Note de la fic : :noel: :noel: :noel:

Ondine


Par : Droran
Genre : Fantastique
Statut : C'est compliqué



Chapitre 2


Publié le 06/09/2016 à 05:48:58 par Droran






Incandescence inondée, présence ignorée : l’héroïque infortune conviée au festin d’huile de pierre.




Transperçant la surface aquatique, ils se retrouvèrent à la merci de courants sous-marins. Les flots déchaînés séparèrent les deux corps, disposèrent d’eux comme s’il s’agissait de poupées de chiffons.
Ballotté contre sa volonté, Gabriel sentit ses os se fracasser contre la pierre. Son poing s’ouvrit, ainsi l’épée qu’il enserrait encore lui échappa. Ses poumons s’emplirent d’une eau écarlate. Il perdit instantanément connaissance en essuyant ce premier choc, sans cesser de rebondir contre les parois caillouteuses à mesure que le fil de l’eau l’entraînait au sein d’obscures profondeurs. Des abysses aux eaux noires anormales, imperméables à la lumière, à travers lesquels les flux s’accéléraient.
Porté à toute vitesse en tournoyant à travers le liquide sombre, sa masse fut recrachée hors de l’eau à travers une bouche béante percée dans la roche. La rive d’une grotte sous-marine, à l’abord de laquelle sa dépouille se figea, allongée sur le ventre, immobile sur une surface pierreuse. Bras droit replié à ses côtés, bras gauche étendu au-devant ; tous deux souillés – comme l’étaient ses vêtements – d’une matière visqueuse étouffant les pores de sa peau.
Lors de longues minutes, de longues heures traînantes, obscurité totale et calme plat régnèrent sur le lieu. Soudain, la surface de l’eau se souleva, vomit une masse aux côtés du corps inanimé. Les éclaboussures finirent par s’étouffer, et nul son autre que le clapotement de l’eau rognant les bords du cercle formé dans la pierre ne se fit plus entendre.
Un temps seulement. Au sein des ténèbres insondables emplissant l’espace solitaire, résonna un court souffle difficilement audible. Une respiration augurant une possible présence vivante, atteignant l’ouïe aiguisée du noyé, en qui, en vérité, subsistait encore une frêle étincelle de vie.
S’élevèrent dès lors des paroles susurrantes, inquiétantes, exhortant par le rythme d’une bien étrange mélopée l’éveil du miraculé. L’esprit appela à l’oxygène, sollicita les poumons. Ses yeux s’ouvrirent sans succéder à aucun geste, relevèrent l’espace d’une seconde un regard vitreux aux pupilles dilatées ineptes à percer l’obscurité. Convulsant, Gabriel vomit le liquide inondant ses voies respiratoires, en deux, trois, quatre fois, se tordit de douleur à chaque expectoration recrachant l’asphyxiante affliction.
Cloué au sol, incapable de bouger un seul membre pour se redresser. Ses côtes morcelées le faisant souffrir atrocement. Il finit d’expulser l’intégralité du corps étranger. Les lèvres suintantes de filets d’eau, de bave et de sang, il se laissa aller à de longues respirations le temps de se réoxygéner.
Ses nerfs criaient dans chaque part de son corps, l’empêchaient de se concentrer sur l’opacité ambiante. Il lui fallait se relever. Pour cela, il tenta d’abord de ressentir sa main gauche étendue en avant de son visage. Une matière poisseuse collait à sa peau et coulait entre ses doigts, qu’il parvint à animer. Un liquide noir au relent de naphte, à travers lequel il avait dû passer avant d’être rejeté hors de l’eau, irritant progressivement son épiderme et son odorat. Il tenta de s’en débarrasser en frottant son membre contre la pierre tavelée de moisissure, puis serra les dents. Ses vêtements trempés semblaient peser aussi lourd qu’une armure de plates. Ramenant son bras vers lui, plaquant sa paume contre le sol, il se fit basculer sur le dos ; se permit de s’étendre plus confortablement, soulageant ainsi sa cage thoracique.
« En vie… »
« Je suis en vie… » Réalisa-t-il en cessant tout effort, main reposée contre son ventre, afin de préserver le peu d’énergie qui l’animait.
