Note de la fic :
Je suis enfin Moi
Par : ItsMorphinTime
Genre : Nawak
Statut : C'est compliqué
Chapitre 9 : Pour François.
Publié le 14/09/2011 à 23:24:09 par ItsMorphinTime
François Mesnil.
Élève brillant, assez discret, qui allait fêter ses 18 ans dans quelques mois.
Un terminale S parmi les autres.
Mais en ce lundi 17 Octobre 2011, François est mort.
Je n'avais jamais vu un cadavre auparavant.
Et j'imagine que mes camarades non plus. Mais ils n'ont pas encore compris ce qui se passe.
Pour le moment, ils tentent de me pousser pour que je les laisse entrer.
Je reste immobile afin de leur bloquer l'accès, et j'observe monsieur Ruttel qui tente de "réveiller" François :
"François ? Réveillez-vous. Allez, le cours va commencer."
N'obtenant pas de réponse, monsieur Ruttel commence le secouer légèrement par l'épaule, avant de poser ses doigts sous la gorge de son élève pour s'apercevoir que son coeur ne bat plus.
A partir de là, tout va très vite.
Monsieur Ruttel nous interdit d'entrer, puis il interpelle un de ses collègues, monsieur Golers, pour l'envoyer prévenir le proviseur et l'infirmière.
Il nous rassemble ensuite dans la salle voisine et reste à la porte pour nous surveiller en même temps qu'il surveille le cadavre.
Quand le proviseur et son équipe arrivent, nous assistons à la mise en place d'une procédure qu'on ne voit pas tous les jours.
A l'aide des hauts-parleurs, le proviseur ordonne à tous les professeurs de garder tous les élèves dans leurs salles de classe jusqu'à nouvel ordre.
Le corps est aussitôt transporté à l'infirmerie, en attendant l'arrivée de la gendarmerie.
Ne connaissant pas encore la cause du décès, les gendarmes interrogent et fouillent tous les élèves de notre classe, avant de passer le lycée au peigne fin.
Bientôt, les enquêteurs nous révèlent que le corps de François ne présente aucune blessure apparente, et qu'ils pensent que le décès est probablement dû à une crise cardiaque.
Mais en fin d'après-midi, une seringue vide est retrouvée dans les toilettes des filles, ce qui pousse les enquêteurs à fouiller aussi les élèves des autres classes.
Ils ne trouveront que quelques élèves en possession de cannabis, qu'ils n'arrêteront même pas, puis ils retiendront simplement l'hypothèse de la mort accidentelle par crise cardiaque, puisque la salle de classe était verrouillée de l'intérieur au moment où le corps fut découvert.
Les élèves sont donc autorisés à rentrer chez eux.
Le soir, dans notre chambre d'hôtel, Llore et moi ne reparlons même pas de ce qui s'est passé.
L'impression que je ne peux rien y faire l'emporte sur l'envie d'exprimer ce que je ressens.
De toute façon, Llore comprend mes sentiments sans que je n'aie besoin de lui en faire part.
Mais une fois allongée dans notre lit, je me repasse la scène en boucle dans ma tête.
La découverte du corps, l'arrivée du proviseur, les questions des gendarmes, ...
Puis je reviens en arrière, pour revoir la matinée qui a précédé la mort.
Les cours du matin, la pause déjeuner, le dernier repas, la porte fermée, et me revoila au point de départ.
Ce qui me frustre le plus, c'est de constater que les humains peuvent mourir comme ça, du jour au lendemain, sans raison.
On oublie parfois combien la vie est fragile, et c'est ce genre de drame qui nous le rappelle.
Je suis triste en me disant que s'attacher aux humains, c'est accepter de souffrir quand ils disparaîtront.
Heureusement pour moi, j'appartiens à une espèce surhumaine. J'ai donc moins de risques de mourir subitement.
Et c'est à Llore que je le dois.
J'ai envie qu'elle s'allonge contre moi, comme elle le fait parfois.
Mais pour ça, je vais devoir attendre qu'elle bouge en dormant.
Alors je me rapproche d'elle en tirant la couverture.
Machinalement, elle tire la couverture à son tour puis m'attrape par le bras pour me mettre sur elle.
Je me demande si elle dort vraiment ou si elle fait semblant de dormir.
Elle me serre contre elle et je crois l'entendre me murmurer : "Tu réfléchiras demain. Embrasse-moi."
Je me demande toujours si elle fait semblant de dormir.
Ou peut-être que c'est encore un test...
Si je n'obéis pas alors qu'elle était sérieuse, elle risque de mal le prendre...
Mais si j'obéis alors qu'elle parlait juste en dormant, elle risque de le prendre encore plus mal...
Finalement, je n'ai pas trouvé d'autre solution que de faire moi-même semblant de dormir.
* * *
Le lendemain, au lycée, tout le monde ne parle que du décès de François.
Je comprends mieux pourquoi Llore a préféré repousser la prochaine étape de son plan.
Les vacances de la toussaint ne seront pas de trop pour ramener le calme chez les élèves.
Bizarrement, les deux premières heures de cours sont aussi tristes qu'un enterrement.
La chaise vide à côté de Damien nous donne l'impression que le spectre de François est toujours parmi nous.
A la pause de 10 heures, Olivier, Alexandre, Thibaut et Arnaud viennent nous voir, Llore et moi.
Thibaut tente de retenir ses amis :
"Nan mais laissez tomber les mecs, ça se fait pas de faire des suppositions foireuses sur la mort de quelqu'un..."
Llore se tourne vers eux :
"Vous voulez nous dire quelque chose ?"
Les quatre garçons se regardent, puis Olivier se lance :
"Voila, on a de bonnes raisons de penser que François a été tué à l'aide d'un DeathNote."
Alexandre intervient :
"Pour moi, ça reste une coïncidence. Le fait qu'une personne meure par crise cardiaque ne prouve pas que le DeathNote existe."
Thibaut réplique :
"Genre Alex tu dis ça, mais la semaine dernière tu y as bien cru !"
Llore reprend la parole :
"Alexandre a cependant raison : les crises cardiaques ça arrive. Pourquoi vous semblez si persuadés qu'un DeathNote a été utilisé dans cette affaire ?"
Arnaud répond :
"Si y'avait juste la crise cardiaque, on n'aurait pas forcément bloqué sur l'idée du DeathNote. Mais voila : François a verouillé les deux portes de la classe avant de mourir. Pourquoi a-t-il fait ça ?"
Olivier poursuit :
"On pense que le tueur a utilisé la règle du DeathNote concernant les circonstances de la mort pour ordonner à François de s'enfermer dans la salle avant de mourir d'une crise cardiaque. Comme ça, les enquêteurs seraient forcés de conclure immédiatement qu'il s'agit d'une mort accidentelle."
