Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

[One Shot] Décadence


Par : Peace
Genre : Réaliste
Statut : Terminée



Chapitre 1 : Décadence.


Publié le 02/08/2011 à 12:59:45 par Peace

Je tiens d'abord à signaler que cette fic est déjà terminée. Elle fait partie des "Tales from Neo Babylon" que je terminerai peut-être plus tard. Ces "tales" sont un ensemble de nouvelles qui forment un genre de cycle autour du thème d'une néo-babylone futuriste ( ce n'est pas encore très visible dans ce texte ci :) )

Décadence.

J’ouvre les yeux. Je suis enfin retourné dans cette prairie. L’air y est frais, et le ruisseau qui court entre les collines est clair comme l’éther. Je foule le sol de mes pas lents, lourds. Petit à petit, je recommence à entendre le murmure de l’eau contre la pierre, du vent qui souffle sur ces lieux endormis. J’arrive enfin juste devant l’ondée, et je m’agenouille. Je ne sais pas bien si je me contrôle encore vraiment. Tout se fait dans un naturel déconcertant. Je connais cet endroit. Il m’est vaguement familier, comme ancré dans une partie de moi-même, et j’oscille entre un état de grâce, et une incertitude. Je crois que j’ai peur. Peur de plonger mon regard dans le ruisseau, comme troublé par une impression malsaine. Oui. J’ai peur d’y voir le reflet de ce que je suis. Ou de ce que je ne suis pas. Et puis, toujours tiraillé, j’accepte de baisser les yeux. Je n’y vois que mon visage, brouillé par le courant lent de l’eau qui coule. J’en aperçois le fond, de roche claire. Juste à mon aplomb, un oiseau s’envole. Je ne le vois pas bien. Son chant résonne par-dessus tous les autres sons de la prairie. Doucement, je me laisse aller à plonger ma tête dans le ruisseau. Je la remonte, et une terreur me saisit les tripes quand je me vois de nouveau dans les eaux claires.

Dieu est partout dans cet endroit. Il est dans chaque bouffée de cette fumée qui me libère de mes angoisses et de mes questionnements les plus enfouis. La sensation étrange que me procure cette vapeur qui me semble être un don de Dieu. Je respire encore, inspirant longuement, puis la clairière disparait. J’ai encore rêvé les yeux ouverts. Je vois le plafond craquelé et fissuré de mon appartement. Je ne saurais dire si c’est la fumée ou mon cerveau endormi, mais tout ce que j’observe est trouble. Soudain, je sors de cette douce léthargie. Mon cœur se soulève, et je me tends, mes muscles ankylosés se crampent. J’essaie d’étouffer mes cris de douleur. Le temps s’arrête à nouveau. Je halète, j’essaie de me décrisper. J’ai mal. Je lutte tant bien que mal pour garder les yeux ouverts alors que les restes de mon nectar se consument, comme l’étincelle qui brulait encore dans mes yeux il y’a quelques secondes. Je crois. Probablement quelques minutes en fait. Peut-être une, deux heures… J’incline la tête vers ma droite, ou se dresse la table. Je n’ai plus la force de me lever. Je erre longuement dans mes pensées vagabondes. Un sentiment que je ne connaissais pas s’est emparé de moi. Je suis incomplet. Pourquoi ? Ma rêverie est terminée, et je ne sais pas ce que j’ai vu dans l’eau. Je brule du désir de savoir ce qui s’y cachait. J’ai mal. Encore.

