Il est jeudi matin et je m'aprète à démarrer ma moto pour aller en cours quand ma mère sort pour m'annoncer qu'elle passerait sûrement la nuit chez une amie, qu'elle laisserait une pizza au congélo. Je remercie Dieu pour cette heureuse coïncidence, je n'aurai pas à lui expliquer où je pars si tard ce soir.
La journée se déroule moins vite que les autres, je suis tellement impatient d'aller chez Clem ce soir... Je sais déjà ce que je vais lui dire, j'y ai cogité toute la nuit. Ça devrait marcher. Romain me répète sans cesse de ne pas prendre trop d'assurance, mais je peux pas m'en empêcher. On se regarde pendant les cours avec Clem, en souriant, en se moquant des profs. Romain voit tout ça d'un mauvais oeil. Mais c'est ma vie, et je compte bien réussir ce coup. Je discute avec Clem et Romain à la récré, Romain devient vite lourd à essayer de se mettre entre nous deux, à couper la parole et à m'inviter à dormir. Je commence à en avoir marre. Je prends Romain en aparté:
-Romain, mais arrête! Ne va pas tout gâcher mec!
-Mais si je fais ça c'est pour toi, ouvre les yeux! Elle est en couple, tu crois aux relations extra conjugales à 17 ans toi? Elle va juste te mettre un joli râteau, elle sait faire que ça, si tu crois que tu est le seul à tenter ta chance! Je veux juste que tu ne sois pas déprimé
-Laisse-moi faire ma vie, t'est pas mon père, je peux me démerder! Ma vie amoureuse n'est pas un désert social comme toi!
-Ah ouais? Bein oublie-moi mec, démerdes-toi, toi et ta nénette, aller vous faire foutre!
-...
Romain se casse, les mains dans les poches, d'un pas rapide et énervé. Clem observe la scène, intriguée.
-Qu'est-ce qui se passe...?
-Rien. Allez viens.
On remonte vers nos sacs. Clem n'ose plus dire un mot. L'ambiance est pesante.

Je n'ai pas revu Romain de la journée. Je ne regrette rien. C'est ma vie, je décide ce qui est bon et ce qui est mauvais. Peut-être que Romain n'était pas un bon pote. Peut-être même qu'il voulait me piquer Clem.
À la sortie, Clem me dit à ce soir, je retrouve mon bonheur que Romain avait emmené avec lui et je rentre chez moi. Je fais mes devoirs puis me prépare pour partir. Il est 18H45 quand j'enfile mon casque. Je démarre la bécane, direction sa maison. Durant le trajet, j'essaie de chasser Romain de mes pensées. Il l'a mérité.
Je sonne chez Clem, qui habite dans une grande maison. Il est 18H55 quand elle m'ouvre, souriante. J'entre et je quitte mes chaussures, casque à la main. Elle me présente à ses parents, qui sont charmants, puis on monte à l'étage, pour se glisser dans sa chambre.

-Vas-y, met toi à l'aise, je vais cherche le DM
Je m'assieds sur son canapé, posant mon casque sur sa chaise de bureau. Sa chambre est dans les tons noir et blanc, avec des posters de mecs torse nu, de films, et des tableaux. Meubles ikéa. Un canapé qui se trouve sous son lit deux places, situé en hauteur.Clem rentre, le DM en main.
-On s'y met? Allez. Première question sur les pourcentages. "Le coefficient multiplicateur associé à une diminution de 7,5% est: 0,25? 1,075? 0,075? 0,925? 0,75?
-Attend Clem, je voulais te dire quelque chose...
-Ce n'est pas 0,25?
-Clem
-Ah non! 0,925! C'est ça? Non?
-Ouh ouh!
Elle tourne la tête vers moi. Je me lève du canapé, lui prend les mains, la levant aussi. Elle pose ses maths.
-Tu me fais quoi là Juan?
-J'ai quelque chose à te dire. Mais je crois que je n'ai pas besoin de mots...
-Johan... Je comprends pas...
Je m'approche d'elle, pose ma main sur sa joue, nos deux lèvres se joignent. Je passe ma main sur son ventre, remontant...
-Non Juan!
Elle s'extirpe rapidement, encore sous le choc.
-Non mais... Juan! Je... Je suis avec Maxime! Je croyais que ... qu'on était amis! Que tu étais le seul qui me draguait pas! Et toi, toi tu viens chez moi et tu m'embrasses?!
-Mais, il fallait que je te le dise, je t'aime...
-Juan je... Je crois que je vais me débrouiller pour le DM. S'il te plaît, sort de ma chambre.
-Attend Clem...
-Je pense que ce sera bénéfique à tous les deux si tu m'oubliais un peu. On va devoir s'éloigner. Je tends les bras vers elle, ne trouvant pas de mots pour m'excuser. Elle recule.
-S'il te plaît Juan, sort...
Elle me passe le casque, fermant sa chambre derrière moi. Je descends les escaliers et sort de chez elle, jurant, laissant la porte ouverte derrière moi. Ses parents me regardent bizarrement. Je m'en fous. Totalement. J'enfile mon casque et j'enfourche ma moto. J'entre dans une colère inexplicable, j'ai envie de taper quelque chose ou même quelqu'un. Je démarre rageusement ma moto, et quitte la propriété.

Dans ma bouche se mélangent sang et salive après m'être mordu la lèvre, dans ma tête se mélangent colère et mépris. Mes yeux s'embrument. Ah non, je ne vais pas pleurer! Pas pour cette... cette pétasse! J'accélère à fond, pour rentrer plus vite chez moi. Je vois pas grand-chose, comme s'il y avait du brouillard. Mes phares fonctionnent mal, il fait nuit noire.
Et c'est là que je pense à Romain... Il avait tellement raison... Si je l'avais écouté, j'y serai pas allé... Et je l'ai insulté et lâché comme une merde, privilégiant Clémentine... Mais quel con... Comment j'ai pu faire ça? Je fais un dérapage, demi tour en direction de la maison de Romain, il faut que je lui parle, que je m'excuse... J'accélère encore. Une sorte de lumière apparaît devant moi, elle est floue, elle semble se rapprocher. Une larme coule le long de ma joue pour venir s'écraser sur le bord de mon casque.
Je perds le contrôle de ma moto, qui fait de légers zigzags. La lumière est désormais très proche, j'ai l'impression de rentrer dedans. Je ressens comme un choc, des vibrations puissantes me traversent, je ne voit plus que cette lumière. Je ne sens plus mon corps, je me sens léger. Je disparais, moi et ma moto, dans la pente de la forêt. La lumière s'éloigne, je me sens bizarre, j'ai mal partout d'un seul coup, comme si je revenais à moi. Je sombre, l'univers est noir cette fois-ci.