Note de la fic :
Publié le 31/01/2013 à 18:17:52 par Lunastyx
Je me réveillai de bon matin, comme toujours. Après avoir vaqué à mes petites habitudes, je m'installai dans mon fauteuil de fortune et je commençai à survoler le livre de fables que m'avait prêté Flora. Je ne pus m'empêcher de trouver ces histoires lassantes car elles étaient toutes pareilles : il y avait toujours un danger ou une menace, soit un monde, soit une princesse à sauver, soit un prince charmant, soit un bel inconnu qui va les sauver, que de la répétition, ce sont toutes les mêmes. Néanmoins, je ne pus m'empêcher aussi de les envier. Ils devaient avoir une vie passionnante, faite d'aventures et de découvertes en tous genres ! Les héros étaient entourés d'amis qui les soutenaient dans n'importe quelle situation et leurs ennemis finissaient toujours par être vaincus, j'étais tenté par cette vie-ci, mais à quoi bon quand on a ni amis, ni chose à défendre. Je refermai doucement le livre en soupirant, qu'est-ce que je voulais devenir aventurier à cet instant ! J'entendis grâce à mon incroyable ouïe un jeune Minish passer devant mon foyer en fredonnant un air ignoble et insultant qui avait été créé pour moi il y a quelques années. A ce moment-là, je réalisai enfin qu'en fait, c'était moi qui avais cruellement besoin d'un sauveur, et non les autres.
Je me levai de mon fauteuil en grommelant, n'ayant aujourd'hui aucune envie d'aller en étude, mais il le fallait, et je n'étais pas du genre à faire l'école buissonnière, pas encore. Je posai le livre de fable sur mon étagère avant de me diriger en bas et de sortir. Cette matinée, on devait faire une sortie éducative dans la serre pour étudier la Tyloriane, rien de bien extraordinaire à mon avis. Je courus car j'étais légèrement en retard, mais j'arrivai devant l'école avec, personnellement, une certaine avance sur certains. Lorsque j'abordai le groupe d'élèves surexcités, je réussis à me frayer un chemin vers Flora, qui était à quelques mètres de moi.
- Flora ! appelais-je.
Celle-ci tourna la tête vers ma direction avant d'afficher un grand sourire. Elle vint vers moi et nous commençâmes à parler.
- J'attendais depuis longtemps cette sortie ! s'exclamait-elle. Je meurs d'envie de voir ces fleurs de Tyloriane !
- Pas tellement moi, tu crois qu'il y aura des Alraunes ?
Elle me fixa bizarrement.
- Vaati, s'exaspéra-t-elle, l'Alraune est une rose qui a beau être belle, mais elle n'en reste pas moins dangereuse.
- Je sais, mais je les aime bien, ce n'est pas de ma faute ! C'est comme toi et les fleurs de Tyloriane !
Flora retrouva son sourire lorsque j'eus fini de prononcer ma phrase.
- Il est vrai que l'on ne peut pas t'en vouloir, dit-elle, si tu les aimes. Comment vont tes bras ?
- J'ai d'atroces bleus qui m'ont fait souffrir toute la nuit, mais là, ça va mieux.
- Ça me rassure, murmura-t-elle.
Elle continua de me sourire lorsque soudain, l'enseignant se mit à crier à tous les élèves de se réunir.
- Tout le monde par ici, beugla-t-il, en rang, deux par deux et devant moi ! Liwn, arrête d'embêter Mahé, Tomy, lâche ce sac, tu n'en auras pas besoin pour la sortie, dépêchez-vous !
Et, deux par deux en rang comme l'adulte avait demandé, nous nous dirigeâmes vers la serre dans la joie et la bonne humeur.
- Liwn, je t'ai dit d'arrêter d'embêter ta camarade, gronda l'enseignant une nouvelle fois.
Le fautif stoppa le mouvement qu'il allait faire et se renfrogna, grognant tout seul dans son coin.
- Toujours le même, me souffla Flora avec qui je m'étais mis dans le rang, il n'arrêtera donc jamais ses bêtises ?
- Si, lui répondis-je, quand il sera mort.
La jeune Minish rit à ma remarque, mais je savais qu'au fond d'elle, cette même phrase venait de lui glacer le sang. En y réfléchissant bien, il y avait des moments où je pouvais être totalement effrayant et, malgré cela, Flora continuait à rester avec moi comme si de rien n'était. Je me suis dit d'abord qu'elle faisait ça par obligation envers moi, pour ne pas me délaisser et que je tombe ainsi dans le désespoir, mais je compris bien plus tard que c'était seulement de l'amitié, une amitié pure.
Nous arrivâmes devant la serre où un adulte nous attendait gentiment. Nous nous mîmes en rang devant la porte et l'inconnu nous fit entrer dans le tonneau au moyen de deux portes creusées dans le bois. Mais alors que nous allions franchir le seuil, Mahé lâcha un petit cri de douleur. L'enseignant se retourna brusquement à ce cri, l'air tendu et contrarié, les yeux foudroyant le coupable.
- Liwn-si-tu-n'arrêtes-pas-tout-de-suite-je-te-jure-
que-tu-vas-regretter-le-jour-où-tu-es-né.
Ce dernier se figea instantanément, laissant les cheveux de Mahé qu'il tirait, l'enfant fixait l'enseignant en tremblant, ayant peur de la menace que venait de proférer l'adulte. Après que l'atmosphère se soit détendue, nous entrâmes enfin dans la serre, où une odeur de pollen flottait entourée d'une multitude de couleurs vives : il y avait là des fleurs de toutes les couleurs, allant du rouge jusqu'au brun, de quelques centimètres à deux mètres, vu de notre taille, bien sûr. Quelques Minishs avaient revêtu des vêtements blancs avec des masques pour ausculter certaines fleurs, ils montaient en haut de grandes échelles pour pouvoir regarder car l'orchidée en question était bien grande. Nous avançâmes jusqu'à la première fleur, haute de plus de deux mètres, et possédant un bleu qui pouvait rivaliser avec mes yeux.
- Voici une fleur de Tyloriane bleue, dit notre guide dont je n'avais pas entendu le nom car j'étais trop émerveillé par l'univers qui m'entourait, elle a grandi avec seulement de l'eau, elle en ressort bleue quand elle pousse à l'obscurité et à la lumière. C'est la fleur la plus simple qui soit, c'est aussi celle que tout le monde peut avoir avec seulement de l'eau et une graine !
Quelques soupirs admiratifs s'élevèrent, moi, je ne dis rien, contrairement à mon amie qui était au paradis. Nous continuâmes de progresser dans la serre, le guide nous présentait les diverses fleurs qui trônaient, mais aucune ne me subjugua, je cherchai du regard autre chose, d'autres fleurs qui m'obsédaient plus. Lors d'une intersection où trois autres chemins s'offraient à nous, l'enseignant se tourna vers nous et déclara :
- Vos avez tous une fleur bien précise à étudier, chacun sait ce qu'il doit faire - oui, Liwn, le nom bizarre que je t'ai dicté hier en fin de journée, tu t'en souviens ? - trouvez-moi cette fleur, vous me rendrez votre compte-rendu demain matin, je vous laisse vagabonder librement, mais revenez ici dans une heure, c'est bien compris ?
- Compris ! dirent tous mes camarades en choeur.
Et ce furent sur ces mots que tous les élèves de ma classe se dispersèrent tel un pissenlit lorsque l'on souffle dessus. Comme d'habitude, nous étions en binôme pour faire ce genre d'exercice, et comme d'habitude, je faisais équipe avec Flora. Nous prîmes le chemin qui s'offrait devant nous et nous nous mîmes à la recherche de notre dite fleur. Nous vagabondâmes durant un petit quart d'heure avant de trouver notre objet d'étude : une fleur de plus d'un mètre de haut, la tige étant vert foncé et la fleur possédait des pétales bleus ainsi qu'un pistil jaune. Nous nous armâmes de la feuille et du crayon de bois que nous avions amenés et nous commençâmes à prendre des notes, à dessiner la fleur, et enfin à piocher deux, trois renseignements auprès des Minishs travaillant à la serre. Bref, en une demi-heure, tout était fini, et nous nous dirigeâmes vers le point de rendez-vous pour le retour, après avoir remballé nos affaires. Mais en passant dans une allée, une fleur en particulier attira mon attention, elle ressemblait à une rose, mais ses pétales étaient aussi noirs que la nuit, sa tige était incroyablement foncée et ornée d'épines, cette fleur était unique dans la serre, elle pouvait tenir dans la main et elle était enfermée sous une cloche de verre : une Alraune. J'avais un peu de mal à y croire.
- Flora ! appelais-je. Viens voir par ici !
Mon amie me suivit lorsque je me précipitai vers la merveille que j'avais remarquée. Arrivé devant cette fleur si sublime, Flora soupira.
- Vaati, c'est une Alraune !
- Oui, je sais ! lui répondis-je surexcité.
- Vaati, pourquoi à ton avis a-t-elle été enfermée dans une cloche en verre ?
Je me redressai puis je me tournai vers elle.
- Je sais qu'elle est dangereuse, lui dis-je doucement, laisse-moi une minute, puis nous nous en allons, d'accord ? Je ne resterai pas longtemps auprès d'elle.
- D'accord.
Comme convenu, je restai une minute pile, et j'insiste sur ce mot, à contempler l'Alraune, puis je rejoignis Flora qui s'était un peu éloignée pour que l'on reprenne notre route. Nous arrivâmes à l'endroit prévu les premiers avec dix minutes d'avance, mais connaissant certains, tout le monde ne serait pas revenu avant au moins vingt minutes. L'enseignant était là, il discutait avec un autre Minish. Il était vieux, certes, mais il semblait posséder une grande sagesse, recouvert d'un habit large et vert, il avait une longue et fine barbe qui allait bientôt toucher terre, ses cheveux était aussi longs et, comme sa barbe, ils étaient bien blancs, signe de vieillesse. Il s'appuyait sur un bâton, ou une canne je présume, en bois terminant en haut par une sorte de tête d'oiseau, avec un long bec et une petite bouclette en guise de cheveux. A la vue de ce personnage, Flora me secoua le bras.
- Regarde ! me chuchota-t-elle. C'est Maître Exelo !
Je reportai le regard vers le vieux sage, qui semblait plaisanter. L'enseignant se retourna soudain, nous fixant.
- Vous avez fini ? nous demanda-t-il.
- Oui, répondis-je avec Flora.
- Bien, les autres ne devraient plus tarder maintenant...
