Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Si je tombe


Par : Lucie
Genre : Sentimental, Réaliste
Statut : C'est compliqué



Chapitre 2


Publié le 23/08/2013 à 13:08:55 par Lucie

[c] Parce que c'est tout ce qu'il nous reste.[/c]


[c]« C'est de la confiance que naît la trahison. »
[Proverbe Arabe][/c]



On arrive un peu en retard, Jess et moi. Je sais que personne n'en tiendra compte, parce que tu es sûrement déjà sur place. Ta présence suffit souvent à effacer celle des autres. C'est un don naturel, chez toi.

Le restaurant que maman a choisi n'est pas ce à quoi je m'attendais. C'est sophistiqué, ça sent la richesse à plein nez. Je déteste ça. De plus, ma tenue ne correspond pas du tout à l'image que le restaurant donne. Je me suis contentée d'un jeans, de mes veilles ballerines usées, et d'un haut à paillettes. Mes cheveux sont relevés en une couette haute, et même si j'ai pris le temps de les lisser, c'est une coiffure qui n'aspire en rien la nouveauté.

Jess a lui aussi opté pour un jeans, mais la chemise blanche qu'il a enfilé suffit pour qu'il soit beau comme un Dieu. Son style passe beaucoup mieux que le mien dans ce genre d'environnement. Je l'envie un peu. On arrive à la table réservé, où une hôtesse d'accueil nous a conduit. J'ai bien remarqué les coups d'oeil qu'elle ne cesse de lancer à Jess, mais j'essaie de ne pas en faire cas et prend la main de mon copain dans la mienne en un geste de possessivité excessive.

Tu es là. Ton bras entoure les épaules de Sarah, et je te vois rire avec ton père, qui semble absorber par le discours qu'il est en train de te servir. Tu ne me remarques pas, ou plutôt tu ne sembles pas vouloir le faire immédiatement. Je dépose un baisé sur la joue de maman, puis fait la bise à Sarah, qui me serre furtivement dans ses bras après s'être levée de sa chaise. En guise de bonjour, je te lance un coup d'oeil, ponctué d'un sourire que je me force à te faire. Ton père se lève pour me faire la bise à son tour, et il me tape gentiment le dos en me demandant si le boulot se passe bien. Je lui répond que oui, même si je n'en pense pas un mot.

J'aperçois Maël, qui, du haut de ses cinq ans, est assis d'un air boudeur sur sa chaise. Il est entre sa mère et son père. Soit ma mère et ton père. Qu'importe le temps qui est passé depuis, je trouve toujours ça aussi ironique. Cette situation est ironique. Notre situation est ironique. Notre vie toute entière est ironique. Je veux faire un bisou à mon demi-frère, mais celui-ci me repousse d'une main plaqué sur ma joue. Il boude, alors je le laisse tranquille.

Je m'assois près de Jess, qui a lui aussi finis de faire le tour de la table afin de saluer tout le monde. Je suis sûr que tu as fait exprès. Exprès de faire en sorte qu'on soit tout les deux l'un à côté de l'autre. Pourquoi tu fais ça ? Est-ce que tu aimes me faire souffrir à ce point ?

Une serveuse vient nous demander quelle boisson nous désirons, et je commande une vodka orange. Maman me fait les gros yeux, mais ne dit rien. Quant à toi, tu prend un whisky pure, comme toujours. Toi personne ne te dis rien. Personne ne te lance le genre de regard qui veut dire « un peu de retenue, voyons ». Non, quand c'est toi, c'est normale. Pour moi ça ne fait pas de différence, on est tout les deux majeurs et vaccinés, après tout.

D'une gorgée de Vodka, je regarde la bague de maman. Elle est passé à son annulaire gauche. Ça fait maintenant presque sept ans qu'elle porte le nom de ton père. Le temps passe vite. Je me souviens encore du jour de leur mariage, mais aussi du jour de la naissance de Maël, qui nous a tout deux fait définitivement sombrer.

Si je me souviens bien, tout a véritablement commencé à leur mariage. En ce temps-là, nous n'étions encore que deux meilleurs amis, heureux que nos parents s'unissent, parce que ça signifiait beaucoup plus de temps à passer ensemble et surtout une maison commune. Mais tout ça c'est dégradé si vite, tu te souviens ? Je ne sais pas si ce sont nos sentiments qui ont changés, ou juste la manière de nous voir l'un l'autre.

