez difficile de montrer que l'on hait quelqu'un alors qu'en réalité, c'est tout le contraire...
- Tu dis ça, mais tu as craqué avant-hier, reprocha Maître Exelo.
- Comment ne pas être insensible devant autant de maturité ?
- Bonne question, mais estime-toi heureux de ne pas être à la place des parents, ce doit être beaucoup plus dur pour eux que pour toi !
- Certes... Vous comptez le prendre sous votre aile ?
- Il est déjà passionné par les Hyliens et leur monde...
- Quoi ! Mais ça...
- Oui, ça a été plus vite que prévu, donc oui, il faut que je le prenne sous mon aile, et rapidement, j'ai déjà commencé à me rapprocher de lui.
- Oui, mais vous ne l'aidez pas en lui donnant un livre sur Hyrule !
- C'est seulement pour évaluer la situation, je verrai bien sa réaction vis-à-vis de sa lecture. Mais pour l'instant, il faut continuer comme avant, c'est bien compris ?
- Oui, mais la jeune Flora ne me facilite pas la tâche...
- Non, c'est Liwn qui te la facilite, quant à Flora, si elle n'avait pas été là, je ne sais pas si Vaati aurait tenu jusqu'ici.
- Et ça, on ne le saura jamais.Les deux adultes se turent sur cette phrase et contemplèrent le ciel orangé sans ajouter un mot de plus à cette conversation.
J'avais abandonné Flora au croisement des trois chemins et j'avais couru jusque chez moi - en me calmant lorsque j'étais entré en présence de mes parents - pour me ruer dans ma chambre et me jeter à corps perdu dans la lecture de l'ouvrage à la reliure de cuir rouge. Par chance, je n'avais pas d'étude les deux jours suivants, ce qui me mettait encore plus enthousiaste que je ne l'étais. J'attaquais tout d'abord l'introduction qui s'étendait sur une quinzaine de pages et que je relus trois fois tellement ça me passionnait, vint ensuite la première partie qui nous expliquait ce qu'étaient réellement les Hyliens et ce qu'ils représentaient pour nous. Je n'en lus que la moitié car je me rappelais brusquement que c'était l'heure de dîner, je descendis juste à temps et j'eus la chance de ne pas être réprimandé pour ma justesse. J'avalais ce que l'on me servit - même ce que je n'aimais pas - en quatrième vitesse avant de remonter dans ma chambre aussi vite que lorsque j'en étais descendu sous les regards interloqués de mes parents. Je me remis à lire, j'usai en tout deux bougies pour continuer ma lecture la nuit, mais je m'endormis sur l'ouvrage alors que j'en étais à plus de la moitié.
Je me réveillais le lendemain assez tard dans la matinée en ayant la marque de quelques pages sur le visage, lorsque je rejoignis la cuisine, on me reprocha l'heure à laquelle je venais de me lever avant de me servir quand même le petit déjeuner. Après m'être lavé et habillé, j'attrapai le livre que l'on m'avait prêté et je sortis pour aller à ma tour. Je montai tout en haut et je me remis à lire après avoir retrouvé le passage où je m'étais arrêté. Je dévorai le reste de l'ouvrage sans avoir la moindre notion du temps, je ne me souciais pas de l'heure qu'il était, de toute façon, cela m'était égal. J'étais arrivé à l'épilogue de l'ouvrage, à mon grand regret, lorsque j'eus la surprise de voir la tête de Flora apparaître comme une jolie fleur là où se trouvait le moyen de monter en haut de ma tour.
- Ah, te voilà ! s'exclama-t-elle.
Elle finit de monter et bondit à côté de moi.
- Qu'est-ce que tu fais ? me demanda-t-elle. Tu bronzes ?
Je lui jetai un petit regard plein de reproches avant de lui faire un énorme sourire.
- Non, je lisais, répondis-je, regarde, j'en suis déjà à l'épilogue !
- Tu as fait vite.
- Oh, j'en avais lu un peu hier soir, mais je ne pensais pas tout lire en une seule matinée !
Mon amie me regarda bizarrement.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Vaati, on est en plein après-midi, si je suis venue ici, c'est parce que tes parents te cherchent depuis des heures...
Je perdis mon sourire. Certes, je me fichais de l'heure qu'il était, mais avoir manqué le déjeuner, ce n'était pas bon du tout, ce fut seulement à ce moment que je m'aperçus que j'étais mort de faim. Je finis de lire les dernières pages qu'il me restait et je descendis en vitesse de ma tour avant de courir en direction du village en compagnie de Flora. Nous courûmes à nous en couper le souffle, je faillis trébucher plusieurs fois en m'emmêlant les pieds dans de jeunes herbes avant d'arriver à la serre au bout de quelques poignées de secondes. Nous rejoignîmes le chemin et nous fonçâmes en direction de ma maison, mais arrivé à celle-ci, alors que j'allais ouvrir la porte, cette dernière s'ouvrit et je rentrai malgré moi dans mon père. Il vacilla tandis que je fus projeté à terre, je me mis assis et je levai la tête vers mon paternel alors que Flora accourait essoufflée derrière moi.
- Où étais-tu donc passé ! s'égosilla mon père. Ça fait des heures qu'on essaie de te trouver !
Il attrapa mon bras et me mis debout, derrière lui apparut ma mère, de même humeur.
- Où as-tu vu que l'on manquait le déjeuner de la sorte ! gronda-t-elle tandis que Maître Exelo sortait de la maison.
Maître Exelo ? Que faisait-il ici ? Le vieux sage se pencha vers moi et me sourit.
- Alors, on jouait à cache-cache ? me demanda-t-il d'une voix enjouée tout en se redressant.
Je lui fis à mon tour un petit sourire.
- Non, je finissais juste de lire le livre que vous m'avez prêté, lui répondis-je en levant l'ouvrage, j'étais tellement plongé dans sa lecture que j'en ai perdu la notion du temps...
Et c'est ce moment précis que mon estomac choisit pour gargouiller, mes parents eurent un air exaspéré, Flora se retint de justesse d'éclater de rire, ce qui ne fut pas le cas de Maître Exelo. Le vieux sage fit de gros efforts pour se calmer avant de reprendre.
- Dis-moi, comment as-tu trouvé ce livre ?
- Passionnant ! répondis-je plus qu'enthousiaste. Vous en avez d'autres sur les Hyliens, ou encore sur leur monde ? Je suis curieux de savoir exactement comment on se rend là-bas.
Je ne sais pas exactement comment je me sentis à ce moment-là, quand je remarquai de quelle manière Maître Exelo et mes parents me dévisageaient, ils étaient presque terrifiés. Pourquoi avaient-ils une telle réaction vis-à-vis de ma phrase ? Lentement, le sage se retourna vers mon père.
- Si vous le voulez bien, je vais emmener Vaati avec moi, murmura-t-il.
- Faites comme bon vous semble, répondit simplement mon père.
Maître Exelo se retourna vers moi et me prit doucement l'épaule avant de regarder Flora.
- Rentre chez toi, lui dit-il.
Puis, le vieux Minish m'entraîna à pas lents en direction de sa maison dans un silence absolu. Dès que nous fûmes suffisamment éloignés de mon foyer, je ralentis la cadence, même si elle était déjà très faible, et je levai la tête vers le sage.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demandai-je. Pourquoi m'emmenez-vous chez vous ? J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?
- Cela fait beaucoup de questions ça, me répondit-il dans un souffle, j'ai simplement besoin de te parler, rien de plus, c'est pour ça que j'étais venu chez toi.
Ah, tout s'expliquait, sauf...
- Dites, ça vous terrifie tant que ça de devoir me parler ?
Maître Exelo s'arrêta brusquement.
- Comment... ça ?
- Lorsque je vous ai demandé si vous possédiez d'autres livres sur Hyrule et le moyen d'y aller, vous et mes parents étiez tétanisés, comme si vous aviez un... un monstre devant... devant...
Ma voix se brisa. C'était vrai, ils m'avaient regardé comme si j'étais un monstre, j'avais certes l'habitude avec ma classe et l'enseignant, mais cette fois-ci, cela avait eu un impact différent sur moi, il était beaucoup plus fort qu'à l'ordinaire. Sans le savoir, mes parents et le sage venaient de me faire prendre conscience pour la première fois de la terrible réalité que je vivais réellement.
On n'était pas indifférent envers moi juste pour se moquer, mais parce que j'étais un monstre.
Les larmes me vinrent aux yeux, j'essayai désespérément de les refouler, mais ce fut plus fort que moi, je lâchai l'ouvrage que je tenais toujours dans mes mains puis je me mis à pleurer.
- Qu'est-ce... qu'est-ce que je suis ? sanglotai-je.
Le sage ne parut pas surpris de ma question, comme si la réponse paraissait pour lui comme évidente. Il s'agenouilla devant moi, ramassa le livre à terre et l'épousseta avant de me fixer droit dans les yeux.
- Tu es un Minish, me dit-il, tu n'es pas un monstre, tu es comme moi et tes petits camarades, il n'y a pas de différence entre toi et nous, pas une seule, je peux te l'assurer, il n'y a aucune différence...
Maître Exelo me tendit l'ouvrage en continuant à me fixer.
- L'attitude des enfants quand ils ont ton âge peut être quelquefois si immature, néanmoins, en grandissant, on se rend compte petit à petit du comportement que l'on avait il y a encore quelques années, et on fait tout pour y remédier. Tu n'es pas un monstre Vaati, tu es juste un bouc-émissaire, un sujet de moquerie comme il en existe partout dans le monde, mais ça s'arrêtera, ne t'inquiète pas, ça s'arrêtera...
Doucement, je repris le livre dans mes mains et je cessai de pleurer, mais je continuai de trembler comme une feuille. Le vieux sage sourit en soufflant un "voilà" et se remit debout. Il me reprit l'épaule et m'entraîna vers sa maison. J'essuyai mes joues encore humides, ce que m'avait dit le sage m'avait un peu réconforté, mais, je n'étais pas pour autant calmé, toujours, toujours cette question m'avait taraudé, toujours cette question m'avait hanté : pourquoi ? Je ne savais pas et on ne voulait pas me le dire, j'avais même la certitude que Maître Exelo venait de superbement me mentir, qu'avaient-ils tous donc contre moi ?
Nous passâmes devant la maison voisine à celle du sage et je sentis sensiblement dans mon cou le regard de Liwn perché sur le rebord d'une fenêtre à l'étage. Je frissonnai à cette sensation, Maître Exelo le remarqua, il se retourna vers la maisonnette puis revint en place aussi droit qu'un i et une expression crispée au visage, c'est drôle, mais je ne sentais plus le regard de Liwn après ça. Arrivés, il me fit entrer chez lui et m'emmena dans une pièce qui s'avéra être son salon, enfin, c'est ce que j'en déduisis en comparant avec ma propre maison, parce que ce que j'avais devant moi ne ressemblait en rien à un salon : tout n'était que désordre, les étagères collées aux murs étaient vides ou encombrées de babioles recouvertes d'une épaisse couche de poussière, je pus apercevoir quelques fauteuils de couleur verte, une table basse en bois et une fine moquette rouge en dessous d'un parterre et d'innombrables piles de livres dont les sujets étaient tous aussi nombreux que les ouvrages eux-mêmes. Je levai la tête pour entrevoir au plafond un circuit de toiles où circulaient en toute liberté et sérénité de petites boules noires à huit pattes. J'éternuai un coup, la poussière ne me réussissait pas, tandis que Maître Exelo s'empressait de déblayer la table basse et les quelques fauteuils.
- Quand... quand est-ce que vous avez fait le ménage pour la dernière fois ? demandai-je.
Je savais que j'étais moi-même quelquefois désordonné, ce dont ma mère avait horreur, mais pas à ce point-là. Le vieux sage se retourna, les mains encombrées, il me fit un petit sourire forcé.
- Oh, ça fait longtemps que je ne range plus, me répondit-il sans aucune gêne apparente.
Je crus défaillir, je n'osais pas imaginer l'état du reste de la maison, je ne savais même pas par quel miracle il n'était pas encore tombé malade dans cet endroit si sale. Il jeta ce qu'il avait dans les mains sur des tas de livres qui s'effondrèrent et il m'invita à m'installer. Je m'assis sur l'un des deux fauteuils qu'il avait réussi à désencombrer, face à face, et je soulevai bien malgré moi un épais nuage de poussière qui me fit tousser. Le vieux Minish se mit assis dans le deuxième fauteuil et commença à me parler.
- Vaati, cela fait déjà un petit moment que je t'observe, me confessa-t-il, et...
Mais je n'écoutais pas, j'étais trop occupé à ne pas essayer de m'étouffer. Il le remarqua et vint à ma rescousse en me tapant dans le dos.
- Tout va bien ? s'inquiéta-t-il. Qu'est-ce qu'il se passe ?
- C'est... la poussière, réussis-je à dire.
Il me regarda un moment avant de se lever et de me prendre le bras.
- On va aller à la cuisine, me dit-il.
Mon coeur eut un raté, néanmoins, je ne protestai pas et je me laissai conduire dans la pièce adjacente. Je voyais déjà la vaisselle sale amoncelée en tas et dégageant une odeur désagréable, menaçant de se fracasser, la table non débarrassée et ayant encore les restes du déjeuner. Je fermai les yeux en me dirigeant dans cette pièce, avec son petit tas de détritus, les toiles d'araignées partout, et toujours cette interminable couche de poussière. Le sage me lâcha et je sus alors qu'on était arrivé à destination. En tremblant un peu, je m'armai de courage pour ouvrir les yeux et constater le désastre biologique qui allait me faire face.
Par rapport au salon, la cuisine était d'une propreté douteuse. Je restai interdit quelques instants avant de me ressaisir. Maître Exelo me désigna une chaise, je m'y installai le plus confortablement que je pus et je le regardai attraper une bouilloire et la remplir d'eau.
- Il n'y a que le salon qui est aussi... poussiéreux ? interrogeai-je timidement.
Il mit la bouilloire à chauffer.
- Non, mon atelier aussi... et les couloirs, sinon, tout est propre.
Il s'assit sur la chaise en face de moi et croisa ses mains sur la table en silence. Il resta ainsi, aucune parole, aucune réaction, j'étais désemparé, je ne savais pas du tout comment réagir. J'ouvris la bouche pour parler, mais aucun son n'en sortit et je la refermai, j'étais certain de ressembler à un poisson. Après une poignée de minutes insoutenables, devant le sage qui était immobile, son regard dans le vague, je me décidai enfin à vraiment lui parler.
- Maître Exelo, commençai-je.
- Je disais tout à l'heure que cela faisait un petit moment que je t'observais, coupa le vieux Minish.
Après mon attitude désemparée vint une attitude interloquée.
- Pourquoi ? demandai-je sur le coup.
En réalité, ce fut le seul mot que je réussis à articuler.
- Parce que je suis vieux.
Il n'y avait pas plus explicite comme réponse...
J'abordai une expression abasourdie, lui était impassible, comme si ce qu'il m'avait répondu pouvait répondre à ma question...
Il dut le comprendre car il me fixa quelques instants avant d'afficher tristement un petit sourire en coin.
- Cela fait des années que je suis connu en tant que sage, et je suis maintenant arrivé à un âge où je me dis... que je ne suis plus tout jeune, que je ne ferai plus jamais ce que je faisais avant, alors je me suis mis en tête d'avoir tout ce que les sages comme moi ont, arrivés à ce stade.
- Et, qu'est-ce qu'ils ont ? me risquai-je à demander.
- Un apprenti.
Il s'arrêta là, il resta de marbre en attendant ma réaction, celle qui ne venait pas, je ne comprenais pas. Pourquoi me disait-il tout ça, qu'est-ce qui lui prenait pour qu'il me raconte sa vie ? Devait-il se soulager, et d'abord, pourquoi moi, il y a pleins d'adultes dans ce village, pourquoi n'était-il pas allé en voir un à ma place ? Ce fut lorsque se croisait le regard perçant de Maître Exelo que tout devint clair dans mon esprit.
- Moi ?! m'étranglai-je.
- Il faut savoir que tu es très intelligent et très mature pour ton âge, me dit-il, et il est très difficile de trouver un enfant comme toi...