Je n'en reviens pas. Ce qu'ils disent commence à installer le doute dans mon esprit.
Mais Llore s'oppose à leurs déductions :
"Moi je crois au contraire que si quelqu'un avait voulu tuer François à l'aide d'un DeathNote, il n'aurait pas fait de mise en scène "d'enfermement préalable" car alors on aurait soupçonné un meurtre. Selon moi, il aurait mieux fait de le faire mourir devant tout le monde. De plus, pour ne pas tourner les soupçons vers le DeathNote, son propriétaire aurait choisi une autre cause que la crise cardiaque, car celle-ci est forcément associée au DeathNote. Navrée, mais votre hypothèse ne tient pas."
Contraints de se rendre à l'évidence, les quatre garçons retournent s'asseoir à leurs places.
Mais ils ont mis le doigt sur un élément crucial.
Je me tourne vers Llore et j'engage la conversation par la pensée :
"Ils ont raison !
- Quoi ?
- Dans ce qu'ils viennent de dire, ils ont raison !
- Attends Nell, tu ne vas pas me dire que tu crois à l'existence du DeathNote ?
- Euh... maintenant que j'ai des pouvoirs surhumains, je suis prête à croire à beaucoup de choses... Mais dans ce cas-là, non, il n'y a pas eu de DeathNote, comme tu leur as démontré. Pourtant, ils ont raison !
- Explique ?
- Pourquoi François a-t-il verouillé les deux portes de la classe avant de mourir ? Réponse : pour que les enquêteurs écartent l'hypothèse du meurtre ! Il y a donc un meurtrier derrière tout ça !"
Llore soupire :
"Toi, tu as l'intention de te lancer dans une enquête policière..."
Je tends ma main :
"Quand tu m'as annoncé qu'un élève de notre classe allait mourir et qu'on ne devrait pas empêcher que ça arrive, je t'ai demandé qu'on fasse au moins toute la lumière sur les circonstances de sa mort. Tu étais d'accord. Alors il va falloir découvrir la vérité. Pour François."
Elle prend ma main :
"C'est d'accord. Mais je fixe une règle : interdiction de lire dans les pensées des gens jusqu'à la fin de l'enquête."
* * *
Elucider un meurtre, ça se résume en trois points :
QUI ? Trouver le nom du ou des meurtrier(s).
COMMENT ? Déterminer les circonstances de la mort (arme du crime, mode opératoire, ...).
POURQUOI ? Découvrir le mobile, la raison pour laquelle le tueur a éliminé sa victime.
N'ayant pratiquement aucune piste, je choisis de débuter l'enquête par le Comment.
Le midi, Llore et moi, nous nous dépêchons de manger puis nous retournons dans la salle de classe.
J'ai l'impression que désormais, elle est aussi déterminée que moi à résoudre cette affaire.
Arrivées dans la salle, nous observons le verrou des deux portes : verrou manuel côté intérieur, serrure côté extérieur.
Les verrous sont solides et fiables. Impossible de faire tourner le verrou manuel depuis l'extérieur.
Je suggère alors que le meurtrier a pu voler les clés d'un professeur pour verrouiller la salle depuis l'extérieur en laissant François à l'intérieur.
Mais Llore me répond que si un professeur avait perdu ses clés, il l'aurait forcément signalé aussitôt (surtout ce jour-là), et les gendarmes auraient été mis au courant.
J'examine donc la fenêtre. Nous sommes au premier étage. C'est haut, mais certaines personnes arrivent à sauter d'une telle hauteur.
Llore secoue la tête :
"Il y a toujours des gens dans la cour pendant la pause du midi. Si quelqu'un avait sauté du premier étage, il aurait forcément été remarqué."
Première conclusion : le tueur ne pouvait pas sortir de la pièce.
Je commence à me demander s'il y a vraiment eu un tueur dans cette affaire, puis je me souviens que, d'après les enquêteurs, le corps ne présentait aucune blessure apparente.
A part la crise cardiaque, une cause de la mort possible est l'empoisonnement.
Llore réfléchit à voix haute :
"L'empoisonnement tu dis ? Effectivement, ça expliquerait certaines choses. Une autopsie approfondie du corps aurait révélé des traces de poison, c'est pourquoi le tueur a fait en sorte que la victime s'enferme afin que le meurtre soit écarté par les enquêteurs. Pas de meurtre, pas d'autopsie approfondie."
Je sens que nous tenons enfin une piste, mais il manque encore beaucoup d'éléments :
Comment le tueur a-t-il convaincu François de s'enfermer dans la salle de classe ?
Sachant que nous avons tous mangé à la cantine et à la même table, comment le tueur a-t-il réussi à n'empoisonner que François ?
A cette deuxième question, nous avons deux réponses possibles :
Soit François a été empoisonné après le repas, soit c'est la personne juste à côté de lui qui a trouvé un moyen de l'empoisonner.
Étant donné que les "poisons à retardement" sont plus difficiles à se procurer, nous pensons d'abord qu'il a été empoisonné après le repas, probablement en se rendant à la salle de classe, ou bien à l'intérieur de cette salle.
Mais d'après les témoignages recueillis par les gendarmes quand ils ont interrogé les élèves de notre classe, tout le monde avait un alibi : les élèves ont tous quitté la table par groupes de plusieurs personnes (pour aller au CDI, en salle informatique, à l'extérieur du lycée, ...), à part François qui est parti du self en premier, et tout seul. Et ce midi-là, nous mangions en premiers, donc les élèves des autres classes étaient encore en cours.
Llore reste dubitative :
"Le meurtrier aurait donc empoisonné François pendant le repas. Si c'est le cas, il a dû utiliser un poison à retardement... Admettons. Qui était assis à côté de François ?"
Je réfléchis. La table était en longueur, et toute la classe était réunie. Je réunis mes souvenirs visuels, et je revois François : il était placé en face, loin sur notre gauche, et juste avant lui il y avait...
"...Damien."
Nous nous empressons d'aller interroger notre premier suspect au CDI :
"Salut Damien. Pardon de te déranger, mais on aimerait te poser quelques questions au sujet de François.
- Pourquoi vous voulez me parler de lui ?
- Voila, on pense qu'il n'est pas mort d'une crise cardiaque mais qu'il a été empoisonné au cours du repas. Tu étais assis à côté de lui, non ?"
Damien s'énerve :
"Nan mais vous vous prenez pour qui là !? Vous m'accusez de l'avoir tué !? C'était mon meilleur ami !! Lui et moi on se connaissait depuis des années !! On s'entendait super bien !! On trainait tout le temps ensemble !!
- Si c'était le cas, pourquoi tu n'es pas sorti avec lui ?