Nous attendîmes quelques minutes dans le silence. Au bout de dix minutes, personne n'était revenu, ce qui était assez bizarre. L'enseignant, dont la patience n'était pas une de ses vertus, s'énerva.
- Mais que font-ils donc ! s'exclama-t-il. Je vais les chercher, attendez-moi là, ajouta-t-il ensuite à notre adresse.
Nous regardâmes notre professeur partir, le pas lourd et les cheveux presque hérissés sur sa tête, tel un fauve en colère. Flora et moi, nous nous échangeâmes un regard avant de soupirer tous les deux en même temps. Nous ne bougeâmes pas durant quelques poignées de secondes.
- Vous aimez cet endroit ?
Ces quelques mots prononcés quasiment à côté de nos petites oreilles nous firent sursauter. Mon amie et moi fîmes volte-face pour tomber nez-à-nez avec le vieux sage, qui semblait s'adresser à nous. Flora s'agita, nerveuse, tandis que je le fixais d'une manière assez prudente. Il se redressa brusquement et se mit à rire avec une voix forte, pas mal pour un petit vieux.
- Je n'ai pas voulu vous intimider, n'ayez pas peur ! nous dit-il. Je vous ai juste posé une question et j'aimerais que vous me répondiez, rien de plus.
Nous nous calmâmes. Maître Exelo était réputé pour être un sage à caractère assez difficile, le voir rire devant nous montrait que sa réputation n'était pas totalement vraie, à moins qu'il ne fasse semblant...
Il s'arrêta de rire avant de reprendre son souffle.
- Alors ? demanda-t-il.
Flora et moi, nous nous jetâmes un regard.
- Euh, oui, répondit mon amie d'une toute petite voix.
Le vieux sage prit une mine boudeuse.
- Voyons, encore une fois ne soyez pas timide, dit-il, tu aimes vraiment cet endroit, jeune fille ?
Flora rougit. Levant la tête, elle répondit clairement et fortement.
- Oui, j'adore cet endroit !
- Bien, bien, et toi Vaati, tu aimes ?
Nous changeâmes aussitôt, de l'air intimidé à l'air le plus étonné qui soit, pour ma part, bien sûr.
- Vous me connaissez ?
- Bien sûr ! Je connais très bien tes parents !
- Je ne vous ai pourtant jamais vu à la maison, fis-je remarquer.
- J'aime rester chez moi, se justifia Maître Exelo, dans mes inventions et mes livres.
- Vaati aime beaucoup lire, lui ! s'exclama mon amie.
- Flora !
- Ce n'est pas une chose qu'il faut cacher, intervint le vieux Minish, au contraire, je donnerai à tes parents quelques livres pour toi, puisque tu aimes lire.
- Merci...
- Et voilà les deux derniers ! s'écria l'enseignant en arrivant avec tous mes autres camarades. Nous allons pouvoir partir. Maître Exelo, c'était un plaisir.
- A moi aussi, Widel, je te laisse la charge de leur annoncer la nouvelle.
- Oui, au revoir.
- Au revoir les enfants, soyez sages.
- Oui, monsieur !
Maître Exelo nous tourna le dos et s'en alla à travers les allées de la serre. L'enseignant nous ordonna de nous mettre en rang deux par deux, comme à l'aller. Je me mis avec Flora. Nous sortîmes du tonneau et nous nous dirigeâmes vers l'étude. Bien sûr, Liwn ne manqua pas de se faire remarquer tout au long du chemin, ce qui eut pour effet d'agacer l'enseignant à un tel point que nous nous arrêtâmes une dizaine de minutes pour que ce dernier corrige l'âne comme il le méritait. Nous reprîmes notre route et nous arrivâmes enfin dans notre salle de classe où nous rejoignîmes nos places habituelles. L'enseignant alla vers son bureau avant de se tourner vers nous.
- Comme vous le savez si bien, car c'est l'une des choses que vous retenez le mieux, je... oui Liwn ?
- Vous n'êtes pas là cet après-midi ! répondit le jeune Minish en ayant certainement oublié que l'adulte l'avait à l'oeil.
- Oui, c'est cela, peut-être arrivera-t-on à faire quelque chose de toi, finalement, après le progrès que tu viens d'accomplir...
Il y eut une explosion de rire. Liwn afficha un air contrarié, j'étais assez content de la réflexion faite à son sujet, aussi, je joins mes rires à ceux de mes camarades, mais je savais qu'à un moment donné, il viendrait m'embêter à cause de cela. Lorsque tout le monde fut calmé, l'enseignant, avec un léger sourire en coin, continua.
- Comme certains ont pu le constater, j'ai rencontré Maître Exelo à la serre. Il m'a avoué qu'il s'ennuyait un peu en ce moment et a accepté de nous consacrer une journée entière pour nous apprendre toutes les bases de la citoyenneté d'un Minish.
Certains soupirs de bonheur, dont les plus gros venaient certainement de moi et Flora, s'élevèrent dans la classe, mais il y eut aussi des soupirs d'exaspération, dont les plus gros venaient probablement, et même sûrement, de Liwn et sa bande. Les ayant entendus, l'enseignant leur hurla de venir à la fin pour qu'ils discutent tous ensemble. A mon avis, s'il les convoquait à la fin, c'était surtout pour nous éviter à nous tous une scène assez violente de correction.
- Bon, reprit l'enseignant en se calmant, cela se passera dans une semaine exactement, mais je vous préviens, celui ou celle qui ne se comporte pas comme il le devrait, restera ici toute la journée, et je m'assurerai personnellement qu'il ne sorte pas d'ici avant la fin, vous avez compris ?
Nous acquiesçâmes en silence. L'enseignant balaya du regard la salle devant lui avant de nous faire un petit geste.
- Bien, vous pouvez y aller.
Il y eut un grand fracas venant des chaises qui crissaient par terre et des cris que mes camarades poussèrent pour exprimer leur joie.
- Liwn et compagnie, pas si vite.
Les quelques élèves turbulents concernés s'arrêtèrent brusquement et se retournèrent vers l'enseignant qui affichait un sourire ravi, quoiqu'un peu sadique, tout ce qui définit les enseignants en général et dans toutes les catégories quelles qu'elles soient. Je ne pus voir la suite car je fus entraîné dehors par Flora, qui était assez surexcitée. Quelques minutes plus tard, alors que nous marchions tranquillement pour rentrer chez nous, enfin, tranquillement n'est pas le mot exact, car mon amie sautillait dans tous les sens, donc, alors que nous marchions "tranquillement", Flora et moi eûmes une petite conversation.
- Tu te rends compte ! s'exclamait-elle. Une journée entière avec Maître Exelo, c'est chouette !
- Oui, répondis-je, mais j'espère que Liwn ne m'en fera pas baver, je ne voudrais pas être puni.
- Mais tu ne seras pas puni, Vaati !
- Ouh, avec l'enseignant et la bande au crétins, on ne sait pas ce qui va m'arriver.
- Oui, c'est vrai...
Elle continuait de sautiller, il faut dire qu'elle ne manquait jamais d'énergie, nous arrivâmes à l'intersection qui allait bientôt nous séparer, oui, il fallait bien rentrer chez nous.
- J'ai hâte d'être dans une semaine !
Flora sautillait toujours, elle commença à venir devant moi et à sauter en arrière.
- Flora, tu ne devrais pas...
- Tu crois qu'on va pique-niquer ? Oui, près de la mare, ce serait merveilleux !
Elle commença à sauter en tournant sur elle-même.
- Flora, arrête ça, tu risques de...
- Qu'est-ce qu'il pourrait bien nous apprendre, hein ? Peut-être les règles d'or des Minishs ? Ou bien encore plus de choses sur les Hyliens, vivement ce jour, ce sera génial, j'ai une envie folle d'y... ouille !
Comme je m'y attendais un peu, mon amie venait de percuter quelqu'un à l'intersection. Elle tomba par terre sur les fesses en se frottant la tête. Je m'agenouillai près d'elle.
- Aieuh, gémit-elle.
- C'est ce qui arrive quand on ne regarde pas où l'on va, lui dis-je.
- Ah, bah je vais retenir la leçon...
- Tout va bien ?
Nous levâmes le regard vers celui que Flora avait percuté, et quelle surprise lorsque nous constatâmes que ce n'était autre que Maître Exelo.
- Ah, ce n'est que vous deux ! Tout va bien, jeune fille ?
- Je me suis fait mal sur votre canne, répondit-elle, je sens que je vais avoir une bosse.
- Tu mettras quelque chose de froid dessus, ça t'apaisera, lui conseillais-je.
- Merci, Vaati.
- Je peux ? demanda le vieux sage.
Il posa sa main bienveillante sur l'endroit où mon amie venait de se cogner. Une légère lueur bleutée apparut avant de disparaître aussi vite qu'elle était venue. Il retira sa main et Flora se frotta la tête avant d'écarquiller les yeux.
- Incroyable ! s'exclama-t-elle. Je n'ai plus mal !
Elle se releva d'un bond et leva les yeux vers le vieux Minish.
- Comment avez-vous fait ? demanda Flora avant qu'il ne puisse dire quelque chose.
- Oh, rien qu'un peu de magie, ce n'est rien.
- De la magie ?
J'avançai de quelques pas et je me mis à côté de mon amie pour mieux entendre le sage.
- Oui, de la magie.
- Vous m'apprendrez ? demanda une nouvelle fois mon amie en joignant les mains.
Je tournai la tête vers elle. Je crus un instant voir quelques étoiles dans ses yeux, mais était-ce sans doute parce que j'avais encore en tête une fable du livre qu'elle m'avait prêté. En tout cas, elle semblait aux anges. Je reportai mon regard sur Maître Exelo.
- Ha ha, non ! sourit-il. Il me semble que vous êtes encore un peu jeune pour cela, quoique... bon, peut-être dans un an, nous verrons.
Flora fut déçue, mais elle resta tout de même joyeuse.
- Dommage, dit-elle.
- Hum hum.
Le vieux Minish reprit sa route et nous dépassa. Nous nous remîmes en marche nous aussi.
- Au fait.
Mon amie et moi, nous nous retournâmes vers Exelo qui venait de nous interpeller.
- Tu n'as pas répondu à ma question tout à l'heure, Vaati.
Il me fixait.
- Comment ?
- Je t'avais demandé si tu aimais cet endroit.
- Ah.
Je continuai de le regarder, il insistait avec un regard perçant.
- Oui, j'aime assez cet endroit.
- C'est bien.
Il se retourna et continua son chemin, serein. Flora et moi, nous nous regardâmes avant d'hausser les épaules et de nous retourner à notre tour.
- Je crois qu'il est temps de nous séparer, dit mon amie.