- Mais...
- Il va de soi que j'assurerais entièrement ton apprentissage et que le choix d'effectuer celui-ci t'appartient, j'en ai déjà parlé à tes parents et ils ne s'y opposent pas.
Tiens, mes parents ont accepté que je fasse cet apprentissage, c'est bizarre ça...
Le sage continua de me regarder.
- Maître Exelo, balbutiai-je, je...
- Cet apprentissage aura pour but de t'apprendre les importantes leçons qui régissent notre monde, ainsi que l'utilisation de la magie sous toutes ses coutures, ce sera à toi de choisir sur quelle voie t'orienter ensuite.
Il marqua une courte pause.
- Alors ?
- Je... je ne sais pas, je...
Maître Exelo soupira.
- Je m'attendais à ce que tu hésites, m'avoua-t-il, il est vrai que ce n'est pas évident de choisir sur le coup.
Il se leva.
- Tu as une semaine pour prendre ta décision, à toi de choisir celle qui te semble la plus juste.
Puis plus rien, je n'arrivais pas à parler. En silence, je me levai à mon tour, je saluai le vieux sage et je quittai la maison, des questions plein la tête. Je ne m'attendais pas à ce que l'on me fasse cette proposition, je ne m'étais même jamais posé la question de ce que je voulais faire quand je serais grand, jamais. Je restai coincé sur cette question si inconnue pour moi et inexplorée. Oh, je n'étais même pas resté pour prendre le thé que le sage préparait, il avait fait chauffer de l'eau pour rien.
Je rentrai chez moi en silence, je me fichais bien d'être réprimandé une fois de plus de mon retard d'avant, j'avais d'autres préoccupations. Je m'engouffrai dans le salon où mes parents lisaient tranquillement, ah non, ma mère tricotait, je m'approchai et je me plantai à côté d'elle, assise elle-même à côté de mon père qui m'ignorait.
- Vous... vous voulez vous débarrasser de moi ? demandai-je timidement.
J'ai réussi à attirer leur attention, mes parents me dévisagèrent un instant avant de se remettre à vaquer à leurs occupations en me répondant :
- Arrête de raconter des bêtises, tu sais très bien que nous n'aimons pas ça.
- Mais... vous avez accepté que je devienne l'apprenti de Maître Exelo, répliquai-je tristement.
Mon père leva les yeux de son livre qu'il posa sur ses genoux et ma mère eut les mains crispées à ses aiguilles comme si on allait lui arracher de force. Lentement, ils se retournèrent vers moi, un air assez surpris collé à leur visage.
- Pourquoi ? questionnai-je.
Ils s'échangèrent un regard.
- Etre l'apprenti d'un grand sage tel que Maître Exelo est un privilège, commença ma mère.
- Pourquoi aurait-on hésité face à sa demande ? enchaîna mon père. De plus, tu es le meilleur en classe, et il nous a affirmé que tu n'aurais aucun problème d'entreprendre cet apprentissage vu ton niveau actuel.
Wow...
C'était bien la première fois qu'ils me faisaient autant d'éloges en face, d'un côté, j'étais heureux comme tout qu'ils me disent ça, mais ce fut l'autre côté qui l'emporta, là où la rage dominait, enfouie et emprisonnée depuis bien longtemps, là où je me demandais pourquoi ils ne m'avaient dit ça que maintenant et pas avant, j'aurais tellement été content, ça aurait embelli ma vie rien qu'un petit peu, le petit peu qu'il me fallait pour avancer. Je serrai les poings pour éviter de les abattre là où je le regretterais plus tard, je gardai la tête baissée en tremblant légèrement.
- Vaati, tu as faim ?
Je ne vis même pas ma mère se lever.
- On t'a gardé un peu de gratin comme tu aimes et...
Autant si j'avais été dans mon état normal, cette phrase m'aurait interpellé, que ma mère sache ce que j'aime et qu'elle m'en propose avec tant de gentillesse, mais malheureusement pour elle, je n'y étais pas, dans mon état normal, bien loin de là.
- Je n'ai pas faim, répondis-je froidement.
Je laissai mon père assis dans son fauteuil et ma mère plantée en plein milieu du couloir, coupée dans son élan, et je montai à pas lourds dans ma chambre. Je fis exprès de claquer la porte et je m'assis sur mon lit, je restai dès lors immobile, les yeux perdus dans le vague et l'esprit vide de toute pensée. Et puis, quoi penser de cette situation ? J'étais furieux, je serrai les poings tellement fort que mes jointures devinrent aussi blanches que d'habitude et la marque de mes ongles s'imprima dans ma chair. Je restai ainsi durant un bon quart d'heure - enfin, je crois - avant d'entendre ma mère et mon père quitter la maison pour aller je ne sais où. J'étais maintenant seul dans la maison, il n'y avait personne pour me voir, personne pour me parler et encore moins personne pour m'entendre. Sur cette pensée, j'attrapai mon oreiller, il eut droit à tous les traitements possibles et imaginables sous le contrôle de la fureur : il fut griffé, frappé, oppressé, tiré de par tous les côtés, je me défoulai sur lui, je le mordais pour étouffer mes cris de rage, ce fut ainsi pendant un bon moment. Je m'effondrai ensuite sur mon lit, en nage et en pleurant. Tout se bousculait dans ma tête, l'expression que mes parents et Maître Exelo avaient eue quand j'avais parlé du livre, la discussion entre le vieux sage et moi concernant ce que j'étais et sa proposition, et enfin les paroles de mon père. La vie peut être juste et injuste dans une même journée, qui l'eut cru...
Je me recroquevillai sur moi-même, je ne pensais à rien, à quoi bon de toute façon. Je finis de pleurer tout mon soul et j'attendis que le temps passe. Mes parents rentrèrent deux heures plus tard, et je n'avais pas bougé d'un pouce, j'entendis ma mère s'affairer à la cuisine, il allait être l'heure de dîner... déjà ? Je levai la tête et je m'aperçus que la lumière avait sacrément décliné et que le soleil était sûrement prêt à se coucher. Je me mis debout et je me précipitai à la fenêtre en manquant de m'étaler par terre à cause de mes jambes engourdies et je guettai la sphère orangée qui descendait : pas avant une bonne demi-heure le coucher. Je soupirai longuement avant de me frotter les yeux et de m'asseoir dans mon petit fauteuil, j'attrapai un livre de sur mon étagère et je commençai à le feuilleter avec lassitude. Ma tête bascula sur le côté et mon attention diminua progressivement. Le soleil avait à peine terminé sa descente, le livre glissa lentement de mes mains et tomba à terre, j'entendis un vague "à table !" avant de sombrer dans un profond sommeil hanté de cauchemars.
Le réveil fut difficile, je ne savais pas pourquoi, mais j'avais mal partout. Première contrainte à mon réveil, je mis longtemps avant d'arriver à ouvrir les yeux. Deuxième contrainte, à peine j'eus ouvert les yeux que la lumière me broya ces derniers. Et enfin, dernière contrainte, je ne me sentais pas bien. Quel joyeux réveil !
Un léger mal de tête m'assaillait, de plus, je me sentais faible, sans doute parce que je n'avais rien mangé de toute la journée d'hier, je n'avais pas dîné, ou en tout cas, je ne m'en souvenais pas. Je me levai doucement, ou plutôt me mis-je assis, je ne me souvenais pas non plus m'être endormi dans mon lit, peut-être m'étais-je relevé pour me coucher et être dans une position plus confortable. Je repoussai la couverture qui me recouvrait et je me mis debout, la pièce tangua dangereusement et je dus me tenir à mon lit pour ne pas m'effondrer. Je pris le temps de reprendre mes esprits et, avec prudence, je me dirigeai vers le couloir pour descendre à la cuisine, d'où j'entendais mes parents prendre leur petit-déjeuner. J'avais chaud, je sentais mon sang bouillonner dans mes veines et me brûler de l'intérieur, c'était une sensation assez bizarre et plutôt désagréable quand on y réfléchissait bien. La descente des escaliers se révéla être un véritable parcours du combattant, je dus me tenir à deux mains à la rampe pour ne pas basculer et je terminai les dernières marches sur les fesses tellement c'était devenu difficile. Me relevant péniblement, je m'engouffrai ensuite dans la cuisine.
L'odeur du thé à la pêche que ma mère aimait si bien prendre chaque matin me monta aux narines et m'arracha un mal de tête encore plus atroce. Comme toujours, mon père lisait et ma mère cuisinait, et la lumière était étonnement plus intense ici, je me frottai les yeux et les gardai à demi-clos.
- Eh bien, te voilà enfin, soupira mon père, tu commences à attraper de mauvaises habitudes...
Pas de bonjour, ni de comment vas-tu, même si c'était habituel, ça me choquait toujours autant.
- Désolé, soufflai-je.
Je sentis le regard de mon père sur moi.
- Tu as de sacrées couleurs, fit-il remarquer.
Je levai les yeux et vis qu'il s'était remis à se lecture, je regardai ensuite ma mère qui me fixait bizarrement. Elle lâcha soudain ce qu'elle avait dans les mains - soit une tasse et une bouilloire qui atterrirent durement et avec fracas sur le plan de travail - et vint vers moi d'un pas ferme. Elle se planta devant moi et plaqua sa main sur mon front.
- Tu es fiévreux, dit-elle.
Mon père me regarda, puis ma mère, avant de poser doucement son journal.
- Beaucoup ? demanda-t-il.
- Assez...
Ma mère me dévisagea.
- Il vaudrait mieux que tu retournes te coucher, me dit-elle, ta fièvre commence seulement.
J'acquiesçai. Je fis lentement demi-tour pour retourner dans ma chambre tandis que ma mère sortait d'un placard un linge propre qu'elle s'empressa de mouiller. Je soupirai silencieusement de soulagement, j'étais content d'aller me recoucher, je ne me sentais vraiment pas bien, et cela se compliqua davantage lorsque j'arrivai devant les escaliers que je scrutai. Ça allait être plus difficile de les monter que quand je les ai descendus, quelle plaie. Je mis le pied sur la première marche, ça allait encore, ça se dégrada lorsqu'il fallut que je me hisse sur celle-ci. Agrippé à la rampe, je soulevai mon corps et je montai sur la marche, tout dansa autour de moi, je crus que j'allais vomir, mais ça ne vint pas. J'haletai, épuisé d'avoir monté une seule marche, une seule, je jetai un coup d'oeil au reste de l'escalier, qu'est-ce que ça allait être quand je devrais monter les autres ? Respirant à fond, je posai mon pied sur la deuxième marche et j'entrepris de me hisser dessus. J'essayai une première fois, mais j'échouai, vient ensuite la deuxième fois, mais tout tanguait tellement autour de moi que j'échouai encore. Découragé, je poussai un profond soupir en m'apprêtant à renouveler mes tentatives.
Deux mains puissantes m'emprisonnèrent et me soulevèrent de cette maudite deuxième marche : c'était mon père. Il m'installa dans ses bras et monta les escaliers à ma place. Je fus surpris, c'était bien la première fois qu'il me prenait dans ses bras, enfin, d'autant que je me souvienne. Il m'amena dans ma chambre et me posa sans brusquerie, délicatement dans mon lit avant de se redresser.
- Tâche de te reposer, me dit-il gentiment.
Puis il s'en alla. Je restai bouche-bée, il m'avait parlé avec gentillesse, il ne l'avait pas fait depuis si longtemps. Je souris, j'étais heureux, contrairement à hier, c'était bien l'une des premières journées où je n'étais pas traité avec indifférence, il fallait que je sois malade plus souvent. Je me mis assis en tailleur juste au moment où ma mère débarqua, une bassine remplie d'eau avec le linge qu'elle avait mouillé à la main. Elle déposa le tout sur le rebord de la fenêtre avant de se jeter telle une furie sur mon lit et de soulever mon malheureux oreiller sans défense qui avait déjà tant souffert la veille. Je fus sans voix, elle inspecta le reste de mon lit avant de se retourner vers moi.
- Maître Exelo t'a-t-il prêté un autre livre ? me demanda-t-elle.
- Non...
Elle reposa mon oreiller et soupira.
- Pourquoi ?
- Pour ne pas que tu lises, me répondit-elle, tu as besoin de repos.
J'étais quasiment sûr en voyant son regard qu'elle envisagea durant une fraction de seconde d'emmener tous les livres qui se trouvaient sur mon étagère. Ma mère empoigna ma couverture, elle alla la secouer à ma fenêtre et revint la remettre en place.
- Couche-toi ! m'ordonna-t-elle.
Il ne fallut pas me le répéter deux fois, je m'allongeai dans mon lit et elle rabattit la couverture sur moi. Elle était toute fraîche, cela m'arracha un frisson, mais tout compte fait, cela me fit le plus grand bien. Ma mère sortit de la chambre en me laissant seul, je me décontractai un peu et laissai libre mes pensées. Je revins à me remémorer les événements d'hier, je réfléchis à la proposition de Maître Exelo, quels seraient les avantages et les inconvénients, ce que ça m'apporterait, et qu'est-ce que je deviendrais après. La fatigue me gagna assez vite, alors que je venais seulement de me remettre de ma nuit, et je n'eus aucun mal à m'endormir.
J'avais très chaud, et le seul fait d'ouvrir les yeux était déjà un supplice, tout comme mon réveil d'avant. Dans un effort colossal, je parvins à me réveiller, je réussis à retrouver mes sens et à sentir un tissu froid sur mon front, le linge que ma mère avait monté avec la bassine d'eau, mais cela ne me rafraichissait pas, bien au contraire, j'avais l'impression que ça accentuait encore plus ma fièvre. Soudain, je sentis quelque chose de froid également toucher ma joue, j'eus un long frisson, je tournai les yeux et je m'aperçus que c'était une main qui était collée à mon visage, et que cette main appartenait à Maître Exelo. Il me tenait le poignet avec son autre main et ne semblait pas avoir remarqué que j'étais éveillé, mes parents se tenaient derrière lui, en retrait. Le sage avait l'air préoccupé.
- Vous avez froid, soufflai-je faiblement au vieux Minish.
Ce dernier sursauta, surpris de ma conscience. Son visage se décontracta lentement et il me sourit.
- C'est parce qu'il commence à faire assez froid dehors, me répondit-il.
Il continua de m'examiner durant quelques instants.
- Comment te sens-tu ? me demanda-t-il.
Je ne voyais pas la nécessité de lui répondre, l'état dans lequel j'étais en disait déjà long.
- Pas bien, répondis-je quand même.
Maître Exelo se redressa et remit mon bras en dessous de ma couverture.
- Qu'est-ce que j'ai ? interrogeai-je.
- Tu as attrapé froid, me dit-il, sûrement quand on s'est promenés au-dessus du village, mais tu vas vite guérir.
Il termina sa phrase avec un sourire... peu convaincant.
- Mais... si j'ai attrapé froid tout simplement... pourquoi êtes-vous aussi inquiets ?
Le vieux sage se figea, mes parents également. Ils s'échangèrent quelques regards avant d'afficher une mine confiante.
- Tu vas guérir, murmura Maître Exelo, tu vas guérir...
Je n'en entendis pas plus, la somnolence eut le dessus sur moi, je fermai les yeux malgré mes efforts vains pour les laisser ouverts et je sombrai dans l'inconscience la plus totale. Chose qui m'arriva pour la première fois, et qui fut assez bizarre, c'est que je me retrouvai dans une plaine d'herbe noire, où il faisait assez sombre et où le ciel était à l'orage. La foudre s'abattait aux quatre coins de l'étendue de verdure et il commença à tomber une pluie diluvienne. Je ne savais pas où j'étais, ni comment j'avais fait pour aller de mon lit jusqu'ici sans m'en rendre compte, mais il fallait que je trouve vite un abri.