- J'aurais bien voulu, mais lui il préférait les filles, c'est tout !
- Nan mais... Attends... Je me suis mal exprimée... Je reformule ma question : Pourquoi tu n'es pas sorti DU SELF avec lui CE MIDI-LA ? ^^'
- Ah d'accord... bah je sais plus, il a quitté la table précipitemment, j'avais pas encore fini de manger. D'ailleurs, c'était pas la première fois qu'il me faisait le coup : depuis deux ou trois semaines, il avait pris l'habitude de quitter la table très rapidement, avant que les autres aient fini de manger.
- Et tu ne lui as jamais demandé pourquoi il ne t'attendait pas ?
- Si, bien sûr, mais il me répondait qu'il devait réviser. C'était crédible pour quelqu'un qui visait une prépa PCSI. Sauf que je ne le retrouvais jamais au CDI. A mon avis, il sortait avec une fille en secret."
J'ai du mal à y croire :
"François qui préfèrerait flirter plutôt que de réviser ? Pendant l'année du Bac, en plus ?"
Damien maintient son avis :
"Je ne pouvais pas en être sûr à 100%, mais il y avait des petits signes : il était plus souriant que d'habitude, il faisait plus attention à son style vestimentaire, et à l'approche de la pause du midi il se mettait à taper sur la table avec ses phalanges : Taptap Tap Taptap ! Taptap Tap Taptap !"
- Attends t'es sérieux là ?
- Bien sûr que je suis sérieux ! Ça me rendait fou quand il se mettait à le faire : Taptap Tap Taptap ! Taptap Tap Taptap ! Bon, si vous n'avez pas d'autre question, j'aimerais réviser en paix."
A tout hasard, je lui demande :
"A la fin du repas, quel message a-t-il trouvé à l'intérieur de son biscuit chinois ?"
Damien secoue la tête :
"François n'aimait pas ce genre de pratiques superstitieuses. Pour esquiver le message contenu dans les biscuits chinois, il les avalait toujours d'un seul coup, comme on avale une grosse pilule."
Je me tourne vers Llore, qui me dit par télépathie :
"A tous les coups, le poison était dans le biscuit Chinois ! Ça explique l'effet "à retardement" du poison : Comme François a avalé le biscuit tout rond, le poison a mis du temps avant d'être libéré dans son corps ! C'est pour ça qu'il est mort plus tard, dans la salle de classe !"
Toujours par télépathie, je lui réponds :
"Damien était assis à côté de François, et il savait que François avalait les biscuits chinois sans les mâcher... Ça fait ne fait pas de lui un coupable, mais..."
Llore setourne vers Damien :
"Merci pour tes réponses, on te laisse tranquille.
- Pas de problème."
Nous commençons à nous éloigner, puis Damien nous rattrape pour nous demander une faveur :
"S'il vous plait, tenez-moi au courant de l'enquête. J'ai besoin de savoir ce qu'il est réellement arrivé à François."
En retournant vers la salle de classe avant que les cours ne reprennent, nous débattons de la culpabilité de Damien.
Il connaissait François par coeur donc il savait comment le tuer, il avait eu la possibilité de commettre le crime puisqu'il était assis à côté de lui, et il avait un mobile : le crime passionnel, puisqu'il soupçonnait François de sortir avec une fille en secret.
Mais sur ce dernier point, je ne suis pas d'accord : quand on aime vraiment quelqu'un, on ne peut pas le tuer. Pour moi, le crime passionnel n'existe pas.
Llore émet une remarque :
"Il y a quand-même un détail qui reste à expliquer : comment a-t-il empoisonné le biscuit chinois ?"
Je me mets à réfléchir.
Les biscuits chinois qu'on nous donne à la cantine sont constitués d'un message en papier dans un coeur de garniture tendre, enveloppé d'une pâte rigide, le tout étant placé dans un film plastique transparent pour la conservation.
Dans ce cas, comment mettre le poison dans le coeur du biscuit sans que ça ne se voie ?
Nous arrivons devant la salle de classe, quand soudain, la solution me revient à l'esprit :
"La seringue !!
- Quelle seringue ?
- Celle qu'ils ont retrouvée dans les toilettes ! Je me disais bien que c'était étrange de trouver une seringue alors que les jeunes préfèrent fumer du cannabis !
- Je vois : le meurtrier a d'abord empoisonné son propre biscuit à l'aide de la seringue (il a probablement fait ça discrètement en cachant ses mains sous la table), puis tout aussi discrètement, il a échangé son biscuit et celui de François...
- Alors ça veut dire que la personne à sa gauche, la personne à sa droite, la personne en face de lui, et sans doute aussi les personnes en diagonale, sont des suspects.
- Attends une seconde... Si je me souviens bien, la seringue a été retrouvée dans les toilettes des FILLES, non ?"
Cette information change notre point de vue sur notre suspect numéro 1 :
"Mais alors Damien est innocent !
- Mieux que ça, il nous a pratiquement indiqué qui a tué François. A mon avis, Damien avait vu juste : François sortait secrètement avec une fille. Et c'est probablement cette fille qui l'a tué.
- Mais comment on va trouver avec qui il sortait ?
- Je ne sais pas encore. Et il reste un autre point qu'on n'a pas éclairci : comment la tueuse a fait pour enfermer François dans la salle de classe."
En parlant de la salle de classe, nous nous apercevons que nous sommes toujours devant la porte à discuter, alors que le cours a commencé depuis cinq minutes.
Llore regarde sa montre :
"Merde, on est en retard... Vas-y, frappe à la porte et trouve une excuse."
Je m'apprête à frapper à la porte, mais j'arrête mon geste au dernier moment.
Llore s'impatiente :
"Bah alors ? Tu te dégonfles ?"
Je me tourne lentement vers elle :
"Je viens de résoudre cette affaire."
Llore me dévisage :
"Comment ça ?"
Je lui explique alors mes déductions de dernière minute :
"On sait que François est mort dans cette salle de classe.
On sait aussi, d'après Damien, que François avait une petite amie secrète, et qu'il s'absentait le midi mais pas pour aller au CDI.
Je pense que François avait rendez-vous dans cette salle, avec sa petite amie.
Pour ne pas être dérangé et pour garder la salle le midi, François avait pris l'habitude de s'enfermer à l'intérieur en verrouillant les portes, en attendant que sa copine le rejoigne.
Et il n'ouvrait la porte que quand il entendait le "mot de passe" qu'ils s'étaient probablement fixé auparavant : "Taptap Tap Taptap !"
C'est pour ça que Damien voyait parfois François faire "Taptap Tap Taptap !" machinalement sur sa table en signe d'impatience pour le rendez-vous du midi.