- Oui, répondis-je.
Nous nous fixâmes un moment.
- Tu penses à la même chose que moi ? demanda Flora sur un ton malicieux.
- Je crois bien, répondis-je en souriant.
Nous jetâmes un coup d'oeil vers la droite, là où il y avait ma maison, et après avoir vérifié qu'il n'y avait personne, nous partîmes dans la direction opposée. Nous courûmes vers la serre, en prenant soin de ralentir et aussi nous baisser devant la maison de mon amie. Arrivé devant le tonneau, nous bifurquâmes à droite et nous nous dirigeâmes vers ma "tour". Après quelques minutes de course, nous y arrivâmes enfin, puis nous entreprîmes de monter tout en haut. Ce fut chose faite.
- Je n'arrive toujours pas à comprendre comment les trous dont on se sert pour monter sont apparus, m'avoua Flora en reprenant son souffle.
- Moi non plus, je ne sais pas, mais peut-être est-ce dû à l'usure du temps.
- Peut-être, alors dis-moi, comment trouves-tu mon livre de fables ?
- Tu veux que je te réponde franchement ou que je te mente ?
- Qu'est-ce que tu insinues ?
Nous restâmes une demi-heure à parler de la sorte, puis nous rentrâmes chez nous pour déjeuner et nous nous rejoignîmes pour passer l'après-midi ensemble. Nous atterrîmes devant une petite mare, tout près, réputée pour son espace calme et apaisant. Nous restâmes silencieux, à regarder l'étendue d'eau plane.
- Vaati.
- Hum ?
- Je...
Elle bougeait nerveusement les doigts, comme si elle avait peur de ce qu'elle voulait me dire.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demandais-je un peu inquiet de sa réaction.
- Je... veux que tu me fasses une promesse.
Elle arrêta de se tripoter les doigts, soulagée.
- Quelle sorte de promesse ?
Mon amie étendit ses jambes au soleil.
- Vois-tu, nous grandissons, Vaati, et bientôt, nous serons adultes. Nous aurons des responsabilités, nous aurons chacun notre propre travail, on se verra de moins en moins, ce ne sera plus comme maintenant. Et... j'ai peur de ce futur-là, j'ai... peur de te... de te perdre.
Ses paroles me touchèrent beaucoup, c'était rassurant de savoir qu'une personne tenait tant à vous dans un village pourri d'injustices.
- C'est pourquoi j'aimerais te faire promettre une chose.
Elle me fit mettre ma main droite sur mon coeur et elle prit ma main gauche dans ses mains à elle.
- Vaati, peux-tu me promettre qu'on restera toujours ensemble à partir de maintenant ?
Je souris. Je me redressai et je me penchai vers elle, près de son oreille.
- Oui, je te le promets, murmurais-je dans un souffle.
- Elle rit, elle rit à n'en plus finir. Elle me tomba dans les bras et m'embrassa la joue. Jusqu'ici, ce fut sans doute le plus beau jour de ma vie.
- Liwn, cesse de jouer avec ces fruits, nous en avons besoin pour parfumer la cire !
- S'il en reste, je pourrais les manger ?
- Les autres oui, mais pas toi, ça t'apprendra à être trop gourmand !
Cinq jours étaient passés sans encombre, cinq jours après la promesse faite à Flora. Demain, nous devions faire notre sortie avec Maître Exelo, et j'étais heureux de n'avoir pas été puni. Nous étions en classe, chacun ayant devant nous un panier de fruits. Flora avait des fraises, Liwn avait des pêches et j'avais des framboises, tout ce qu'il y a de plus appétissant, et tout ce qu'il y a de meilleur pour la santé. Le professeur avait, derrière lui, une énorme marmite chaude où de la cire était fondue.
- Bien, aujourd'hui, c'est la Fête des Mères, et la tradition veut que, tous, vous lui offriez un cadeau. Cette année, j'ai décidé de vous faire faire une bougie parfumée. Dans un premier temps, vous essayerez d'écraser le plus possible quelques fruits, puis vous les mettrez dans le moule cylindrique qui se trouve devant vous - oui Liwn, la chose que tu t'amuses à te mettre sur la tête depuis tout à l'heure - ensuite, je passerai auprès de vous pour verser la cire de couleur blanche dans le moule où vous avez mis vos fruits, vous mélangerez avec la paille en bois que je vous ai distribuée il y a quelques minutes jusqu'à ce que votre cire prenne la couleur voulue. Nous laisserons ensuite refroidir un peu et, quand cela sera moins chaud et moins liquide, vous mettrez un bout de ficelle au milieu et sur toute la hauteur de votre future bougie, est-ce que cela est bien compris ?
Nous répondîmes tous par l'affirmation, puis nous nous mîmes au travail. Un quart d'heure ainsi qu'une cinquantaine de serviettes en papier plus tard, nous avions tous fini la première étape. L'enseignant passa dans les rangs pour verser de la cire dans nos moules, puis nous commençâmes à mélanger. Après quelques instants, ma cire commençait à devenir rose jusqu'à virer d'une jolie couleur violette. Nous attendîmes ensuite.
- Que personne ne fasse de bêtises, cria soudain l'adulte, j'ai oublié la ficelle, je reviens dans un instant.
Puis, il s'effaça derrière la porte d'entrée. Il y eut quelques minutes de silence, mais tout le monde savait que cela n'allait pas durer. Et nous avions tous raison, car après une poignée de secondes, Liwn se tourna soudain vers moi.- J'en connais un qui va rester ici demain, susurra-t-il sur un ton mielleux.
Il se leva soudain et, sans prévenir, fonça, totalement par hasard, vers Mahé. D'un coup de main, il renversa le moule de la jeune Minish, et la cire brune, parfumée au marron, coula sur la table. La petite eut les larmes aux yeux, elle commença à pleurer.
- Liwn ! hurla Flora en se précipitant vers son amie.
- Oh, ça ne fait rien, répondit le fautif dans un étrange calme, et puis, ce n'est pas moi qui ai fait ça, c'est Blanche-Neige...
- Je t'ai déjà dit d'arrêter d'embêter Vaati ! lui répondit la Minish en l'empoignant par le col de sa chemise.
J'étais impressionné par Flora. Elle qui semblait toujours si joyeuse, c'était l'une des première fois que je la voyais entrer dans une telle colère.
- Pourquoi restes-tu avec lui ? lui demanda Liwn avec un soupçon de jalousie dans la voix. Pourquoi traînes-tu avec une telle chose !
- Parce que, contrairement à toi, Vaati compte pour moi, il sait rester à sa place, il est gentil et encaisse tout ce que tu lui fais sans ronchonner, voilà pourquoi je reste avec lui, parce qu'il est tout le contraire de toi !
Le fautif ne dit plus rien. Il se contenta de regarder bêtement mon amie qui venait de prendre si superbement ma défense. Flora lâcha Liwn, toujours aussi en colère.
- Maintenant, quand l'enseignant arrivera, tu te dénonceras toi-même, tu as bien compris ?!
- Oui, répondit à voix basse le jeune Minish.
L'agitation qui s'était installée depuis le début de la dispute retomba, et le silence revint. Quelques minutes plus tard, l'enseignant revint, et étrangement, il ne fut pas surpris de trouver Liwn debout à côté de moi, assis, et Flora qui consolait Mahé devant sa bougie foutue.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda l'adulte.
Liwn leva soudain la tête.
- Monsieur, Vaati a renversé le moule de Mahé !
- Quoi ? nous exclamâmes Flora et moi.
L'enseignant courut vers la jeune victime pour constater l'ampleur des dégâts.
- Ta bougie est finie, ma petite, dit l'adulte à Mahé, je t'en donnerai une autre toute prête et aussi belle que celle-là.
Je le fixai, je fus étonné de voir qu'il y avait des moments où cet adulte pouvait être adorable. Là où il fut moins adorable, c'est quand il se tourna vers moi.
- Monsieur, interpella Flora, Monsieur, ce n'est pas Vaati, c'est...
- Cesse donc de prendre sa défense quelques minutes ! gronda l'adulte d'une voix forte. Il faut qu'il assume un peu ses bêtises !
- Mais Vaati n'a...
- Silence ! Retourne à ta place où tu seras toi aussi privée de sortie !
- Toi aussi ? répétais-je pendant que mon amie retournait à sa table la tête basse et les poings serrés.
- Oui, me dit l'enseignant, tu resteras ici demain toute la journée, tu as bien compris ? Toute la journée !
Je sentis un immense sentiment de colère m'envahir à cet instant. Dès que la ficelle fut mise dans ma bougie qui se durcit immédiatement, j'empoignai un morceau de papier de couleur rose, je rangeai mes affaires et je quittai l'étude avec deux heures d'avance.
- Vaati, qu'est-ce que tu fais ! s'étonna l'enseignant lorsqu'il me vit sortir.
J'étais déjà privé de sortie, alors ce que je faisais maintenant m'était égal. Je fis la sourde oreille et je claquai la porte au nez de l'adulte qui essayait de me rattraper. Je n'avais jamais ressenti autant de rage et d'injustice à ce moment. Je m'éloignai de l'étude et je marchai tout droit, dans la rue que je prenais régulièrement pour rentrer à la maison. Après quelques minutes, je ne voyais plus l'étude.
- Vaati !
Je me retournai pour, juste à temps, éviter l'enseignant qui essayait de m'attraper.
- Qu'est-ce que vous me voulez ? lui demandais-je avec un soupçon de colère dans ma voix.
- Et insolent en plus ! Tu dois encore rester deux heures en classe, voilà pourquoi je viens de chercher !
- Je n'y retournerai pas, lui répondis-je en me retournant et en reprenant mon chemin.
Sans prévenir, il m'attrapa le bras. Je lâchai alors les trois cahiers et livres ainsi que ma bougie et le bout de papier que je tenais dans les mains, puis l'enseignant commença à me tirer vers l'étude.
- Lâchez-moi ! hurlais-je.
- Non, me cria l'adulte, tu vas revenir avec moi en classe !
- Pourquoi... pourquoi vous faites ça ?
- Pourquoi je fais quoi ? me répondit l'enseignant en continuant à me tirer.
- Pourquoi êtes-vous tous aussi indifférents à mon égard ?
L'adulte s'arrêta soudain. Je retirai mon bras de sa main et je courus ramasser mes affaires. L'enseignant me suivit de près.
- Comment ça indifférent ? me demanda-t-il.
Mes cahiers et le reste en main, je me retournai vers lui, ma rage ayant doublé de volume et ne pouvant plus être contenue.
