Note de la fic : Non notée
L'Ombre et l'Extase
Par : Canis_Wolfborn
Genre : Action, Fantastique
Statut : C'est compliqué
Chapitre 2
Publié le 11/12/2011 à 20:01:54 par Canis_Wolfborn
Son nom était Vicrus. Il aimait à se le redire, bien qu’il n’eut aucun mal à s’en souvenir. Ce patronyme était lié aux puissants d’Oltan, contrôlant l’or et les métaux précieux. Il avait un grand pouvoir, et ainsi, de grandes responsabilités. Porter la Cité-Reine vers un âge d’or, libérée du fardeau de la religion et de la tyrannie Impériale. Magnéon Vicrus, donc, à la tête de la plus puissante des Guildes d’Oltan, dirigeant de la société des Guildes et virtuellement le concurrent direct d’Umit VIII, cruel Empereur attaché à ses traditions liberticides plus qu’à l’évolution de son peuple.
En réalité, le Palais résistait étonnamment bien aux manœuvres des Guildes, ou, comme elles avaient été surnommées par la société, la Prétendance. Il ne s’agissait plus qu’une question de temps désormais, peut-être cinq, voire dix ans avant que l’Empereur ne doive déposer son sceptre et offrir l’Omni-Cité aux hommes qui avaient vraiment le pouvoir de la diriger. Le premier acte de Vicrus serait de raser le Palais et sa tour pour y construire un imposant forum doublé d’un marché, afin que chacun puisse s’instruire et philosopher, mais aussi vivre décemment.
L’obscurantisme avait trop duré. La Main de Nole, l’un des derniers organes de cette immonde machine théocratique infantilisant les hommes et leur refusant d’assumer leurs actes, s’était éteint et la Prétendance en était ravie. Certes, les nouvelles lois semblaient plus cruelles, plus dures, mais elles plaçaient chaque homme face à ses méfaits, lui offrant une rédemption réelle et non un pardon fade et auquel personne ne croyait. La population soutenait cela. L’Empereur pouvait bien le contester, il ne voyait que ce qui l’arrangeait. Il avait d’ailleurs eu tant de mal à refuser le nouveau projet de donjon de Vicrus que cela traduisait bien sa gêne et son manque de liberté d’action. Les prochains temps étaient ceux de la fin de la tyrannie, mais aussi les plus dangereux : si Umit devait agir militairement pour reprendre le contrôle d’Oltan, ce serait dans ces moments. L’énergie du désespoir était une menace sérieuse, surtout quand elle était déployée par vingt-mille Gardes Impériaux, capables d’écraser le crâne d’un homme à mains nues. Les milices avaient beau être plus nombreuses, Magnéon et beaucoup d’autres maîtres de Guildes doutaient de leurs capacités à vaincre l’élite d’Oltan. Ce point néanmoins faisait débat.
Il n’aimait y songer. Parmi les hommes qui constituaient le conseil des guildes, si tous avaient le même objectif de faire d’Oltan une cité supérieure à toute autre, aussi bien technologiquement que culturellement, mais il existait des désaccords, chose inévitable. En revanche il était indispensable que ces divergences d’opinions trouvent une solution rapidement, sans quoi leur unité pourrait s’en trouver affaiblie.
Sortant de ses rêveries, Magnéon posa ses mains sur la table de bois cerclée d’argent au sommet du Donjon Vicrus, qui dominait les Plaines d’Acier. Ils étaient neuf réunis à sa table. Les trois Grands Maîtres et six Maîtres mineurs, représentant chacun un secteur qui réunissait des dizaines de guildes aux intérêts communs.
Vicrus avait mainmise sur les métaux précieux, et était de ce fait le plus important des banquiers d’Oltan. Il pouvait décider de prêts exorbitants pour un secteur, ou au contraire d’en geler un autre pendant des mois. Cette domination lui assurait de régner en Maître sur les autres Guildes. Le second Grand Maître était Nikaié, contrôlant le marché de l’équipement militaire. Il armait les Milices et même désormais, la Garde Impériale. Il n’accordait ses bonnes grâces qu’aux chefs qu’il estimait fiables et justes, à même de faire régner un bon ordre sur la Cité sans abuser de leur puissance. Enfin venait Freg, qui dirigeait les Guildes Alimentaires. Son objectif était de faire assez de profit pour redistribuer le plus de nourriture possible à ceux qui en avaient vraiment besoin, une tâche dont les Empereurs, égoïstes et tyranniques, s’étaient toujours acquittés à reculons, faisant le minimum. Les Maîtres mineurs étaient Décimus, en charge de l’immobilier, Etania, la maîtresse du textile, Ashet aux commandes de la culture et des livres, Mostal, fournissant les matières premières aux autres Guildes, Elmond qui contrôlait l’information et pour terminer, Le Duc Violet, dont on ignorait le nom réel, excentrique personnage qui avait reçu la mission de rénover Oltan architecturalement parlant.