Mais le midi du meurtre, elle n'est pas venue, elle est restée avec ses amis pour se forger un alibi, et pour se débarrasser de la seringue dans les toilettes.
Du coup, François l'a attendue dans cette salle de classe, et il est mort lorsque le poison s'est répandu dans son organisme.
C'est ce qui explique pourquoi, quand le prof est arrivé, les portes étaient verrouillées de l'intérieur."
Llore me félicite :
"Bien joué ! Tu as résolu le "Comment" ! Il nous reste à trouver le "Qui" et le "Pourquoi". Pour le "Qui", je crois que j'ai une idée..."
Elle m'explique rapidement son idée, puis nous entrons enfin dans la salle de classe.
Comme nous arrivons en retard, il ne reste que les places du fond. C'est exactement ce que Llore voulait. Nous nous empressons donc d'aller nous asseoir au fond près de la deuxième porte de la salle.
Après quelques minutes, Llore met son plan à exécution :
Avec sa main cachée sous la table, elle commence à taper discrètement pour faire "Taptap Tap Taptap"...
Pas très fort au début, puis elle augmente légèrement le volume au fur et à mesure.
A côté d'elle, j'observe le reste de la classe. D'où nous sommes, nous voyons tous nos camarades, et plus particulièrement les filles qui sont réparties sur les deux rangées de gauche.
"Taptap Tap Taptap"...
"Taptap Tap Taptap"...
"Taptap Tap Taptap"...
Soudain, Leïla se redresse et tourne la tête en fixant la porte derrière nous d'un air inquiet.
"Ça y est, on a le Qui." me dit Llore par télépathie.
Je ne m'attendais pas à ce que son idée marche aussi bien.
Pourtant, le résultat était flagrant : aucun élève ne s'est retourné pour se demander si quelqu'un frappait à la porte.
Aucun, sauf Leïla. Et elle s'est retournée parce que son oreille a reconnu bêtement le rythme "Taptap Tap Taptap".
Maintenant qu'on a le "Comment" et le "Qui", il nous reste à découvrir le "Pourquoi".
* * *
Nous laissons passer le cours d'Histoire, ainsi que le cours de Philo.
Puis la journée se termine.
Les élèves sortent, et nous nous empressons de rejoindre Leïla dans le couloir pour la prendre à part.
Llore lui demande cash :
"Pourquoi t'as tué François ?"
Leïla tente de nous échapper, mais je l'attrape par les bras et je la cloue contre un mur entre deux rangées de casiers.
Elle proteste :
"Lâchez-moi ! J'ai rien fait !!"
Llore reprend :
"On sait que c'est toi qui l'a tué. Rassure-toi, on ne va pas te balancer. Tout ce qu'on veut, c'est que tu nous dises pourquoi tu l'as tué."
Leïla essaye de se débattre, alors je fais semblant de m'apprêter à lui mettre un coup de poing.
Llore retient mon bras et poursuit :
"Dis-nous pourquoi tu l'as tué, et on ne te fera rien."
Se sentant coincée, Leïla se met à parler à voix basse, révèlant sa personnalité dérangée :
"J'ai fait ça pour avoir le bac..."
Hein ??
Je lâche Leïla pour qu'elle continue de parler :
"Dans une classe de terminale, si un élève meurt, on donne le bac à tous les élèves. Enfin, on passe les examens quand-même, mais en fait on a le bac d'office. Alors j'ai décidé de tuer l'un d'entre nous. Comme ça, toute la classe a le bac."
Je demande mentalement à Llore :
"C'est vrai ça ? Quand ya un mort parmi les terminales, toute sa classe a le bac ?
- Non. C'est une légende urbaine. A la limite, si un élève prend toute sa classe en otage et se suicide sous leurs yeux, ya peut-être moyen de négocier. Mais s'il s'agit d'un simple décès, c'est non."
Llore demande encore :
"Et on peut savoir pourquoi François en particulier a eu le "privilège" de mourir pour sa classe ?"
Sans la moindre émotion, Leïla répond :
"Bah parce qu'il était amoureux de moi. Donc c'était plus facile de le piéger."
Llore ferme les yeux.
"Pauvre conne..."
Puis elle se tourne vers moi :
"Emmène-la dans la salle de classe pour tu sais quoi."
Je force Leïla à retourner dans la salle de classe.
Arrivées devant la porte, je lui ordonne de frapper.
Leïla frappe à la porte :
"Tap Tap Tap"
Je la menace :
"Non ! Fais le mot de passe !"
Elle s'exécute :
"Taptap Tap Taptap"
A l'intérieur, la voix de François répond :
"Entre, c'est ouvert."
Angoissée en reconnaissant la voix, Leïla pousse lentement la porte, et voit François étendu sur sa table.
"Je t'ai attendue, hier. Pourquoi n'es-tu pas venue Leïla ?"
Au bord des larmes, celle-ci peine à répondre :
"Parce que... P... Parce que je... Je t...
- Vas-y ! Dis-le !!
- Parce que je t'ai tué !!"
Elle fond en larmes, et soudain, François se relève :
"Exactement !!! Tu m'as tué, Leïla !!! Alors que je t'aimais !!! Mais tu vas le regretter !!! Je vais te hanter jusqu'à la fin de tes jours !!!"
Leïla se jette à ses pieds pour implorer son pardon :
"Pitié !! Je suis désolée !!! Je ferai tout ce que tu voudras !!"
François retrouve son calme habituel :
"C'est d'accord. Je te pardonne. Tu vas aller te rendre à la gendarmerie et avouer ton crime."
Il l'aide à se relever et la regarde droit dans les yeux :
"Ne me déçois pas une seconde fois, Leïla, sinon..."
Il la tourne vers la porte, et elle se retrouve face à un deuxième François qui termine sa phrase :
"...sinon je te retrouverai."
Morte de peur, Leïla sort de la salle et s'enfuit en hurlant dans les couloirs.
Llore et moi, nous reprenons nos apparences normales.
Je lui demande :
"Tu crois qu'elle va se rendre à la gendarmerie ?
- Elle a tué François par intérêt. Maintenant, grâce à notre mise en scène, son intérêt c'est de se rendre à la gendarmerie pour avouer ses crimes. Donc oui, elle va le faire."
Llore range la chaise de François une dernière fois, puis nous partons.
* * *
Le soir, en regardant le journal de 20h, nous apprenons que la jeune Leïla Moinel, prise de remords, s'est rendue à la gendarmerie pour avouer le meurtre de François Mesnil, son camarade de classe et ex-petit ami.
Llore s'allonge sur moi :
"Affaire classée, inspecteur Nell."
Je ne trouve rien à répondre.
Elle me sourit :
"Tu m'as l'air épuisée. A mon avis, tu as besoin d'une bonne alter-régénération..."