- Pourquoi, tous excepté Flora, ne m'aimez-vous pas ? Pourquoi vous vous acharnez à me rendre la vie plus difficile ? Vous ne croyez pas que c'est déjà assez dur de supporter toutes les moqueries et les fausses accusations faites par Liwn ou les autres à longueur de journée ? Vous croyez que c'est facile de vivre quand on sait tous les matins que l'on va encore être perpétuellement humilié par des imbéciles comme vous ou comme Liwn ? Moi, j'en ai marre, marre de venir ici presque tous les jours et ainsi être ridiculisé, je ne peux pas vivre comme ça, sur ce rythme toute ma vie, je... je craque ! Je veux que ça s'arrête ! Pourquoi est-ce que c'est si difficile pour vous de me respecter ? Parce que je suis différent ? Parce que j'ai la peau plus pâle et les cheveux plus clairs que les autres ? Si ce n'était que ça, je pourrais y remédier, mais c'est autre chose, les raisons pour lesquelles on me hait sont infondées ! Je... cela ne peut pas continuer, je n'en peux plus. Est-ce que c'est trop vous demander de me considérer comme autre chose qu'un monstre ?
L'enseignant ne parlait plus, il ne pouvait plus prononcer un seul mot. Je venais de parler avec une maturité jamais vue chez un gamin de mon âge, en haussant un peu plus le ton à chacune de mes phrases. L'adulte me fixa, la rage que je venais de déverser sur lui faisait apparemment son effet, j'en avais les larmes aux yeux tellement j'étais en colère, pas triste, juste en colère. Après une poignée de secondes insoutenables où personne de nous deux ne dit un mot, l'enseignant releva la tête et, doucement, me prit le bras.
- Tu... ne veux toujours pas revenir à l'étude ? me demanda-t-il gentiment.
Je restai de marbre, déterminé à rester planter là et aussi frappé de stupeur : c'était la première fois qu'il me parlait aussi gentiment. Je dégageai une seconde fois mon bras.
- Non, lui répondis presque en murmurant, je... j'en suis incapable pour l'instant.
Il se redressa et repartit vers l'étude, seul. Quelques mètres plus loin, il me lança avant de disparaître :
- On se retrouve demain devant l'étude, je t'y enfermerai tandis que je ferai la sortie avec les autres.
Sur cette phrase, je ne pris même pas la peine de vérifier si l'enseignant me regardait, je lui tournai le dos et je repris également mon chemin. Je ne rentrai néanmoins pas chez moi, et quelques minutes plus tard, j'arrivai devant la grande étendue d'eau claire qu'offrait à mes yeux la mare. Je m'assis devant elle et j'emballai la bougie dans le papier rose. Enfin, je la posai sur mes cahiers et livres à côté de moi et je me recroquevillai sur moi-même. Je ne pleurais pas, au contraire, je me retenais, j'avais déjà assez pleuré. Je fis le vide dans mon esprit et je restai là à rien faire, juste à fixer la mare. Il se passa trois heures ainsi, et le soleil commençait déjà à décliner sérieusement lorsque je pris la décision de rentrer chez moi. Las de la vie que je menais, je me dirigeai vers ma maison en trainant les pieds, la tête basse, je n'avais franchement pas envie de voir ma mère et mon père me gronder pour des choses futiles, je n'en avais plus la force. Je m'arrêtai devant la porte mauve, j'hésitai à rentrer : avaient-ils eu vent de ma fuite de l'étude de cet après-midi ? L'ignoraient-ils ? Qu'est-ce que j'en savais, de toute façon, j'avais déjà touché le fond, je ne pouvais pas descendre plus bas. J'ouvris et je rentrai en refermant doucement. Je posai mon châle sur la chaise et j'allais vers la cuisine, où ma mère lisait une lettre. Je lui glissai le paquet rose sur la table. Elle leva les yeux de son papier.
- Bonne Fête des Mères...
Sans demander mon reste, je me dirigeai lentement vers les escaliers.
- Ah, Vaati, ta journée s'est bien passée ?
Je stoppai net. Je me retournai vers mon père qui me regardait depuis son fauteuil au salon. Je n'arrivai pas à croire ce que je venais d'entendre. Il venait de me demander... comment ma journée s'était bien... passée ? Il venait de dire la phrase que je n'espérais plus entendre depuis longtemps, la phrase qu'ils ne m'avaient jamais dite et que j'avais tant attendue en vain en rentrant de mon premier jour à l'étude, cette phrase. Ils ne me l'avaient jamais posée. Pourquoi seulement aujourd'hui ? Etait-ce un hasard que mon père me pose cette question la même journée où j'ai enfin craqué ? Où est-ce pour mieux me piéger en ayant connaissance de mes actes d'aujourd'hui ? Je le fixai très, oui, très surpris.
- Co-comment ? bégayais-je.
- Bah, je t'ai juste demandé si ta journée s'était bien passée, c'est tout, me répondit mon père avec un ton naturel très douteux.
Je ne sus quoi répondre.
- Alors ? insista ma mère.
Quoi ? Elle aussi s'y mettait ? J'avais l'impression de nager en plein rêve.
- Euh, pourquoi vous me posez cette question ?
Mes parents s'échangèrent un regard de la cuisine au salon.
- Juste comme ça, dit ma mère.
- Ah.
J'avais de sérieux doutes, de gros doutes, j'avais un mauvais pressentiment.
- Comme d'habitude, répondis-je en les regardant à tour de rôle.
- C'est-à-dire ?
Je repris mes cahiers que j'avais posés sur la chaise et j'allai vers les escaliers que je commençai à grimper.
- Mauvaise.
Je m'engouffrai dans ma chambre et je fermai la porte après avoir jeté mes affaires dans mon fauteuil, je m'effondrai sur mon lit sans prendre la peine de me déshabiller, où encore de me mettre à la fenêtre pour au moins voir le coucher de soleil. En bas, j'entendis un froissement de papier, puis la voix de ma mère qui paraissait enthousiaste.
- Oh, une bougie ! s'exclama-t-elle. A la framboise ! Quelle merveilleuse idée, je n'en avais plus pour le soir !
Je soupirai longuement. La bougie que j'avais faite allait bientôt être consumée, mais je m'en fichais, je ne pensais dès lors plus à rien et je m'endormis aussitôt. Lorsque je me réveillai, il faisait déjà nuit noire, je regrettai de ne pas avoir vu le coucher de soleil, c'était la première fois que je le ratais, je me sentis un peu coupable. Je me retournai sur le côté pour être plus à l'aise et je m'aperçus que la porte de ma chambre était ouverte et que j'étais recouvert d'une couverture. Etait-ce mes parents qui étaient venus me voir et qui m'avaient couvert ? Je n'eus pas le temps de me poser plus de questions car mes paupières devinrent si lourdes que je me rendormis aussi vite que la première fois. Je ne fis pas de rêves, ni de cauchemars, le noir total, rien, en tout cas, si j'avais rêvé de quoi que ce soit, j'avais déjà oublié.
Quand je me réveillai, le soleil était déjà levé, la première fois que je ratais un lever de soleil, cela faisait deux oublis à la suite. Je me levai et, après m'être lavé et changé, coiffé mes mi-longs cheveux violacés et préparé mes affaires, je descendis à la cuisine, pour voir ma mère aux fourneaux et mon père à table.
- Ah, te voilà enfin, me lança mon père, dépêche-toi, tu vas être en retard.
Il abordait le même ton distant et froid que d'habitude, je fus soulagé de constater qu'ils étaient redevenus normaux et déçu par la même occasion.
- Pour ce que je vais y faire, murmurais-je en m'installant sur ma chaise.
- Pardon ? demanda ma mère en me tendant ma tasse de thé.
- Rien, rien...
J'avalais mon petit-déjeuner, je pris mon déjeuner emballé et mes affaires et je partis à l'étude. Mais avant de quitter la cuisine, je remarquais quelque chose : ma bougie qui trônait sur le haut d'un meuble alors que je pensais qu'elle avait déjà été utilisée. Cela m'intrigua, je jetai un coup d'oeil sceptique à ma mère avant d'hausser les épaules et de m'en aller sans rien dire. Mais ce que je ne savais pas, c'est que mon père m'avait vu.
D'un pas las, je me dirigeai vers l'étude. Je ne savais pas quelle réaction allait avoir l'enseignant après ce que je lui avais dit hier. Serait-il aussi gentil ou, au contraire, comme mes parents, avait-il repris ses vieilles habitudes lui-aussi ? L'envie de passer ma journée enfermée dans la classe descendait ma motivation et mon envie au zéro absolu, je ne voulais pas y aller, mais il le fallait bien. Après quelques minutes de marche lente, j'arrivai devant la classe, où l'enseignant m'attendait patiemment, seul, les autres étaient déjà partis. Il m'entraîna à l'intérieur et m'installa sur mon bureau. Il me tendit un livre.
- Voilà les exercices que tu dois faire, il ne faudrait pas que tu t'ennuies.
Après m'avoir donné quelques consignes, l'adulte s'en alla, fermant la porte à double tour derrière lui. Je l'entendis s'éloigner, puis plus rien, juste le silence total dans la salle qui me servait de prison. Je regardai le livre d'exercices, puis, dans un mouvement brusque, je l'éjectai de ma table, je n'avais pas envie de le voir, ni même de l'ouvrir. Je fixai le rayon de soleil qui éclairait une partie du bureau de l'enseignant. Je me levai et je me dirigeai doucement vers le meuble. Je grimpai la marche de l'estrade et m'arrêtai devant le rayon, totalement obnubilé par cela. Je présentai ma main droite au soleil, puis je tentai de l'attraper, d'attraper les rayons qu'il m'envoyait. Mais ma main se referma sur du vide, toujours sur du vide. Je joignis ma main gauche à celle de droite et je réessayai, mais en vain. La lumière du soleil était si chaleureuse, elle chauffait mes mains, tandis que la salle était bien froide, elle gelait le reste de mon corps. Le soleil symbolisait la liberté, et l'ombre la captivité, voilà ce que c'était pour moi maintenant. Je revins vers ma table avec la même lenteur d'il y a quelques minutes. Je passai à côté du livre par terre, je me retins de le piétiner, puis je m'assis. J'empoignai mon cahier de dessins caché au fond de mon casier, je l'ouvris et je commençai à dessiner. Tout ce que je fis pendant dix minutes, c'était perfectionner l'Alraune que j'avais commencée auparavant. Lorsque j'eus fini, je m'aperçus qu'il ne s'était passé qu'un quart d'heure, la journée s'annonçait bien longue. Soupirant longuement, je posai ma tête sur l'un de mes bras et je dessinai avec l'autre main libre. Soudain, j'entendis des pas. Je ne réagis même pas, trop fatigué de ma vie. J'entendis les clés tourner dans la serrure de la porte et cette dernière s'ouvrit dans un grincement. La salle s'illumina un peu, c'est vrai, il y avait beaucoup de soleil dehors, que cela devait être agréable de prendre l'air frais. L'enseignant avait-il oublié quelque chose ? Je me retournai pour le voir venir si promptement vers moi.
