La journée s’achevait lentement, rien d'excitant, rien d'bandant, et la sonnerie déchira finalement les tympans d'une horde d'élèves prête à se ruer dehors. Il faisait beau, une lumière d'émeraude pelait le ciel d'hiver, mais j'avais l'impression que plus j'avançais, plus les couleurs du béryl s'estompaient sous le poids des nuages ; bientôt les volutes brumeuses feraient éclipse au rayonnement cristallin qui me faisait rêver depuis dix bonnes grosses minutes.

Je suis arrivé chez moi, j'ai claqué la porte et la pluie s'est mise à s'écraser sur les carreaux.

-Ah bah putain, j'ai du bol, me suis-je dit.

J'ai dit bonjour à ma mère, et puis je me suis dirigé vers ma chambre prêt à me laisser tomber sur mon lit après cette journée éreintante, seulement … y'avait un problème : Arnaud était là, tranquille, à lire un bouquin sur mon lit.

-B … e-e-euh … qu'est-ce que tu fous là mec ? Sérieux, merci de m'avoir sauvé au Mc Do, mais là waouh, on s'invite pas chez les gens comme ça, enfin merde putain, dégage d'ici, comment t'es entré ducon ?

-Tu te calme, tu pose ton sac, tu t'assied et t'écoute bien ce qui va suivre.

-Qu'est-ce qu …

-Ta gueule. Regarde bien le monde, regarde-toi, regarde où tu es, ce que tu es, me coupa Arnaud.

-Je …

-Tu es une merde. Ta vie est à chier et les choses vont changer. Quatre vies vont être bouleversées, peut-être détruites à jamais ; tu en seras l'unique responsable. Pourquoi ? Parce que tu n'es pas n'importe quelle merde. Ce n'est pas par anticonformisme que tu as rejeté les conventions sociales et culturelles de ta tranche d'âge, non, tu as toujours été comme ça, tu as toujours ce pauvre gars spécial … différent. Aujourd'hui il est temps ; il est temps qu'Arthur se réveille et qu'il se laisse exploser.

-Qu'est-ce que je dois … comprendre ?, l'interrogeais-je, complètement désabusé.

-Comprendre serait ta propre ruine, les choses iront comme elles doivent aller, répliqua-t-il aussi sèchement et confiant qu'à son habitude.

Il avait l'air bizarre, mais je dois bien avouer qu'il respirait la classe, ce con.
Je me senti vaciller, je voyais flou et les murs se resserraient sur moi, puis je suis tombé inconscient sur mon lit … je crois … je ne me rappelle plus bien …

Au réveil, je me senti purgé, en pleine forme, comme si venais de renaître dans un univers de fraîcheur, je me sentais bien dans l'inconscience jusqu'à ce que je me rappelle des événements de la veille … Les coups de Jordan, le bagarre avec Arnaud, son discours, l'éther qui se nouait un peu plus à chacun de mes pas, l'épilogue d'Arnaud sur les choses à venir, mon coma …
Où voulait-il en venir ? Pour moi une chose était sûre : la sérendipité qui conduisit la suite des scènes d'hier n'était qu'une illusion, toutes ces choses s'enchaînaient trop bien pour être une foutue coïncidence. Est-ce que ça ferait pas un peu cliché de haranguer les cieux pour demander ''Pouquoi moi?'' …
Je pensais trop pour penser bien ; il fallait encore que je me prépare pour les cours.

J'aurais aimé parler de tout ça, mais je me voyais mal arriver vers quelqu'un pour lui raconter qu'un mec bizarre avait tabassé un blaireau qui me rackettait au milieu d'un McDo, pour ensuite me retrouver dans ma chambre et me dire que j'étais une merde, mais au moins une merde qui allait changer. Alors je vous l'écrit.

–

En cours, toute mon attention était portée sur Arnaud. Il ne m'a suffit que d'un coup d’œil furtif pour me rendre compte qu'il n'était pas là. Étrange, il avait l'air vraiment bien portant lors de ses divagations, hier soir.
Un peu inquiet, j'attirai l'attention de mon voisin d'un petit coup de coude :

-Hé, psst !

-Ouais, quoi ?

-Tu saurais pas où est Arnaud ?

-Arnaud ?

-Bah ouais, Arnaud, le type toujours au fond de la classe, qui parle jamais !

-Mec … On a pas de Arnaud dans la classe, et le seul ici qui ne parle jamais, c'est toi, alors si quand tu le fais c'est pour emmerder le monde, tu ferais bien de continuer à la fermer.