Je me mis debout et je courus dans une direction au hasard pour essayer de me protéger de la pluie. Ça devait sûrement être mon imagination, mais j'avais l'impression de faire du sur-place, et pire, que la foudre se rapprochait de plus en plus de moi. Il faisait encore plus sombre que quand j'étais arrivé, et l'atmosphère lugubre de cette plaine commençait sérieusement à me faire peur. J'accélérai, je progressai le plus vite que je pus, mais ça ne servait à rien, je fus bientôt trempé de la tête aux pieds et le froid qui régnait m'envahit peu à peu. Après un long moment, je plissai les yeux et discernai une forme noire droit devant moi, et en m'approchant un peu plus, je reconnus un saule pleureur, seul, sans aucune habitation installée autour, je m'y précipitai sans hésitation. Essoufflé et à bout de force, j'arrivai en dessous de l'arbre qui était tellement volumineux que la pluie glissait sur des branches et allait s'écraser un peu plus loin à l'extérieur, j'étais soulagé d'avoir trouvé un endroit sec où m'abriter. J'essorai comme je pus mes habits et mes cheveux, et je frottai mes bras pour tenter de me réchauffer, tout en allant m'adosser au tronc du saule. Sur le petit chemin qui me séparait du fameux tronc et de là où je m'étais arrêté, je marchai sur quelque chose d'assez mou, cela émit un craquement.
- Aïe.
Je me raidi. Je bondis loin de la chose molle et je fis volte-face pour l'observer. C'est quand je vis qu'elle était en train de bouger que je fus glacé de terreur, elle disparut près du tronc, il y eut un bruissement avant que je ne distingue une personne assise, à qui appartenait la chose sur laquelle j'avais marché. Je ne l'avais pas remarqué en arrivant ici et il faisait trop noir pour que je puisse voir à quoi il ressemblait, tout ce que je vis, ce furent deux yeux d'un rouge sang qui me fixaient d'un regard perçant. J'étais tétanisé. Les yeux se baissèrent vers une chose que je ne voyais pas.
- Mon doigt est cassé, il faut que je le remette...
Quelques secondes passèrent, j'entendis la personne bouger avant qu'il n'y eut un craquement horrible qui me fit trembler, il avait sûrement dû tirer sur son doigt, celui sur lequel j'avais marché. Ce qui fut étrange, c'est que, lorsqu'il remit son doigt correctement, son regard ne vacilla pas, comme s'il n'avait rien senti, un os cassé est pourtant douloureux. Je mis mes suspicions de côté lorsque les yeux se reportèrent sur moi avec, toujours, ce regard perçant, j'avais même l'impression qu'il me sondait.
- Tiens, cela faisait longtemps que je n'avais pas eu de visite.
Si j'avais été dans mon état normal, je lui aurais répondu que je n'avais jamais eu la moindre intention de lui rendre visite, surtout que j'ignorais totalement son existence, mais je restai figé, incapable de bouger ni de dire quoi que ce soit. Ses yeux basculèrent sur le côté - où plutôt sa tête bascula sur le côté - et il me dévisagea, je fus parcouru d'un frisson.
- On ne se serait pas déjà vus il y a une dizaine d'années ?
Il y a une dizaine d'années, j'avais deux ans voire moins, comment aurais-je pu m'en souvenir, et de toute façon, cela m'étonnerait beaucoup que je sois déjà venu ici.
- Qui sait ? Tu m'es familier, ou peut-être que je me trompe.
Oui, c'était ça, il se trompait. Il ferma les yeux, et je ne les vis plus, je restai toujours immobile jusqu'à ce que l'inconnu ne les rouvre, et je m'aperçus que la distance qui nous séparait avant s'était fortement amenuisée. Je reculai d'un pas, il se mit à rire.
- Je ne vais pas te manger tu sais, viens t'asseoir, tu as l'air exténué.
J'hésitai, c'était certes gentil, mais risqué. Je jetai un coup d'oeil derrière moi, en scrutant la plaine au passage.
- Ça ne servirait à rien, tu auras beau courir dans tous les sens, tu reviendras toujours ici.
Je me remis droit lentement.
- Où... où suis-je ? demandai-je en tremblant.
- Ah, tu sais parler ! J'avais perdu espoir.
Je ne relavai même pas, trop peur. Il soupira.
- Où tu es ? Et bien, vois-tu, ici, tu n'es nulle part.
- Comment...
Il se remit à rire, un rire glauque à en faire mourir de peur plus d'un, dont moi.
- C'est ici que les âmes perdues errèrent avant de s'éteindre, ou bien avant de retourner dans leur corps, à la vie, ou plongées dans une profonde inconscience, il y a bien des causes, en bref, si je devais te situer approximativement, tu es ici entre le monde des vivants et le monde des morts soit, plus clairement, entre la vie et la mort.
Je tressailli.
- Aucune âme atterrissant ici n'arrive à atteindre ce saule, elles s'en vont trop vite, c'est pour cela que je suis content quand quelqu'un arrive ici, je me sens moins seul.
- Je suis... une âme ? balbutiai-je.
- Nous sommes tous des âmes, on utilise juste une enveloppe charnelle pour vivre, c'est tout.
- Et vous, pourquoi ne disparaissez-vous pas ?
Ma curiosité me jouait parfois de vilains tours.
- Moi, c'est différent, je ne suis pas uniquement une âme, ce que tu as devant toi est aussi mon enveloppe charnelle, je suis prisonnier ici depuis bien des siècles en attendant que quelqu'un change le cours des événements, ah...
Il s'agita.
- J'ai bien l'impression que notre conversation va tourner court.
- Pourquoi ?
- Parce que tu t'en vas.
- Quoi ?!
- Regarde-toi.
Je baissai le regard vers mes mains levées... qui brillaient. En m'observant d'un peu plus près, je m'aperçus que je dégageais de la lumière de par tout mon corps. Paniqué, je levai la tête vers les deux yeux rouges qui m'observaient.
- Oh, ne t'inquiète pas, tu ne sentiras rien, moi par contre, j'aurai juste les yeux broyés et je serai incapable de voir pendant quelques jours, mais ce n'est pas grave. Va, retourne dans ta prison.
- Une prison ? Quelle prison ?!
J'avais de plus en plus de mal à respirer, je me sentais compressé de partout.
- Je ne sais pas, mais en te regardant, j'ai l'impression de voir quelqu'un... d'enfermé, quelqu'un qui n'est pas libre de ses mouvements...
Je n'en entendis pas plus, la lumière devint aveuglante, j'eus le temps de remarquer que la personne avec qui je parlais était relativement jeune avant de devoir fermer les yeux afin d'éviter d'être ébloui, je perdis soudain l'équilibre et je tombai à terre, suffoquant, de plus en plus compressé. J'avais mal. Puis tout se relâcha, je pus enfin prendre une grande bouffée d'air, je retombai mollement sur le dos et je restai immobile, haletant. Lorsque j'ouvris les yeux, ce fut un plafond blanc qui m'accueillit, je me mis difficilement assis et je regardai autour de moi : j'étais revenu dans ma chambre. J'étais seul, mes parents n'étaient pas là, je jetai un oeil à la fenêtre, l'aube était levée. Je remis ma tête droite et je commençai à scruter mes mains, elles ne brillaient pas. Je me remémorai avec mal ce que je venais de vivre, avec toute l'incompréhension que cela avait, je réfléchis quelques minutes là-dessus avant de mettre ça sur le compte d'un cauchemar, la fièvre avait dû me faire délirer un peu. Je me levai, je n'eus pas de vertige, c'était un début, je me dirigeai vers le couloir et descendit les escaliers, ce qui fut un jeu d'enfants comparé à la dernière fois, et j'atterris dans le hall.
Je reniflai à plein nez l'odeur du petit-déjeuner qui flottait dans l'air, elle ne provoqua aucun haut-le-coeur, je me surpris même à la trouver alléchante, j'allais donc mieux, mais pas assez pour que je sois mort de faim. J'étais en retard pour l'étude, ça recommençait aujourd'hui et je n'avais pas envie de me faire sermonner, cela briserait la petite bulle dans laquelle j'étais depuis quelques jours. Je me dirigeai donc vers le fauteuil pour enfiler mon châle.
- Hé !
Une main m'agrippa l'épaule, je levai la tête vers mon père.
- Où crois-tu aller comme ça ?
- A l'étude, lui répondis-je machinalement, et je ne suis pas en avance...
Il me fixa quelques instants, incrédule, avant de se placer entre moi et la porte, les mains sur les hanches.
- Tu n'iras pas.
- Quoi ? m'exclamai-je avec surprise.
- Tu as très bien entendu, tu n'iras pas, me répéta mon père.
Qui empêcherait son fils d'aller à l'école alors que ce dernier veuille bien s'y rendre ? Je restai sans voix devant cette annonce inattendue.
- Pourquoi ? réussis-je à articuler.
- Parce que tu es malade.
Certes, mais je me sentais mieux. Je voulus protester, mais à peine eus-je ouvert la bouche qu'il m'empoigna et me monta dans ma chambre. Ce fut le même scénario, et c'était la deuxième fois qu'il me prenait dans ses bras en deux jours, décidemment, ma bulle ne cessait d'augmenter de volume. Après m'avoir reposé sur mon lit, il me jeta ma couverture à la figure, mais pas méchamment.
- Ta mère est partie voir Maître Exelo pour qu'il lui remette une potion qui te guérira vite.
- Je suis déjà guéri, ne puis-je m'empêcher de lâcher.
- Dans ce cas, ce sera de la prévention, répliqua-t-il en haussant les épaules.
Puis il quitta ma chambre. Je me recouchai, mais j'étais beaucoup trop agité, je fus incapable de me rendormir, bien au contraire, je me relevai - encore - et je commençai à arpenter ma chambre tout comme un lion en cage. Je remuai toutes mes pensées, il me restait cinq jours pour donner ma réponse à Maître Exelo concernant sa proposition, et je ne savais toujours pas ce que j'allais faire. Etre le disciple d'un sage était avantageux, on y apprenait la magie, toutes les bases de la vie, les leçons importantes, cet apprentissage m'ouvrirait bien des portes en ce qui concernait mon avenir, mais, qu'est-ce que je voulais vraiment ? Il y a tant de métiers, tant de possibilités qui méritent d'être explorées, il fallait que je fasse le point sur ce que j'aimais et le mettre en relation avec un éventuel avenir qui pourrait me plaire. Mais j'eus à peine le temps de plancher dessus que ma mère fit irruption dans ma chambre, ses longs cheveux blonds ébouriffés et ayant à la main une petite fiole bleue.
- Qu'est-ce que tu fais ? Retourne dans ton lit !
- Mais je...
- Pas de mais, tout de suite !
Je m'exécutai bien malgré moi. J'adoptai une mine renfrognée tandis que je me glissai une nouvelle fois sous mes couvertures, ma mère me brandit un verre dans lequel elle déversa le contenu de la fiole.
- Avale ça, m'ordonna-t-elle.
J'humai le liquide d'une couleur grisâtre.
- Ça sent mauvais, fis-je remarquer.
Vu le regard qu'elle me lança, je devinai tout de suite qu'elle avait déjà senti la potion. Sans réfléchir, je commençai à la boire, je stoppai immédiatement, je faillis même recracher ce que j'avais dans la bouche tellement c'était écoeurant. J'avalai avec difficulté et j'hoquetai juste après.
- C'est amer, dis-je avec un petit sourire forcé.
En fait, c'était bien en dessous de la réalité, je n'étais même pas sûr d'être capable d'engloutir le reste. Je tendis le verre à ma mère.
- Je... boirai le reste plus tard, lui dis-je.
Elle le repoussa avec fermeté.
- Maître Exelo m'a clairement précisé que tu devais le boire en entier et en une seule fois.
Je crus que j'allais réellement m'évanouir, je trouvai néanmoins le courage de protester.
- Il faut vraiment que je boive tout, tout de suite ?!
- Oui.
- Mais c'est dégoûtant !
- Je sais, mais il le faut, et je ne partirai pas d'ici tant que tu n'auras pas tout bu !
Son obstination m'impressionna autant qu'elle me blessa, pourquoi il fallait que je boive tout d'un coup ? C'était inhumain. Adoptant derechef ma mine renfrognée, je me bouchai le nez et j'avalai d'un trait le reste. Le liquide me brûla la gorge et m'arracha une grimace qui n'échappa pas à l'attention de ma mère. Je lui rendis le verre et levai mon visage déformé vers elle.
- Est-ce que je pourrais avoir un verre d'eau... ou quelque chose d'autre qui puisse enlever le goût horrible que j'ai dans la bouche ? demandai-je timidement.
Aussitôt dit, aussitôt fait, mais pas de la manière que je pensais : ce fut mon père qui surgit dans ma chambre juste après ma question, un verre d'eau et un bout de chocolat dans les mains. Je lui arrachai et j'avalai les deux en même temps, le goût s'atténua et disparut au bout de quelques poignées de secondes. Je poussai un soupir de soulagement, mes parents s'échangèrent un regard.
- On te laisse, me dirent-ils, tu te reposes, d'accord ?
Ils m'avaient peut-être demandé mon accord, mais il allait de soi que je n'avais pas le choix, ils quittèrent la chambre et descendirent, me laissant seul. Je ne tins pas plus de dix minutes, je me levai et je recommençai d'arpenter ma bulle.
- Vaati, je t'entends ! hurla ma mère d'en bas. Couche-toi !
Je soupirai, j'attrapai quelques livres de sur mon étagère et je retournai dans mon lit. Je feuilletai l'ensemble sans vraiment prendre le courage de les lire, je revis juste les passages que j'aimais et qui m'avaient marqué, et cela suffit à remplir ma matinée. Quand vint l'heure du déjeuner, je m'empressai de cacher les ouvrages sous le lit à l'approche de ma mère qui m'amenait de la nourriture. Du pain, une petite tranche de jambon et une ribambelle de fruits, pour sûr, j'étais au régime, elle avait sûrement peur que je vomisse. J'avalai tout ça en moins de deux, en me faisant un petit peu gronder parce que je mangeais trop vite, et je me recouchai. Bien que je ne fus pas entièrement rassasié, la somnolence eut le dessus et je ne puis m'empêcher de faire un petit somme. Je me réveillai quelques heures plus tard et je revins à mes lectures, mais je m'en lassai très vite, j'entrepris de ranger les livres sur mon étagère, je m'armai de mon cahier de dessins et je dessinai le reste du temps. Flora vint me voir en fin d'après-midi, elle m'apporta mes devoirs et le déroulement de la journée : aucun commentaire sur mon absence, ni de remarques désagréables, rien du tout, sauf le contrôle surprise sur le cycle de la vie qu'ils avaient eu, elle me détailla toutes les questions posées et je l'aidai à répondre à ces dernières, pour qu'elle sache si elle avait eu juste ou non. Elle dut partir juste après ça, ma mère veillait au grain. Mon amie d'enfance rangeait ses affaires.
- Au fait, qu'est-ce qu'il s'est passé avec Maître Exelo avant-hier ? me demanda-t-elle.
J'étais sûr à cent pourcents qu'elle attendait le bon moment pour me poser la question.
- Il m'a proposé d'être son disciple, lui répondis-je.
- Quoi ! Mais c'est super ! s'exclama-t-elle.
Elle me fixa un moment.
- Tu n'as pas l'air enchanté, remarqua-t-elle.
- Je dois lui donner ma réponse dans cinq jours, je ne sais pas quoi faire...
- Tu hésites ! s'indigna Flora. Ça aurait été moi, j'aurais dis oui tout de suite !
- Ah bon ?
- Oui ! Ce serait un honneur et une véritable chance d'être son disciple, Maître Exelo est étonnement célèbre dans notre milieu, je le sais, je me suis renseignée, ajouta-t-elle avec un petit sourire.
Elle descendit en bas pour partir, mais avant, sur le pas de la porte, elle se retourna vers moi.
- Si jamais tu refuses, je te tue.
En entendant le ton qu'elle employa, je sus qu'elle était très sérieuse. Je lui adressai un sourire rayonnant, le temps qu'elle parte et qu'elle ne me voie plus, avant de faire venir une mine assez sombre. Elle n'avait pas compris mon problème, si j'acceptais, je m'engageais dans cette voie pour le reste de ma vie, et ça, sans y réfléchir sérieusement, je n'aimais pas. D'un autre côté, si je refusais, je me retrouverais à mon point de départ, soit rien, de plus, je n'aurais même pas à chercher pour ensuite puisque Flora m'aurait déjà tué.