On avait à peine dix-sept ans la première fois que tout à changé. Notre première énorme erreur. Nous sommes presque demi-frère et demi-sœur, bordel. Et même si nous ne sommes pas lié par le sang, je ne peux m'empêcher de trouver ça malsain. Parce que ma mère est mariée à ton père. Parce qu'ils ont fait un enfant ensemble. Parce que cet enfant est maintenant notre demi-frère à tout les deux.

Je bois une nouvelle gorgée de Vodka.

Je sais que cette réunion de « famille » est la cause direct de mes pensées. Je ne peux pas m'empêcher de me remémorer tout ça quand je suis avec eux. Et ça fait mal, si tu savais. Je sens la main de Jess se poser sur ma cuisse et je résiste au sanglot qui semble vouloir s'échapper de mes lèvres.

Je ne sais pas si c'est une vengeance de ta part, mais, alors que tu remarques la main de Jess posé sur ma jambe, tu entreprends de déposer un baisé sur la joue de Sarah. Celle-ci glousse un peu, comblée. Sarah a toujours voulu être avec toi. C'était ma meilleure amie, j'en sais quelque chose. Au collège tu ne l'as voyais pas alors qu'elle s'efforçait de te faire des avances. Au lycée, tu l'as simplement ignoré. Puis, par un concours de circonstances, tu t'es mis en couple avec elle. Entre Sarah et moi, ce n'est plus pareil qu'avant et ce ne sera plus jamais pareil. Et tout ça, c'est encore de ta faute.

Je ne fais pas attention à ta provocation, même si, malgré-moi, j'y répond en déposant ma main sur celle de Jess, la lui caressant de mon pouce.

-Alors, quand est-ce que vous emménagez ensemble ?

Maman pose cette question à chaque fois qu'elle vous voit tout les deux. Pour moi et Jess, ce n'est pas nécessaire. Je crois qu'elle s'en fiche un peu. Mais c'est pas grave, ça m'évite de répondre que j'ai peur d'habiter avec lui. Peur parce que je ne pourrais alors plus venir te voir les soirs, histoire de nous faire un peu plus de mal encore.

-On y réfléchis.

Tu réponds d'une voix égale, tout en avalant une gorgée de ton whisky. Sarah sourit près de toi, heureuse comme jamais. Peut-être que vous comptez vous mariez, vous aussi. Si c'est le cas, ne t'attends pas à ce que je vienne. Ton mariage annoncerait la fin de tout ça, de tout ce que nous faisons. Même si j'espère que tout ça se termine un jour, je ne suis pas sûre de pouvoir le supporter. Ou du moins, pas tout de suite.

-J'ai déjà quelques affaires disposés un peu partout chez lui, ça avance !

Sarah se sent obligée de mettre son grain de sel, et je sens l'irritation poindre. Ce qu'elle dit est vrai. C'est pour ça que je ne prends ma douche chez toi, parce que voir ses produits de beautés et son gant en train de sécher sur le rebord de ta baignoire me donne d'affreuses nausées.

Toi tu ris légèrement à sa remarque, mais tes yeux prouvent que ça ne te réjouis pas plus que ça. Parfois je me demande vraiment à quoi tu peux bien penser, quand tu es avec elle. J'ai l'impression que tu as construis un rempart entre toi et la réalité. J'aimerais faire pareille, pour que rien ne m'atteigne, mais je n'y parviens pas.

-Alors, parles nous un peu de ton nouveau job, Claire. Comment ça ce passe ?

Ton père c'est le seul qui se préoccupe vraiment de ma vie. Le seul qui me pose des questions. Et même si je sais qu'il ne s'intéresse que très peu à mes réponses, ça me fait chaud au cœur qu'il pense à moi.

-Je ne fais rien d'extraordinaire. Même si les clients sont stricts en matière de littérature, je crois que je m'en sors plutôt bien. Je ne fais que les conseiller, après tout.