Si, du point de vue de l’Empereur imposteur, ces hommes voulaient réduire la population d’Oltan en esclavage, il n’en était en réalité rien. Sa propagande à peine masquée ne fonctionnait plus au fur et à mesure que les Guildes gagnaient en puissance et pouvaient aider chaque homme de la Cité. L’objectif ultime, l’élever au rang de Nation-Reine parmi les autres territoires du vaste monde, passait par l’accès pour chacun à un toit, des vêtements, de quoi manger et s’instruire. Une telle politique restait difficile mais tous étaient déterminés à la mettre en œuvre, en écrasant au passage le fardeau obscurantiste des religions et de la domination impériale. Ces deux monstres dont les gueules mêlées ne crachaient que mensonges et souffrance devaient périr pour qu’un nouvel âge débute. Car oui, les Guildes voulaient le libre-arbitre sauf en ce qui concernait la religion : celle-ci devait être supprimée, à tout prix. Trop longtemps les Dieux avaient régné sur les hommes, dans une relation de peur d’un jugement douloureux. Mensonges. Balivernes. L’Homme était tout. Supérieur. Et justement Vicrus souhaitait s’informer de l’avancée d’Ashet et d’Elmond dans ce domaine.
« Mes amis, dit-il en leur adressant un regard à chacun, j’aimerais savoir où vous en êtes par rapport à notre problème de Dieux. »
-Nous avançons lentement, dit Ashet. Rares sont les auteurs à vouloir publiquement dénigrer les vieilles traditions, de peur de s’attirer les foudres du Magiarcat.
-Mon confrère a raison, continua Elmond. Si les Mages venaient à ne plus nous supporter, nous pourrions nous retrouver dans une situation fâcheuse. J’aurais tendance à proposer de nous occuper des Dieux après que l’Empereur soit tombé. Mais je sais que vous n’appréciez pas cette idée, Magnéon. »
Ce dernier regarda longuement chacun des hommes et femmes à la table. Freg, ennuyée par ces débats, avait enfoui son beau visage sous ses longs cheveux blonds. Elmond et Ashet restaient impassibles, attendant une réponse. Les autres avaient baissé les yeux, reprenant leurs parchemins, n’osant pas soutenir un camp ou l’autre.
« Les mages sont les garants ultime des Lois Fondamentales. Aussi puissants soient-ils, ils n’ont pas à décider de politique ou de philosophie, statua finalement Vicrus. Si nous changeons les règles, ils s’y plieront. Ils sont des pantins, pas des décideurs.
-À ceci près qu’ils prêtent serment devant les Dieux, lui rappela finalement le Duc Violet de sa voix théâtrale insupportable. Ils ne nous laisseront pas les renverser comme cela. Ils sont attachés à cette tradition. Je pense également que nous devons attendre. Notre objectif principal reste l’Empereur.
-L’Empereur ? Il tire sa légitimité des Dieux ! Ces mensonges ont assez duré, explosa Nikaié ! Nous savons tous ici que ces sottises permettent à la lignée impériale de durer depuis des siècles. Si les Dieux survivent, l’Empereur tiendra bon, et son engeance pourra revenir prendre le contrôle d’Oltan un jour. Nous devons d’abord nous débarrasser de la religion si nous voulons qu’Umit et son fils tombent. »
Le débat commença à s’animer. Chacun donnait son point de vue, et Vicrus restait silencieux, fatigué de cette question sans réponse. Depuis des années, les Guildes n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur ce point, depuis en réalité que la dernière génération avait pris la place de l’ancienne. Magnéon se dit finalement que la recherche du profit absolu était bien plus simple, et évitait toutes ces questions. Mais leur but était bien plus noble, et atteignable, si seulement ils pouvaient tomber d’accord. Triturant sa barbe grisonnante, il se cala au fond de sa chaise, observant ses yeux marron dans le reflet poli de l’argent qui cerclait la table. Il avait déjà le visage d’un homme vieillissant, à seulement quarante-cinq ans, résultat d’une vie de travail acharné, et d’heures passées à rédiger lettres et documents à la lueur de la bougie.