J'ouvre la bouche pour protester, mais elle en profite pour m'embrasser.
La technique d'alter-régénération est de loin ma technique préférée.
Élève brillant, assez discret, qui allait fêter ses 18 ans dans quelques mois.
Un terminale S parmi les autres.
Mais en ce lundi 17 Octobre 2011, François est mort.
Je n'avais jamais vu un cadavre auparavant.
Et j'imagine que mes camarades non plus. Mais ils n'ont pas encore compris ce qui se passe.
Pour le moment, ils tentent de me pousser pour que je les laisse entrer.
Je reste immobile afin de leur bloquer l'accès, et j'observe monsieur Ruttel qui tente de "réveiller" François :
"François ? Réveillez-vous. Allez, le cours va commencer."
N'obtenant pas de réponse, monsieur Ruttel commence le secouer légèrement par l'épaule, avant de poser ses doigts sous la gorge de son élève pour s'apercevoir que son coeur ne bat plus.
A partir de là, tout va très vite.
Monsieur Ruttel nous interdit d'entrer, puis il interpelle un de ses collègues, monsieur Golers, pour l'envoyer prévenir le proviseur et l'infirmière.
Il nous rassemble ensuite dans la salle voisine et reste à la porte pour nous surveiller en même temps qu'il surveille le cadavre.
Quand le proviseur et son équipe arrivent, nous assistons à la mise en place d'une procédure qu'on ne voit pas tous les jours.
A l'aide des hauts-parleurs, le proviseur ordonne à tous les professeurs de garder tous les élèves dans leurs salles de classe jusqu'à nouvel ordre.
Le corps est aussitôt transporté à l'infirmerie, en attendant l'arrivée de la gendarmerie.
Ne connaissant pas encore la cause du décès, les gendarmes interrogent et fouillent tous les élèves de notre classe, avant de passer le lycée au peigne fin.
Bientôt, les enquêteurs nous révèlent que le corps de François ne présente aucune blessure apparente, et qu'ils pensent que le décès est probablement dû à une crise cardiaque.
Mais en fin d'après-midi, une seringue vide est retrouvée dans les toilettes des filles, ce qui pousse les enquêteurs à fouiller aussi les élèves des autres classes.
Ils ne trouveront que quelques élèves en possession de cannabis, qu'ils n'arrêteront même pas, puis ils retiendront simplement l'hypothèse de la mort accidentelle par crise cardiaque, puisque la salle de classe était verrouillée de l'intérieur au moment où le corps fut découvert.
Les élèves sont donc autorisés à rentrer chez eux.
Le soir, dans notre chambre d'hôtel, Llore et moi ne reparlons même pas de ce qui s'est passé.
L'impression que je ne peux rien y faire l'emporte sur l'envie d'exprimer ce que je ressens.
De toute façon, Llore comprend mes sentiments sans que je n'aie besoin de lui en faire part.
Mais une fois allongée dans notre lit, je me repasse la scène en boucle dans ma tête.
La découverte du corps, l'arrivée du proviseur, les questions des gendarmes, ...
Puis je reviens en arrière, pour revoir la matinée qui a précédé la mort.
Les cours du matin, la pause déjeuner, le dernier repas, la porte fermée, et me revoila au point de départ.
Ce qui me frustre le plus, c'est de constater que les humains peuvent mourir comme ça, du jour au lendemain, sans raison.
On oublie parfois combien la vie est fragile, et c'est ce genre de drame qui nous le rappelle.
Je suis triste en me disant que s'attacher aux humains, c'est accepter de souffrir quand ils disparaîtront.
Heureusement pour moi, j'appartiens à une espèce surhumaine. J'ai donc moins de risques de mourir subitement.
Et c'est à Llore que je le dois.
J'ai envie qu'elle s'allonge contre moi, comme elle le fait parfois.
Mais pour ça, je vais devoir attendre qu'elle bouge en dormant.
Alors je me rapproche d'elle en tirant la couverture.
Machinalement, elle tire la couverture à son tour puis m'attrape par le bras pour me mettre sur elle.
Je me demande si elle dort vraiment ou si elle fait semblant de dormir.
Elle me serre contre elle et je crois l'entendre me murmurer : "Tu réfléchiras demain. Embrasse-moi."
Je me demande toujours si elle fait semblant de dormir.
Ou peut-être que c'est encore un test...
Si je n'obéis pas alors qu'elle était sérieuse, elle risque de mal le prendre...
Mais si j'obéis alors qu'elle parlait juste en dormant, elle risque de le prendre encore plus mal...
Finalement, je n'ai pas trouvé d'autre solution que de faire moi-même semblant de dormir.
* * *
Le lendemain, au lycée, tout le monde ne parle que du décès de François.
Je comprends mieux pourquoi Llore a préféré repousser la prochaine étape de son plan.
Les vacances de la toussaint ne seront pas de trop pour ramener le calme chez les élèves.
Bizarrement, les deux premières heures de cours sont aussi tristes qu'un enterrement.
La chaise vide à côté de Damien nous donne l'impression que le spectre de François est toujours parmi nous.
A la pause de 10 heures, Olivier, Alexandre, Thibaut et Arnaud viennent nous voir, Llore et moi.
Thibaut tente de retenir ses amis :
"Nan mais laissez tomber les mecs, ça se fait pas de faire des suppositions foireuses sur la mort de quelqu'un..."
Llore se tourne vers eux :
"Vous voulez nous dire quelque chose ?"
Les quatre garçons se regardent, puis Olivier se lance :
"Voila, on a de bonnes raisons de penser que François a été tué à l'aide d'un DeathNote."
Alexandre intervient :
"Pour moi, ça reste une coïncidence. Le fait qu'une personne meure par crise cardiaque ne prouve pas que le DeathNote existe."
Thibaut réplique :
"Genre Alex tu dis ça, mais la semaine dernière tu y as bien cru !"
Llore reprend la parole :
"Alexandre a cependant raison : les crises cardiaques ça arrive. Pourquoi vous semblez si persuadés qu'un DeathNote a été utilisé dans cette affaire ?"
Arnaud répond :
"Si y'avait juste la crise cardiaque, on n'aurait pas forcément bloqué sur l'idée du DeathNote. Mais voila : François a verouillé les deux portes de la classe avant de mourir. Pourquoi a-t-il fait ça ?"
Olivier poursuit :
"On pense que le tueur a utilisé la règle du DeathNote concernant les circonstances de la mort pour ordonner à François de s'enfermer dans la salle avant de mourir d'une crise cardiaque. Comme ça, les enquêteurs seraient forcés de conclure immédiatement qu'il s'agit d'une mort accidentelle."
Je n'en reviens pas. Ce qu'ils disent commence à installer le doute dans mon esprit.