Il me gratifie d'un « tant mieux », puis détourne son attention pour la porter sur toi. C'est fou ce que tu ressembles à ton père. Ces yeux bleus limite électriques. Ce teint caramel. Cette touffe de cheveux blond aux reflets châtains foncés. La manière de parler, et de s'exprimer. Tout chez lui me rappelle toi. Maintenant j'arrive à comprendre pourquoi maman a finit par craquer sur lui. Eux aussi on commencé par l'amitié. Comme nous. Sauf que eux ils s'aiment d'un amour inconditionnelle.

Alors que nous la haine régit nos actions.

On s'est en fait contenté de renvoyer l'amertume et le sentiment d'injustice qu'on a ressentit envers nos parents l'un sur l'autre. C'est tout con. On se déteste pour ce que nos parents on fait. On se déteste pour ce qu'on a fait et qu'on aurait pas dû faire. On se déteste pour être aller aussi loin tout les deux, tout en sachant que nos parents étaient mariés. L'arriver de Maël a vraiment été le déclencheur de tout ça. Le fait que tu te tapes ma meilleure amie aussi.

Treize ans qu'on se connaît. À nos dix ans, on est devenu amis. De vrais inséparables, et même si on s'engueulait pour un oui ou pour un non, on n'arrivait à peine à nous séparer. À nos douze ans, nos parents deviennent eux aussi amis, et se fréquentent de plus en plus. À nos quinze ans, ils nous annoncent qu'ils sont ensemble, et qu'ils comptent se marier. À nos seize ans, alors que l'angoisse nous ronge et que l'excitation nous envahit, ils se marient. À nos dix-sept ans, alors qu'on habite sous le même toit, on se saute dessus comme des sauvages, comme si notre vie en dépendait, mélangeant rancœur, haine, amour et amertume à nos ébats. On s'en veut, mais on recommence, encore et encore. À nos dix-huit ans Maël né. C'est là que ça commence à partir en vrille. Qu'on commence à se haïr un peu plus pour ce que nous faisons.

Mais on continue, parce que c'est tout ce qu'il nous reste.

Quelques mois après ta majorité, tu t'en vas de la maison. Je te suis quelques semaines plus tard, et je prend un appartement non loin du tien. Tu te mets bientôt avec Sarah, et moi avec Jess. Pourtant on arrête rien, on continue de se voir, et de se faire du mal, juste un peu plus. Maintenant nous avons vingt trois ans, et rien n'a changé. Est-ce qu'on aura la chance de pouvoir changer tout ça un jour ? Je n'en suis plus si sûre. Ça dure depuis tellement longtemps.

Je ne sais pas si tout ça est intact dans ta mémoire. J'aimerais pouvoir te poser la question, mais on n'en parle jamais. On ne parle jamais de ce qu'on fait ensemble. De combien on trahis notre entourage. De combien c'est mal, et surtout malsain de continuer. Jamais encore nous n'en avons discuté. On se contente d'agir. Et agir pour nous c'est se détruire mutuellement.

À croire qu'on aime ça.

Je n'ai même pas ouvert le menu, et quand la serveuse revient pour prendre note, je lui demande une salade de chèvre chaud. Je n'ai pas très faim, ta présence me tord les entrailles. Tu commandes la même chose, et je retiens l'envie de te le faire remarquer. On ne se parle que très rarement devant les autres, et même quand nous sommes seuls, très peu de mots sont échangés. Nous avons perdu notre complicité. Nous ne sommes plus que l'ombre de nous même ; les pantins de Dieu.

-Evan-chéri, sers-moi un verre d'eau, s'il te plait.

Je n'aime pas quand Sarah t'appelle ainsi, ça me rappel chaque fois un peu plus que c'est à elle que tu appartiens, pas à moi. Tu lui sers son verre d'eau sans rien dire. Elle te remercie en te caressant doucement le bras, fin sourire sur ses lèvres rose bonbon. Vu comme ça, vous avez l'air heureux. Je me suis toujours demandé si ce n'était qu'une façade, ou la véritable signification de votre relation. Heureuse et équilibrée.

Maël a apparemment finit de bouder et pousse gentiment son père pour venir se glisser entre Jess et moi, prenant le monopole de mes genoux. Je relève un peu les cheveux blonds qui lui tombe sur le front et y dépose un bisou. Il rit un peu, passant ses bras autour de mon cou pour me donner un câlin. J'aime Maël, vraiment. J'aime tout ce qui le caractérise. C'est un enfant. C'est mon demi-frère.

Notre demi-frère.