Assez morose, je remontai dans ma chambre. Je fis immédiatement mes devoirs, heureux d'avoir quelque chose à faire au lieu de tuer le temps en attendant que ça passe. Le reste de la soirée se passa sans encombre, j'eus le même repas qu'au déjeuner et je continuai de dessiner jusqu'à ce que mes yeux se ferment tout seul et que je puisse m'endormir sans trop de mal. Je passai une nuit sans rêves, tranquille, en fait, j'avais l'impression de n'avoir dormi qu'une demi-heure, une bonne grosse demi-heure qui m'avait requinqué à bloc. La preuve, j'avais ouvert les yeux et la seconde qui suivit, j'étais déjà en train de dévaler les escaliers, pour rien parce qu'il faisait encore nuit et mes parents n'étaient pas encore levés. En tout cas, je n'avais plus de fièvre, plus de maux de tête ni de ventre, je me sentais incroyablement bien, et je n'avais aucune envie aujourd'hui de passer une journée longue comme hier. Je remontai, je guettai le lever du soleil qui arriva une poignée de minutes après et j'attendis patiemment le réveil de mes géniteurs. Je ne tenais pas en place, comme hier, je pianotai sur le rebord de la fenêtre, je feuilletai tous les livres qu'il y avait sur mon étagère en faisant un désordre pas possible sur mon lit et je m'amusai même à compter le nombre de rayures qu'il y avait sur ma couverture, en ayant à la fin presque marre d'attendre mes parents, il fallait que je les convainque d'aller à l'étude aujourd'hui, et par tous les moyens possibles. Et j'eus l'occasion de le faire, car à peine mes parents eurent-ils posé un seul orteil en dehors de leur chambre que je commençai déjà à les harceler et à les suivre comme un véritable petit toutou. Sans m'arrêter, je leur parlai de tout et de rien, en insistant à quelques moments sur l'importance des études et des conséquences que ça avait sur l'avenir si je les manquais. Et ça marcha puisqu'au bout d'une demi-heure de calvaire, mes parents me laissèrent partir, impatients d'avoir un peu de calme. Tout guilleret, j'allai à l'étude en sautillant après avoir rassemblé mes affaires. Je croisai Liwn sur le chemin, il m'entendit arriver et se retourna vers moi.
- Blanche-Neige ! s'exclama-t-il en levant les bras.
Très ironique.
- Salut ! lui répondis-je en lui adressant un grand sourire.
Et je continuai mon chemin en chantonnant, lui resta planté là où il était sans rien dire et en me fixant avec des yeux ronds, j'étais de bonne humeur. Flora explosa littéralement de joie en me voyant arriver, à croire que je lui avais manqué en une demi-journée, nous rentrâmes ensemble à l'étude en discutant joyeusement et nous nous installâmes à nos places respectives en attendant le début du cours.
Bien entendu, je n'échappai pas au rattrapage du contrôle d'hier, je le réussis haut la main et je rendis ma copie à l'enseignant tout aussi étonné que Liwn quand je lui fis un énorme sourire. La journée passa rapidement, et je suivis le cours avec attention et sérieux, une attitude irréprochable. Je fis le plein d'énergie et de devoirs avant de repartir chez moi avec la même humeur que le matin même.
Le lendemain, ce fut pareil. A la pause-déjeuner, je discutais avec Flora.
- Alors, tu vas dire quoi à Maître Exelo ? s'enquit-elle.
- Je ne sais toujours pas, lui répondis-je dépité.
- Vaati ! s'exaspéra mon amie. Il ne te reste que trois jours !
- Je sais qu'il faut que je me décide, mais ce n'est pas facile, protestai-je.
- J'en suis consciente, mais, Vaati, dis-toi bien qu'une proposition comme ça, il n'y en aura sûrement qu'une seule dans ta vie, il ne faudrait pas que tu regrettes de l'avoir refusée.
Ses paroles me tourmentèrent, elles étaient réalistes et vraies, et elles me faisaient peur. Nous rentrâmes en avance pour l'étude à cause du temps couvert, il allait y avoir un orage dans pas longtemps. La leçon de l'après-midi nous était inconnue, nous fûmes donc étonnés lorsque l'enseignant nous somma de ranger nos affaires.
- Vous n'êtes pas encore là cette après-midi ? questionna Liwn plein d'espoirs.
- Inutile de rêver, je suis là, répondit amèrement l'enseignant.
Il s'assit sur son bureau et nous fit face.
- Bon, vous tous, aujourd'hui, il est grand temps d'aborder la question qui concerne votre avenir.
Comme par hasard, juste au moment où je me la posais, j'étais certain que Maître Exelo y avait semé son petit grain de sel dans cette histoire. L'enseigna continua malgré le brouhaha qui s'était installé.
- Il est temps que vous vous décidiez sur ce que vous allez faire plus tard, si vous avez déjà une idée ou non. Par exemple, Liwn, choisit-il avec un sourire en coin, qu'est-ce que tu veux faire quand tu seras grand ?
Le cancre réfléchit un peu.
- Je ne sais pas de trop, dit-il, j'aime bien lire, alors j'avais pensé devenir bibliothécaire...
Ce fut l'hilarité générale, même l'adulte ne put s'empêcher d'éclater de rire.
- Tu sais, Liwn, souffla l'enseignant entre deux rires, la lecture ne se limite pas à des bandes dessinés.
Vexé, Liwn se mit à nous citer tous les plus grands auteurs de notre monde, en accompagnant leur nom du titre de leurs différents ouvrages et de certains résumés, en affirmant avec fermeté les avoir tous lus. Les rires cessèrent et cela nous laissa tous pantois.
- Comment sais-tu ça ? s'exclama l'adulte. Tu as les pires notes de la classe !
- Bah, vous ne nous donnez jamais de livre à lire pour chez nous, répondit le jeune Minish, ça serait bien de le faire, c'est assez intéressant.
Le reproche débordant d'innocence et de vérité frappa l'enseignant de plein fouet. Sans dire un mot, il se détourna de Liwn pour bombarder la pauvre Mahé de questions qui se ressemblaient étrangement. J'étais baba, je continuai de dévisager le cancre la bouche grande ouverte, tout comme Flora. Jamais, mais alors jamais je n'aurais pensé qu'il serait passionné par les livres et qu'il en connaisse déjà la majeure partie. Je me reprenai et je suivis l'enseignant qui en avait fini avec la jeune Minish.
- Comme vous le savez sûrement, le choix de votre métier est crucial, il faut vous décider vite pour qu'ensuite, vous vous orientiez vers des études plus adaptées à vos attentes. Il existe bien entendu un certain nombre d'orientations...
Je me réjouis, j'allais en apprendre plus sur la voie que me proposait Maître Exelo et je pourrais ainsi réfléchir sérieusement à la réponse que j'allais donner. L'adulte parla durant toute l'après-midi, de tout et de rien, sauf de ce que je voulais savoir. Il nous congédia quand arriva la fin, mais j'étais resté sur ma faim. Tandis que tous les autres partaient en hurlant ou rangeaient leurs affaires, j'attrapai les miennes et je me dirigeai vers l'enseignant.
- Qu'est-ce que tu fais ? me demanda Flora lorsque je passai à côté d'elle.
- Poser des questions, il n'a rien dit sur les sages...
- Je viens avec toi.
L'adulte rassemblait ses affaires en sifflant un air qui m'était inconnu.
- Monsieur.
Il se retourna vers moi, ses lunettes rectangulaires ayant glissé le long de son nez, il me lança un regard mauvais au-dessus de ses montures.
- Qu'est-ce qu'il y a ? interrogea-t-il brusquement.
- Vous n'avez pas parlé des sages ni des apprentissages qu'ils effectuent, répondis-je, je voudrais en savoir plus.
- Pourquoi tu veux savoir ça ? enchaîna-t-il.
- Vous devriez savoir, c'est pourtant Maître Exelo qui vous a demandé de parler de l'avenir.
Il me regarda avec des yeux ronds, Flora m'écrasa le pied, elle aimait bien faire ça pour me rappeler à l'ordre. Là, elle m'avertissait qu'il fallait que je me comporte autrement, il était vrai que j'avais répondu avec insolence à l'enseignant avec une supposition que je m'étais faite en début de cours.
- Comment tu sais ça, toi ?
Deuxième fois qu'il posait la question en une seule journée.
- Parce qu'il l'a vraiment fait ! m'exclamai-je avec étonnement.
Il y eut un blanc.
- Ah, à propos de l'apprentissage qu'il t'a proposé...
- Vous êtes au courant ? s'étonna Flora.
- Tout le monde est au courant, répondit l'adulte, une offre comme ça est rare et c'est une première venant de Maître Exelo.
L'enseignant avança sa chaise de bureau et s'assit dessus avec un soupir.
- Les disciples des sages apprennent l'usage de la magie, le savoir d'utiliser les forces que l'esprit confère, mais je ne suis pas un spécialiste là-dessus, ainsi que toutes les leçons qu'ils doivent savoir sur le monde, acquérant une grande sagesse au cours de leur carrière et un savoir immense. Pour ce qui est du reste, je ne peux absolument pas me prononcer, c'est en fonction de Maître Exelo.
- Pourquoi ? demandai-je.
- Eh bien, les programmes de ce genre d'apprentissage et les métiers que l'on peut faire ensuite sont très variés, m'apprit l'enseignant en remontant ses lunettes, certains sages forment leur disciple aux arts du combat et les envoient ensuite aux champs de bataille, d'autres leur apprennent essentiellement les sorts de guérison pour qu'ils deviennent médecins, certains créent des rats de bibliothèques, restant dans leurs livres à longueur de temps, ou alors ils peuvent tout apprendre et voyager pour aider les personnes qui sont dans le besoin. Mais, sincèrement, je n'ai aucune idée de ce que Maître Exelo prévoit de faire.
- Et il y a beaucoup de disciples ?
- Beaucoup de sages, mais très peu de disciples, les vieilles personnes préfèrent aujourd'hui se consacrer à leur petit confort plutôt qu'à l'avenir de leur monde qu'elles pensent quitter prochainement.
- Mais, si je refuse, Maître Exelo trouvera quelqu'un d'autre, non ?
- Tu sais, Vaati, trouver un disciple digne de ce nom n'est pas toujours facile, me dit l'enseignant, Maître Exelo est très méticuleux - et lunatique aussi - et ce qu'il souhaite en tant que disciple, c'est quelqu'un qui réponde à ses attentes. Si tu refuses, je ne suis pas sûr qu'il arrive à dénicher quelqu'un de mieux que le premier à qui il avait proposé cet apprentissage. Si il t'a choisi, c'est pour de bonnes raisons, regarde-toi, tu es intelligent et extrêmement mature pour ton si jeune âge, où trouvera-t-il un garçon comme toi sinon ?
Je réfléchis, que d'avantages dans ses explications !
- Et quels sont les inconvénients ?
L'adulte chercha une poignée de secondes.
- Franchement, je n'en sais rien...
Flora et moi le remerciâmes et nous quittâmes la classe déjà désertée par nos camarades surexcités.
- Attendez !
L'enseignant nous rattrapa alors que nous allions franchir le pas de la porte.
- Dites-moi...
Il se pencha en avant, regarda à droite et à gauche pour s'assurer qu'il n'y avait personne et nous demanda :
- Vous... saviez que Liwn adorait lire ?
- Pas du tout, répondis-je immédiatement en choeur avec Flora.
Il fit la moue et nous laissa partir en nous souhaitant une bonne fin d'après-midi. Je revins à mes réflexions.
- Whoa, fit Flora au bout d'un moment.
Oui, c'était le cas de le dire, je n'avais jamais été jusqu'à imaginer l'étendue des métiers que l'on pouvait faire après avoir été le disciple d'un sage.
- C'est incroyable, continua-t-elle.
Ah ça, même en acceptant l'apprentissage, je pouvais faire ce que je voulais ensuite, et si Maître Exelo ne me confiait pas ce dont j'avais besoin, je pouvais toujours apprendre en autodidacte.
- T'as vu...
- Oui, répondis-je machinalement.
Mais le fait de ne pas savoir ce que j'allais apprendre me faisait peur, et si j'allais poser la question au sage ? Je serais fixé, mais s'il ne voulait pas me répondre ? Oh, il ne serait pas aussi méchant quand même.
- Il n'y avait aucune animosité dans son attitude.
Brusque retour à la réalité.
- Quoi ? De quoi tu parles ?
- De l'enseignant, Vaati, tu croyais que je parlais de quoi ?
- De ce qu'il nous avait dit... enfin, tu disais ?
- Je disais que l'enseignant n'a été en aucun cas désagréable avec toi.
Ah tiens, c'est vrai ça, où étaient passés la froideur et le rejet qui l'animaient habituellement quand il m'adressait la parole ?
- C'est bizarre, hein ? Il t'a même souhaité une bonne fin d'après-midi, il ne l'avait jamais fait auparavant.
J'admets, c'était louche, il faudra que je réitère l'expérience une autre fois, mes pensées étant tournées vers autre chose. Je saluai Flora et je partis dans la direction opposée à elle pour rentrer chez moi. Au loin, j'entendis le tonnerre gronder et je dus courir les quelques dizaines de mètres qui restaient car il commençait à pleuvoir. Lorsque je fus dans le hall de ma maison, j'étais déjà trempé de la tête aux pieds malgré le peu de temps que j'avais passé sous la pluie. Je m'essorai comme je pus quand ma mère sortit du salon.
- Regarde-moi ça ! s'exclama-t-elle. A peine guéri qu'il fait déjà tout pour retomber malade !
- Ce n'est pas ma faute s'il a commencé à pleuvoir pendant que je revenais, répliquai-je.
- Tu n'aurais pas été mouillé si tu n'avais pas autant traîné pour revenir.
Ah, un point pour elle.
- J'ai demandé à l'enseignant des informations sur les apprentissages des sages, informai-je.
Et je ne sais pourquoi d'ailleurs, ça aurait été plus facile de ne rien dire et de monter sans un bruit dans ma chambre, pourquoi a-t-il fallu que je lui dise ça ?
- Alors, qu'est-ce que tu vas faire ?
Je sursautai, je n'avais pas entendu mon père rentrer derrière moi.
- Je ne sais pas encore...
Mon paternel referma la porte en soupirant, il dégoulinait de partout.
- Toi aussi tu as envie de tomber malade ? incendia ma mère.
- Ce n'est pas ma faute si l'orage a commencé quelques minutes avant que je sorte de la se
- Deux minutes, toi !
Je fus stoppé net dans mon élan alors que je partais et je me retournai vers l'enseignant qui me tenait le bras. Il attendit que mes camarades soient tous partis avant de relâcher sa prise et d'aller fermer la porte qui menait vers la liberté, il revint ensuite vers moi, fulminant d'une rage qu'il contenait depuis hier et qu'il allait enfin déverser.
- Bravo pour votre petit plan d'évasion hier, dit-il entre ses dents.
Il parlait bien évidemment de moi et de Maître Exelo.
- Quel plan ? répliquai-je. Je ne savais même pas qu'il allait vous abandonner pour venir me chercher !
- Toi non, mais j'ai pu remarquer l'absence de Flora dès notre retour en classe, j'ai eu quelques doutes qui se sont confirmés lorsque je vous ai vus ensemble avec Maître Exelo, tu n'as rien comploté, mais je sais pertinemment que les deux autres l'ont fait pour toi !
Je me figeai sur place. Alors comme ça, il avait percé à jour notre petite méthode d'hier, il était bien plus futé que ce que je pensais, trop même. Devant mon silence, il fit volte-face et commença à fouiller de fonds en comble mon pupitre. Après quelques minutes d'acharnement, il se redressa et revint vers moi, encore plus furieux. Heureusement que je n'avais pas ramené mon cahier de dessins en classe, sinon j'aurais été très mal.
- D'accord, tu peux partir, maugréa-t-il vaincu, mais ne crois pas que tu vas t'en tirer comme ça, garde bien à l'esprit que je vous ai à l'oeil, toi et Flora, au moindre faux pas, je vous attendrai au tournant !
J'acquiesçai doucement, il se retourna et je pus enfin sortir de l'étude. Mon amie m'attendait dehors inquiète.
