Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Mussolini


Par : Negatum
Genre : Action
Statut : C'est compliqué



Chapitre 2 : Marco (2)


Publié le 23/08/2010 à 21:48:01 par Negatum

-Merci, Ivan. Vous nous avez bien aidé aujourd'hui. On a bien avancé... Même si ce n'est peut-être pas dans le sens que nous voulions.

Marco soupira. Pour une première, c'était une première.

-Ce n'est rien, monsieur. Je suis à votre disposition.

L'une des entrées du Ministère des Affaires Étrangères donnait dans une de ces larges allées vivantes et bruissantes. Tandis que le soir emplissait le ciel, vidant les nuages de la lourde chaleur du printemps, les terrasses brillaient de costumes, d'alcools et de fumées. L'air devenait frais, mais bon, et après plusieurs heures à endurer le tabac soviétique, Marco trouva à la douce odeur du Sud des airs de paradis.

-A demain.

-A demain, monsieur.

Ivan disparut, son grand manteau de Sibérie sur les épaules, saluant du regard le soldat qui se tenait devant l'entrée et Marco rentra, seul, dans le large cabinet qui était le sien.
A partir de six heures, le ministère se vidait. A l'exception des gardes, Marco restait souvent le dernier au sein du ministère dont il avait maintenant la direction. Il aimait travailler la nuit, et ne rentrait souvent chez lui qu'une fois minuit passé. Il quittait alors un bureau vide pour rejoindre une maison vide, où il dormait dans des draps froids et repassé par une domestique qu'il ne voyait qu'une fois la semaine. Le reste de sa vie était de traiter, seul, dans le noir, les chiffres, les statistiques et les espions qui composaient la grande partie d'échec du monde.

Ca ne le dérangeait pas, d'ailleurs, à vrai dire, ce n'était pas vraiment une nouveauté. Quand il était entré au sein de ce ministère, quelque mois après la signature de Briand-Kellog, en 1928, il faisait déjà partie des derniers . Les Affaires Étrangères avaient alors un autre aspect, tellement moins important... On signait un pacte de paix toute les semaines, et la forêt d'alliance était tellement touffue que la Sécurité collective paraissait inébranlable. Bien sûr, il restait Versailles et ses ruines: L'Allemagne ne cessait de revendiquer des droits plus importants, et l'Italie elle-même peinait à obtenir une autorité sur les terres irrédentes. Fiume ne s'oublierait jamais. Mais Briand et Stresemann avaient réussi à peu à peu démanteler ce traité injuste, et l'Europe s'avançait à nouveau vers la paix. Tout paraissait possible. Marco s'occupait alors de ce qu'il avait à faire, courageusement, sans fatigue ni enthousiasme. Il était aux Affaires Chinoises, un poste alors encore insignifiant. Il avait fêté ses vingt ans en mai 1929, quelque part dans ces bureaux, sans que personne ne le sache ou ne vienne le fêter.

Et puis, il y avait eu la crise. Marco se souvenait du moment où les Américains, furieux de l'annulation de la dette, avaient quitté Lausanne en criant que jamais, on ne les y reprendrait à se mêler des affaires de l'Europe. Ca avait tout de même été un soulagement pour beaucoup, mais cela n'était que la première pièce à s'effondrer. Brüning, le chancelier allemand fut le suivant à hausser le ton. Poussé par l'extrême droite, il fut obligé de menacer ses adversaires. On finit par convenir de l'égalité des droits de l'Allemagne et de son droit à réarmer. Pas de chance. Quelque jours après, en janvier 1933 un homme défilait sur Berlin. Et sa folie allait précipiter l'Europe dans le chaos.

Marco retourna dans la salle désormais vide. Granhäuser avait soulevé un point intéressant. Si l'Union Soviétique acceptait une alliance avec le Reich, la guerre contre la France serait limitée à son minimum. Les Américains et les Britanniques n'interviendraient probablement pas. L'armée française avait été tenace et puissante, mais elle n'était plus en état de résister à l'Allemagne.

Pourtant, Marco savait qu'Hitler ne verrait pas les choses de cette façon. La proposition de Granhäuser avait été bien sur pensée à l'avance -l'histoire d'Ivan et le baratin propagandiste qui l'avait suivi masquait à peine une alliance purement stratégique-, mais rien ne disait que c'était le Führer qui l'avait prévu. Staline et lui ne pouvaient pas s'entendre. Pouvaient-on imaginer deux idéologies plus opposés que le communisme et le national-socialisme?