Il les observait se déchirer une fois de plus sur cette épineuse question. Même absent, l’Empereur continuait de les gêner, d’entraver leurs plans à cause de sa répugnante dynastie soi-disant issue des Dieux eux-mêmes. Et les Mages n’arrangeaient rien à l’affaire. Assermentés devant leurs Divinités, les hommes et femmes du Magiarcat inspiraient terreur et espoir mêlés à qui les évoquait. La Magie était en effet un don extrêmement rare en ce monde, mal compris et source de superstition. Même les Maîtres de Guildes ne pouvaient pas nier sa puissance. Même l’Empereur était forcé de suivre la Loi auquel cas le Magiarcat pourrait s’intéresser à lui. L’on savait que la Magie s’accumulait dans le ventre de la mère durant la grossesse, et imprégnait chaque enfant. À la naissance, une grande partie de cette magie s’évaporait, et seule une proportion minime restait en chaque homme, sorte de marque d’identité, une minuscule flamme dans la nuit. Mais pour certains enfants, la magie restait en eux, donnant naissance à un futur Mage, capable de faire exploser une maison d’un simple geste de la main, ou de réduire un homme en poussière.
Terrible était leur pouvoir, grande leur influence. Etant garants des Lois Divines, et malgré tout ce que Vicrus pouvait dire, ils étaient manifestement du côté de l’Empereur, bien que forcés d’obéir aux lois. Tenter de renverser l’Empereur directement se traduirait forcément par une action des Mages, et personne à cette table ne voulait risquer de voir chaque Milice soufflée ou démembrée en quelques secondes. Comme à chaque fois, il tentait de ne pas y penser, dégoûté de ressentir l’échec avant même d’avoir tenté quoi que ce soit. Perdu dans ses pensées, il ignorait ses confrères débattre vivement de la meilleure marche à suivre pour faire tomber Empereur et Dieux dans le même mouvement, et en suivant la Loi. Si la Main de Nole jugeait les voleurs et autres fraudeurs, ou les affaires peu importantes, quand elle existait encore, la tâche de traquer un meurtrier, un terroriste ou encore quiconque souhaitait renverser le Palais, cette tâche incombait au Magiarcat. Si l’un d’eux venait à apprendre les discussions qui avaient lieu dans cette pièce, aucun Maître n’en ressortirait vivant. Trois Mages vivaient à Oltan. C’était assez pour mettre en échec toutes les Guildes si jamais elles ne jouaient pas leurs cartes avec prudence.
Finalement il leva une main à hauteur de son visage, demandant aux autres de se taire.
« Mes confrères et amis, j’ai une solution. Une solution qui pourrait vous déplaire, car en marge des Lois que nous avons mis tant de temps à mettre en place… De plus, si les Mages l’apprenaient, aucun de nous n’y survivrait et les Guildes s’effondreraient.
-Alors pourquoi nous proposer cela, tempêta Mostal ? Si cette solution présente tant de dangers, elle ne semble pas judicieuse, cracha-t-il en fixant Magnéon de ses yeux gris.
-Parce que nous sommes actuellement bloqués. Et si tout se passe comme prévu, nous pourrons prendre le pouvoir dans quelques mois, si défendit ce dernier.
-Je refuse de prendre part à un plan qui ne présente pas au moins neuf chances sur dix de réussir, ajouta Elmond. Nous avons le temps. Nous l’avons toujours eu. Il n’est nul besoin de se précipiter pour…
-Neuf chances sur dix ? C’est faible par rapport à ce que je propose, répliqua le Maître des Métaux dans un sourire. Il allait reprendre le dessus. Je sais que nous n’avons rien à craindre avec ce que je m’apprête à vous soumettre. Je vous informais juste que c’est quelque chose qui contourne les lois. La question est : sommes-nous prêts à bafouer les règles pour lesquelles nous nous battons chaque jour ? »
Les autres Maîtres se regardèrent, interdits, pendant plusieurs secondes. Aucun n’osait parler, mais tous hochèrent doucement la tête, une expression grave sur le visage de chacun. Ashet répondit enfin après un silence d’une demi-minute, remontant ses lunettes sur son nez fin.
« Nous écoutons. »
Aucun d’entre eux ne se serait attendu à une proposition de cet ordre de la part de Magnéon Vicrus qui depuis qu’il avait succédé à son père, avait rédigé lois et rapports pour un monde plus sûr et juste. Tous sentirent des frissons le long de leurs dos pendant que leur Maître leur contait cette légende morbide, teintée de vérité, à laquelle personne n’espérait pouvoir vraiment croire en ce monde, des Rives Rouges aux Terres Boréales.
