Note de la fic :
Publié le 28/08/2012 à 11:37:24 par Warser
Il boit une nouvelle gorgée de Vodka. Les patates sont prêtes, je pense. Le chou doit être un peu trop cuit du coup, mais c'est pas grave. Igor est pas regardant pour la cuisine, et moi pas tellement non plus.
On commence à manger sans bruit. J'aimerais lui demander de se mettre à l'aise, mais il retirerait pas son trench coat, ni ses gants noirs. Ça me gêne un peu, à chaque fois.
- Tu sais, je crois les dessins que tu as dans ce carnet peuvent se vendre si tu peins.
Igor s'y connait en art. Outre son activité principale, c'est aussi un excellent critique. D'ailleurs, c'est comme ça que je l'ai rencontré. Mais là, il se trompe, ou il veut me faire plaisir. On peut pas juger de la valeur d'un bête croquis.
- Ah bon?
- C'est en vogue, ce genre de chose. On se remet au démodé, dans ton pays.
J'avale une bouchée de lard en silence. J'en ai rien à faire que ça puisse se vendre. Paris c'est déjà un nid d'hypocrites, alors les artistes parisiens...
- J'ai pas envie de revenir, j'ai pas envie de me retrouver sur le devant de la scène. ça m'emmerde.
Igor hausse les épaules.
- Tu m'as jamais raconté pourquoi tu as quitté Paris.
- Ben tu le sais, non? t'étais aux premières loges.
- Je sais tu as arrêté de peindre d'un coup, et quand tu t'es remis à peindre, ça a pas plu. Mais je sais pas pourquoi.
A mon tour de hausser les épaules. C'est vrai, je lui ai jamais raconté toute l'histoire, mais j'ai pas envie de le faire maintenant.
- J'en avais marre du milieu. En dessous du vernis, la société parisienne, c'est une couche de crasse.
- Ça, mon ami, c'est pas raison suffisante ! Pour mafieux peut être, mais pas pour artiste.
- Merde, Igor. Pourquoi tu me poses la question si t'as l'air de si bien connaître la réponse ?
- Je crois c'est problème de femmes, y a rien d'autre pour renverser un homme à ce point. Tu veux pas me dire?
En fait, ça m'emmerde de me le remémorer. Mais bon, maintenant que c'est fait, autant le raconter.
- Si tu veux. Mais c'est long, pas très gai, et pas très intéressant.
Igor éclate de rire. La vodka commence à faire effet on dirait.
- Comme théâtre Russe ! Surtout Tchékov. Mais j'aime beaucoup Tchékov. Raconte ton histoire.
- Je vais d'abord te dire comment j'ai commencé à dessiner. Après, tu comprendras le reste. J'avais seize ans. Je me baladais sur les quais de Seine, c'était le soir. Pas encore la nuit, je crois. Le crépuscule. Enfin, je me souviens plus bien. Je m'étais assis sur un banc, à coté d'une fille qui lisait le journal, une rousse aux cheveux courts. Elle portait un panama, ce jour là. Je me rappelle surtout du panama.
- Le diable au Panama, commente Igor en riant. Elle était jolie?
J'acquiesce en silence.
- On a juste échangé quelques mots. Quand je suis rentré chez moi, je l'ai dessiné. J'ai recommencé jusqu'à réussir. Ça a duré des mois.
- Et tu l'as revu, ton démon ?
- Ouais. Plus d'une fois. C'est elle qui m'a inspiré, pendant les sept ans que j'ai vécu à Paris. Elle partait, elle revenait, elle repartait. Insaisissable. Belle et insaisissable en fait. Je crois qu'elle se foutait de ma gueule des fois. Et puis y a un jour où elle est partie pour de bon. Y a dix ans. Elle a disparu de ma vie, sans explications. Elle a disparu tout court en fait.
- Morte, tu crois?
- Je sais pas. Mais ça m'a cassé. J'ai plus réussi à rien faire. Paris me dégoutait, la Seine me dégoutait. L'art, les artistes, aussi. Même ce que je faisais, j'arrivais plus à l'aimer. Je voulais partir, m'éloigner de tout ça.
Je fais une pause, pour reprendre mes esprits.
- Partir loin...
Igor pose sa main sur mon épaule.
- Tu as larme à l'œil, mon ami. Laisse couler, ça vaut la peine.