Inspirant longuement, il se gorgea d’air empreint d’humidité. Les alentours demeuraient invisibles à sa vision humaine, incapable de discerner la moindre paroi en ce lieu gardé de toute lumière. En proie aux affres de la solitude, il en vint à se demander où il avait atterri, et par quel miracle la chose s’était produite.
Les minutes continuèrent à défiler, se muèrent bientôt en une heure accablante. Bien avant l’ennui, le sommeil en venait à l’étreindre, mettant en balance la léthargie. Plus faible que la fatigue, le rescapé se mit à grelotter de froid, aidé par ses vêtements glacés adhérant à sa peau. Seulement, pour une raison particulière, il ne pouvait se permettre de piquer du nez dans un pareil endroit. Pas pour l’heure, tout au moins.
Ses paupières papillonnant alors que son esprit s’égarait sporadiquement, il se redressa vivement en position assise. Curieusement, l’usage de son bras droit lui était de nouveau accordé – ses sens s’égaraient, l’insensibilisant peu à peu. Néanmoins pas assez. Paumes à plat contre le sol afin que ses membres supportent au mieux son poids, il trembla de tous ses os, qui eux crièrent de tourment. Et impossible de les faire taire. Chaque tentative cherchant à prouver que ses maux étaient irréels ne permit qu’à son squelette d’invectiver contre sa lâcheté. Tel un solide gaillard, il lui fallait continuer à serrer les dents, résister. Ne pas tenter de se soustraire aux vitupérations de sa carcasse malmenée.
Se ressaisissant, il porta une main à son flanc, sur un fourreau longeant sa cuisse. Vide, malheureusement. Le souvenir lui échappait, mais sa lame s’était bel et bien égarée. S’inquiétant de cette perte, il ramena une jambe vers lui en grimaçant, se pencha au plus loin en balayant le sol alentour de ses mains ; espérant ainsi effleurer de ses doigts le métal de l’objet disparu. Mais rien n’y fit. Maudissant sa bêtise, il entreprit de se mettre debout. Sa jambe gauche frémit, mais soutint sa masse. La droite, en revanche, ploya sous l’effort. Le malheureux s’avachit sur le sol en poussant un cri étouffé. Entorse ou fracture, la douleur provoquée le poussa à ne pas retenter l’expérience. Plutôt, il referma ses doigts sur la manche de sa tunique, s’acharna sur le lin dont elle était faite, tira jusqu’à en déchirer un court lambeau ; qu’il porta en face de ses yeux en le laissant pendre entre son pouce et son index.
« Sois belle. » Laissa-t-il résonner entre ses lèvres, une fraction de seconde avant que la lisière du tissu ne s’embrase. Une majestueuse et grandissante flamme naquit par magie autour du bout d’étoffe pourtant humide. Les pupilles de l’homme se contractèrent, réverbérèrent son enfièvreuse élégance. Gambillant tant dans ses prunelles que le long de la trame, elle commença à croître, s’épanouir, à devenir aux yeux de l’extasié une figure aussi factuelle que fantasmée.
Comme hypnotisé, il lâcha pourtant prise avant qu’elle ne remonte assez pour mordre ses doigts maculés de la matière sombre. Son regard suivit avec fascination le tissu enflammé lors de sa chute. Le tracé gracile qu’il d’écrivit dans l’air. Et le fait que l’intense flamme ne s’étouffa guère lorsqu’elle rencontra le sol humide, mais continua à corroder le vêtement afin de combler son insatiable appétit.
L’air ailleurs, Gabriel prit un air déçu, en détacha son attention. L’incandescence perdait déjà de ses attraits, ne durerait pas longtemps, n’était plus bonne qu’à projeter sa lueur vacillante sur un mètre de distance. Balayant l’ombre, son regard s’arrêta sur ce qu’il reconnut comme étant du crin animal emmêlé. La crinière de sa monture. Pauvre bête décédée, ayant suivi malgré elle le même parcours à travers les courants.