Finalement, Vicrus termina.
« … et je soumets cette idée au vote. Un moyen simple et efficace de vaincre l’Empereur. »
Huit mains se levèrent en même temps, peu rassurées mais fascinées par l’éventualité de faire tomber la tyrannie d’un seul mouvement.
En réalité, le Palais résistait étonnamment bien aux manœuvres des Guildes, ou, comme elles avaient été surnommées par la société, la Prétendance. Il ne s’agissait plus qu’une question de temps désormais, peut-être cinq, voire dix ans avant que l’Empereur ne doive déposer son sceptre et offrir l’Omni-Cité aux hommes qui avaient vraiment le pouvoir de la diriger. Le premier acte de Vicrus serait de raser le Palais et sa tour pour y construire un imposant forum doublé d’un marché, afin que chacun puisse s’instruire et philosopher, mais aussi vivre décemment.
L’obscurantisme avait trop duré. La Main de Nole, l’un des derniers organes de cette immonde machine théocratique infantilisant les hommes et leur refusant d’assumer leurs actes, s’était éteint et la Prétendance en était ravie. Certes, les nouvelles lois semblaient plus cruelles, plus dures, mais elles plaçaient chaque homme face à ses méfaits, lui offrant une rédemption réelle et non un pardon fade et auquel personne ne croyait. La population soutenait cela. L’Empereur pouvait bien le contester, il ne voyait que ce qui l’arrangeait. Il avait d’ailleurs eu tant de mal à refuser le nouveau projet de donjon de Vicrus que cela traduisait bien sa gêne et son manque de liberté d’action. Les prochains temps étaient ceux de la fin de la tyrannie, mais aussi les plus dangereux : si Umit devait agir militairement pour reprendre le contrôle d’Oltan, ce serait dans ces moments. L’énergie du désespoir était une menace sérieuse, surtout quand elle était déployée par vingt-mille Gardes Impériaux, capables d’écraser le crâne d’un homme à mains nues. Les milices avaient beau être plus nombreuses, Magnéon et beaucoup d’autres maîtres de Guildes doutaient de leurs capacités à vaincre l’élite d’Oltan. Ce point néanmoins faisait débat.
Il n’aimait y songer. Parmi les hommes qui constituaient le conseil des guildes, si tous avaient le même objectif de faire d’Oltan une cité supérieure à toute autre, aussi bien technologiquement que culturellement, mais il existait des désaccords, chose inévitable. En revanche il était indispensable que ces divergences d’opinions trouvent une solution rapidement, sans quoi leur unité pourrait s’en trouver affaiblie.
Sortant de ses rêveries, Magnéon posa ses mains sur la table de bois cerclée d’argent au sommet du Donjon Vicrus, qui dominait les Plaines d’Acier. Ils étaient neuf réunis à sa table. Les trois Grands Maîtres et six Maîtres mineurs, représentant chacun un secteur qui réunissait des dizaines de guildes aux intérêts communs.
Vicrus avait mainmise sur les métaux précieux, et était de ce fait le plus important des banquiers d’Oltan. Il pouvait décider de prêts exorbitants pour un secteur, ou au contraire d’en geler un autre pendant des mois. Cette domination lui assurait de régner en Maître sur les autres Guildes. Le second Grand Maître était Nikaié, contrôlant le marché de l’équipement militaire. Il armait les Milices et même désormais, la Garde Impériale. Il n’accordait ses bonnes grâces qu’aux chefs qu’il estimait fiables et justes, à même de faire régner un bon ordre sur la Cité sans abuser de leur puissance. Enfin venait Freg, qui dirigeait les Guildes Alimentaires. Son objectif était de faire assez de profit pour redistribuer le plus de nourriture possible à ceux qui en avaient vraiment besoin, une tâche dont les Empereurs, égoïstes et tyranniques, s’étaient toujours acquittés à reculons, faisant le minimum. Les Maîtres mineurs étaient Décimus, en charge de l’immobilier, Etania, la maîtresse du textile, Ashet aux commandes de la culture et des livres, Mostal, fournissant les matières premières aux autres Guildes, Elmond qui contrôlait l’information et pour terminer, Le Duc Violet, dont on ignorait le nom réel, excentrique personnage qui avait reçu la mission de rénover Oltan architecturalement parlant.
