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Le futur... que nous réserve-il ? Suis-je condamné à ce statut, celui d'un minable, une vermine aux yeux du pays, dont la seule fonction est de surveiller le marché underground, et n'aspirant à rien d'autre qu'être un nuisible pour la société ? J'en ai bien conscience, de ma situation, et tous ceux vivant ce quartier le savent également, tout ça. Ils n'ont juste pas le même degrés de réaction. La majorité continuera à faire ça car c'est la façon la plus simple de faire de l'argent, étiqueté comme nous sommes, issus de banlieues et lieux de misère, on ne nous laisse pas le choix, et même si possibilité d'avoir une vie décente il y a, il faut remuer des pieds et des mains comme jamais pour cela, et le milieu dans lequel on baigne nous pousse à aller vers le mal. Ca parait manichéen dit comme ça, mais c'est jamais aussi simple. On peut mettre ça du côté de l'effet de groupe, quelqu'un comme moi côtoyant les "gens du ter-ter" seront plus enclins à rejoindre ce milieu, évidemment. Et voilà où j'en suis à présent.

Dans une cave sale où traine des feuilles OCB et des restes de tabac séché. De la merde dans le coin des murs, et une odeur de pisse horrible. La réalité, ma réalité. Et le retour est dur.

"Bon j'vais monter au dixième, on peut squatter chez moi si tu veux. Même si t'habites à côté, c'est tellement le bordel dehors que je te conseille pas d'ouvrir la porte. "

Sofiane et moi, ça date. On s'est toujours soutenus. La merde, on la patauge dedans ensemble. On partage tout, ou presque. Il aime la défonce, les gros spliffs et surtout la beuh importée, moi, je touche pas à ça. Ca m'est arrivé à de rares occasions, mais je me suis promis de ne plus m'y reprendre. Je dois me préserver pour aider mon père, et nous sortir de cette galère, cette chienne de vie.

"Je sais pas trop. Mon père est seul à la maison. "

"Et alors ? T'as peur qu'il sorte ou quoi ? "

"Bah... T'sais bien. J'dois le surveiller. "

"Arrête tes conneries ! Il est assez vieux pour se gérer hein ! Il est pas encore devenu complètement abruti ! Et il a bien vu que c'est la merde dans tout le quartier, et pour nous aussi ! Les jeunes vont se mettre à tout casser dans pas longtemps, et je flippe qu'ils se mettent à incendier les halls d'entrés ces cons ! "

Jeunesse pommée, en quête de repères. Khalid était leur guide, désormais ils crient leur désespoir, et le matérialisent en cassant tout, et en s'attaquant même aux leurs, nous, les habitants du quartiers. Nous ne sommes plus cette grande famille unie dans la galère. Maintenant, pour le biz', ça va être la merde, va falloir trimer, et ils le savent. Alors ça essaie de s'imposer par la force.

"Ouais... Je vais monter chez toi vite fait pour voir comment ça se passe dans les rues. Si c'est pas trop agité... J'vais m'occuper de mon père. "

Sofiane, basané, cheveux crépus mais rasés très court, yeux bruns et un bouc noir profond, svelte et maigrelet, me regarde, dépité.

"Pas trop agité ? Mais putain ça fait que de gueuler, on les entend d'ici ! Les alarmes de bagnoles, les sirènes, ça te suffit pas ? Ca va durer toute la journée et ça sera encore pire cette nuit va ! "

"Justement. Je ne veux pas le laisser seul. "

"Allez putain fais c'que tu veux, mais tu te rends pas compte, t'as perdu ton boulot. T'es plus guetteur, tu toucheras plus tes 200 balles par semaine. Si tu veux continuer à vivre avec ton père, va falloir faire de l'oseille, et faudra qu'on trouve rapidement un moyen pour ça. Y'a plus Khalid. Y'a plus de réseau. C'est la merde, tout simplement. "

Et nous nous séparèrent sur son léger accès de colère. En ouvrant la porte de son HLM, c'est un triste spectacle qui se dressait devant moi. Des voitures retournés, calcinés, fumantes, des crépitements par-ci par-là, de la fumée, beaucoup de fumée, des gens encagoulés ou pas qui courent un peu partout et détruisent tout ce qui est fait de verre. De grosses flammes qui s'échappent de la tour en face de moi. Un incendie, vraisemblablement. Et des insultes qui fusent, partout. Je suis persuadé que le quart des casseurs ne savent même pas pourquoi les vandales ont commencé à casser. Ca a commencé hier soir, et c'était bien évidemment en représailles face à la mort de Khalid. Mais maintenant, ce théâtre de violence, a-t-il seulement un sens ?

Je reste planté là quelques dizaines de secondes, puis en voyant des jeunes courir dans ma direction en criant, je rejoins immédiatement mon hall à quelques mètres de celui de Sofiane. Fermer la porte ne servirait à rien, ça ne les empêchera pas de tout casser. Alors je cours, le coeur battant, enchainant les escaliers deux à deux, jusqu'à atteindre le quinzième, à passer la clé, et à rentrer chez moi. Ils ne me suivront pas jusqu'ici.

Mon appartement est relativement bien tenu, pas de moississure, pas de murs qui tombent en ruine, ce n'est pas austère, bref, le lieu me convient, mais je ne m'y sens pas bien. Je n'ai qu'à passer les yeux à travers ma fenêtre et à regarder dehors pour me sentir encore plus mal. Peu importe mes rêves d'espoirs, rien ne bougera si personne ne fait rien. Mais ce qu'ils font eux, c'est montrer aux gens notre plus sombre côté.

Et je veux leur montrer le bon. Le philanthrope.