- Il a percé à jour notre plan d'hier, lui dis-je, on fait une bêtise et il nous attend au tournant.
- C'est ce qu'il t'a dit ?
- Oui, en résumé, bien évidemment.
- C'est compris, on fera bien attention !
Nous repartîmes alors, moins joyeux qu'il y a une poignée de minutes, mais joyeux quand même.
A travers une fenêtre de l'étude, l'enseignant suivait les deux enfants des yeux.
- Il fallait bien que le rêve s'arrête, n'est-ce pas Maître Exelo...
Le sage sortit de l'ombre et alla guetter lui aussi les deux jeunes Minishs.
- Tu as bien fait, dit-il, le rêve ne doit pas durer longtemps, il risquerait d'y prendre goût. Mais je te suis quand même redevable, Widel, merci de m'avoir permis d'emmener ces deux-là.
- Ce n'est rien, dit l'enseignant, si c'est pour soutenir Vaati, je suis prêt à accepter toutes vos escapades.
- C'est un gentil gamin, enchaîna le sage, tu as vu comment il dessine ?
- Oui, il gribouille souvent en classe, j'en ai eu des occasions de voir ses dessins, je faisais semblant de ne pas voir qu'il dessinait en passant à côté de lui, mais je me suis aperçu que je n'avais rien vu lorsque j'ai feuilleté son cahier hier, c'est incroyable le coup de crayon qu'il a, et c'est un excellent élève en plus.
- J'avais remarqué, il connait déjà toutes les règles d'or des Minish, il lit beaucoup, j'ai été assez impressionné.
Il y eut quelques minutes de silence.
- C'est ironique, reprit l'enseignant, on essaye de l'aider alors qu'il faut que nous fassions le contraire, je dois avouer que c'est assez difficile de montrer que l'on hait quelqu'un alors qu'en réalité, c'est tout le contraire...
- Tu dis ça, mais tu as craqué avant-hier, reprocha Maître Exelo.
- Comment ne pas être insensible devant autant de maturité ?
- Bonne question, mais estime-toi heureux de ne pas être à la place des parents, ce doit être beaucoup plus dur pour eux que pour toi !
- Certes... Vous comptez le prendre sous votre aile ?
- Il est déjà passionné par les Hyliens et leur monde...
- Quoi ! Mais ça...
- Oui, ça a été plus vite que prévu, donc oui, il faut que je le prenne sous mon aile, et rapidement, j'ai déjà commencé à me rapprocher de lui.
- Oui, mais vous ne l'aidez pas en lui donnant un livre sur Hyrule !
- C'est seulement pour évaluer la situation, je verrai bien sa réaction vis-à-vis de sa lecture. Mais pour l'instant, il faut continuer comme avant, c'est bien compris ?
- Oui, mais la jeune Flora ne me facilite pas la tâche...
- Non, c'est Liwn qui te la facilite, quant à Flora, si elle n'avait pas été là, je ne sais pas si Vaati aurait tenu jusqu'ici.
- Et ça, on ne le saura jamais.Les deux adultes se turent sur cette phrase et contemplèrent le ciel orangé sans ajouter un mot de plus à cette conversation.
J'avais abandonné Flora au croisement des trois chemins et j'avais couru jusque chez moi - en me calmant lorsque j'étais entré en présence de mes parents - pour me ruer dans ma chambre et me jeter à corps perdu dans la lecture de l'ouvrage à la reliure de cuir rouge. Par chance, je n'avais pas d'étude les deux jours suivants, ce qui me mettait encore plus enthousiaste que je ne l'étais. J'attaquais tout d'abord l'introduction qui s'étendait sur une quinzaine de pages et que je relus trois fois tellement ça me passionnait, vint ensuite la première partie qui nous expliquait ce qu'étaient réellement les Hyliens et ce qu'ils représentaient pour nous. Je n'en lus que la moitié car je me rappelais brusquement que c'était l'heure de dîner, je descendis juste à temps et j'eus la chance de ne pas être réprimandé pour ma justesse. J'avalais ce que l'on me servit - même ce que je n'aimais pas - en quatrième vitesse avant de remonter dans ma chambre aussi vite que lorsque j'en étais descendu sous les regards interloqués de mes parents. Je me remis à lire, j'usai en tout deux bougies pour continuer ma lecture la nuit, mais je m'endormis sur l'ouvrage alors que j'en étais à plus de la moitié.
Je me réveillais le lendemain assez tard dans la matinée en ayant la marque de quelques pages sur le visage, lorsque je rejoignis la cuisine, on me reprocha l'heure à laquelle je venais de me lever avant de me servir quand même le petit déjeuner. Après m'être lavé et habillé, j'attrapai le livre que l'on m'avait prêté et je sortis pour aller à ma tour. Je montai tout en haut et je me remis à lire après avoir retrouvé le passage où je m'étais arrêté. Je dévorai le reste de l'ouvrage sans avoir la moindre notion du temps, je ne me souciais pas de l'heure qu'il était, de toute façon, cela m'était égal. J'étais arrivé à l'épilogue de l'ouvrage, à mon grand regret, lorsque j'eus la surprise de voir la tête de Flora apparaître comme une jolie fleur là où se trouvait le moyen de monter en haut de ma tour.
- Ah, te voilà ! s'exclama-t-elle.
Elle finit de monter et bondit à côté de moi.
- Qu'est-ce que tu fais ? me demanda-t-elle. Tu bronzes ?
Je lui jetai un petit regard plein de reproches avant de lui faire un énorme sourire.
- Non, je lisais, répondis-je, regarde, j'en suis déjà à l'épilogue !
- Tu as fait vite.
- Oh, j'en avais lu un peu hier soir, mais je ne pensais pas tout lire en une seule matinée !
Mon amie me regarda bizarrement.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Vaati, on est en plein après-midi, si je suis venue ici, c'est parce que tes parents te cherchent depuis des heures...
Je perdis mon sourire. Certes, je me fichais de l'heure qu'il était, mais avoir manqué le déjeuner, ce n'était pas bon du tout, ce fut seulement à ce moment que je m'aperçus que j'étais mort de faim. Je finis de lire les dernières pages qu'il me restait et je descendis en vitesse de ma tour avant de courir en direction du village en compagnie de Flora. Nous courûmes à nous en couper le souffle, je faillis trébucher plusieurs fois en m'emmêlant les pieds dans de jeunes herbes avant d'arriver à la serre au bout de quelques poignées de secondes. Nous rejoignîmes le chemin et nous fonçâmes en direction de ma maison, mais arrivé à celle-ci, alors que j'allais ouvrir la porte, cette dernière s'ouvrit et je rentrai malgré moi dans mon père. Il vacilla tandis que je fus projeté à terre, je me mis assis et je levai la tête vers mon paternel alors que Flora accourait essoufflée derrière moi.
- Où étais-tu donc passé ! s'égosilla mon père. Ça fait des heures qu'on essaie de te trouver !
Il attrapa mon bras et me mis debout, derrière lui apparut ma mère, de même humeur.
- Où as-tu vu que l'on manquait le déjeuner de la sorte ! gronda-t-elle tandis que Maître Exelo sortait de la maison.
Maître Exelo ? Que faisait-il ici ? Le vieux sage se pencha vers moi et me sourit.
- Alors, on jouait à cache-cache ? me demanda-t-il d'une voix enjouée tout en se redressant.
Je lui fis à mon tour un petit sourire.
- Non, je finissais juste de lire le livre que vous m'avez prêté, lui répondis-je en levant l'ouvrage, j'étais tellement plongé dans sa lecture que j'en ai perdu la notion du temps...
Et c'est ce moment précis que mon estomac choisit pour gargouiller, mes parents eurent un air exaspéré, Flora se retint de justesse d'éclater de rire, ce qui ne fut pas le cas de Maître Exelo. Le vieux sage fit de gros efforts pour se calmer avant de reprendre.
- Dis-moi, comment as-tu trouvé ce livre ?
- Passionnant ! répondis-je plus qu'enthousiaste. Vous en avez d'autres sur les Hyliens, ou encore sur leur monde ? Je suis curieux de savoir exactement comment on se rend là-bas.
Je ne sais pas exactement comment je me sentis à ce moment-là, quand je remarquai de quelle manière Maître Exelo et mes parents me dévisageaient, ils étaient presque terrifiés. Pourquoi avaient-ils une telle réaction vis-à-vis de ma phrase ? Lentement, le sage se retourna vers mon père.
- Si vous le voulez bien, je vais emmener Vaati avec moi, murmura-t-il.
- Faites comme bon vous semble, répondit simplement mon père.
Maître Exelo se retourna vers moi et me prit doucement l'épaule avant de regarder Flora.
- Rentre chez toi, lui dit-il.
Puis, le vieux Minish m'entraîna à pas lents en direction de sa maison dans un silence absolu. Dès que nous fûmes suffisamment éloignés de mon foyer, je ralentis la cadence, même si elle était déjà très faible, et je levai la tête vers le sage.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demandai-je. Pourquoi m'emmenez-vous chez vous ? J'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas ?
- Cela fait beaucoup de questions ça, me répondit-il dans un souffle, j'ai simplement besoin de te parler, rien de plus, c'est pour ça que j'étais venu chez toi.
Ah, tout s'expliquait, sauf...
- Dites, ça vous terrifie tant que ça de devoir me parler ?
Maître Exelo s'arrêta brusquement.
- Comment... ça ?
- Lorsque je vous ai demandé si vous possédiez d'autres livres sur Hyrule et le moyen d'y aller, vous et mes parents étiez tétanisés, comme si vous aviez un... un monstre devant... devant...
Ma voix se brisa. C'était vrai, ils m'avaient regardé comme si j'étais un monstre, j'avais certes l'habitude avec ma classe et l'enseignant, mais cette fois-ci, cela avait eu un impact différent sur moi, il était beaucoup plus fort qu'à l'ordinaire. Sans le savoir, mes parents et le sage venaient de me faire prendre conscience pour la première fois de la terrible réalité que je vivais réellement.
On n'était pas indifférent envers moi juste pour se moquer, mais parce que j'étais un monstre.
Les larmes me vinrent aux yeux, j'essayai désespérément de les refouler, mais ce fut plus fort que moi, je lâchai l'ouvrage que je tenais toujours dans mes mains puis je me mis à pleurer.
- Qu'est-ce... qu'est-ce que je suis ? sanglotai-je.
Le sage ne parut pas surpris de ma question, comme si la réponse paraissait pour lui comme évidente. Il s'agenouilla devant moi, ramassa le livre à terre et l'épousseta avant de me fixer droit dans les yeux.
- Tu es un Minish, me dit-il, tu n'es pas un monstre, tu es comme moi et tes petits camarades, il n'y a pas de différence entre toi et nous, pas une seule, je peux te l'assurer, il n'y a aucune différence...
Maître Exelo me tendit l'ouvrage en continuant à me fixer.
- L'attitude des enfants quand ils ont ton âge peut être quelquefois si immature, néanmoins, en grandissant, on se rend compte petit à petit du comportement que l'on avait il y a encore quelques années, et on fait tout pour y remédier. Tu n'es pas un monstre Vaati, tu es juste un bouc-émissaire, un sujet de moquerie comme il en existe partout dans le monde, mais ça s'arrêtera, ne t'inquiète pas, ça s'arrêtera...
Doucement, je repris le livre dans mes mains et je cessai de pleurer, mais je continuai de trembler comme une feuille. Le vieux sage sourit en soufflant un "voilà" et se remit debout. Il me reprit l'épaule et m'entraîna vers sa maison. J'essuyai mes joues encore humides, ce que m'avait dit le sage m'avait un peu réconforté, mais, je n'étais pas pour autant calmé, toujours, toujours cette question m'avait taraudé, toujours cette question m'avait hanté : pourquoi ? Je ne savais pas et on ne voulait pas me le dire, j'avais même la certitude que Maître Exelo venait de superbement me mentir, qu'avaient-ils tous donc contre moi ?
Nous passâmes devant la maison voisine à celle du sage et je sentis sensiblement dans mon cou le regard de Liwn perché sur le rebord d'une fenêtre à l'étage. Je frissonnai à cette sensation, Maître Exelo le remarqua, il se retourna vers la maisonnette puis revint en place aussi droit qu'un i et une expression crispée au visage, c'est drôle, mais je ne sentais plus le regard de Liwn après ça. Arrivés, il me fit entrer chez lui et m'emmena dans une pièce qui s'avéra être son salon, enfin, c'est ce que j'en déduisis en comparant avec ma propre maison, parce que ce que j'avais devant moi ne ressemblait en rien à un salon : tout n'était que désordre, les étagères collées aux murs étaient vides ou encombrées de babioles recouvertes d'une épaisse couche de poussière, je pus apercevoir quelques fauteuils de couleur verte, une table basse en bois et une fine moquette rouge en dessous d'un parterre et d'innombrables piles de livres dont les sujets étaient tous aussi nombreux que les ouvrages eux-mêmes. Je levai la tête pour entrevoir au plafond un circuit de toiles où circulaient en toute liberté et sérénité de petites boules noires à huit pattes. J'éternuai un coup, la poussière ne me réussissait pas, tandis que Maître Exelo s'empressait de déblayer la table basse et les quelques fauteuils.
- Quand... quand est-ce que vous avez fait le ménage pour la dernière fois ? demandai-je.
Je savais que j'étais moi-même quelquefois désordonné, ce dont ma mère avait horreur, mais pas à ce point-là. Le vieux sage se retourna, les mains encombrées, il me fit un petit sourire forcé.
- Oh, ça fait longtemps que je ne range plus, me répondit-il sans aucune gêne apparente.
Je crus défaillir, je n'osais pas imaginer l'état du reste de la maison, je ne savais même pas par quel miracle il n'était pas encore tombé malade dans cet endroit si sale. Il jeta ce qu'il avait dans les mains sur des tas de livres qui s'effondrèrent et il m'invita à m'installer. Je m'assis sur l'un des deux fauteuils qu'il avait réussi à désencombrer, face à face, et je soulevai bien malgré moi un épais nuage de poussière qui me fit tousser. Le vieux Minish se mit assis dans le deuxième fauteuil et commença à me parler.
- Vaati, cela fait déjà un petit moment que je t'observe, me confessa-t-il, et...
Mais je n'écoutais pas, j'étais trop occupé à ne pas essayer de m'étouffer. Il le remarqua et vint à ma rescousse en me tapant dans le dos.
- Tout va bien ? s'inquiéta-t-il. Qu'est-ce qu'il se passe ?
- C'est... la poussière, réussis-je à dire.
Il me regarda un moment avant de se lever et de me prendre le bras.
- On va aller à la cuisine, me dit-il.
Mon coeur eut un raté, néanmoins, je ne protestai pas et je me laissai conduire dans la pièce adjacente. Je voyais déjà la vaisselle sale amoncelée en tas et dégageant une odeur désagréable, menaçant de se fracasser, la table non débarrassée et ayant encore les restes du déjeuner. Je fermai les yeux en me dirigeant dans cette pièce, avec son petit tas de détritus, les toiles d'araignées partout, et toujours cette interminable couche de poussière. Le sage me lâcha et je sus alors qu'on était arrivé à destination. En tremblant un peu, je m'armai de courage pour ouvrir les yeux et constater le désastre biologique qui allait me faire face.
Par rapport au salon, la cuisine était d'une propreté douteuse. Je restai interdit quelques instants avant de me ressaisir. Maître Exelo me désigna une chaise, je m'y installai le plus confortablement que je pus et je le regardai attraper une bouilloire et la remplir d'eau.
- Il n'y a que le salon qui est aussi... poussiéreux ? interrogeai-je timidement.
Il mit la bouilloire à chauffer.
- Non, mon atelier aussi... et les couloirs, sinon, tout est propre.
Il s'assit sur la chaise en face de moi et croisa ses mains sur la table en silence. Il resta ainsi, aucune parole, aucune réaction, j'étais désemparé, je ne savais pas du tout comment réagir. J'ouvris la bouche pour parler, mais aucun son n'en sortit et je la refermai, j'étais certain de ressembler à un poisson. Après une poignée de minutes insoutenables, devant le sage qui était immobile, son regard dans le vague, je me décidai enfin à vraiment lui parler.