Oui, sauf que Staline n'était pas communiste. C'était un tsar rouge, dans la lignée des Pierre le Grand et d'Ivan le terrible. La Mère Patrie comptait pour lui bien plus que les délires économiques des marxistes. Il avait su modérer les doux dingues du léninisme révolutionnaire, et bouter les trotskistes hors du territoire. Staline ne s'est pas gêné pour s'allier avec les libéraux lors des Fronts Populaires. Et pour un marxiste, il y a une différence de niveau entre un socialiste et un fasciste. Mais pas de nature.

Une porte claqua, interrompit ses réflexions. Marco, intrigué se dirigea vers l'entrée, mais une voix calme et glacée l'interrompit.

-Ne vous fatiguez pas. Je suis passé par l'entrée de service.

Marco se figea. Ivan?

-De cette façon, fit le russe dans son italien parfait, mon départ aura été notifié, sans que mon retour le soit. Pour les registres officiels, je ne suis pas ici.

-Vous devez avoir oublié quelque chose, sans doute, répliqua Marco, imperturbable. Vous avez préféré passer par l'entrée de service pour ne pas déranger le gardien et ne pas surcharger les archives. Trés bien de votre part. Parce que c'est ça, n'est-ce pas?

Pourquoi prenait-il ce ton? Marco avait toujours compris vite ce qui se déroulait sous ses yeux. Il voulut se retourner, mais quelque chose de dur et de froid se colla à sa chemise collante. Un clic retentit.

-D'une certaine façon, oui. Il y a quelque chose que je n'ai jamais compris, monsieur Galiani. Vous savez ce qu'on dit sur le totalitarisme?

Le crépuscule tombait à travers la mince fenêtre, et la silhouette fine d'Ivan se découpa dans l'ombre. Ses yeux sombres et aigus transperçaient Marco.

-Vous voulez parlez de cette théorie qui circule chez nos intellectuels? L'Individu n'est rien hors du Tout. Ce n'est qu'une créature du monde détruite par la mort de son Dieu, et par sa propre mort. Mais l'État, lui, est un Tout en soi. Détruire la personne, la sacrifier, et la subordonner entièrement aux intérêts de l'État. Le réduire à l'état de moyen. Pour qu'il repuisse trouver un sens à sa vie dans la croyance au fascisme. Tout ne doit plus se réduire qu'à Benito Mussolini.

-Jolie propagande. Cette philosophie permet d'expliquer comment vous avez fait saigné ce pays. L'Etat doit tout contrôler. Donc il détruit. Économie, culture, vie privée... Il n'y a pas un domaine qui n'ait été purifié au nom de Mussolini. Car Mussolini doit tout savoir. Et il doit tout pouvoir.

-Mussolini est l'homme qui fait arriver les trains à l'heure, ricana Marco en levant les mains au ciel. Mais ça doit être un compliment, de la part d'un communiste. Parce que vous êtes communiste, hein?

-Pas de geste brusque.

-Où vous voulez en venir avec tout ça?

Il se surpris d'être aussi calme. C'était la seconde fois de sa vie qu'on braquait une arme sur lui. La première, c'était son frère, par plaisanterie, et il s'en était souvenu. Mais non, désormais, rien ne troublait le flux calme et tranquille de ses pensées. Il gagnait du temps, mais Ivan ne semblait pas pressé. Ou il avait déjà parcouru la zone pour vérifier que personne n'allait arriver. Ou alors il comptait le tuer rapidement, sans l'exploiter jusqu'au bout. Dans les deux cas, Marco était impuissant.

-Le totalitarisme est mal barré, continua Ivan. En temps qu'interprète dans des réunions diplomatiques majeures, j'accédais à des informations d'une dangerosité absolue. Je fais partie du cercle très restreint des hommes qui savent TOUT ce qui se passe à l'échelle du monde. Alors pourquoi ne pas avoir pris la peine d'enquêter et de vérifier mon histoire? Vous la connaissiez assez bien pour pérorer devant Molotov, pourtant.

-Ne vous surestimez pas, Ivan Koutouzov. Vous devez bien ignorer un ou deux trucs. Comme par exemple que c'est au supérieur hiérarchique direct d'enquêter sur les membres du ministère.

L'arme affermit sa prise.

-Donc que c'était moi, qui devait enquêter sur vous.

-Alors pourquoi?

-Je n'avais pas le temps, continua Marco avec un calme remarquable. Vos diplômes de Saint-Pétersbourg sont parfaitement valides. Et vous avez effectivement quitté l'URSS lors des crises de 1921.

Il toussa.

-Ensuite, je vous faisait un peu confiance. Erreur de ma part.


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