Je te jette un coup d’œil en biais. J'ai sentit ton regard sur moi. Je ne sais pas à quoi tu penses, mais d'un geste un peu absent, tu ébouriffes les cheveux de Maël de ta main. Je sens ton parfum parvenir jusqu'à moi, et un léger frisson me parcoure. Je déteste cette proximité qu'on peut avoir devant les autres. J'ai peur que ça nous trahisse. Parfois je me dis qu'on a de la chance que personne ne se soit rendu compte de rien, parce que j'ai vraiment l'impression que c'est flagrant nous deux. Pourtant ils ne voient rien, ne disent rien, ne s'imaginent rien, ne se posent jamais de questions.

Est-ce que notre famille est aveugle, Evan ?

Les plats arrivent, et ton père demande à Maël de revenir à sa place pour pouvoir manger ses frites et son steak qui l'attendent sagement. Il ronchonne et refuse de bouger. Je repousse alors mon assiette et pose la sienne à la place.

-Tu ne comptes pas manger, Claire ?

Maman me lance un regard inquiet, comme si elle se doute que quelque chose cloche dans mon comportement. Mais c'est faux. Maman ne se rend jamais compte de rien.

-Je n'ai pas très faim. Le petit peut manger là, ça ne me dérange pas.

Le repas se déroule alors dans une ambiance joyeuse. Tout le monde rigole des anecdotes de ton père. Je m'efforce de faire pareil. Toi seul sait que mon rire est sans joie, que mes sourires sont faux, et que ma bonne humeur est feinte. Je fais toujours semblant. C'est devenue une habitude, n'est-ce pas ? Toi aussi tu fais semblant, Evan. Je le sais.

Vers vingt-deux heures trente, tout le monde a finit de manger. J'en suis à mon troisième verres de vodka, le monde tangue un peu autour de moi. Je n'ai jamais supporter l'alcool, pourtant ça ne m'empêche pas de consommer. Maël s'est endormis dans mes bras, et je demande à Jess de le donner à son père, parce que je ne suis plus sûr de pouvoir supporter son poids sur mes genoux plus longtemps. Il s'exécute, sans rien dire.

Jess ne dit jamais rien.

Toi aussi tu as beaucoup bu ce soir, mais, à l'inverse de moi, tu as l'air parfaitement sobre. Tes paroles sont sensés, tes mots bien distincts, tes gestes bien assurés. Je t'en veux d'être aussi bon acteur, à rappeler aux autres que toi et Sarah c'est du sérieux. Et ça l'est peut-être, j'en sais rien. Tu ne me dis jamais rien, à moi. Surtout pas quand ça te concerne toi et Sarah. Tu as peut-être peur de ma réaction. Mais je sais aussi que, dans les moments où nous ne sommes pas seuls et que tu t'autorises à en toucher deux mots, tu t'adresses à moi indirectement, comme pour me faire comprendre que je passe après elle, voir que je n'ai aucune importance à tes yeux. Ce n'est pas grave, je pourrais aussi bien dire la même chose de mon côté.

La soirée se termine bientôt. Dehors l'air est doux, et je me délecte un moment de la brise chaude qui souffle sur mon visage. Jess me soutient par les hanches. Il sait que j'ai trop bus, que je ne pourrais rentrer qu'avec son aide. Pourtant, je n'ai pas envie qu'il reste avec moi cette nuit. Je voudrais être seule, et ruminer en silence. M'apitoyer sur mon sort, aussi. Parce que ma vie est un ramassis d'emmerdes que je ne suis plus sûre de pouvoir supporter bien longtemps. Je prie aussi pour que tu crèves sur le chemin de ton appartement. Je veux que tu crèves, Evan. Alors crève.

Tout le monde se salue. Je ne dis au revoir à personne, et personne ne vient me dire au revoir. Je crois que tout le monde a compris que je ne suis pas en état de faire quoi que ce soit, et surtout pas d'ouvrir la bouche, ni de recevoir des bisous et surtout d'en faire en retour. Je reste immobile alors que tu t'éloignes avec Sarah, main dans la main. Jess ne bouge pas lui non plus, il attend que je me décide à faire un pas. Ta copine m'adresse un coucou auquel je ne répond pas.

Toi tu me tournes le dos ; tu t'en vas déjà.


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