Il a raison, je crois. La goutte d'eau glisse sous mes paupières, et va se perdre sur ma joue.
- Je vais te prendre un peu de vodka, je crois.
Il me tend cordialement la flasque, sans un mot. J'en bois une gorgée. Ça me brule la gorge, et ça met un peu de chaleur dans mon cœur, aussi.
On finit de manger en silence. Je crois que ça m'a vraiment fait du bien, de raconter ça à Igor. Après tout, il s'y connait en femmes.
- Tu l'aimais vraiment ?
- Je crois.
- Et elle?
- Je sais pas.
Le russe s'enfonce dans sa chaise.
- Tu veux faire partie d'échecs, Dan? Avant fin de la soirée? Je vais bientôt devoir partir.
Ça va me changer les idées. J'ouvre le placard, je sors l'échiquier. Un bel échiquier en bois noir, avec des pièces d'ivoire peint. On commence à placer nos pièces. J'ai les blancs. Igor est meilleur que moi aux échecs. Le sang russe, peut être... Mais c'est bien de se concentrer sur quelque chose de totalement stérile. ca occupe la tête. ça chasse les idées noires, à la place on a des idées neutres. On réfléchit au sacrifice de sa tour, on calcule. Et pendant ce temps, on évite de penser au sens de la vie ou de rouvrir les vieilles blessures.
Le tonnerre gronde, dehors. La marée est en train de remonter, lentement. La soirée s'écoule au compte goutte, entre verres de vodka et gambits indiens. Cette fois, faut que je ferme les volets. Je jette un regard à la mer avant de ramener les battants de bois. Elle est là. Elle me regarde, elle me sourit. Je la vois, plus clairement. Sur le rocher, étendue, vêtue d'une jolie robe blanche diaphane. Ses longs cheveux sombres tombent sur sa nuque et ses épaules. Elle a vraiment des taches de rousseur, je crois.
J'ai envie de lui rendre son sourire, je la contemple un moment, devant la fenêtre. Elle soutient mon regard de ses yeux rieurs. De jolis yeux bleus-vert.
- Qu'est-ce qu'y a?
Igor s'approche de moi, l'air un peu inquiet.
- Regarde, Igor. Elle est là.
- Qui ça?
Je laisse ma place au russe perplexe, qui se penche à la fenêtre.
- Il n'y a personne, Dan.
- Là, sur le rocher !
Je m'approche de la fenêtre pour lui montrer. Je l'ai vu, c'est sur. Mon regard balaie la mer en quelques secondes, je retrouve le rocher. Elle est plus là. Disparue. Emportée par une vague, comme hier?
- Elle était là. Je l'ai vu, sur ce rocher, je te jure. La fille que j'ai dessiné cet après midi.
Igor me regarde en fronçant les sourcils, et rouvre mon carnet à dessins.
- Dis moi, mon ami. Ton diable au panama, il lui ressemblerait pas?
- Si, un peu. Le visage, les yeux, le sourire. Mais pas les cheveux. Et je suis pas fou, Igor. Je vais très bien.
Je prends le ton le plus ferme que je peux. J'essaie de me convaincre moi même. Le russe fixe d'un air amusé sa flasque de Vodka presque vide.
- Pas fou, non... Je dois partir, avant que le chemin soit encore inondé. La partie est finie de toute façon. Mat en deux coups.
Je regarde mollement l'échiquier. Il a raison. Il remet son chapeau, et je l'accompagne jusqu'à la porte. Il m'embrasse pour me saluer, dans l'embrasure. Dehors, il commence à faire froid, et une douce pluie s'abat sur la lande. Mais cette fois, la marée est pas trop forte.
- Tu sais, des fois, à problèmes de femmes, il y a solutions simples. Surtout quand on connait Igor. Réfléchis à ma proposition.
- J'y manquerai pas, camarade.
Il s'éloigne, disparait lentement dans la nuit. Longue silhouette noire, avec un haut de forme. Je rentre au salon, je vais à la fenêtre, machinalement. Je plisse les yeux, je fouille la nuit. Pas besoin de chercher loin. Elle est toujours là, sur le même rocher. Toujours ce sourire. Enjoué, moqueur. Je lui souris, moi aussi. J'ai pas envie de dormir. J'ai envie de dessiner. Je m'installe à mon bureau, j'ouvre un nouveau carnet. Mon crayon court sur le quadrillage. Je la dessine encore, avec ses longs cheveux lisses et ses taches de rousseur.