Je m'immobilisai soudain, lâchant le crayon de bois que je tenais et laissant glisser mon cahier de dessins à terre devant Maître Exelo, qui me faisait face.
Je me levai de mon fauteuil en grommelant, n'ayant aujourd'hui aucune envie d'aller en étude, mais il le fallait, et je n'étais pas du genre à faire l'école buissonnière, pas encore. Je posai le livre de fable sur mon étagère avant de me diriger en bas et de sortir. Cette matinée, on devait faire une sortie éducative dans la serre pour étudier la Tyloriane, rien de bien extraordinaire à mon avis. Je courus car j'étais légèrement en retard, mais j'arrivai devant l'école avec, personnellement, une certaine avance sur certains. Lorsque j'abordai le groupe d'élèves surexcités, je réussis à me frayer un chemin vers Flora, qui était à quelques mètres de moi.
- Flora ! appelais-je.
Celle-ci tourna la tête vers ma direction avant d'afficher un grand sourire. Elle vint vers moi et nous commençâmes à parler.
- J'attendais depuis longtemps cette sortie ! s'exclamait-elle. Je meurs d'envie de voir ces fleurs de Tyloriane !
- Pas tellement moi, tu crois qu'il y aura des Alraunes ?
Elle me fixa bizarrement.
- Vaati, s'exaspéra-t-elle, l'Alraune est une rose qui a beau être belle, mais elle n'en reste pas moins dangereuse.
- Je sais, mais je les aime bien, ce n'est pas de ma faute ! C'est comme toi et les fleurs de Tyloriane !
Flora retrouva son sourire lorsque j'eus fini de prononcer ma phrase.
- Il est vrai que l'on ne peut pas t'en vouloir, dit-elle, si tu les aimes. Comment vont tes bras ?
- J'ai d'atroces bleus qui m'ont fait souffrir toute la nuit, mais là, ça va mieux.
- Ça me rassure, murmura-t-elle.
Elle continua de me sourire lorsque soudain, l'enseignant se mit à crier à tous les élèves de se réunir.
- Tout le monde par ici, beugla-t-il, en rang, deux par deux et devant moi ! Liwn, arrête d'embêter Mahé, Tomy, lâche ce sac, tu n'en auras pas besoin pour la sortie, dépêchez-vous !
Et, deux par deux en rang comme l'adulte avait demandé, nous nous dirigeâmes vers la serre dans la joie et la bonne humeur.
- Liwn, je t'ai dit d'arrêter d'embêter ta camarade, gronda l'enseignant une nouvelle fois.
Le fautif stoppa le mouvement qu'il allait faire et se renfrogna, grognant tout seul dans son coin.
- Toujours le même, me souffla Flora avec qui je m'étais mis dans le rang, il n'arrêtera donc jamais ses bêtises ?
- Si, lui répondis-je, quand il sera mort.
La jeune Minish rit à ma remarque, mais je savais qu'au fond d'elle, cette même phrase venait de lui glacer le sang. En y réfléchissant bien, il y avait des moments où je pouvais être totalement effrayant et, malgré cela, Flora continuait à rester avec moi comme si de rien n'était. Je me suis dit d'abord qu'elle faisait ça par obligation envers moi, pour ne pas me délaisser et que je tombe ainsi dans le désespoir, mais je compris bien plus tard que c'était seulement de l'amitié, une amitié pure.
Nous arrivâmes devant la serre où un adulte nous attendait gentiment. Nous nous mîmes en rang devant la porte et l'inconnu nous fit entrer dans le tonneau au moyen de deux portes creusées dans le bois. Mais alors que nous allions franchir le seuil, Mahé lâcha un petit cri de douleur. L'enseignant se retourna brusquement à ce cri, l'air tendu et contrarié, les yeux foudroyant le coupable.
- Liwn-si-tu-n'arrêtes-pas-tout-de-suite-je-te-jure-
que-tu-vas-regretter-le-jour-où-tu-es-né.
Ce dernier se figea instantanément, laissant les cheveux de Mahé qu'il tirait, l'enfant fixait l'enseignant en tremblant, ayant peur de la menace que venait de proférer l'adulte. Après que l'atmosphère se soit détendue, nous entrâmes enfin dans la serre, où une odeur de pollen flottait entourée d'une multitude de couleurs vives : il y avait là des fleurs de toutes les couleurs, allant du rouge jusqu'au brun, de quelques centimètres à deux mètres, vu de notre taille, bien sûr. Quelques Minishs avaient revêtu des vêtements blancs avec des masques pour ausculter certaines fleurs, ils montaient en haut de grandes échelles pour pouvoir regarder car l'orchidée en question était bien grande. Nous avançâmes jusqu'à la première fleur, haute de plus de deux mètres, et possédant un bleu qui pouvait rivaliser avec mes yeux.
- Voici une fleur de Tyloriane bleue, dit notre guide dont je n'avais pas entendu le nom car j'étais trop émerveillé par l'univers qui m'entourait, elle a grandi avec seulement de l'eau, elle en ressort bleue quand elle pousse à l'obscurité et à la lumière. C'est la fleur la plus simple qui soit, c'est aussi celle que tout le monde peut avoir avec seulement de l'eau et une graine !
Quelques soupirs admiratifs s'élevèrent, moi, je ne dis rien, contrairement à mon amie qui était au paradis. Nous continuâmes de progresser dans la serre, le guide nous présentait les diverses fleurs qui trônaient, mais aucune ne me subjugua, je cherchai du regard autre chose, d'autres fleurs qui m'obsédaient plus. Lors d'une intersection où trois autres chemins s'offraient à nous, l'enseignant se tourna vers nous et déclara :
- Vos avez tous une fleur bien précise à étudier, chacun sait ce qu'il doit faire - oui, Liwn, le nom bizarre que je t'ai dicté hier en fin de journée, tu t'en souviens ? - trouvez-moi cette fleur, vous me rendrez votre compte-rendu demain matin, je vous laisse vagabonder librement, mais revenez ici dans une heure, c'est bien compris ?
- Compris ! dirent tous mes camarades en choeur.
Et ce furent sur ces mots que tous les élèves de ma classe se dispersèrent tel un pissenlit lorsque l'on souffle dessus. Comme d'habitude, nous étions en binôme pour faire ce genre d'exercice, et comme d'habitude, je faisais équipe avec Flora. Nous prîmes le chemin qui s'offrait devant nous et nous nous mîmes à la recherche de notre dite fleur. Nous vagabondâmes durant un petit quart d'heure avant de trouver notre objet d'étude : une fleur de plus d'un mètre de haut, la tige étant vert foncé et la fleur possédait des pétales bleus ainsi qu'un pistil jaune. Nous nous armâmes de la feuille et du crayon de bois que nous avions amenés et nous commençâmes à prendre des notes, à dessiner la fleur, et enfin à piocher deux, trois renseignements auprès des Minishs travaillant à la serre. Bref, en une demi-heure, tout était fini, et nous nous dirigeâmes vers le point de rendez-vous pour le retour, après avoir remballé nos affaires. Mais en passant dans une allée, une fleur en particulier attira mon attention, elle ressemblait à une rose, mais ses pétales étaient aussi noirs que la nuit, sa tige était incroyablement foncée et ornée d'épines, cette fleur était unique dans la serre, elle pouvait tenir dans la main et elle était enfermée sous une cloche de verre : une Alraune. J'avais un peu de mal à y croire.
- Flora ! appelais-je. Viens voir par ici !
Mon amie me suivit lorsque je me précipitai vers la merveille que j'avais remarquée. Arrivé devant cette fleur si sublime, Flora soupira.
- Vaati, c'est une Alraune !
- Oui, je sais ! lui répondis-je surexcité.
- Vaati, pourquoi à ton avis a-t-elle été enfermée dans une cloche en verre ?
Je me redressai puis je me tournai vers elle.
- Je sais qu'elle est dangereuse, lui dis-je doucement, laisse-moi une minute, puis nous nous en allons, d'accord ? Je ne resterai pas longtemps auprès d'elle.
- D'accord.
Comme convenu, je restai une minute pile, et j'insiste sur ce mot, à contempler l'Alraune, puis je rejoignis Flora qui s'était un peu éloignée pour que l'on reprenne notre route. Nous arrivâmes à l'endroit prévu les premiers avec dix minutes d'avance, mais connaissant certains, tout le monde ne serait pas revenu avant au moins vingt minutes. L'enseignant était là, il discutait avec un autre Minish. Il était vieux, certes, mais il semblait posséder une grande sagesse, recouvert d'un habit large et vert, il avait une longue et fine barbe qui allait bientôt toucher terre, ses cheveux était aussi longs et, comme sa barbe, ils étaient bien blancs, signe de vieillesse. Il s'appuyait sur un bâton, ou une canne je présume, en bois terminant en haut par une sorte de tête d'oiseau, avec un long bec et une petite bouclette en guise de cheveux. A la vue de ce personnage, Flora me secoua le bras.
- Regarde ! me chuchota-t-elle. C'est Maître Exelo !
Je reportai le regard vers le vieux sage, qui semblait plaisanter. L'enseignant se retourna soudain, nous fixant.
- Vous avez fini ? nous demanda-t-il.
- Oui, répondis-je avec Flora.
- Bien, les autres ne devraient plus tarder maintenant...
Nous attendîmes quelques minutes dans le silence. Au bout de dix minutes, personne n'était revenu, ce qui était assez bizarre. L'enseignant, dont la patience n'était pas une de ses vertus, s'énerva.
- Mais que font-ils donc ! s'exclama-t-il. Je vais les chercher, attendez-moi là, ajouta-t-il ensuite à notre adresse.
Nous regardâmes notre professeur partir, le pas lourd et les cheveux presque hérissés sur sa tête, tel un fauve en colère. Flora et moi, nous nous échangeâmes un regard avant de soupirer tous les deux en même temps. Nous ne bougeâmes pas durant quelques poignées de secondes.
- Vous aimez cet endroit ?