Mais Llore s'oppose à leurs déductions :
"Moi je crois au contraire que si quelqu'un avait voulu tuer François à l'aide d'un DeathNote, il n'aurait pas fait de mise en scène "d'enfermement préalable" car alors on aurait soupçonné un meurtre. Selon moi, il aurait mieux fait de le faire mourir devant tout le monde. De plus, pour ne pas tourner les soupçons vers le DeathNote, son propriétaire aurait choisi une autre cause que la crise cardiaque, car celle-ci est forcément associée au DeathNote. Navrée, mais votre hypothèse ne tient pas."
Contraints de se rendre à l'évidence, les quatre garçons retournent s'asseoir à leurs places.
Mais ils ont mis le doigt sur un élément crucial.
Je me tourne vers Llore et j'engage la conversation par la pensée :
"Ils ont raison !
- Quoi ?
- Dans ce qu'ils viennent de dire, ils ont raison !
- Attends Nell, tu ne vas pas me dire que tu crois à l'existence du DeathNote ?
- Euh... maintenant que j'ai des pouvoirs surhumains, je suis prête à croire à beaucoup de choses... Mais dans ce cas-là, non, il n'y a pas eu de DeathNote, comme tu leur as démontré. Pourtant, ils ont raison !
- Explique ?
- Pourquoi François a-t-il verouillé les deux portes de la classe avant de mourir ? Réponse : pour que les enquêteurs écartent l'hypothèse du meurtre ! Il y a donc un meurtrier derrière tout ça !"
Llore soupire :
"Toi, tu as l'intention de te lancer dans une enquête policière..."
Je tends ma main :
"Quand tu m'as annoncé qu'un élève de notre classe allait mourir et qu'on ne devrait pas empêcher que ça arrive, je t'ai demandé qu'on fasse au moins toute la lumière sur les circonstances de sa mort. Tu étais d'accord. Alors il va falloir découvrir la vérité. Pour François."
Elle prend ma main :
"C'est d'accord. Mais je fixe une règle : interdiction de lire dans les pensées des gens jusqu'à la fin de l'enquête."
* * *
Elucider un meurtre, ça se résume en trois points :
QUI ? Trouver le nom du ou des meurtrier(s).
COMMENT ? Déterminer les circonstances de la mort (arme du crime, mode opératoire, ...).
POURQUOI ? Découvrir le mobile, la raison pour laquelle le tueur a éliminé sa victime.
N'ayant pratiquement aucune piste, je choisis de débuter l'enquête par le Comment.
Le midi, Llore et moi, nous nous dépêchons de manger puis nous retournons dans la salle de classe.
J'ai l'impression que désormais, elle est aussi déterminée que moi à résoudre cette affaire.
Arrivées dans la salle, nous observons le verrou des deux portes : verrou manuel côté intérieur, serrure côté extérieur.
Les verrous sont solides et fiables. Impossible de faire tourner le verrou manuel depuis l'extérieur.
Je suggère alors que le meurtrier a pu voler les clés d'un professeur pour verrouiller la salle depuis l'extérieur en laissant François à l'intérieur.
Mais Llore me répond que si un professeur avait perdu ses clés, il l'aurait forcément signalé aussitôt (surtout ce jour-là), et les gendarmes auraient été mis au courant.
J'examine donc la fenêtre. Nous sommes au premier étage. C'est haut, mais certaines personnes arrivent à sauter d'une telle hauteur.
Llore secoue la tête :
"Il y a toujours des gens dans la cour pendant la pause du midi. Si quelqu'un avait sauté du premier étage, il aurait forcément été remarqué."
Première conclusion : le tueur ne pouvait pas sortir de la pièce.
Je commence à me demander s'il y a vraiment eu un tueur dans cette affaire, puis je me souviens que, d'après les enquêteurs, le corps ne présentait aucune blessure apparente.
A part la crise cardiaque, une cause de la mort possible est l'empoisonnement.
Llore réfléchit à voix haute :
"L'empoisonnement tu dis ? Effectivement, ça expliquerait certaines choses. Une autopsie approfondie du corps aurait révélé des traces de poison, c'est pourquoi le tueur a fait en sorte que la victime s'enferme afin que le meurtre soit écarté par les enquêteurs. Pas de meurtre, pas d'autopsie approfondie."
Je sens que nous tenons enfin une piste, mais il manque encore beaucoup d'éléments :
Comment le tueur a-t-il convaincu François de s'enfermer dans la salle de classe ?
Sachant que nous avons tous mangé à la cantine et à la même table, comment le tueur a-t-il réussi à n'empoisonner que François ?
A cette deuxième question, nous avons deux réponses possibles :
Soit François a été empoisonné après le repas, soit c'est la personne juste à côté de lui qui a trouvé un moyen de l'empoisonner.
Étant donné que les "poisons à retardement" sont plus difficiles à se procurer, nous pensons d'abord qu'il a été empoisonné après le repas, probablement en se rendant à la salle de classe, ou bien à l'intérieur de cette salle.
Mais d'après les témoignages recueillis par les gendarmes quand ils ont interrogé les élèves de notre classe, tout le monde avait un alibi : les élèves ont tous quitté la table par groupes de plusieurs personnes (pour aller au CDI, en salle informatique, à l'extérieur du lycée, ...), à part François qui est parti du self en premier, et tout seul. Et ce midi-là, nous mangions en premiers, donc les élèves des autres classes étaient encore en cours.
Llore reste dubitative :
"Le meurtrier aurait donc empoisonné François pendant le repas. Si c'est le cas, il a dû utiliser un poison à retardement... Admettons. Qui était assis à côté de François ?"
Je réfléchis. La table était en longueur, et toute la classe était réunie. Je réunis mes souvenirs visuels, et je revois François : il était placé en face, loin sur notre gauche, et juste avant lui il y avait...
"...Damien."
Nous nous empressons d'aller interroger notre premier suspect au CDI :
"Salut Damien. Pardon de te déranger, mais on aimerait te poser quelques questions au sujet de François.
- Pourquoi vous voulez me parler de lui ?
- Voila, on pense qu'il n'est pas mort d'une crise cardiaque mais qu'il a été empoisonné au cours du repas. Tu étais assis à côté de lui, non ?"
Damien s'énerve :
"Nan mais vous vous prenez pour qui là !? Vous m'accusez de l'avoir tué !? C'était mon meilleur ami !! Lui et moi on se connaissait depuis des années !! On s'entendait super bien !! On trainait tout le temps ensemble !!
- Si c'était le cas, pourquoi tu n'es pas sorti avec lui ?
- J'aurais bien voulu, mais lui il préférait les filles, c'est tout !
