- J'ai rien dit pour la brosse à dent. J'ai fait mine de pas remarquer. Après tout, c'est un peu ma faute. Je lui ai donné les clés il y a deux semaines et trois jours. Alors forcément, un pas après l'autre...
- C'est qu'une brosse à dent.
- Plus que ça. C'est un symbole ! Mon verre de célibataire pour se rincer la bouche est maintenant envahi d'une brosse à dent qui n'est pas la mienne. Quand j'inviterai un ami chez moi, s'il souhaite utiliser la salle de bain, il se dira : « tiens, il y a deux brosses à dent ».
- Tu pourrais en avoir une d'avance.
- La brosse à dent sera à côté de la mienne. Je la verrais s’abîmer jour après jour. Tu vois comme les poils sont durs au début ? Avec le temps ils s'émoussent, s'écartent et n'ont pas fier allure. Je me suis dit que l'amour était pareil. Une lente usure, l'autre qui dépérit.
- Toi aussi tu sais.
- Oui mais moi je ne me vois pas. Je reste le même. Mais l'autre change. Et la brosse à dent reste. J'accepte le changement quand j'y suis pas contraint. Mais la brosse à dent, c'est comme une bague. Elle pose son empreinte chez moi, elle s'installe.
- Tu veux faire marche arrière ?
- Le pire, c'est que je suis bien avec elle. Vraiment. Mais je pense au futur. A la brosse à dent. Et je me dis que c'est pas la femme de ma vie. Qu'elle va s'accrocher. Et que moi un jour je voudrais arrêter. Et sa brosse à dent sera là. Comment pourrais-je lui dire que je veux arrêter ? Qu'à présent elle doit enlever toutes ses affaires ? Car je suis bien avec elle. Mais je sais que ça ne sera pas éternel.
- Viens-en au fait ?
- Si ça finit comme ça, pourquoi s'engager ? Elle finira par en souffrir et moi aussi. Je ne veux pas que ça arrive.
- Tu choisis alors de ne pas vivre car tu as peur d'avoir mal ?
- Ce n'est pas ce que je dis.
- C'est l'impression que tu donnes.
- J'ai peur de vieillir.