- Maître Exelo, commençai-je.
- Je disais tout à l'heure que cela faisait un petit moment que je t'observais, coupa le vieux Minish.
Après mon attitude désemparée vint une attitude interloquée.
- Pourquoi ? demandai-je sur le coup.
En réalité, ce fut le seul mot que je réussis à articuler.
- Parce que je suis vieux.
Il n'y avait pas plus explicite comme réponse...
J'abordai une expression abasourdie, lui était impassible, comme si ce qu'il m'avait répondu pouvait répondre à ma question...
Il dut le comprendre car il me fixa quelques instants avant d'afficher tristement un petit sourire en coin.
- Cela fait des années que je suis connu en tant que sage, et je suis maintenant arrivé à un âge où je me dis... que je ne suis plus tout jeune, que je ne ferai plus jamais ce que je faisais avant, alors je me suis mis en tête d'avoir tout ce que les sages comme moi ont, arrivés à ce stade.
- Et, qu'est-ce qu'ils ont ? me risquai-je à demander.
- Un apprenti.
Il s'arrêta là, il resta de marbre en attendant ma réaction, celle qui ne venait pas, je ne comprenais pas. Pourquoi me disait-il tout ça, qu'est-ce qui lui prenait pour qu'il me raconte sa vie ? Devait-il se soulager, et d'abord, pourquoi moi, il y a pleins d'adultes dans ce village, pourquoi n'était-il pas allé en voir un à ma place ? Ce fut lorsque se croisait le regard perçant de Maître Exelo que tout devint clair dans mon esprit.
- Moi ?! m'étranglai-je.
- Il faut savoir que tu es très intelligent et très mature pour ton âge, me dit-il, et il est très difficile de trouver un enfant comme toi...
- Mais...
- Il va de soi que j'assurerais entièrement ton apprentissage et que le choix d'effectuer celui-ci t'appartient, j'en ai déjà parlé à tes parents et ils ne s'y opposent pas.
Tiens, mes parents ont accepté que je fasse cet apprentissage, c'est bizarre ça...
Le sage continua de me regarder.
- Maître Exelo, balbutiai-je, je...
- Cet apprentissage aura pour but de t'apprendre les importantes leçons qui régissent notre monde, ainsi que l'utilisation de la magie sous toutes ses coutures, ce sera à toi de choisir sur quelle voie t'orienter ensuite.
Il marqua une courte pause.
- Alors ?
- Je... je ne sais pas, je...
Maître Exelo soupira.
- Je m'attendais à ce que tu hésites, m'avoua-t-il, il est vrai que ce n'est pas évident de choisir sur le coup.
Il se leva.
- Tu as une semaine pour prendre ta décision, à toi de choisir celle qui te semble la plus juste.
Puis plus rien, je n'arrivais pas à parler. En silence, je me levai à mon tour, je saluai le vieux sage et je quittai la maison, des questions plein la tête. Je ne m'attendais pas à ce que l'on me fasse cette proposition, je ne m'étais même jamais posé la question de ce que je voulais faire quand je serais grand, jamais. Je restai coincé sur cette question si inconnue pour moi et inexplorée. Oh, je n'étais même pas resté pour prendre le thé que le sage préparait, il avait fait chauffer de l'eau pour rien.
Je rentrai chez moi en silence, je me fichais bien d'être réprimandé une fois de plus de mon retard d'avant, j'avais d'autres préoccupations. Je m'engouffrai dans le salon où mes parents lisaient tranquillement, ah non, ma mère tricotait, je m'approchai et je me plantai à côté d'elle, assise elle-même à côté de mon père qui m'ignorait.
- Vous... vous voulez vous débarrasser de moi ? demandai-je timidement.
J'ai réussi à attirer leur attention, mes parents me dévisagèrent un instant avant de se remettre à vaquer à leurs occupations en me répondant :
- Arrête de raconter des bêtises, tu sais très bien que nous n'aimons pas ça.
- Mais... vous avez accepté que je devienne l'apprenti de Maître Exelo, répliquai-je tristement.
Mon père leva les yeux de son livre qu'il posa sur ses genoux et ma mère eut les mains crispées à ses aiguilles comme si on allait lui arracher de force. Lentement, ils se retournèrent vers moi, un air assez surpris collé à leur visage.
- Pourquoi ? questionnai-je.
Ils s'échangèrent un regard.
- Etre l'apprenti d'un grand sage tel que Maître Exelo est un privilège, commença ma mère.
- Pourquoi aurait-on hésité face à sa demande ? enchaîna mon père. De plus, tu es le meilleur en classe, et il nous a affirmé que tu n'aurais aucun problème d'entreprendre cet apprentissage vu ton niveau actuel.
Wow...
C'était bien la première fois qu'ils me faisaient autant d'éloges en face, d'un côté, j'étais heureux comme tout qu'ils me disent ça, mais ce fut l'autre côté qui l'emporta, là où la rage dominait, enfouie et emprisonnée depuis bien longtemps, là où je me demandais pourquoi ils ne m'avaient dit ça que maintenant et pas avant, j'aurais tellement été content, ça aurait embelli ma vie rien qu'un petit peu, le petit peu qu'il me fallait pour avancer. Je serrai les poings pour éviter de les abattre là où je le regretterais plus tard, je gardai la tête baissée en tremblant légèrement.
- Vaati, tu as faim ?
Je ne vis même pas ma mère se lever.
- On t'a gardé un peu de gratin comme tu aimes et...
Autant si j'avais été dans mon état normal, cette phrase m'aurait interpellé, que ma mère sache ce que j'aime et qu'elle m'en propose avec tant de gentillesse, mais malheureusement pour elle, je n'y étais pas, dans mon état normal, bien loin de là.
- Je n'ai pas faim, répondis-je froidement.
Je laissai mon père assis dans son fauteuil et ma mère plantée en plein milieu du couloir, coupée dans son élan, et je montai à pas lourds dans ma chambre. Je fis exprès de claquer la porte et je m'assis sur mon lit, je restai dès lors immobile, les yeux perdus dans le vague et l'esprit vide de toute pensée. Et puis, quoi penser de cette situation ? J'étais furieux, je serrai les poings tellement fort que mes jointures devinrent aussi blanches que d'habitude et la marque de mes ongles s'imprima dans ma chair. Je restai ainsi durant un bon quart d'heure - enfin, je crois - avant d'entendre ma mère et mon père quitter la maison pour aller je ne sais où. J'étais maintenant seul dans la maison, il n'y avait personne pour me voir, personne pour me parler et encore moins personne pour m'entendre. Sur cette pensée, j'attrapai mon oreiller, il eut droit à tous les traitements possibles et imaginables sous le contrôle de la fureur : il fut griffé, frappé, oppressé, tiré de par tous les côtés, je me défoulai sur lui, je le mordais pour étouffer mes cris de rage, ce fut ainsi pendant un bon moment. Je m'effondrai ensuite sur mon lit, en nage et en pleurant. Tout se bousculait dans ma tête, l'expression que mes parents et Maître Exelo avaient eue quand j'avais parlé du livre, la discussion entre le vieux sage et moi concernant ce que j'étais et sa proposition, et enfin les paroles de mon père. La vie peut être juste et injuste dans une même journée, qui l'eut cru...
Je me recroquevillai sur moi-même, je ne pensais à rien, à quoi bon de toute façon. Je finis de pleurer tout mon soul et j'attendis que le temps passe. Mes parents rentrèrent deux heures plus tard, et je n'avais pas bougé d'un pouce, j'entendis ma mère s'affairer à la cuisine, il allait être l'heure de dîner... déjà ? Je levai la tête et je m'aperçus que la lumière avait sacrément décliné et que le soleil était sûrement prêt à se coucher. Je me mis debout et je me précipitai à la fenêtre en manquant de m'étaler par terre à cause de mes jambes engourdies et je guettai la sphère orangée qui descendait : pas avant une bonne demi-heure le coucher. Je soupirai longuement avant de me frotter les yeux et de m'asseoir dans mon petit fauteuil, j'attrapai un livre de sur mon étagère et je commençai à le feuilleter avec lassitude. Ma tête bascula sur le côté et mon attention diminua progressivement. Le soleil avait à peine terminé sa descente, le livre glissa lentement de mes mains et tomba à terre, j'entendis un vague "à table !" avant de sombrer dans un profond sommeil hanté de cauchemars.
Le réveil fut difficile, je ne savais pas pourquoi, mais j'avais mal partout. Première contrainte à mon réveil, je mis longtemps avant d'arriver à ouvrir les yeux. Deuxième contrainte, à peine j'eus ouvert les yeux que la lumière me broya ces derniers. Et enfin, dernière contrainte, je ne me sentais pas bien. Quel joyeux réveil !
Un léger mal de tête m'assaillait, de plus, je me sentais faible, sans doute parce que je n'avais rien mangé de toute la journée d'hier, je n'avais pas dîné, ou en tout cas, je ne m'en souvenais pas. Je me levai doucement, ou plutôt me mis-je assis, je ne me souvenais pas non plus m'être endormi dans mon lit, peut-être m'étais-je relevé pour me coucher et être dans une position plus confortable. Je repoussai la couverture qui me recouvrait et je me mis debout, la pièce tangua dangereusement et je dus me tenir à mon lit pour ne pas m'effondrer. Je pris le temps de reprendre mes esprits et, avec prudence, je me dirigeai vers le couloir pour descendre à la cuisine, d'où j'entendais mes parents prendre leur petit-déjeuner. J'avais chaud, je sentais mon sang bouillonner dans mes veines et me brûler de l'intérieur, c'était une sensation assez bizarre et plutôt désagréable quand on y réfléchissait bien. La descente des escaliers se révéla être un véritable parcours du combattant, je dus me tenir à deux mains à la rampe pour ne pas basculer et je terminai les dernières marches sur les fesses tellement c'était devenu difficile. Me relevant péniblement, je m'engouffrai ensuite dans la cuisine.
L'odeur du thé à la pêche que ma mère aimait si bien prendre chaque matin me monta aux narines et m'arracha un mal de tête encore plus atroce. Comme toujours, mon père lisait et ma mère cuisinait, et la lumière était étonnement plus intense ici, je me frottai les yeux et les gardai à demi-clos.
- Eh bien, te voilà enfin, soupira mon père, tu commences à attraper de mauvaises habitudes...
Pas de bonjour, ni de comment vas-tu, même si c'était habituel, ça me choquait toujours autant.
- Désolé, soufflai-je.
Je sentis le regard de mon père sur moi.
- Tu as de sacrées couleurs, fit-il remarquer.
Je levai les yeux et vis qu'il s'était remis à se lecture, je regardai ensuite ma mère qui me fixait bizarrement. Elle lâcha soudain ce qu'elle avait dans les mains - soit une tasse et une bouilloire qui atterrirent durement et avec fracas sur le plan de travail - et vint vers moi d'un pas ferme. Elle se planta devant moi et plaqua sa main sur mon front.
- Tu es fiévreux, dit-elle.
Mon père me regarda, puis ma mère, avant de poser doucement son journal.
- Beaucoup ? demanda-t-il.
- Assez...
Ma mère me dévisagea.
- Il vaudrait mieux que tu retournes te coucher, me dit-elle, ta fièvre commence seulement.
J'acquiesçai. Je fis lentement demi-tour pour retourner dans ma chambre tandis que ma mère sortait d'un placard un linge propre qu'elle s'empressa de mouiller. Je soupirai silencieusement de soulagement, j'étais content d'aller me recoucher, je ne me sentais vraiment pas bien, et cela se compliqua davantage lorsque j'arrivai devant les escaliers que je scrutai. Ça allait être plus difficile de les monter que quand je les ai descendus, quelle plaie. Je mis le pied sur la première marche, ça allait encore, ça se dégrada lorsqu'il fallut que je me hisse sur celle-ci. Agrippé à la rampe, je soulevai mon corps et je montai sur la marche, tout dansa autour de moi, je crus que j'allais vomir, mais ça ne vint pas. J'haletai, épuisé d'avoir monté une seule marche, une seule, je jetai un coup d'oeil au reste de l'escalier, qu'est-ce que ça allait être quand je devrais monter les autres ? Respirant à fond, je posai mon pied sur la deuxième marche et j'entrepris de me hisser dessus. J'essayai une première fois, mais j'échouai, vient ensuite la deuxième fois, mais tout tanguait tellement autour de moi que j'échouai encore. Découragé, je poussai un profond soupir en m'apprêtant à renouveler mes tentatives.
Deux mains puissantes m'emprisonnèrent et me soulevèrent de cette maudite deuxième marche : c'était mon père. Il m'installa dans ses bras et monta les escaliers à ma place. Je fus surpris, c'était bien la première fois qu'il me prenait dans ses bras, enfin, d'autant que je me souvienne. Il m'amena dans ma chambre et me posa sans brusquerie, délicatement dans mon lit avant de se redresser.
- Tâche de te reposer, me dit-il gentiment.
Puis il s'en alla. Je restai bouche-bée, il m'avait parlé avec gentillesse, il ne l'avait pas fait depuis si longtemps. Je souris, j'étais heureux, contrairement à hier, c'était bien l'une des premières journées où je n'étais pas traité avec indifférence, il fallait que je sois malade plus souvent. Je me mis assis en tailleur juste au moment où ma mère débarqua, une bassine remplie d'eau avec le linge qu'elle avait mouillé à la main. Elle déposa le tout sur le rebord de la fenêtre avant de se jeter telle une furie sur mon lit et de soulever mon malheureux oreiller sans défense qui avait déjà tant souffert la veille. Je fus sans voix, elle inspecta le reste de mon lit avant de se retourner vers moi.
- Maître Exelo t'a-t-il prêté un autre livre ? me demanda-t-elle.
- Non...
Elle reposa mon oreiller et soupira.
- Pourquoi ?
- Pour ne pas que tu lises, me répondit-elle, tu as besoin de repos.
J'étais quasiment sûr en voyant son regard qu'elle envisagea durant une fraction de seconde d'emmener tous les livres qui se trouvaient sur mon étagère. Ma mère empoigna ma couverture, elle alla la secouer à ma fenêtre et revint la remettre en place.
- Couche-toi ! m'ordonna-t-elle.
Il ne fallut pas me le répéter deux fois, je m'allongeai dans mon lit et elle rabattit la couverture sur moi. Elle était toute fraîche, cela m'arracha un frisson, mais tout compte fait, cela me fit le plus grand bien. Ma mère sortit de la chambre en me laissant seul, je me décontractai un peu et laissai libre mes pensées. Je revins à me remémorer les événements d'hier, je réfléchis à la proposition de Maître Exelo, quels seraient les avantages et les inconvénients, ce que ça m'apporterait, et qu'est-ce que je deviendrais après. La fatigue me gagna assez vite, alors que je venais seulement de me remettre de ma nuit, et je n'eus aucun mal à m'endormir.
J'avais très chaud, et le seul fait d'ouvrir les yeux était déjà un supplice, tout comme mon réveil d'avant. Dans un effort colossal, je parvins à me réveiller, je réussis à retrouver mes sens et à sentir un tissu froid sur mon front, le linge que ma mère avait monté avec la bassine d'eau, mais cela ne me rafraichissait pas, bien au contraire, j'avais l'impression que ça accentuait encore plus ma fièvre. Soudain, je sentis quelque chose de froid également toucher ma joue, j'eus un long frisson, je tournai les yeux et je m'aperçus que c'était une main qui était collée à mon visage, et que cette main appartenait à Maître Exelo. Il me tenait le poignet avec son autre main et ne semblait pas avoir remarqué que j'étais éveillé, mes parents se tenaient derrière lui, en retrait. Le sage avait l'air préoccupé.
- Vous avez froid, soufflai-je faiblement au vieux Minish.
Ce dernier sursauta, surpris de ma conscience. Son visage se décontracta lentement et il me sourit.
- C'est parce qu'il commence à faire assez froid dehors, me répondit-il.
Il continua de m'examiner durant quelques instants.
- Comment te sens-tu ? me demanda-t-il.
Je ne voyais pas la nécessité de lui répondre, l'état dans lequel j'étais en disait déjà long.