On commence à manger sans bruit. J'aimerais lui demander de se mettre à l'aise, mais il retirerait pas son trench coat, ni ses gants noirs. Ça me gêne un peu, à chaque fois.
- Tu sais, je crois les dessins que tu as dans ce carnet peuvent se vendre si tu peins.
Igor s'y connait en art. Outre son activité principale, c'est aussi un excellent critique. D'ailleurs, c'est comme ça que je l'ai rencontré. Mais là, il se trompe, ou il veut me faire plaisir. On peut pas juger de la valeur d'un bête croquis.
- Ah bon?
- C'est en vogue, ce genre de chose. On se remet au démodé, dans ton pays.
J'avale une bouchée de lard en silence. J'en ai rien à faire que ça puisse se vendre. Paris c'est déjà un nid d'hypocrites, alors les artistes parisiens...
- J'ai pas envie de revenir, j'ai pas envie de me retrouver sur le devant de la scène. ça m'emmerde.
Igor hausse les épaules.
- Tu m'as jamais raconté pourquoi tu as quitté Paris.
- Ben tu le sais, non? t'étais aux premières loges.
- Je sais tu as arrêté de peindre d'un coup, et quand tu t'es remis à peindre, ça a pas plu. Mais je sais pas pourquoi.
A mon tour de hausser les épaules. C'est vrai, je lui ai jamais raconté toute l'histoire, mais j'ai pas envie de le faire maintenant.
- J'en avais marre du milieu. En dessous du vernis, la société parisienne, c'est une couche de crasse.
- Ça, mon ami, c'est pas raison suffisante ! Pour mafieux peut être, mais pas pour artiste.
- Merde, Igor. Pourquoi tu me poses la question si t'as l'air de si bien connaître la réponse ?
- Je crois c'est problème de femmes, y a rien d'autre pour renverser un homme à ce point. Tu veux pas me dire?
En fait, ça m'emmerde de me le remémorer. Mais bon, maintenant que c'est fait, autant le raconter.
- Si tu veux. Mais c'est long, pas très gai, et pas très intéressant.
Igor éclate de rire. La vodka commence à faire effet on dirait.
- Comme théâtre Russe ! Surtout Tchékov. Mais j'aime beaucoup Tchékov. Raconte ton histoire.
- Je vais d'abord te dire comment j'ai commencé à dessiner. Après, tu comprendras le reste. J'avais seize ans. Je me baladais sur les quais de Seine, c'était le soir. Pas encore la nuit, je crois. Le crépuscule. Enfin, je me souviens plus bien. Je m'étais assis sur un banc, à coté d'une fille qui lisait le journal, une rousse aux cheveux courts. Elle portait un panama, ce jour là. Je me rappelle surtout du panama.
- Le diable au Panama, commente Igor en riant. Elle était jolie?
J'acquiesce en silence.
- On a juste échangé quelques mots. Quand je suis rentré chez moi, je l'ai dessiné. J'ai recommencé jusqu'à réussir. Ça a duré des mois.
- Et tu l'as revu, ton démon ?
- Ouais. Plus d'une fois. C'est elle qui m'a inspiré, pendant les sept ans que j'ai vécu à Paris. Elle partait, elle revenait, elle repartait. Insaisissable. Belle et insaisissable en fait. Je crois qu'elle se foutait de ma gueule des fois. Et puis y a un jour où elle est partie pour de bon. Y a dix ans. Elle a disparu de ma vie, sans explications. Elle a disparu tout court en fait.
- Morte, tu crois?
- Je sais pas. Mais ça m'a cassé. J'ai plus réussi à rien faire. Paris me dégoutait, la Seine me dégoutait. L'art, les artistes, aussi. Même ce que je faisais, j'arrivais plus à l'aimer. Je voulais partir, m'éloigner de tout ça.
Je fais une pause, pour reprendre mes esprits.
- Partir loin...
Igor pose sa main sur mon épaule.
- Tu as larme à l'œil, mon ami. Laisse couler, ça vaut la peine.
Il a raison, je crois. La goutte d'eau glisse sous mes paupières, et va se perdre sur ma joue.
- Je vais te prendre un peu de vodka, je crois.