Le rescapé força sur ses bras meurtris, se traina jusqu’au cadavre caché par l’obscurité. Imposant, allongé sur le flanc à l’abord du point d’eau révélé par la flamme périclitante. Ces gestes lui arrachèrent une plainte violente, firent couler le long de sa joue des larmes de douleur. Le bas de son abdomen avait été sévèrement écrasé avant sa chute de la falaise, mais il s’en accommoda de grès. De force également. Une impression étrange le poussa à balader ses bras sur la peau raide et mouillée du cadavre, par-dessus la selle encore sanglée. Une sorte de pétrole ? Se demanda-t-il en remarquant la même matière recouvrant tant son épiderme que celui du canasson. Tâtant chaque parcelle nue, ses doigts finirent par entrer au contact d’un liquide chaud. Une plaie qui ne le dégoûta pas. Il frôla encore le saignement sur quelques centimètres, jusqu’à rencontrer le froid d’un objet métallique figé dans la chair. Sans aucun doute l’arme manquant à son fourreau, ayant croisé en chemin le corps de l’équidé.
Un sourire se dessina sur son visage. Sans plus se poser de question, il bloqua sa mâchoire, rampa par-dessus le cadavre en ignorant tant bien que mal ses maux. Jouant des épaules, il progressa tel un serpent et roula de l’autre côté de l’animal en cognant inévitablement une hanche contre la pierre. Son souffle se fit court, l’épuisement menaçait. Il ne perdit pourtant pas de temps, se remis en quête de la zone blessée. Ses doigts retrouvèrent l’objet, s’enroulèrent autour de lui.
La flamme finit de consumer le fragment de vêtement, s’évanouit soudainement. Ce qui ne réjouit pas Gabriel, qui sollicita ses muscles endoloris pour extirper l’épée prise à l’intérieur de sa défunte monture. Une entreprise pénible. Au vu de son état, même périlleuse. Usant de ses forces restantes, il tira sur la poignée d’argent, qui pourtant s’obstina à rester coincée parmi les organes de l’animal.
Déployant sa gorge pour exhorter son entreprise, il leva son genou gauche et poussa sur sa cuisse tout en agitant ses coudes avec insistance. L’élan échappa à son contrôle. Ses cordes vocales pareillement. La lame se fraya un chemin hors de la chair en un bruit répugnant. Il recula de deux pas tout en se relevant, tandis que ses bras décrivirent un large arc de cercle allant jusqu’à fendre la surface de l’eau stagnant derrière ses talons.
Dès lors, un puissant brasier dévora la surface de la nappe souillée de pétrole. Les flammes, fortes de ce carburant, s’élevèrent en une armée vouée au culte de la danse vacillante. Montant jusqu’à lécher le mur qu’elles longeaient, elles se propagèrent également le long de la lame de l’épée. Surpris, Gabriel avança de peur et trébucha par-dessus le canasson.
Il se réceptionna douloureusement. A quatre pattes sur la surface rocheuse, le flamboiement de son arme s’exhibant à sa vue, il se reprit tant bien que mal. En vérité, il venait d’en faire trop, et seule l’épuisement parasitant son esprit lui épargna de ployer à nouveau sous la douleur parcourant muscles et os de ses membres étrillés. La réalité s’échapperait bientôt sans qu’il ne puisse plus rien y faire. Ses paupières papillonnaient toujours davantage, alors que la zone se révélait maintenant à la lueur des flammes s’étant vues offrir un inépuisable festin.
Soufflant de résignation, il déplaça son bras gauche afin d’exalter les flammes courant sur le fil de sa lame. Un nouveau sourire illumina son visage éclairé par la chaleur rouge-orangée. Comme apaisé, il enceignit sa vue, abaissa ses paupières. S’élevaient des flammes, comme du sol et de l’air ambiant, un chant susurré, gagnant peu à peu en intensité à mesure que son esprit s’égarait. Des paroles entraînantes, ébranlant de leur langue inconnue le fondement même de sa réalité.
—Non ! S’écriait-il soudainement en grimaçant, pantelant tout en se relevant. Non ! Hurlait-il encore en tentant de résister.
L’instant d’après il souriait.


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