Assis à côté d'un petit gros silencieux, je regardais par la fenêtre. Mes yeux se perdaient sur un moineau qui tentait péniblement de prendre son envol. Un peu comme moi en somme...

Pendant ce temps, les élèves remplissaient la fiche de renseignement habituelle. Je n'avais aucune idée de l'utilité de celle-ci mais ça avait le mérite d'occuper le temps. Ils étaient donc en train de la remplir. Certains tiraient la langue légèrement, d'autres se grattaient la tête négligemment. Et moi, je me tournais les pouces à côté d'un élève mal à l'aise à cause de ma présence.

- S'il vous plaît Monsieur ?

Je tourne vers la tête en direction de l'appel. C'est un jeune garçon. Celui-ci est en train d'écouter de la musique, ses cheveux noirs bouclés cachent à peine les écouteurs. Il semble discret, presque effacé dans le fond de la classe. Je remarque que lui aussi est seul à sa table. Je m'approche vers lui.

- Oui ? Et arrête le « vous » s'il te plaît.
- On fait quoi une fois la fiche remplie.
- Et bien...

Oui, c'est fâcheux. Je n'ai rien prévu. Je ne peux quand même pas leur expliquer que leur nouveau prof n'est pas terrible. Je me mords doucement la lèvre inférieure, il va falloir trouver une idée. Et vite si je ne veux pas passer pour le prof le plus crétin du lycée. C'est bien ma veine.

- Déjà, tu vas me dire ton prénom pour commencer.
- Jaeger Lombard.

Je me demande quel est l'origine de ce nom mais je n'ose pas poser la question. Je me contente de hocher la tête et murmurer un « très bien ». Puis, je m'éclaircit la voix de manière à ce que tout le monde m'entende.

- Après la fiche de renseignement, je voudrais que vous fassiez une petite étiquette avec votre nom sur la table. Je sais que vous n'êtes plus des enfants mais ce sera plus facile pour moi comme ça.

Pas de réponses, bon. Le message semble être passé quand même. Je suis pas sûr qu'il soit nécessaire d'insister.

Et là, soudain me vient l'idée pour occuper le temps. Je sais ce que je vais leur faire. Mais je ne suis pas certain qu'ils soient content de ce petit exercice. Tant pis, il faut essayer.

- Et ensuite, jusqu'à la fin des deux heures vous allez écrire un texte.

J'entends déjà les gens râler, se plaindre et grogner.

- Je l'avais dit, il a beau être jeune : ça reste un prof !
- Tu me laisses finir ?

La jeune fille ouvre la bouche pour enchérir de nouveau mais son voisin lui pose une main sur l'épaule pour la ramener au calme. Elle se contente alors d'un petit sourire de défi. Mentalement, je remercie son voisin de m'avoir sauvé de cette petite brune au regard pétillant. Je lance un regard vers son étiquette où le nom est écris en gros : de façon provocante. Elle doit aimer qu'on la regarde. Camille.

- En fait, je ne vous demande pas un texte à proprement parler. Bien que si... Enfin, vous allez voir. C'est plutôt simple... Mais pas tant que ça...
- Vous êtes sûr que vous êtes prof, demande un élève sceptique devant mon baffouillement ?
- Tu veux venir au tableau et voir si c'est si facile que ça ? Moi je suis tout seul de ce côté et vous plus d'une vingtaine de l'autre !
- Non, c'est bon. Désolé de vous avoir coupé.
- Je veux donc que vous écriviez un récit racontant qui vous êtes, ce que vous faîtes, la façon dont vous vous percevez.
- En gros, c'est quand même un texte, ricane un élève.
- Pas vraiment, car je vous laisse le choix du support. Cela peut être un texte, mais aussi un dessin, même une chanson enregistré sur un portable. Vous êtes libre.
- On est pas censé faire du français, demande Jaeger avec un sourire narquois.

Décidément, il font tout pour me déstabiliser ! Il ne faut pas que je perde la face. Pas dès le premier jour quand même. Je reprends la parole.

- Et bien, dans cette exercice : je cherche à voir la façon dont vous êtes capable de vous exprimer. De vous faire comprendre. C'est de la communication.

Ils me regardent étrangement mais ne répondent pas. Après tout, je suis le prof.

Je ramasse les fiches de présentation. Curieux de découvrir un peu plus mes élèves. Étant donné que pour ma première année, je n'ai qu'une classe à ma charge : autant qu'on soit bien ensemble !