Il me tend cordialement la flasque, sans un mot. J'en bois une gorgée. Ça me brule la gorge, et ça met un peu de chaleur dans mon cœur, aussi.
On finit de manger en silence. Je crois que ça m'a vraiment fait du bien, de raconter ça à Igor. Après tout, il s'y connait en femmes.
- Tu l'aimais vraiment ?
- Je crois.
- Et elle?
- Je sais pas.
Le russe s'enfonce dans sa chaise.
- Tu veux faire partie d'échecs, Dan? Avant fin de la soirée? Je vais bientôt devoir partir.
Ça va me changer les idées. J'ouvre le placard, je sors l'échiquier. Un bel échiquier en bois noir, avec des pièces d'ivoire peint. On commence à placer nos pièces. J'ai les blancs. Igor est meilleur que moi aux échecs. Le sang russe, peut être... Mais c'est bien de se concentrer sur quelque chose de totalement stérile. ca occupe la tête. ça chasse les idées noires, à la place on a des idées neutres. On réfléchit au sacrifice de sa tour, on calcule. Et pendant ce temps, on évite de penser au sens de la vie ou de rouvrir les vieilles blessures.
Le tonnerre gronde, dehors. La marée est en train de remonter, lentement. La soirée s'écoule au compte goutte, entre verres de vodka et gambits indiens. Cette fois, faut que je ferme les volets. Je jette un regard à la mer avant de ramener les battants de bois. Elle est là. Elle me regarde, elle me sourit. Je la vois, plus clairement. Sur le rocher, étendue, vêtue d'une jolie robe blanche diaphane. Ses longs cheveux sombres tombent sur sa nuque et ses épaules. Elle a vraiment des taches de rousseur, je crois.
J'ai envie de lui rendre son sourire, je la contemple un moment, devant la fenêtre. Elle soutient mon regard de ses yeux rieurs. De jolis yeux bleus-vert.
- Qu'est-ce qu'y a?
Igor s'approche de moi, l'air un peu inquiet.
- Regarde, Igor. Elle est là.
- Qui ça?
Je laisse ma place au russe perplexe, qui se penche à la fenêtre.
- Il n'y a personne, Dan.
- Là, sur le rocher !
Je m'approche de la fenêtre pour lui montrer. Je l'ai vu, c'est sur. Mon regard balaie la mer en quelques secondes, je retrouve le rocher. Elle est plus là. Disparue. Emportée par une vague, comme hier?
- Elle était là. Je l'ai vu, sur ce rocher, je te jure. La fille que j'ai dessiné cet après midi.
Igor me regarde en fronçant les sourcils, et rouvre mon carnet à dessins.
- Dis moi, mon ami. Ton diable au panama, il lui ressemblerait pas?
- Si, un peu. Le visage, les yeux, le sourire. Mais pas les cheveux. Et je suis pas fou, Igor. Je vais très bien.
Je prends le ton le plus ferme que je peux. J'essaie de me convaincre moi même. Le russe fixe d'un air amusé sa flasque de Vodka presque vide.
- Pas fou, non... Je dois partir, avant que le chemin soit encore inondé. La partie est finie de toute façon. Mat en deux coups.
Je regarde mollement l'échiquier. Il a raison. Il remet son chapeau, et je l'accompagne jusqu'à la porte. Il m'embrasse pour me saluer, dans l'embrasure. Dehors, il commence à faire froid, et une douce pluie s'abat sur la lande. Mais cette fois, la marée est pas trop forte.
- Tu sais, des fois, à problèmes de femmes, il y a solutions simples. Surtout quand on connait Igor. Réfléchis à ma proposition.
- J'y manquerai pas, camarade.
Il s'éloigne, disparait lentement dans la nuit. Longue silhouette noire, avec un haut de forme. Je rentre au salon, je vais à la fenêtre, machinalement. Je plisse les yeux, je fouille la nuit. Pas besoin de chercher loin. Elle est toujours là, sur le même rocher. Toujours ce sourire. Enjoué, moqueur. Je lui souris, moi aussi. J'ai pas envie de dormir. J'ai envie de dessiner. Je m'installe à mon bureau, j'ouvre un nouveau carnet. Mon crayon court sur le quadrillage. Je la dessine encore, avec ses longs cheveux lisses et ses taches de rousseur.