Si, du point de vue de l’Empereur imposteur, ces hommes voulaient réduire la population d’Oltan en esclavage, il n’en était en réalité rien. Sa propagande à peine masquée ne fonctionnait plus au fur et à mesure que les Guildes gagnaient en puissance et pouvaient aider chaque homme de la Cité. L’objectif ultime, l’élever au rang de Nation-Reine parmi les autres territoires du vaste monde, passait par l’accès pour chacun à un toit, des vêtements, de quoi manger et s’instruire. Une telle politique restait difficile mais tous étaient déterminés à la mettre en œuvre, en écrasant au passage le fardeau obscurantiste des religions et de la domination impériale. Ces deux monstres dont les gueules mêlées ne crachaient que mensonges et souffrance devaient périr pour qu’un nouvel âge débute. Car oui, les Guildes voulaient le libre-arbitre sauf en ce qui concernait la religion : celle-ci devait être supprimée, à tout prix. Trop longtemps les Dieux avaient régné sur les hommes, dans une relation de peur d’un jugement douloureux. Mensonges. Balivernes. L’Homme était tout. Supérieur. Et justement Vicrus souhaitait s’informer de l’avancée d’Ashet et d’Elmond dans ce domaine.
« Mes amis, dit-il en leur adressant un regard à chacun, j’aimerais savoir où vous en êtes par rapport à notre problème de Dieux. »
-Nous avançons lentement, dit Ashet. Rares sont les auteurs à vouloir publiquement dénigrer les vieilles traditions, de peur de s’attirer les foudres du Magiarcat.
-Mon confrère a raison, continua Elmond. Si les Mages venaient à ne plus nous supporter, nous pourrions nous retrouver dans une situation fâcheuse. J’aurais tendance à proposer de nous occuper des Dieux après que l’Empereur soit tombé. Mais je sais que vous n’appréciez pas cette idée, Magnéon. »
Ce dernier regarda longuement chacun des hommes et femmes à la table. Freg, ennuyée par ces débats, avait enfoui son beau visage sous ses longs cheveux blonds. Elmond et Ashet restaient impassibles, attendant une réponse. Les autres avaient baissé les yeux, reprenant leurs parchemins, n’osant pas soutenir un camp ou l’autre.
« Les mages sont les garants ultime des Lois Fondamentales. Aussi puissants soient-ils, ils n’ont pas à décider de politique ou de philosophie, statua finalement Vicrus. Si nous changeons les règles, ils s’y plieront. Ils sont des pantins, pas des décideurs.
-À ceci près qu’ils prêtent serment devant les Dieux, lui rappela finalement le Duc Violet de sa voix théâtrale insupportable. Ils ne nous laisseront pas les renverser comme cela. Ils sont attachés à cette tradition. Je pense également que nous devons attendre. Notre objectif principal reste l’Empereur.
-L’Empereur ? Il tire sa légitimité des Dieux ! Ces mensonges ont assez duré, explosa Nikaié ! Nous savons tous ici que ces sottises permettent à la lignée impériale de durer depuis des siècles. Si les Dieux survivent, l’Empereur tiendra bon, et son engeance pourra revenir prendre le contrôle d’Oltan un jour. Nous devons d’abord nous débarrasser de la religion si nous voulons qu’Umit et son fils tombent. »
Le débat commença à s’animer. Chacun donnait son point de vue, et Vicrus restait silencieux, fatigué de cette question sans réponse. Depuis des années, les Guildes n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur ce point, depuis en réalité que la dernière génération avait pris la place de l’ancienne. Magnéon se dit finalement que la recherche du profit absolu était bien plus simple, et évitait toutes ces questions. Mais leur but était bien plus noble, et atteignable, si seulement ils pouvaient tomber d’accord. Triturant sa barbe grisonnante, il se cala au fond de sa chaise, observant ses yeux marron dans le reflet poli de l’argent qui cerclait la table. Il avait déjà le visage d’un homme vieillissant, à seulement quarante-cinq ans, résultat d’une vie de travail acharné, et d’heures passées à rédiger lettres et documents à la lueur de la bougie.