- Nan mais... Attends... Je me suis mal exprimée... Je reformule ma question : Pourquoi tu n'es pas sorti DU SELF avec lui CE MIDI-LA ? ^^'
- Ah d'accord... bah je sais plus, il a quitté la table précipitemment, j'avais pas encore fini de manger. D'ailleurs, c'était pas la première fois qu'il me faisait le coup : depuis deux ou trois semaines, il avait pris l'habitude de quitter la table très rapidement, avant que les autres aient fini de manger.
- Et tu ne lui as jamais demandé pourquoi il ne t'attendait pas ?
- Si, bien sûr, mais il me répondait qu'il devait réviser. C'était crédible pour quelqu'un qui visait une prépa PCSI. Sauf que je ne le retrouvais jamais au CDI. A mon avis, il sortait avec une fille en secret."
J'ai du mal à y croire :
"François qui préfèrerait flirter plutôt que de réviser ? Pendant l'année du Bac, en plus ?"
Damien maintient son avis :
"Je ne pouvais pas en être sûr à 100%, mais il y avait des petits signes : il était plus souriant que d'habitude, il faisait plus attention à son style vestimentaire, et à l'approche de la pause du midi il se mettait à taper sur la table avec ses phalanges : Taptap Tap Taptap ! Taptap Tap Taptap !"
- Attends t'es sérieux là ?
- Bien sûr que je suis sérieux ! Ça me rendait fou quand il se mettait à le faire : Taptap Tap Taptap ! Taptap Tap Taptap ! Bon, si vous n'avez pas d'autre question, j'aimerais réviser en paix."
A tout hasard, je lui demande :
"A la fin du repas, quel message a-t-il trouvé à l'intérieur de son biscuit chinois ?"
Damien secoue la tête :
"François n'aimait pas ce genre de pratiques superstitieuses. Pour esquiver le message contenu dans les biscuits chinois, il les avalait toujours d'un seul coup, comme on avale une grosse pilule."
Je me tourne vers Llore, qui me dit par télépathie :
"A tous les coups, le poison était dans le biscuit Chinois ! Ça explique l'effet "à retardement" du poison : Comme François a avalé le biscuit tout rond, le poison a mis du temps avant d'être libéré dans son corps ! C'est pour ça qu'il est mort plus tard, dans la salle de classe !"
Toujours par télépathie, je lui réponds :
"Damien était assis à côté de François, et il savait que François avalait les biscuits chinois sans les mâcher... Ça fait ne fait pas de lui un coupable, mais..."
Llore setourne vers Damien :
"Merci pour tes réponses, on te laisse tranquille.
- Pas de problème."
Nous commençons à nous éloigner, puis Damien nous rattrape pour nous demander une faveur :
"S'il vous plait, tenez-moi au courant de l'enquête. J'ai besoin de savoir ce qu'il est réellement arrivé à François."
En retournant vers la salle de classe avant que les cours ne reprennent, nous débattons de la culpabilité de Damien.
Il connaissait François par coeur donc il savait comment le tuer, il avait eu la possibilité de commettre le crime puisqu'il était assis à côté de lui, et il avait un mobile : le crime passionnel, puisqu'il soupçonnait François de sortir avec une fille en secret.
Mais sur ce dernier point, je ne suis pas d'accord : quand on aime vraiment quelqu'un, on ne peut pas le tuer. Pour moi, le crime passionnel n'existe pas.
Llore émet une remarque :
"Il y a quand-même un détail qui reste à expliquer : comment a-t-il empoisonné le biscuit chinois ?"
Je me mets à réfléchir.
Les biscuits chinois qu'on nous donne à la cantine sont constitués d'un message en papier dans un coeur de garniture tendre, enveloppé d'une pâte rigide, le tout étant placé dans un film plastique transparent pour la conservation.
Dans ce cas, comment mettre le poison dans le coeur du biscuit sans que ça ne se voie ?
Nous arrivons devant la salle de classe, quand soudain, la solution me revient à l'esprit :
"La seringue !!
- Quelle seringue ?
- Celle qu'ils ont retrouvée dans les toilettes ! Je me disais bien que c'était étrange de trouver une seringue alors que les jeunes préfèrent fumer du cannabis !
- Je vois : le meurtrier a d'abord empoisonné son propre biscuit à l'aide de la seringue (il a probablement fait ça discrètement en cachant ses mains sous la table), puis tout aussi discrètement, il a échangé son biscuit et celui de François...
- Alors ça veut dire que la personne à sa gauche, la personne à sa droite, la personne en face de lui, et sans doute aussi les personnes en diagonale, sont des suspects.
- Attends une seconde... Si je me souviens bien, la seringue a été retrouvée dans les toilettes des FILLES, non ?"
Cette information change notre point de vue sur notre suspect numéro 1 :
"Mais alors Damien est innocent !
- Mieux que ça, il nous a pratiquement indiqué qui a tué François. A mon avis, Damien avait vu juste : François sortait secrètement avec une fille. Et c'est probablement cette fille qui l'a tué.
- Mais comment on va trouver avec qui il sortait ?
- Je ne sais pas encore. Et il reste un autre point qu'on n'a pas éclairci : comment la tueuse a fait pour enfermer François dans la salle de classe."
En parlant de la salle de classe, nous nous apercevons que nous sommes toujours devant la porte à discuter, alors que le cours a commencé depuis cinq minutes.
Llore regarde sa montre :
"Merde, on est en retard... Vas-y, frappe à la porte et trouve une excuse."
Je m'apprête à frapper à la porte, mais j'arrête mon geste au dernier moment.
Llore s'impatiente :
"Bah alors ? Tu te dégonfles ?"
Je me tourne lentement vers elle :
"Je viens de résoudre cette affaire."
Llore me dévisage :
"Comment ça ?"
Je lui explique alors mes déductions de dernière minute :
"On sait que François est mort dans cette salle de classe.
On sait aussi, d'après Damien, que François avait une petite amie secrète, et qu'il s'absentait le midi mais pas pour aller au CDI.
Je pense que François avait rendez-vous dans cette salle, avec sa petite amie.
Pour ne pas être dérangé et pour garder la salle le midi, François avait pris l'habitude de s'enfermer à l'intérieur en verrouillant les portes, en attendant que sa copine le rejoigne.
Et il n'ouvrait la porte que quand il entendait le "mot de passe" qu'ils s'étaient probablement fixé auparavant : "Taptap Tap Taptap !"
C'est pour ça que Damien voyait parfois François faire "Taptap Tap Taptap !" machinalement sur sa table en signe d'impatience pour le rendez-vous du midi.
Mais le midi du meurtre, elle n'est pas venue, elle est restée avec ses amis pour se forger un alibi, et pour se débarrasser de la seringue dans les toilettes.