- Pas bien, répondis-je quand même.
Maître Exelo se redressa et remit mon bras en dessous de ma couverture.
- Qu'est-ce que j'ai ? interrogeai-je.
- Tu as attrapé froid, me dit-il, sûrement quand on s'est promenés au-dessus du village, mais tu vas vite guérir.
Il termina sa phrase avec un sourire... peu convaincant.
- Mais... si j'ai attrapé froid tout simplement... pourquoi êtes-vous aussi inquiets ?
Le vieux sage se figea, mes parents également. Ils s'échangèrent quelques regards avant d'afficher une mine confiante.
- Tu vas guérir, murmura Maître Exelo, tu vas guérir...
Je n'en entendis pas plus, la somnolence eut le dessus sur moi, je fermai les yeux malgré mes efforts vains pour les laisser ouverts et je sombrai dans l'inconscience la plus totale. Chose qui m'arriva pour la première fois, et qui fut assez bizarre, c'est que je me retrouvai dans une plaine d'herbe noire, où il faisait assez sombre et où le ciel était à l'orage. La foudre s'abattait aux quatre coins de l'étendue de verdure et il commença à tomber une pluie diluvienne. Je ne savais pas où j'étais, ni comment j'avais fait pour aller de mon lit jusqu'ici sans m'en rendre compte, mais il fallait que je trouve vite un abri.
Je me mis debout et je courus dans une direction au hasard pour essayer de me protéger de la pluie. Ça devait sûrement être mon imagination, mais j'avais l'impression de faire du sur-place, et pire, que la foudre se rapprochait de plus en plus de moi. Il faisait encore plus sombre que quand j'étais arrivé, et l'atmosphère lugubre de cette plaine commençait sérieusement à me faire peur. J'accélérai, je progressai le plus vite que je pus, mais ça ne servait à rien, je fus bientôt trempé de la tête aux pieds et le froid qui régnait m'envahit peu à peu. Après un long moment, je plissai les yeux et discernai une forme noire droit devant moi, et en m'approchant un peu plus, je reconnus un saule pleureur, seul, sans aucune habitation installée autour, je m'y précipitai sans hésitation. Essoufflé et à bout de force, j'arrivai en dessous de l'arbre qui était tellement volumineux que la pluie glissait sur des branches et allait s'écraser un peu plus loin à l'extérieur, j'étais soulagé d'avoir trouvé un endroit sec où m'abriter. J'essorai comme je pus mes habits et mes cheveux, et je frottai mes bras pour tenter de me réchauffer, tout en allant m'adosser au tronc du saule. Sur le petit chemin qui me séparait du fameux tronc et de là où je m'étais arrêté, je marchai sur quelque chose d'assez mou, cela émit un craquement.
- Aïe.
Je me raidi. Je bondis loin de la chose molle et je fis volte-face pour l'observer. C'est quand je vis qu'elle était en train de bouger que je fus glacé de terreur, elle disparut près du tronc, il y eut un bruissement avant que je ne distingue une personne assise, à qui appartenait la chose sur laquelle j'avais marché. Je ne l'avais pas remarqué en arrivant ici et il faisait trop noir pour que je puisse voir à quoi il ressemblait, tout ce que je vis, ce furent deux yeux d'un rouge sang qui me fixaient d'un regard perçant. J'étais tétanisé. Les yeux se baissèrent vers une chose que je ne voyais pas.
- Mon doigt est cassé, il faut que je le remette...
Quelques secondes passèrent, j'entendis la personne bouger avant qu'il n'y eut un craquement horrible qui me fit trembler, il avait sûrement dû tirer sur son doigt, celui sur lequel j'avais marché. Ce qui fut étrange, c'est que, lorsqu'il remit son doigt correctement, son regard ne vacilla pas, comme s'il n'avait rien senti, un os cassé est pourtant douloureux. Je mis mes suspicions de côté lorsque les yeux se reportèrent sur moi avec, toujours, ce regard perçant, j'avais même l'impression qu'il me sondait.
- Tiens, cela faisait longtemps que je n'avais pas eu de visite.
Si j'avais été dans mon état normal, je lui aurais répondu que je n'avais jamais eu la moindre intention de lui rendre visite, surtout que j'ignorais totalement son existence, mais je restai figé, incapable de bouger ni de dire quoi que ce soit. Ses yeux basculèrent sur le côté - où plutôt sa tête bascula sur le côté - et il me dévisagea, je fus parcouru d'un frisson.
- On ne se serait pas déjà vus il y a une dizaine d'années ?
Il y a une dizaine d'années, j'avais deux ans voire moins, comment aurais-je pu m'en souvenir, et de toute façon, cela m'étonnerait beaucoup que je sois déjà venu ici.
- Qui sait ? Tu m'es familier, ou peut-être que je me trompe.
Oui, c'était ça, il se trompait. Il ferma les yeux, et je ne les vis plus, je restai toujours immobile jusqu'à ce que l'inconnu ne les rouvre, et je m'aperçus que la distance qui nous séparait avant s'était fortement amenuisée. Je reculai d'un pas, il se mit à rire.
- Je ne vais pas te manger tu sais, viens t'asseoir, tu as l'air exténué.
J'hésitai, c'était certes gentil, mais risqué. Je jetai un coup d'oeil derrière moi, en scrutant la plaine au passage.
- Ça ne servirait à rien, tu auras beau courir dans tous les sens, tu reviendras toujours ici.
Je me remis droit lentement.
- Où... où suis-je ? demandai-je en tremblant.
- Ah, tu sais parler ! J'avais perdu espoir.
Je ne relavai même pas, trop peur. Il soupira.
- Où tu es ? Et bien, vois-tu, ici, tu n'es nulle part.
- Comment...
Il se remit à rire, un rire glauque à en faire mourir de peur plus d'un, dont moi.
- C'est ici que les âmes perdues errèrent avant de s'éteindre, ou bien avant de retourner dans leur corps, à la vie, ou plongées dans une profonde inconscience, il y a bien des causes, en bref, si je devais te situer approximativement, tu es ici entre le monde des vivants et le monde des morts soit, plus clairement, entre la vie et la mort.
Je tressailli.
- Aucune âme atterrissant ici n'arrive à atteindre ce saule, elles s'en vont trop vite, c'est pour cela que je suis content quand quelqu'un arrive ici, je me sens moins seul.
- Je suis... une âme ? balbutiai-je.
- Nous sommes tous des âmes, on utilise juste une enveloppe charnelle pour vivre, c'est tout.
- Et vous, pourquoi ne disparaissez-vous pas ?
Ma curiosité me jouait parfois de vilains tours.
- Moi, c'est différent, je ne suis pas uniquement une âme, ce que tu as devant toi est aussi mon enveloppe charnelle, je suis prisonnier ici depuis bien des siècles en attendant que quelqu'un change le cours des événements, ah...
Il s'agita.
- J'ai bien l'impression que notre conversation va tourner court.
- Pourquoi ?
- Parce que tu t'en vas.
- Quoi ?!
- Regarde-toi.
Je baissai le regard vers mes mains levées... qui brillaient. En m'observant d'un peu plus près, je m'aperçus que je dégageais de la lumière de par tout mon corps. Paniqué, je levai la tête vers les deux yeux rouges qui m'observaient.
- Oh, ne t'inquiète pas, tu ne sentiras rien, moi par contre, j'aurai juste les yeux broyés et je serai incapable de voir pendant quelques jours, mais ce n'est pas grave. Va, retourne dans ta prison.
- Une prison ? Quelle prison ?!
J'avais de plus en plus de mal à respirer, je me sentais compressé de partout.
- Je ne sais pas, mais en te regardant, j'ai l'impression de voir quelqu'un... d'enfermé, quelqu'un qui n'est pas libre de ses mouvements...
Je n'en entendis pas plus, la lumière devint aveuglante, j'eus le temps de remarquer que la personne avec qui je parlais était relativement jeune avant de devoir fermer les yeux afin d'éviter d'être ébloui, je perdis soudain l'équilibre et je tombai à terre, suffoquant, de plus en plus compressé. J'avais mal. Puis tout se relâcha, je pus enfin prendre une grande bouffée d'air, je retombai mollement sur le dos et je restai immobile, haletant. Lorsque j'ouvris les yeux, ce fut un plafond blanc qui m'accueillit, je me mis difficilement assis et je regardai autour de moi : j'étais revenu dans ma chambre. J'étais seul, mes parents n'étaient pas là, je jetai un oeil à la fenêtre, l'aube était levée. Je remis ma tête droite et je commençai à scruter mes mains, elles ne brillaient pas. Je me remémorai avec mal ce que je venais de vivre, avec toute l'incompréhension que cela avait, je réfléchis quelques minutes là-dessus avant de mettre ça sur le compte d'un cauchemar, la fièvre avait dû me faire délirer un peu. Je me levai, je n'eus pas de vertige, c'était un début, je me dirigeai vers le couloir et descendit les escaliers, ce qui fut un jeu d'enfants comparé à la dernière fois, et j'atterris dans le hall.
Je reniflai à plein nez l'odeur du petit-déjeuner qui flottait dans l'air, elle ne provoqua aucun haut-le-coeur, je me surpris même à la trouver alléchante, j'allais donc mieux, mais pas assez pour que je sois mort de faim. J'étais en retard pour l'étude, ça recommençait aujourd'hui et je n'avais pas envie de me faire sermonner, cela briserait la petite bulle dans laquelle j'étais depuis quelques jours. Je me dirigeai donc vers le fauteuil pour enfiler mon châle.
- Hé !
Une main m'agrippa l'épaule, je levai la tête vers mon père.
- Où crois-tu aller comme ça ?
- A l'étude, lui répondis-je machinalement, et je ne suis pas en avance...
Il me fixa quelques instants, incrédule, avant de se placer entre moi et la porte, les mains sur les hanches.
- Tu n'iras pas.
- Quoi ? m'exclamai-je avec surprise.
- Tu as très bien entendu, tu n'iras pas, me répéta mon père.
Qui empêcherait son fils d'aller à l'école alors que ce dernier veuille bien s'y rendre ? Je restai sans voix devant cette annonce inattendue.
- Pourquoi ? réussis-je à articuler.
- Parce que tu es malade.
Certes, mais je me sentais mieux. Je voulus protester, mais à peine eus-je ouvert la bouche qu'il m'empoigna et me monta dans ma chambre. Ce fut le même scénario, et c'était la deuxième fois qu'il me prenait dans ses bras en deux jours, décidemment, ma bulle ne cessait d'augmenter de volume. Après m'avoir reposé sur mon lit, il me jeta ma couverture à la figure, mais pas méchamment.
- Ta mère est partie voir Maître Exelo pour qu'il lui remette une potion qui te guérira vite.
- Je suis déjà guéri, ne puis-je m'empêcher de lâcher.
- Dans ce cas, ce sera de la prévention, répliqua-t-il en haussant les épaules.
Puis il quitta ma chambre. Je me recouchai, mais j'étais beaucoup trop agité, je fus incapable de me rendormir, bien au contraire, je me relevai - encore - et je commençai à arpenter ma chambre tout comme un lion en cage. Je remuai toutes mes pensées, il me restait cinq jours pour donner ma réponse à Maître Exelo concernant sa proposition, et je ne savais toujours pas ce que j'allais faire. Etre le disciple d'un sage était avantageux, on y apprenait la magie, toutes les bases de la vie, les leçons importantes, cet apprentissage m'ouvrirait bien des portes en ce qui concernait mon avenir, mais, qu'est-ce que je voulais vraiment ? Il y a tant de métiers, tant de possibilités qui méritent d'être explorées, il fallait que je fasse le point sur ce que j'aimais et le mettre en relation avec un éventuel avenir qui pourrait me plaire. Mais j'eus à peine le temps de plancher dessus que ma mère fit irruption dans ma chambre, ses longs cheveux blonds ébouriffés et ayant à la main une petite fiole bleue.
- Qu'est-ce que tu fais ? Retourne dans ton lit !
- Mais je...
- Pas de mais, tout de suite !
Je m'exécutai bien malgré moi. J'adoptai une mine renfrognée tandis que je me glissai une nouvelle fois sous mes couvertures, ma mère me brandit un verre dans lequel elle déversa le contenu de la fiole.
- Avale ça, m'ordonna-t-elle.
J'humai le liquide d'une couleur grisâtre.
- Ça sent mauvais, fis-je remarquer.
Vu le regard qu'elle me lança, je devinai tout de suite qu'elle avait déjà senti la potion. Sans réfléchir, je commençai à la boire, je stoppai immédiatement, je faillis même recracher ce que j'avais dans la bouche tellement c'était écoeurant. J'avalai avec difficulté et j'hoquetai juste après.
- C'est amer, dis-je avec un petit sourire forcé.
En fait, c'était bien en dessous de la réalité, je n'étais même pas sûr d'être capable d'engloutir le reste. Je tendis le verre à ma mère.
- Je... boirai le reste plus tard, lui dis-je.
Elle le repoussa avec fermeté.
- Maître Exelo m'a clairement précisé que tu devais le boire en entier et en une seule fois.
Je crus que j'allais réellement m'évanouir, je trouvai néanmoins le courage de protester.
- Il faut vraiment que je boive tout, tout de suite ?!
- Oui.
- Mais c'est dégoûtant !
- Je sais, mais il le faut, et je ne partirai pas d'ici tant que tu n'auras pas tout bu !
Son obstination m'impressionna autant qu'elle me blessa, pourquoi il fallait que je boive tout d'un coup ? C'était inhumain. Adoptant derechef ma mine renfrognée, je me bouchai le nez et j'avalai d'un trait le reste. Le liquide me brûla la gorge et m'arracha une grimace qui n'échappa pas à l'attention de ma mère. Je lui rendis le verre et levai mon visage déformé vers elle.
- Est-ce que je pourrais avoir un verre d'eau... ou quelque chose d'autre qui puisse enlever le goût horrible que j'ai dans la bouche ? demandai-je timidement.
Aussitôt dit, aussitôt fait, mais pas de la manière que je pensais : ce fut mon père qui surgit dans ma chambre juste après ma question, un verre d'eau et un bout de chocolat dans les mains. Je lui arrachai et j'avalai les deux en même temps, le goût s'atténua et disparut au bout de quelques poignées de secondes. Je poussai un soupir de soulagement, mes parents s'échangèrent un regard.
- On te laisse, me dirent-ils, tu te reposes, d'accord ?
Ils m'avaient peut-être demandé mon accord, mais il allait de soi que je n'avais pas le choix, ils quittèrent la chambre et descendirent, me laissant seul. Je ne tins pas plus de dix minutes, je me levai et je recommençai d'arpenter ma bulle.
- Vaati, je t'entends ! hurla ma mère d'en bas. Couche-toi !
Je soupirai, j'attrapai quelques livres de sur mon étagère et je retournai dans mon lit. Je feuilletai l'ensemble sans vraiment prendre le courage de les lire, je revis juste les passages que j'aimais et qui m'avaient marqué, et cela suffit à remplir ma matinée. Quand vint l'heure du déjeuner, je m'empressai de cacher les ouvrages sous le lit à l'approche de ma mère qui m'amenait de la nourriture. Du pain, une petite tranche de jambon et une ribambelle de fruits, pour sûr, j'étais au régime, elle avait sûrement peur que je vomisse. J'avalai tout ça en moins de deux, en me faisant un petit peu gronder parce que je mangeais trop vite, et je me recouchai. Bien que je ne fus pas entièrement rassasié, la somnolence eut le dessus et je ne puis m'empêcher de faire un petit somme. Je me réveillai quelques heures plus tard et je revins à mes lectures, mais je m'en lassai très vite, j'entrepris de ranger les livres sur mon étagère, je m'armai de mon cahier de dessins et je dessinai le reste du temps. Flora vint me voir en fin d'après-midi, elle m'apporta mes devoirs et le déroulement de la journée : aucun commentaire sur mon absence, ni de remarques désagréables, rien du tout, sauf le contrôle surprise sur le cycle de la vie qu'ils avaient eu, elle me détailla toutes les questions posées et je l'aidai à répondre à ces dernières, pour qu'elle sache si elle avait eu juste ou non. Elle dut partir juste après ça, ma mère veillait au grain. Mon amie d'enfance rangeait ses affaires.