Il les observait se déchirer une fois de plus sur cette épineuse question. Même absent, l’Empereur continuait de les gêner, d’entraver leurs plans à cause de sa répugnante dynastie soi-disant issue des Dieux eux-mêmes. Et les Mages n’arrangeaient rien à l’affaire. Assermentés devant leurs Divinités, les hommes et femmes du Magiarcat inspiraient terreur et espoir mêlés à qui les évoquait. La Magie était en effet un don extrêmement rare en ce monde, mal compris et source de superstition. Même les Maîtres de Guildes ne pouvaient pas nier sa puissance. Même l’Empereur était forcé de suivre la Loi auquel cas le Magiarcat pourrait s’intéresser à lui. L’on savait que la Magie s’accumulait dans le ventre de la mère durant la grossesse, et imprégnait chaque enfant. À la naissance, une grande partie de cette magie s’évaporait, et seule une proportion minime restait en chaque homme, sorte de marque d’identité, une minuscule flamme dans la nuit. Mais pour certains enfants, la magie restait en eux, donnant naissance à un futur Mage, capable de faire exploser une maison d’un simple geste de la main, ou de réduire un homme en poussière.
Terrible était leur pouvoir, grande leur influence. Etant garants des Lois Divines, et malgré tout ce que Vicrus pouvait dire, ils étaient manifestement du côté de l’Empereur, bien que forcés d’obéir aux lois. Tenter de renverser l’Empereur directement se traduirait forcément par une action des Mages, et personne à cette table ne voulait risquer de voir chaque Milice soufflée ou démembrée en quelques secondes. Comme à chaque fois, il tentait de ne pas y penser, dégoûté de ressentir l’échec avant même d’avoir tenté quoi que ce soit. Perdu dans ses pensées, il ignorait ses confrères débattre vivement de la meilleure marche à suivre pour faire tomber Empereur et Dieux dans le même mouvement, et en suivant la Loi. Si la Main de Nole jugeait les voleurs et autres fraudeurs, ou les affaires peu importantes, quand elle existait encore, la tâche de traquer un meurtrier, un terroriste ou encore quiconque souhaitait renverser le Palais, cette tâche incombait au Magiarcat. Si l’un d’eux venait à apprendre les discussions qui avaient lieu dans cette pièce, aucun Maître n’en ressortirait vivant. Trois Mages vivaient à Oltan. C’était assez pour mettre en échec toutes les Guildes si jamais elles ne jouaient pas leurs cartes avec prudence.
Finalement il leva une main à hauteur de son visage, demandant aux autres de se taire.
« Mes confrères et amis, j’ai une solution. Une solution qui pourrait vous déplaire, car en marge des Lois que nous avons mis tant de temps à mettre en place… De plus, si les Mages l’apprenaient, aucun de nous n’y survivrait et les Guildes s’effondreraient.
-Alors pourquoi nous proposer cela, tempêta Mostal ? Si cette solution présente tant de dangers, elle ne semble pas judicieuse, cracha-t-il en fixant Magnéon de ses yeux gris.
-Parce que nous sommes actuellement bloqués. Et si tout se passe comme prévu, nous pourrons prendre le pouvoir dans quelques mois, si défendit ce dernier.
-Je refuse de prendre part à un plan qui ne présente pas au moins neuf chances sur dix de réussir, ajouta Elmond. Nous avons le temps. Nous l’avons toujours eu. Il n’est nul besoin de se précipiter pour…
-Neuf chances sur dix ? C’est faible par rapport à ce que je propose, répliqua le Maître des Métaux dans un sourire. Il allait reprendre le dessus. Je sais que nous n’avons rien à craindre avec ce que je m’apprête à vous soumettre. Je vous informais juste que c’est quelque chose qui contourne les lois. La question est : sommes-nous prêts à bafouer les règles pour lesquelles nous nous battons chaque jour ? »
Les autres Maîtres se regardèrent, interdits, pendant plusieurs secondes. Aucun n’osait parler, mais tous hochèrent doucement la tête, une expression grave sur le visage de chacun. Ashet répondit enfin après un silence d’une demi-minute, remontant ses lunettes sur son nez fin.
« Nous écoutons. »
Aucun d’entre eux ne se serait attendu à une proposition de cet ordre de la part de Magnéon Vicrus qui depuis qu’il avait succédé à son père, avait rédigé lois et rapports pour un monde plus sûr et juste. Tous sentirent des frissons le long de leurs dos pendant que leur Maître leur contait cette légende morbide, teintée de vérité, à laquelle personne n’espérait pouvoir vraiment croire en ce monde, des Rives Rouges aux Terres Boréales.
Finalement, Vicrus termina.
« … et je soumets cette idée au vote. Un moyen simple et efficace de vaincre l’Empereur. »
Huit mains se levèrent en même temps, peu rassurées mais fascinées par l’éventualité de faire tomber la tyrannie d’un seul mouvement.