Du coup, François l'a attendue dans cette salle de classe, et il est mort lorsque le poison s'est répandu dans son organisme.
C'est ce qui explique pourquoi, quand le prof est arrivé, les portes étaient verrouillées de l'intérieur."
Llore me félicite :
"Bien joué ! Tu as résolu le "Comment" ! Il nous reste à trouver le "Qui" et le "Pourquoi". Pour le "Qui", je crois que j'ai une idée..."
Elle m'explique rapidement son idée, puis nous entrons enfin dans la salle de classe.
Comme nous arrivons en retard, il ne reste que les places du fond. C'est exactement ce que Llore voulait. Nous nous empressons donc d'aller nous asseoir au fond près de la deuxième porte de la salle.
Après quelques minutes, Llore met son plan à exécution :
Avec sa main cachée sous la table, elle commence à taper discrètement pour faire "Taptap Tap Taptap"...
Pas très fort au début, puis elle augmente légèrement le volume au fur et à mesure.
A côté d'elle, j'observe le reste de la classe. D'où nous sommes, nous voyons tous nos camarades, et plus particulièrement les filles qui sont réparties sur les deux rangées de gauche.
"Taptap Tap Taptap"...
"Taptap Tap Taptap"...
"Taptap Tap Taptap"...
Soudain, Leïla se redresse et tourne la tête en fixant la porte derrière nous d'un air inquiet.
"Ça y est, on a le Qui." me dit Llore par télépathie.
Je ne m'attendais pas à ce que son idée marche aussi bien.
Pourtant, le résultat était flagrant : aucun élève ne s'est retourné pour se demander si quelqu'un frappait à la porte.
Aucun, sauf Leïla. Et elle s'est retournée parce que son oreille a reconnu bêtement le rythme "Taptap Tap Taptap".
Maintenant qu'on a le "Comment" et le "Qui", il nous reste à découvrir le "Pourquoi".
* * *
Nous laissons passer le cours d'Histoire, ainsi que le cours de Philo.
Puis la journée se termine.
Les élèves sortent, et nous nous empressons de rejoindre Leïla dans le couloir pour la prendre à part.
Llore lui demande cash :
"Pourquoi t'as tué François ?"
Leïla tente de nous échapper, mais je l'attrape par les bras et je la cloue contre un mur entre deux rangées de casiers.
Elle proteste :
"Lâchez-moi ! J'ai rien fait !!"
Llore reprend :
"On sait que c'est toi qui l'a tué. Rassure-toi, on ne va pas te balancer. Tout ce qu'on veut, c'est que tu nous dises pourquoi tu l'as tué."
Leïla essaye de se débattre, alors je fais semblant de m'apprêter à lui mettre un coup de poing.
Llore retient mon bras et poursuit :
"Dis-nous pourquoi tu l'as tué, et on ne te fera rien."
Se sentant coincée, Leïla se met à parler à voix basse, révèlant sa personnalité dérangée :
"J'ai fait ça pour avoir le bac..."
Hein ??
Je lâche Leïla pour qu'elle continue de parler :
"Dans une classe de terminale, si un élève meurt, on donne le bac à tous les élèves. Enfin, on passe les examens quand-même, mais en fait on a le bac d'office. Alors j'ai décidé de tuer l'un d'entre nous. Comme ça, toute la classe a le bac."
Je demande mentalement à Llore :
"C'est vrai ça ? Quand ya un mort parmi les terminales, toute sa classe a le bac ?
- Non. C'est une légende urbaine. A la limite, si un élève prend toute sa classe en otage et se suicide sous leurs yeux, ya peut-être moyen de négocier. Mais s'il s'agit d'un simple décès, c'est non."
Llore demande encore :
"Et on peut savoir pourquoi François en particulier a eu le "privilège" de mourir pour sa classe ?"
Sans la moindre émotion, Leïla répond :
"Bah parce qu'il était amoureux de moi. Donc c'était plus facile de le piéger."
Llore ferme les yeux.
"Pauvre conne..."
Puis elle se tourne vers moi :
"Emmène-la dans la salle de classe pour tu sais quoi."
Je force Leïla à retourner dans la salle de classe.
Arrivées devant la porte, je lui ordonne de frapper.
Leïla frappe à la porte :
"Tap Tap Tap"
Je la menace :
"Non ! Fais le mot de passe !"
Elle s'exécute :
"Taptap Tap Taptap"
A l'intérieur, la voix de François répond :
"Entre, c'est ouvert."
Angoissée en reconnaissant la voix, Leïla pousse lentement la porte, et voit François étendu sur sa table.
"Je t'ai attendue, hier. Pourquoi n'es-tu pas venue Leïla ?"
Au bord des larmes, celle-ci peine à répondre :
"Parce que... P... Parce que je... Je t...
- Vas-y ! Dis-le !!
- Parce que je t'ai tué !!"
Elle fond en larmes, et soudain, François se relève :
"Exactement !!! Tu m'as tué, Leïla !!! Alors que je t'aimais !!! Mais tu vas le regretter !!! Je vais te hanter jusqu'à la fin de tes jours !!!"
Leïla se jette à ses pieds pour implorer son pardon :
"Pitié !! Je suis désolée !!! Je ferai tout ce que tu voudras !!"
François retrouve son calme habituel :
"C'est d'accord. Je te pardonne. Tu vas aller te rendre à la gendarmerie et avouer ton crime."
Il l'aide à se relever et la regarde droit dans les yeux :
"Ne me déçois pas une seconde fois, Leïla, sinon..."
Il la tourne vers la porte, et elle se retrouve face à un deuxième François qui termine sa phrase :
"...sinon je te retrouverai."
Morte de peur, Leïla sort de la salle et s'enfuit en hurlant dans les couloirs.
Llore et moi, nous reprenons nos apparences normales.
Je lui demande :
"Tu crois qu'elle va se rendre à la gendarmerie ?
- Elle a tué François par intérêt. Maintenant, grâce à notre mise en scène, son intérêt c'est de se rendre à la gendarmerie pour avouer ses crimes. Donc oui, elle va le faire."
Llore range la chaise de François une dernière fois, puis nous partons.
* * *
Le soir, en regardant le journal de 20h, nous apprenons que la jeune Leïla Moinel, prise de remords, s'est rendue à la gendarmerie pour avouer le meurtre de François Mesnil, son camarade de classe et ex-petit ami.
Llore s'allonge sur moi :
"Affaire classée, inspecteur Nell."
Je ne trouve rien à répondre.
Elle me sourit :
"Tu m'as l'air épuisée. A mon avis, tu as besoin d'une bonne alter-régénération..."
J'ouvre la bouche pour protester, mais elle en profite pour m'embrasser.
La technique d'alter-régénération est de loin ma technique préférée.