Ces quelques mots prononcés quasiment à côté de nos petites oreilles nous firent sursauter. Mon amie et moi fîmes volte-face pour tomber nez-à-nez avec le vieux sage, qui semblait s'adresser à nous. Flora s'agita, nerveuse, tandis que je le fixais d'une manière assez prudente. Il se redressa brusquement et se mit à rire avec une voix forte, pas mal pour un petit vieux.
- Je n'ai pas voulu vous intimider, n'ayez pas peur ! nous dit-il. Je vous ai juste posé une question et j'aimerais que vous me répondiez, rien de plus.
Nous nous calmâmes. Maître Exelo était réputé pour être un sage à caractère assez difficile, le voir rire devant nous montrait que sa réputation n'était pas totalement vraie, à moins qu'il ne fasse semblant...
Il s'arrêta de rire avant de reprendre son souffle.
- Alors ? demanda-t-il.
Flora et moi, nous nous jetâmes un regard.
- Euh, oui, répondit mon amie d'une toute petite voix.
Le vieux sage prit une mine boudeuse.
- Voyons, encore une fois ne soyez pas timide, dit-il, tu aimes vraiment cet endroit, jeune fille ?
Flora rougit. Levant la tête, elle répondit clairement et fortement.
- Oui, j'adore cet endroit !
- Bien, bien, et toi Vaati, tu aimes ?
Nous changeâmes aussitôt, de l'air intimidé à l'air le plus étonné qui soit, pour ma part, bien sûr.
- Vous me connaissez ?
- Bien sûr ! Je connais très bien tes parents !
- Je ne vous ai pourtant jamais vu à la maison, fis-je remarquer.
- J'aime rester chez moi, se justifia Maître Exelo, dans mes inventions et mes livres.
- Vaati aime beaucoup lire, lui ! s'exclama mon amie.
- Flora !
- Ce n'est pas une chose qu'il faut cacher, intervint le vieux Minish, au contraire, je donnerai à tes parents quelques livres pour toi, puisque tu aimes lire.
- Merci...
- Et voilà les deux derniers ! s'écria l'enseignant en arrivant avec tous mes autres camarades. Nous allons pouvoir partir. Maître Exelo, c'était un plaisir.
- A moi aussi, Widel, je te laisse la charge de leur annoncer la nouvelle.
- Oui, au revoir.
- Au revoir les enfants, soyez sages.
- Oui, monsieur !
Maître Exelo nous tourna le dos et s'en alla à travers les allées de la serre. L'enseignant nous ordonna de nous mettre en rang deux par deux, comme à l'aller. Je me mis avec Flora. Nous sortîmes du tonneau et nous nous dirigeâmes vers l'étude. Bien sûr, Liwn ne manqua pas de se faire remarquer tout au long du chemin, ce qui eut pour effet d'agacer l'enseignant à un tel point que nous nous arrêtâmes une dizaine de minutes pour que ce dernier corrige l'âne comme il le méritait. Nous reprîmes notre route et nous arrivâmes enfin dans notre salle de classe où nous rejoignîmes nos places habituelles. L'enseignant alla vers son bureau avant de se tourner vers nous.
- Comme vous le savez si bien, car c'est l'une des choses que vous retenez le mieux, je... oui Liwn ?
- Vous n'êtes pas là cet après-midi ! répondit le jeune Minish en ayant certainement oublié que l'adulte l'avait à l'oeil.
- Oui, c'est cela, peut-être arrivera-t-on à faire quelque chose de toi, finalement, après le progrès que tu viens d'accomplir...
Il y eut une explosion de rire. Liwn afficha un air contrarié, j'étais assez content de la réflexion faite à son sujet, aussi, je joins mes rires à ceux de mes camarades, mais je savais qu'à un moment donné, il viendrait m'embêter à cause de cela. Lorsque tout le monde fut calmé, l'enseignant, avec un léger sourire en coin, continua.
- Comme certains ont pu le constater, j'ai rencontré Maître Exelo à la serre. Il m'a avoué qu'il s'ennuyait un peu en ce moment et a accepté de nous consacrer une journée entière pour nous apprendre toutes les bases de la citoyenneté d'un Minish.
Certains soupirs de bonheur, dont les plus gros venaient certainement de moi et Flora, s'élevèrent dans la classe, mais il y eut aussi des soupirs d'exaspération, dont les plus gros venaient probablement, et même sûrement, de Liwn et sa bande. Les ayant entendus, l'enseignant leur hurla de venir à la fin pour qu'ils discutent tous ensemble. A mon avis, s'il les convoquait à la fin, c'était surtout pour nous éviter à nous tous une scène assez violente de correction.
- Bon, reprit l'enseignant en se calmant, cela se passera dans une semaine exactement, mais je vous préviens, celui ou celle qui ne se comporte pas comme il le devrait, restera ici toute la journée, et je m'assurerai personnellement qu'il ne sorte pas d'ici avant la fin, vous avez compris ?
Nous acquiesçâmes en silence. L'enseignant balaya du regard la salle devant lui avant de nous faire un petit geste.
- Bien, vous pouvez y aller.
Il y eut un grand fracas venant des chaises qui crissaient par terre et des cris que mes camarades poussèrent pour exprimer leur joie.
- Liwn et compagnie, pas si vite.
Les quelques élèves turbulents concernés s'arrêtèrent brusquement et se retournèrent vers l'enseignant qui affichait un sourire ravi, quoiqu'un peu sadique, tout ce qui définit les enseignants en général et dans toutes les catégories quelles qu'elles soient. Je ne pus voir la suite car je fus entraîné dehors par Flora, qui était assez surexcitée. Quelques minutes plus tard, alors que nous marchions tranquillement pour rentrer chez nous, enfin, tranquillement n'est pas le mot exact, car mon amie sautillait dans tous les sens, donc, alors que nous marchions "tranquillement", Flora et moi eûmes une petite conversation.
- Tu te rends compte ! s'exclamait-elle. Une journée entière avec Maître Exelo, c'est chouette !
- Oui, répondis-je, mais j'espère que Liwn ne m'en fera pas baver, je ne voudrais pas être puni.
- Mais tu ne seras pas puni, Vaati !
- Ouh, avec l'enseignant et la bande au crétins, on ne sait pas ce qui va m'arriver.
- Oui, c'est vrai...
Elle continuait de sautiller, il faut dire qu'elle ne manquait jamais d'énergie, nous arrivâmes à l'intersection qui allait bientôt nous séparer, oui, il fallait bien rentrer chez nous.
- J'ai hâte d'être dans une semaine !
Flora sautillait toujours, elle commença à venir devant moi et à sauter en arrière.
- Flora, tu ne devrais pas...
- Tu crois qu'on va pique-niquer ? Oui, près de la mare, ce serait merveilleux !
Elle commença à sauter en tournant sur elle-même.
- Flora, arrête ça, tu risques de...
- Qu'est-ce qu'il pourrait bien nous apprendre, hein ? Peut-être les règles d'or des Minishs ? Ou bien encore plus de choses sur les Hyliens, vivement ce jour, ce sera génial, j'ai une envie folle d'y... ouille !
Comme je m'y attendais un peu, mon amie venait de percuter quelqu'un à l'intersection. Elle tomba par terre sur les fesses en se frottant la tête. Je m'agenouillai près d'elle.
- Aieuh, gémit-elle.
- C'est ce qui arrive quand on ne regarde pas où l'on va, lui dis-je.
- Ah, bah je vais retenir la leçon...
- Tout va bien ?
Nous levâmes le regard vers celui que Flora avait percuté, et quelle surprise lorsque nous constatâmes que ce n'était autre que Maître Exelo.
- Ah, ce n'est que vous deux ! Tout va bien, jeune fille ?
- Je me suis fait mal sur votre canne, répondit-elle, je sens que je vais avoir une bosse.
- Tu mettras quelque chose de froid dessus, ça t'apaisera, lui conseillais-je.
- Merci, Vaati.
- Je peux ? demanda le vieux sage.
Il posa sa main bienveillante sur l'endroit où mon amie venait de se cogner. Une légère lueur bleutée apparut avant de disparaître aussi vite qu'elle était venue. Il retira sa main et Flora se frotta la tête avant d'écarquiller les yeux.
- Incroyable ! s'exclama-t-elle. Je n'ai plus mal !
Elle se releva d'un bond et leva les yeux vers le vieux Minish.
- Comment avez-vous fait ? demanda Flora avant qu'il ne puisse dire quelque chose.
- Oh, rien qu'un peu de magie, ce n'est rien.
- De la magie ?
J'avançai de quelques pas et je me mis à côté de mon amie pour mieux entendre le sage.
- Oui, de la magie.
- Vous m'apprendrez ? demanda une nouvelle fois mon amie en joignant les mains.
Je tournai la tête vers elle. Je crus un instant voir quelques étoiles dans ses yeux, mais était-ce sans doute parce que j'avais encore en tête une fable du livre qu'elle m'avait prêté. En tout cas, elle semblait aux anges. Je reportai mon regard sur Maître Exelo.
- Ha ha, non ! sourit-il. Il me semble que vous êtes encore un peu jeune pour cela, quoique... bon, peut-être dans un an, nous verrons.
Flora fut déçue, mais elle resta tout de même joyeuse.
- Dommage, dit-elle.
- Hum hum.
Le vieux Minish reprit sa route et nous dépassa. Nous nous remîmes en marche nous aussi.
- Au fait.
Mon amie et moi, nous nous retournâmes vers Exelo qui venait de nous interpeller.
- Tu n'as pas répondu à ma question tout à l'heure, Vaati.
Il me fixait.
- Comment ?
- Je t'avais demandé si tu aimais cet endroit.
- Ah.
Je continuai de le regarder, il insistait avec un regard perçant.
- Oui, j'aime assez cet endroit.
- C'est bien.
Il se retourna et continua son chemin, serein. Flora et moi, nous nous regardâmes avant d'hausser les épaules et de nous retourner à notre tour.
- Je crois qu'il est temps de nous séparer, dit mon amie.
- Oui, répondis-je.
Nous nous fixâmes un moment.
- Tu penses à la même chose que moi ? demanda Flora sur un ton malicieux.
- Je crois bien, répondis-je en souriant.
Nous jetâmes un coup d'oeil vers la droite, là où il y avait ma maison, et après avoir vérifié qu'il n'y avait personne, nous partîmes dans la direction opposée. Nous courûmes vers la serre, en prenant soin de ralentir et aussi nous baisser devant la maison de mon amie. Arrivé devant le tonneau, nous bifurquâmes à droite et nous nous dirigeâmes vers ma "tour". Après quelques minutes de course, nous y arrivâmes enfin, puis nous entreprîmes de monter tout en haut. Ce fut chose faite.
