Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

SorcièreS


Par : BaliBalo
Genre : Fantastique, Sentimental
Statut : C'est compliqué



Chapitre 3 : Le Démon


Publié le 29/06/2012 à 17:12:04 par BaliBalo

Je ne tiens pas en place. La route est si longue, si morne. La distance entre la petite banlieue grisonnante et la splendide Rome semble s’allonger, indéfiniment. Les immeubles défilent dans une lenteur atroce, élevant leur ridicule masse de béton vers l’azur vertigineux du ciel. Le spectacle repoussant érigé par la main de l’homme étire sa splendeur immonde sous mes yeux…
Et soudain, les blocs d’habitation disparaissent pour laisser place aux ruines, aux majestueuses églises de Rome éparpillées entre les antiques immeubles. Je souris. Enfin, le Coniglio Grande d’Oro apparaît, haute et moderne tour qui tranche avec les alentours.

Je ferme la porte et m’assois en tailleur au beau milieu de la chambre. Fébrile, j’extirpe le précieux livre de ma sacoche. Je caresse un instant la couverture de cuir brun, grimacé par le temps, avant d’ouvrir l’antique ouvrage. Les pages sont un peu jaunies et se sont rigidifiées avec le temps, le papier épais glisse avec peine entre mes doigts tremblant d’excitation. Dans un sourire, je découvre les restes d’une page arrachée qui me rappelle ma première visite chez Mama Gaïa. Flot d’images insupportables… Un espoir déçu, une bataille mortelle, le noir, un visage… Non !

Je me concentre sur le livre. Il me faut un esprit. Vite, je dois trouver Mélia. Oui, trouver Mélia pour oublier, oublier un temps puis partir.

Au hasard, je choisis une page et par conséquent un démon. Il s’appelle Draël. Je récite lentement l’incantation, articulant chaque syllabe le plus précisément possible. Puis ça recommence, d’un coup je m’enflamme et je déclame l’invocation naturellement, ce langage mystique semble être inné chez moi. Les mots s’envolent de ma bouche sans que je fournisse le moindre effort, comme si je récitais mécaniquement une tirade mainte et mainte fois répétée. Tout à coup, je me tais. Le silence se fait. Rien ne bouge. J’attends.

Quand il apparaît, je me tiens sur mes gardes. Une petite balle noire se forme, lévitant au dessus de mes vêtements épars, en fait de balle il s’agit d’un amas obscur d’une intensité folle, comme si toutes les ombres s’étaient rassemblées. Puis un flash. Un flash obscur. Je ne vois rien et l’instant d’après il est là, debout au milieu de la pièce, bien en face de moi. C’est un jeune garçon, la peau matte, les yeux bleus, ses boucles brunes se déversent dans le creux de son cou. Son visage aux traits enfantins reflète la dureté des hommes mûrs qui ont bravé la distance, le temps et la mort. Il est mince, petit et paraît agile, presque inaccessible. Oui, je sens que je ne pourrais ne serait-ce que l’effleurer. C’est un mirage, une illusion, une fumée opaque où se mélangent les couleurs qui forment son être. Un battement de cils et il me demande quel est mon souhait. Je me méfie, mais pourtant quelque chose m’incite à faire confiance à ce visage angélique.

« Trouve Mélia. » j’ordonne.

Alors il se dirige vers la fenêtre et l’ouvre en grand. Il se penche un instant, l’air d’observer les passants. Lentement il se penche un peu plus et, prenant appui sur ses bras fins, il hisse ses jambes sur le rebord de la fenêtre. Il reste là, accroupi sur ce rebord tout en haut perdu dans les airs, puis, l’air de rien, il saute. Je pousse un cri d’effroi et me précipite à la fenêtre, je me penche à mon tour, scrute le sol, prête à découvrir le cadavre démembré du garçon… Mais rien. Il a disparu. Les esprits sont tellement imprévisibles… Effectuer des recherches avant de mourir.

Quelque chose me chiffonne : l’esprit n’a rien exigé en retour, c’est à peine s’il a émis le moindre mot. Néo, lui, n’avait quasiment rien demandé mais il avait décidé de me faire souffrir, terriblement. J’observe le pendentif contre ma poitrine : mon unique lien avec Hell. L’a-t-il enlevé ? Peut-être ne me ressent-il plus. Après tout, je suis partie pour que lui et Luce n’aient plus à souffrir de ma présence. Cependant moi je souffre, ils me manquent. Mais je ne reviendrais pas sur ma décision. Leur bien-être, leur bonheur et leur tranquillité passent avant moi, largement avant moi et mes propres besoins. Je dois me changer les idées, ne plus penser à eux. Rome. Visiter Rome. Il y a tant de choses à voir. Le forum, je vais me balader sur le forum.

En vérité, l’endroit n’est pas impressionnant. Les ruines sont trop éparses pour qu’on puisse s’imaginer ce qui s’élevait ici, il y a des milliers d’années. Non, le plus surprenant c’est l’étendue. Le forum s’étale au beau milieu de la ville et prend une place plus que considérable. Et moi, au milieu des murs à moitié détruit, je me sens minuscule, dérisoire. C’est agréable de se sentir si petite, tellement petite que je n’ai plus aucune influence sur quoi que ce soit. Ce serait tellement plus simple si je me sentais comme ça tout le temps. Sans pouvoir, sans potentiel. Mais je suis une sorcière.

Trois jours. Je commence à perdre espoir. Draël, l’esprit, m’a vraiment laissé tomber. Comment retrouver Mélia si un esprit ne le peut ? Tout en réfléchissant, j’essuie machinalement le bar avec un vieux torchon. L’après-midi est bien calme. Il y a pourtant plus de monde d’habitude, surtout les habitués. Ceux-ci viennent pratiquement tous les jours pour discuter avec le patron à la pause-déjeuner ou le soir, pour un dernier verre avant de retrouver la famille. Ils sont bavards, bruyant et les soirs de match c’est encore pire. Mais leur jovialité est belle à voir. Aujourd’hui, ils ne sont pas là, il n’y a pas de match ce soir, le bar est vide excepté un couple assis au fond de la salle, se chuchotant de belles et douces paroles. Du coup je m’ennuie terriblement.
Debout derrière le bar je scrute la rue où de rares passants défilent, rapides et sûrs de leur destination sous leur parapluie. Oui, il pleut. Ce qui explique peut être la disparition des clients. Je passe une fois de plus le torchon sur le vernis du bar. La cloche tinte, je relève la tête. Un homme vient de rentrer. Il doit avoir tout juste une trentaine d’années. Je n’arrive pas à distinguer ses traits, ses boucles brunes dégoulinantes d’eau de pluie tombent devant son visage brillant d’humidité.
Avec une nonchalance calculée, il s’installe devant le bar et commande un café. Je le lui sers puis soudain réalise qu’il m’a parlé en français. Un français ici ? C’est tellement curieux que ça en devient louche. Alors que j’observe le visage de l’inconnu, il pose un morceau de papier sur le bar. Sur le papier froissé, une adresse. L’homme me sourit. Je comprends : c’est Draël. Je fourre le papier dans ma poche, Draël se penche alors vers moi et me susurre à l’oreille :

« Je t’attends au Coniglio, il est temps que tu me payes. »

Ces simples mots me font frissonner. Le payement. Payer un esprit, c’est vendre son âme au diable, risquer sa vie. Il y a tellement de choses que je redoute. Or je sais que Draël va piocher là dedans. Parce que les esprits aiment faire souffrir les hommes, pourquoi ? Aucune idée. Je ne sais pas si j’aurais la réponse un jour. L’important ici c’est que j’ai l’adresse.


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