- Au fait, qu'est-ce qu'il s'est passé avec Maître Exelo avant-hier ? me demanda-t-elle.
J'étais sûr à cent pourcents qu'elle attendait le bon moment pour me poser la question.
- Il m'a proposé d'être son disciple, lui répondis-je.
- Quoi ! Mais c'est super ! s'exclama-t-elle.
Elle me fixa un moment.
- Tu n'as pas l'air enchanté, remarqua-t-elle.
- Je dois lui donner ma réponse dans cinq jours, je ne sais pas quoi faire...
- Tu hésites ! s'indigna Flora. Ça aurait été moi, j'aurais dis oui tout de suite !
- Ah bon ?
- Oui ! Ce serait un honneur et une véritable chance d'être son disciple, Maître Exelo est étonnement célèbre dans notre milieu, je le sais, je me suis renseignée, ajouta-t-elle avec un petit sourire.
Elle descendit en bas pour partir, mais avant, sur le pas de la porte, elle se retourna vers moi.
- Si jamais tu refuses, je te tue.
En entendant le ton qu'elle employa, je sus qu'elle était très sérieuse. Je lui adressai un sourire rayonnant, le temps qu'elle parte et qu'elle ne me voie plus, avant de faire venir une mine assez sombre. Elle n'avait pas compris mon problème, si j'acceptais, je m'engageais dans cette voie pour le reste de ma vie, et ça, sans y réfléchir sérieusement, je n'aimais pas. D'un autre côté, si je refusais, je me retrouverais à mon point de départ, soit rien, de plus, je n'aurais même pas à chercher pour ensuite puisque Flora m'aurait déjà tué.
Assez morose, je remontai dans ma chambre. Je fis immédiatement mes devoirs, heureux d'avoir quelque chose à faire au lieu de tuer le temps en attendant que ça passe. Le reste de la soirée se passa sans encombre, j'eus le même repas qu'au déjeuner et je continuai de dessiner jusqu'à ce que mes yeux se ferment tout seul et que je puisse m'endormir sans trop de mal. Je passai une nuit sans rêves, tranquille, en fait, j'avais l'impression de n'avoir dormi qu'une demi-heure, une bonne grosse demi-heure qui m'avait requinqué à bloc. La preuve, j'avais ouvert les yeux et la seconde qui suivit, j'étais déjà en train de dévaler les escaliers, pour rien parce qu'il faisait encore nuit et mes parents n'étaient pas encore levés. En tout cas, je n'avais plus de fièvre, plus de maux de tête ni de ventre, je me sentais incroyablement bien, et je n'avais aucune envie aujourd'hui de passer une journée longue comme hier. Je remontai, je guettai le lever du soleil qui arriva une poignée de minutes après et j'attendis patiemment le réveil de mes géniteurs. Je ne tenais pas en place, comme hier, je pianotai sur le rebord de la fenêtre, je feuilletai tous les livres qu'il y avait sur mon étagère en faisant un désordre pas possible sur mon lit et je m'amusai même à compter le nombre de rayures qu'il y avait sur ma couverture, en ayant à la fin presque marre d'attendre mes parents, il fallait que je les convainque d'aller à l'étude aujourd'hui, et par tous les moyens possibles. Et j'eus l'occasion de le faire, car à peine mes parents eurent-ils posé un seul orteil en dehors de leur chambre que je commençai déjà à les harceler et à les suivre comme un véritable petit toutou. Sans m'arrêter, je leur parlai de tout et de rien, en insistant à quelques moments sur l'importance des études et des conséquences que ça avait sur l'avenir si je les manquais. Et ça marcha puisqu'au bout d'une demi-heure de calvaire, mes parents me laissèrent partir, impatients d'avoir un peu de calme. Tout guilleret, j'allai à l'étude en sautillant après avoir rassemblé mes affaires. Je croisai Liwn sur le chemin, il m'entendit arriver et se retourna vers moi.
- Blanche-Neige ! s'exclama-t-il en levant les bras.
Très ironique.
- Salut ! lui répondis-je en lui adressant un grand sourire.
Et je continuai mon chemin en chantonnant, lui resta planté là où il était sans rien dire et en me fixant avec des yeux ronds, j'étais de bonne humeur. Flora explosa littéralement de joie en me voyant arriver, à croire que je lui avais manqué en une demi-journée, nous rentrâmes ensemble à l'étude en discutant joyeusement et nous nous installâmes à nos places respectives en attendant le début du cours.
Bien entendu, je n'échappai pas au rattrapage du contrôle d'hier, je le réussis haut la main et je rendis ma copie à l'enseignant tout aussi étonné que Liwn quand je lui fis un énorme sourire. La journée passa rapidement, et je suivis le cours avec attention et sérieux, une attitude irréprochable. Je fis le plein d'énergie et de devoirs avant de repartir chez moi avec la même humeur que le matin même.
Le lendemain, ce fut pareil. A la pause-déjeuner, je discutais avec Flora.
- Alors, tu vas dire quoi à Maître Exelo ? s'enquit-elle.
- Je ne sais toujours pas, lui répondis-je dépité.
- Vaati ! s'exaspéra mon amie. Il ne te reste que trois jours !
- Je sais qu'il faut que je me décide, mais ce n'est pas facile, protestai-je.
- J'en suis consciente, mais, Vaati, dis-toi bien qu'une proposition comme ça, il n'y en aura sûrement qu'une seule dans ta vie, il ne faudrait pas que tu regrettes de l'avoir refusée.
Ses paroles me tourmentèrent, elles étaient réalistes et vraies, et elles me faisaient peur. Nous rentrâmes en avance pour l'étude à cause du temps couvert, il allait y avoir un orage dans pas longtemps. La leçon de l'après-midi nous était inconnue, nous fûmes donc étonnés lorsque l'enseignant nous somma de ranger nos affaires.
- Vous n'êtes pas encore là cette après-midi ? questionna Liwn plein d'espoirs.
- Inutile de rêver, je suis là, répondit amèrement l'enseignant.
Il s'assit sur son bureau et nous fit face.
- Bon, vous tous, aujourd'hui, il est grand temps d'aborder la question qui concerne votre avenir.
Comme par hasard, juste au moment où je me la posais, j'étais certain que Maître Exelo y avait semé son petit grain de sel dans cette histoire. L'enseigna continua malgré le brouhaha qui s'était installé.
- Il est temps que vous vous décidiez sur ce que vous allez faire plus tard, si vous avez déjà une idée ou non. Par exemple, Liwn, choisit-il avec un sourire en coin, qu'est-ce que tu veux faire quand tu seras grand ?
Le cancre réfléchit un peu.
- Je ne sais pas de trop, dit-il, j'aime bien lire, alors j'avais pensé devenir bibliothécaire...
Ce fut l'hilarité générale, même l'adulte ne put s'empêcher d'éclater de rire.
- Tu sais, Liwn, souffla l'enseignant entre deux rires, la lecture ne se limite pas à des bandes dessinés.
Vexé, Liwn se mit à nous citer tous les plus grands auteurs de notre monde, en accompagnant leur nom du titre de leurs différents ouvrages et de certains résumés, en affirmant avec fermeté les avoir tous lus. Les rires cessèrent et cela nous laissa tous pantois.
- Comment sais-tu ça ? s'exclama l'adulte. Tu as les pires notes de la classe !
- Bah, vous ne nous donnez jamais de livre à lire pour chez nous, répondit le jeune Minish, ça serait bien de le faire, c'est assez intéressant.
Le reproche débordant d'innocence et de vérité frappa l'enseignant de plein fouet. Sans dire un mot, il se détourna de Liwn pour bombarder la pauvre Mahé de questions qui se ressemblaient étrangement. J'étais baba, je continuai de dévisager le cancre la bouche grande ouverte, tout comme Flora. Jamais, mais alors jamais je n'aurais pensé qu'il serait passionné par les livres et qu'il en connaisse déjà la majeure partie. Je me reprenai et je suivis l'enseignant qui en avait fini avec la jeune Minish.
- Comme vous le savez sûrement, le choix de votre métier est crucial, il faut vous décider vite pour qu'ensuite, vous vous orientiez vers des études plus adaptées à vos attentes. Il existe bien entendu un certain nombre d'orientations...
Je me réjouis, j'allais en apprendre plus sur la voie que me proposait Maître Exelo et je pourrais ainsi réfléchir sérieusement à la réponse que j'allais donner. L'adulte parla durant toute l'après-midi, de tout et de rien, sauf de ce que je voulais savoir. Il nous congédia quand arriva la fin, mais j'étais resté sur ma faim. Tandis que tous les autres partaient en hurlant ou rangeaient leurs affaires, j'attrapai les miennes et je me dirigeai vers l'enseignant.
- Qu'est-ce que tu fais ? me demanda Flora lorsque je passai à côté d'elle.
- Poser des questions, il n'a rien dit sur les sages...
- Je viens avec toi.
L'adulte rassemblait ses affaires en sifflant un air qui m'était inconnu.
- Monsieur.
Il se retourna vers moi, ses lunettes rectangulaires ayant glissé le long de son nez, il me lança un regard mauvais au-dessus de ses montures.
- Qu'est-ce qu'il y a ? interrogea-t-il brusquement.
- Vous n'avez pas parlé des sages ni des apprentissages qu'ils effectuent, répondis-je, je voudrais en savoir plus.
- Pourquoi tu veux savoir ça ? enchaîna-t-il.
- Vous devriez savoir, c'est pourtant Maître Exelo qui vous a demandé de parler de l'avenir.
Il me regarda avec des yeux ronds, Flora m'écrasa le pied, elle aimait bien faire ça pour me rappeler à l'ordre. Là, elle m'avertissait qu'il fallait que je me comporte autrement, il était vrai que j'avais répondu avec insolence à l'enseignant avec une supposition que je m'étais faite en début de cours.
- Comment tu sais ça, toi ?
Deuxième fois qu'il posait la question en une seule journée.
- Parce qu'il l'a vraiment fait ! m'exclamai-je avec étonnement.
Il y eut un blanc.
- Ah, à propos de l'apprentissage qu'il t'a proposé...
- Vous êtes au courant ? s'étonna Flora.
- Tout le monde est au courant, répondit l'adulte, une offre comme ça est rare et c'est une première venant de Maître Exelo.
L'enseignant avança sa chaise de bureau et s'assit dessus avec un soupir.
- Les disciples des sages apprennent l'usage de la magie, le savoir d'utiliser les forces que l'esprit confère, mais je ne suis pas un spécialiste là-dessus, ainsi que toutes les leçons qu'ils doivent savoir sur le monde, acquérant une grande sagesse au cours de leur carrière et un savoir immense. Pour ce qui est du reste, je ne peux absolument pas me prononcer, c'est en fonction de Maître Exelo.
- Pourquoi ? demandai-je.
- Eh bien, les programmes de ce genre d'apprentissage et les métiers que l'on peut faire ensuite sont très variés, m'apprit l'enseignant en remontant ses lunettes, certains sages forment leur disciple aux arts du combat et les envoient ensuite aux champs de bataille, d'autres leur apprennent essentiellement les sorts de guérison pour qu'ils deviennent médecins, certains créent des rats de bibliothèques, restant dans leurs livres à longueur de temps, ou alors ils peuvent tout apprendre et voyager pour aider les personnes qui sont dans le besoin. Mais, sincèrement, je n'ai aucune idée de ce que Maître Exelo prévoit de faire.
- Et il y a beaucoup de disciples ?
- Beaucoup de sages, mais très peu de disciples, les vieilles personnes préfèrent aujourd'hui se consacrer à leur petit confort plutôt qu'à l'avenir de leur monde qu'elles pensent quitter prochainement.
- Mais, si je refuse, Maître Exelo trouvera quelqu'un d'autre, non ?
- Tu sais, Vaati, trouver un disciple digne de ce nom n'est pas toujours facile, me dit l'enseignant, Maître Exelo est très méticuleux - et lunatique aussi - et ce qu'il souhaite en tant que disciple, c'est quelqu'un qui réponde à ses attentes. Si tu refuses, je ne suis pas sûr qu'il arrive à dénicher quelqu'un de mieux que le premier à qui il avait proposé cet apprentissage. Si il t'a choisi, c'est pour de bonnes raisons, regarde-toi, tu es intelligent et extrêmement mature pour ton si jeune âge, où trouvera-t-il un garçon comme toi sinon ?
Je réfléchis, que d'avantages dans ses explications !
- Et quels sont les inconvénients ?
L'adulte chercha une poignée de secondes.
- Franchement, je n'en sais rien...
Flora et moi le remerciâmes et nous quittâmes la classe déjà désertée par nos camarades surexcités.
- Attendez !
L'enseignant nous rattrapa alors que nous allions franchir le pas de la porte.
- Dites-moi...
Il se pencha en avant, regarda à droite et à gauche pour s'assurer qu'il n'y avait personne et nous demanda :
- Vous... saviez que Liwn adorait lire ?
- Pas du tout, répondis-je immédiatement en choeur avec Flora.
Il fit la moue et nous laissa partir en nous souhaitant une bonne fin d'après-midi. Je revins à mes réflexions.
- Whoa, fit Flora au bout d'un moment.
Oui, c'était le cas de le dire, je n'avais jamais été jusqu'à imaginer l'étendue des métiers que l'on pouvait faire après avoir été le disciple d'un sage.
- C'est incroyable, continua-t-elle.
Ah ça, même en acceptant l'apprentissage, je pouvais faire ce que je voulais ensuite, et si Maître Exelo ne me confiait pas ce dont j'avais besoin, je pouvais toujours apprendre en autodidacte.
- T'as vu...
- Oui, répondis-je machinalement.
Mais le fait de ne pas savoir ce que j'allais apprendre me faisait peur, et si j'allais poser la question au sage ? Je serais fixé, mais s'il ne voulait pas me répondre ? Oh, il ne serait pas aussi méchant quand même.
- Il n'y avait aucune animosité dans son attitude.
Brusque retour à la réalité.
- Quoi ? De quoi tu parles ?
- De l'enseignant, Vaati, tu croyais que je parlais de quoi ?
- De ce qu'il nous avait dit... enfin, tu disais ?
- Je disais que l'enseignant n'a été en aucun cas désagréable avec toi.
Ah tiens, c'est vrai ça, où étaient passés la froideur et le rejet qui l'animaient habituellement quand il m'adressait la parole ?
- C'est bizarre, hein ? Il t'a même souhaité une bonne fin d'après-midi, il ne l'avait jamais fait auparavant.
J'admets, c'était louche, il faudra que je réitère l'expérience une autre fois, mes pensées étant tournées vers autre chose. Je saluai Flora et je partis dans la direction opposée à elle pour rentrer chez moi. Au loin, j'entendis le tonnerre gronder et je dus courir les quelques dizaines de mètres qui restaient car il commençait à pleuvoir. Lorsque je fus dans le hall de ma maison, j'étais déjà trempé de la tête aux pieds malgré le peu de temps que j'avais passé sous la pluie. Je m'essorai comme je pus quand ma mère sortit du salon.
- Regarde-moi ça ! s'exclama-t-elle. A peine guéri qu'il fait déjà tout pour retomber malade !
- Ce n'est pas ma faute s'il a commencé à pleuvoir pendant que je revenais, répliquai-je.
- Tu n'aurais pas été mouillé si tu n'avais pas autant traîné pour revenir.
Ah, un point pour elle.
- J'ai demandé à l'enseignant des informations sur les apprentissages des sages, informai-je.
Et je ne sais pourquoi d'ailleurs, ça aurait été plus facile de ne rien dire et de monter sans un bruit dans ma chambre, pourquoi a-t-il fallu que je lui dise ça ?
- Alors, qu'est-ce que tu vas faire ?
Je sursautai, je n'avais pas entendu mon père rentrer derrière moi.
- Je ne sais pas encore...
Mon paternel referma la porte en soupirant, il dégoulinait de partout.
- Toi aussi tu as envie de tomber malade ? incendia ma mère.
- Ce n'est pas ma faute si l'orage a commencé quelques minutes avant que je sorte de la se