- Je n'arrive toujours pas à comprendre comment les trous dont on se sert pour monter sont apparus, m'avoua Flora en reprenant son souffle.
- Moi non plus, je ne sais pas, mais peut-être est-ce dû à l'usure du temps.
- Peut-être, alors dis-moi, comment trouves-tu mon livre de fables ?
- Tu veux que je te réponde franchement ou que je te mente ?
- Qu'est-ce que tu insinues ?
Nous restâmes une demi-heure à parler de la sorte, puis nous rentrâmes chez nous pour déjeuner et nous nous rejoignîmes pour passer l'après-midi ensemble. Nous atterrîmes devant une petite mare, tout près, réputée pour son espace calme et apaisant. Nous restâmes silencieux, à regarder l'étendue d'eau plane.
- Vaati.
- Hum ?
- Je...
Elle bougeait nerveusement les doigts, comme si elle avait peur de ce qu'elle voulait me dire.
- Qu'est-ce qu'il y a ? demandais-je un peu inquiet de sa réaction.
- Je... veux que tu me fasses une promesse.
Elle arrêta de se tripoter les doigts, soulagée.
- Quelle sorte de promesse ?
Mon amie étendit ses jambes au soleil.
- Vois-tu, nous grandissons, Vaati, et bientôt, nous serons adultes. Nous aurons des responsabilités, nous aurons chacun notre propre travail, on se verra de moins en moins, ce ne sera plus comme maintenant. Et... j'ai peur de ce futur-là, j'ai... peur de te... de te perdre.
Ses paroles me touchèrent beaucoup, c'était rassurant de savoir qu'une personne tenait tant à vous dans un village pourri d'injustices.
- C'est pourquoi j'aimerais te faire promettre une chose.
Elle me fit mettre ma main droite sur mon coeur et elle prit ma main gauche dans ses mains à elle.
- Vaati, peux-tu me promettre qu'on restera toujours ensemble à partir de maintenant ?
Je souris. Je me redressai et je me penchai vers elle, près de son oreille.
- Oui, je te le promets, murmurais-je dans un souffle.
- Elle rit, elle rit à n'en plus finir. Elle me tomba dans les bras et m'embrassa la joue. Jusqu'ici, ce fut sans doute le plus beau jour de ma vie.
- Liwn, cesse de jouer avec ces fruits, nous en avons besoin pour parfumer la cire !
- S'il en reste, je pourrais les manger ?
- Les autres oui, mais pas toi, ça t'apprendra à être trop gourmand !
Cinq jours étaient passés sans encombre, cinq jours après la promesse faite à Flora. Demain, nous devions faire notre sortie avec Maître Exelo, et j'étais heureux de n'avoir pas été puni. Nous étions en classe, chacun ayant devant nous un panier de fruits. Flora avait des fraises, Liwn avait des pêches et j'avais des framboises, tout ce qu'il y a de plus appétissant, et tout ce qu'il y a de meilleur pour la santé. Le professeur avait, derrière lui, une énorme marmite chaude où de la cire était fondue.
- Bien, aujourd'hui, c'est la Fête des Mères, et la tradition veut que, tous, vous lui offriez un cadeau. Cette année, j'ai décidé de vous faire faire une bougie parfumée. Dans un premier temps, vous essayerez d'écraser le plus possible quelques fruits, puis vous les mettrez dans le moule cylindrique qui se trouve devant vous - oui Liwn, la chose que tu t'amuses à te mettre sur la tête depuis tout à l'heure - ensuite, je passerai auprès de vous pour verser la cire de couleur blanche dans le moule où vous avez mis vos fruits, vous mélangerez avec la paille en bois que je vous ai distribuée il y a quelques minutes jusqu'à ce que votre cire prenne la couleur voulue. Nous laisserons ensuite refroidir un peu et, quand cela sera moins chaud et moins liquide, vous mettrez un bout de ficelle au milieu et sur toute la hauteur de votre future bougie, est-ce que cela est bien compris ?
Nous répondîmes tous par l'affirmation, puis nous nous mîmes au travail. Un quart d'heure ainsi qu'une cinquantaine de serviettes en papier plus tard, nous avions tous fini la première étape. L'enseignant passa dans les rangs pour verser de la cire dans nos moules, puis nous commençâmes à mélanger. Après quelques instants, ma cire commençait à devenir rose jusqu'à virer d'une jolie couleur violette. Nous attendîmes ensuite.
- Que personne ne fasse de bêtises, cria soudain l'adulte, j'ai oublié la ficelle, je reviens dans un instant.
Puis, il s'effaça derrière la porte d'entrée. Il y eut quelques minutes de silence, mais tout le monde savait que cela n'allait pas durer. Et nous avions tous raison, car après une poignée de secondes, Liwn se tourna soudain vers moi.- J'en connais un qui va rester ici demain, susurra-t-il sur un ton mielleux.
Il se leva soudain et, sans prévenir, fonça, totalement par hasard, vers Mahé. D'un coup de main, il renversa le moule de la jeune Minish, et la cire brune, parfumée au marron, coula sur la table. La petite eut les larmes aux yeux, elle commença à pleurer.
- Liwn ! hurla Flora en se précipitant vers son amie.
- Oh, ça ne fait rien, répondit le fautif dans un étrange calme, et puis, ce n'est pas moi qui ai fait ça, c'est Blanche-Neige...
- Je t'ai déjà dit d'arrêter d'embêter Vaati ! lui répondit la Minish en l'empoignant par le col de sa chemise.
J'étais impressionné par Flora. Elle qui semblait toujours si joyeuse, c'était l'une des première fois que je la voyais entrer dans une telle colère.
- Pourquoi restes-tu avec lui ? lui demanda Liwn avec un soupçon de jalousie dans la voix. Pourquoi traînes-tu avec une telle chose !
- Parce que, contrairement à toi, Vaati compte pour moi, il sait rester à sa place, il est gentil et encaisse tout ce que tu lui fais sans ronchonner, voilà pourquoi je reste avec lui, parce qu'il est tout le contraire de toi !
Le fautif ne dit plus rien. Il se contenta de regarder bêtement mon amie qui venait de prendre si superbement ma défense. Flora lâcha Liwn, toujours aussi en colère.
- Maintenant, quand l'enseignant arrivera, tu te dénonceras toi-même, tu as bien compris ?!
- Oui, répondit à voix basse le jeune Minish.
L'agitation qui s'était installée depuis le début de la dispute retomba, et le silence revint. Quelques minutes plus tard, l'enseignant revint, et étrangement, il ne fut pas surpris de trouver Liwn debout à côté de moi, assis, et Flora qui consolait Mahé devant sa bougie foutue.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda l'adulte.
Liwn leva soudain la tête.
- Monsieur, Vaati a renversé le moule de Mahé !
- Quoi ? nous exclamâmes Flora et moi.
L'enseignant courut vers la jeune victime pour constater l'ampleur des dégâts.
- Ta bougie est finie, ma petite, dit l'adulte à Mahé, je t'en donnerai une autre toute prête et aussi belle que celle-là.
Je le fixai, je fus étonné de voir qu'il y avait des moments où cet adulte pouvait être adorable. Là où il fut moins adorable, c'est quand il se tourna vers moi.
- Monsieur, interpella Flora, Monsieur, ce n'est pas Vaati, c'est...
- Cesse donc de prendre sa défense quelques minutes ! gronda l'adulte d'une voix forte. Il faut qu'il assume un peu ses bêtises !
- Mais Vaati n'a...
- Silence ! Retourne à ta place où tu seras toi aussi privée de sortie !
- Toi aussi ? répétais-je pendant que mon amie retournait à sa table la tête basse et les poings serrés.
- Oui, me dit l'enseignant, tu resteras ici demain toute la journée, tu as bien compris ? Toute la journée !
Je sentis un immense sentiment de colère m'envahir à cet instant. Dès que la ficelle fut mise dans ma bougie qui se durcit immédiatement, j'empoignai un morceau de papier de couleur rose, je rangeai mes affaires et je quittai l'étude avec deux heures d'avance.
- Vaati, qu'est-ce que tu fais ! s'étonna l'enseignant lorsqu'il me vit sortir.
J'étais déjà privé de sortie, alors ce que je faisais maintenant m'était égal. Je fis la sourde oreille et je claquai la porte au nez de l'adulte qui essayait de me rattraper. Je n'avais jamais ressenti autant de rage et d'injustice à ce moment. Je m'éloignai de l'étude et je marchai tout droit, dans la rue que je prenais régulièrement pour rentrer à la maison. Après quelques minutes, je ne voyais plus l'étude.
- Vaati !
Je me retournai pour, juste à temps, éviter l'enseignant qui essayait de m'attraper.
- Qu'est-ce que vous me voulez ? lui demandais-je avec un soupçon de colère dans ma voix.
- Et insolent en plus ! Tu dois encore rester deux heures en classe, voilà pourquoi je viens de chercher !
- Je n'y retournerai pas, lui répondis-je en me retournant et en reprenant mon chemin.
Sans prévenir, il m'attrapa le bras. Je lâchai alors les trois cahiers et livres ainsi que ma bougie et le bout de papier que je tenais dans les mains, puis l'enseignant commença à me tirer vers l'étude.
- Lâchez-moi ! hurlais-je.
- Non, me cria l'adulte, tu vas revenir avec moi en classe !
- Pourquoi... pourquoi vous faites ça ?
- Pourquoi je fais quoi ? me répondit l'enseignant en continuant à me tirer.
- Pourquoi êtes-vous tous aussi indifférents à mon égard ?
L'adulte s'arrêta soudain. Je retirai mon bras de sa main et je courus ramasser mes affaires. L'enseignant me suivit de près.
- Comment ça indifférent ? me demanda-t-il.
Mes cahiers et le reste en main, je me retournai vers lui, ma rage ayant doublé de volume et ne pouvant plus être contenue.
- Pourquoi, tous excepté Flora, ne m'aimez-vous pas ? Pourquoi vous vous acharnez à me rendre la vie plus difficile ? Vous ne croyez pas que c'est déjà assez dur de supporter toutes les moqueries et les fausses accusations faites par Liwn ou les autres à longueur de journée ? Vous croyez que c'est facile de vivre quand on sait tous les matins que l'on va encore être perpétuellement humilié par des imbéciles comme vous ou comme Liwn ? Moi, j'en ai marre, marre de venir ici presque tous les jours et ainsi être ridiculisé, je ne peux pas vivre comme ça, sur ce rythme toute ma vie, je... je craque ! Je veux que ça s'arrête ! Pourquoi est-ce que c'est si difficile pour vous de me respecter ? Parce que je suis différent ? Parce que j'ai la peau plus pâle et les cheveux plus clairs que les autres ? Si ce n'était que ça, je pourrais y remédier, mais c'est autre chose, les raisons pour lesquelles on me hait sont infondées ! Je... cela ne peut pas continuer, je n'en peux plus. Est-ce que c'est trop vous demander de me considérer comme autre chose qu'un monstre ?
L'enseignant ne parlait plus, il ne pouvait plus prononcer un seul mot. Je venais de parler avec une maturité jamais vue chez un gamin de mon âge, en haussant un peu plus le ton à chacune de mes phrases. L'adulte me fixa, la rage que je venais de déverser sur lui faisait apparemment son effet, j'en avais les larmes aux yeux tellement j'étais en colère, pas triste, juste en colère. Après une poignée de secondes insoutenables où personne de nous deux ne dit un mot, l'enseignant releva la tête et, doucement, me prit le bras.
- Tu... ne veux toujours pas revenir à l'étude ? me demanda-t-il gentiment.
Je restai de marbre, déterminé à rester planter là et aussi frappé de stupeur : c'était la première fois qu'il me parlait aussi gentiment. Je dégageai une seconde fois mon bras.
- Non, lui répondis presque en murmurant, je... j'en suis incapable pour l'instant.
Il se redressa et repartit vers l'étude, seul. Quelques mètres plus loin, il me lança avant de disparaître :
- On se retrouve demain devant l'étude, je t'y enfermerai tandis que je ferai la sortie avec les autres.
Sur cette phrase, je ne pris même pas la peine de vérifier si l'enseignant me regardait, je lui tournai le dos et je repris également mon chemin. Je ne rentrai néanmoins pas chez moi, et quelques minutes plus tard, j'arrivai devant la grande étendue d'eau claire qu'offrait à mes yeux la mare. Je m'assis devant elle et j'emballai la bougie dans le papier rose. Enfin, je la posai sur mes cahiers et livres à côté de moi et je me recroquevillai sur moi-même. Je ne pleurais pas, au contraire, je me retenais, j'avais déjà assez pleuré. Je fis le vide dans mon esprit et je restai là à rien faire, juste à fixer la mare. Il se passa trois heures ainsi, et le soleil commençait déjà à décliner sérieusement lorsque je pris la décision de rentrer chez moi. Las de la vie que je menais, je me dirigeai vers ma maison en trainant les pieds, la tête basse, je n'avais franchement pas envie de voir ma mère et mon père me gronder pour des choses futiles, je n'en avais plus la force. Je m'arrêtai devant la porte mauve, j'hésitai à rentrer : avaient-ils eu vent de ma fuite de l'étude de cet après-midi ? L'ignoraient-ils ? Qu'est-ce que j'en savais, de toute façon, j'avais déjà touché le fond, je ne pouvais pas descendre plus bas. J'ouvris et je rentrai en refermant doucement. Je posai mon châle sur la chaise et j'allais vers la cuisine, où ma mère lisait une lettre. Je lui glissai le paquet rose sur la table. Elle leva les yeux de son papier.
- Bonne Fête des Mères...
Sans demander mon reste, je me dirigeai lentement vers les escaliers.
- Ah, Vaati, ta journée s'est bien passée ?
Je stoppai net. Je me retournai vers mon père qui me regardait depuis son fauteuil au salon. Je n'arrivai pas à croire ce que je venais d'entendre. Il venait de me demander... comment ma journée s'était bien... passée ? Il venait de dire la phrase que je n'espérais plus entendre depuis longtemps, la phrase qu'ils ne m'avaient jamais dite et que j'avais tant attendue en vain en rentrant de mon premier jour à l'étude, cette phrase. Ils ne me l'avaient jamais posée. Pourquoi seulement aujourd'hui ? Etait-ce un hasard que mon père me pose cette question la même journée où j'ai enfin craqué ? Où est-ce pour mieux me piéger en ayant connaissance de mes actes d'aujourd'hui ? Je le fixai très, oui, très surpris.
- Co-comment ? bégayais-je.
- Bah, je t'ai juste demandé si ta journée s'était bien passée, c'est tout, me répondit mon père avec un ton naturel très douteux.
Je ne sus quoi répondre.
- Alors ? insista ma mère.
Quoi ? Elle aussi s'y mettait ? J'avais l'impression de nager en plein rêve.
- Euh, pourquoi vous me posez cette question ?
Mes parents s'échangèrent un regard de la cuisine au salon.
- Juste comme ça, dit ma mère.
- Ah.
J'avais de sérieux doutes, de gros doutes, j'avais un mauvais pressentiment.
- Comme d'habitude, répondis-je en les regardant à tour de rôle.
- C'est-à-dire ?
Je repris mes cahiers que j'avais posés sur la chaise et j'allai vers les escaliers que je commençai à grimper.
- Mauvaise.
Je m'engouffrai dans ma chambre et je fermai la porte après avoir jeté mes affaires dans mon fauteuil, je m'effondrai sur mon lit sans prendre la peine de me déshabiller, où encore de me mettre à la fenêtre pour au moins voir le coucher de soleil. En bas, j'entendis un froissement de papier, puis la voix de ma mère qui paraissait enthousiaste.
- Oh, une bougie ! s'exclama-t-elle. A la framboise ! Quelle merveilleuse idée, je n'en avais plus pour le soir !
Je soupirai longuement. La bougie que j'avais faite allait bientôt être consumée, mais je m'en fichais, je ne pensais dès lors plus à rien et je m'endormis aussitôt. Lorsque je me réveillai, il faisait déjà nuit noire, je regrettai de ne pas avoir vu le coucher de soleil, c'était la première fois que je le ratais, je me sentis un peu coupable. Je me retournai sur le côté pour être plus à l'aise et je m'aperçus que la porte de ma chambre était ouverte et que j'étais recouvert d'une couverture. Etait-ce mes parents qui étaient venus me voir et qui m'avaient couvert ? Je n'eus pas le temps de me poser plus de questions car mes paupières devinrent si lourdes que je me rendormis aussi vite que la première fois. Je ne fis pas de rêves, ni de cauchemars, le noir total, rien, en tout cas, si j'avais rêvé de quoi que ce soit, j'avais déjà oublié.
Quand je me réveillai, le soleil était déjà levé, la première fois que je ratais un lever de soleil, cela faisait deux oublis à la suite. Je me levai et, après m'être lavé et changé, coiffé mes mi-longs cheveux violacés et préparé mes affaires, je descendis à la cuisine, pour voir ma mère aux fourneaux et mon père à table.
- Ah, te voilà enfin, me lança mon père, dépêche-toi, tu vas être en retard.
Il abordait le même ton distant et froid que d'habitude, je fus soulagé de constater qu'ils étaient redevenus normaux et déçu par la même occasion.
- Pour ce que je vais y faire, murmurais-je en m'installant sur ma chaise.
- Pardon ? demanda ma mère en me tendant ma tasse de thé.
- Rien, rien...
J'avalais mon petit-déjeuner, je pris mon déjeuner emballé et mes affaires et je partis à l'étude. Mais avant de quitter la cuisine, je remarquais quelque chose : ma bougie qui trônait sur le haut d'un meuble alors que je pensais qu'elle avait déjà été utilisée. Cela m'intrigua, je jetai un coup d'oeil sceptique à ma mère avant d'hausser les épaules et de m'en aller sans rien dire. Mais ce que je ne savais pas, c'est que mon père m'avait vu.
D'un pas las, je me dirigeai vers l'étude. Je ne savais pas quelle réaction allait avoir l'enseignant après ce que je lui avais dit hier. Serait-il aussi gentil ou, au contraire, comme mes parents, avait-il repris ses vieilles habitudes lui-aussi ? L'envie de passer ma journée enfermée dans la classe descendait ma motivation et mon envie au zéro absolu, je ne voulais pas y aller, mais il le fallait bien. Après quelques minutes de marche lente, j'arrivai devant la classe, où l'enseignant m'attendait patiemment, seul, les autres étaient déjà partis. Il m'entraîna à l'intérieur et m'installa sur mon bureau. Il me tendit un livre.
- Voilà les exercices que tu dois faire, il ne faudrait pas que tu t'ennuies.
Après m'avoir donné quelques consignes, l'adulte s'en alla, fermant la porte à double tour derrière lui. Je l'entendis s'éloigner, puis plus rien, juste le silence total dans la salle qui me servait de prison. Je regardai le livre d'exercices, puis, dans un mouvement brusque, je l'éjectai de ma table, je n'avais pas envie de le voir, ni même de l'ouvrir. Je fixai le rayon de soleil qui éclairait une partie du bureau de l'enseignant. Je me levai et je me dirigeai doucement vers le meuble. Je grimpai la marche de l'estrade et m'arrêtai devant le rayon, totalement obnubilé par cela. Je présentai ma main droite au soleil, puis je tentai de l'attraper, d'attraper les rayons qu'il m'envoyait. Mais ma main se referma sur du vide, toujours sur du vide. Je joignis ma main gauche à celle de droite et je réessayai, mais en vain. La lumière du soleil était si chaleureuse, elle chauffait mes mains, tandis que la salle était bien froide, elle gelait le reste de mon corps. Le soleil symbolisait la liberté, et l'ombre la captivité, voilà ce que c'était pour moi maintenant. Je revins vers ma table avec la même lenteur d'il y a quelques minutes. Je passai à côté du livre par terre, je me retins de le piétiner, puis je m'assis. J'empoignai mon cahier de dessins caché au fond de mon casier, je l'ouvris et je commençai à dessiner. Tout ce que je fis pendant dix minutes, c'était perfectionner l'Alraune que j'avais commencée auparavant. Lorsque j'eus fini, je m'aperçus qu'il ne s'était passé qu'un quart d'heure, la journée s'annonçait bien longue. Soupirant longuement, je posai ma tête sur l'un de mes bras et je dessinai avec l'autre main libre. Soudain, j'entendis des pas. Je ne réagis même pas, trop fatigué de ma vie. J'entendis les clés tourner dans la serrure de la porte et cette dernière s'ouvrit dans un grincement. La salle s'illumina un peu, c'est vrai, il y avait beaucoup de soleil dehors, que cela devait être agréable de prendre l'air frais. L'enseignant avait-il oublié quelque chose ? Je me retournai pour le voir venir si promptement vers moi.
Je m'immobilisai soudain, lâchant le crayon de bois que je tenais et laissant glisser mon cahier de dessins à terre devant Maître Exelo, qui me faisait face.