J’ai rassemblé mes restes. Tous ce qui est encore là va y passer. Je bourre tout mon nectar dans la pipe qui est posée sur la table. Je n’en peux plus. Je fouille les tiroirs, les placards, mes poches fébrile. Une allumette. Enfin. Je la craque nerveusement et me brule le doigt. Elle tombe longuement par terre, dans une chute cyclopéenne. Une autre. J’arrive enfin à mettre le feu à Dieu. Il est spécial. Il me libère enfin de mes tourments et de ma douleur, avec ses fumées infernales qu’il crache et qui me portent au paradis. Les vapeurs viennent chatouiller mes narines amoureusement, et je commence à fermer les yeux. C’est fantastique. Je m’envole, et je vais enfin retrouver la prairie de mes rêves. J’attends que cela ne se fasse. Petit à petit, je suis pris de langueur. Je me rends compte que c’est fini, que la dernière bouffée est avalée. Mon cœur est comme transpercé de pointes amères. Je suis incomplet. Et je n’ai plus rien pour le faire cicatriser.

Faire cicatriser mon cœur incomplet. Il en reste une partie dans ce ruisseau que je cherche partout en moi, partout dans les fumées divines qui stagnent dans le trou putride ou je vis. Il est déjà pansé, rafistolé, mon cœur, partout. Je colmate les trous avec ce que je trouve, mais ca ne suffit plus. Je dois regarder au fond de ce ruisseau. Je le chercherai, partout. Alors, surmontant mon état comateux, je suis sorti.

La ville est grise. Les gens semblent ne plus bouger, comme figés. Je ne suis pas de leur monde. Chaque jour est sombre, et chaque heure n’est qu’une impasse qui me ramène inlassablement à ma débauche toxicomane. Mais qu’importe, pourvu que je puisse continuer à flirter avec cette fumée divine. L’impasse m’a mené à une petite rue, ou même le soleil n’ose entrer. Je m’y suis perdu. J’y égare mon esprit, et j’y crache mon corps dans le caniveau. Plus rien n’existe en dehors de cet endroit que les contrées ou me mènent mes trips. Ici, je vis ca et là, chez des… amis. Ce quartier est celui des plaisirs faciles. Celui on l’on peut tout avoir avec de l‘argent. Mes jours passent au rythme des hurlements aux étages inférieurs.

Ca fait plusieurs semaines que j’augmente toujours la dose. Je dois me résigner, mais je ne m’y résous pas. Je ne trouve pas. Et je n’ai plus rien. J’ai tout perdu. Je sais que seul le ruisseau sera salvateur. Je sors. J’ai besoin d’argent pour payer ma dose. Je dois aller plus loin encore, toujours. Je ne possède plus rien que mon corps, que je retrouve recroquevillé dans un coin, perdu. Vide. Je vais le vendre. Je vais vendre mon corps pour continuer à me défoncer. Pour vivre encore un peu plus dans mon rêve insensé. Je trouve déjà des clients. Mon corps est endormi par les relents de fumée qui embrument la rue. Je ne ressens plus rien, et je laisse faire ce qu’il faut. Mon Graal, ce ruisseau, me lavera de toute mon impureté. Alors je laisse faire. Demain j’aurai déjà oublié.

Le temps passe, imperturbable, malgré mes suppliques. Je voudrai qu’il s’arrête. Qu’il s’arrête à chaque shoot, quand j’oublie tout. Qu’il s’arrête quand tout espoir a disparu et que je suis enfin prêt à accepter la facilité, la fatalité. Qu’il s’arrête quand je vois son visage. Cette fille inconnue, anonyme, celle qui attend dans la rue, le soir. Je ne sais pas vraiment si elle existe bien. Elle est toute la tristesse et la beauté, elle est la sainte, la vierge débauchée par la misère. Je l’aime. Je l'aime comme j'aime sa misère et sa tristesse. Elle est l'incarnation de notre vie dévoyée. Elle attend. Chaque soir. Et son innocence est ravagée. Chaque soir, je la perd un peu plus, et elle devient une sainte pour les désespérés et les fous.

Rien ne dure dans ce qui est bon. Aujourd’hui, elle a disparu. Hier, je l’ai aimée. Elle aussi. Pour la demi-heure que j’ai payé. Je l’aime, et je lui ai fait du mal. Elle a disparu, et je m’enfonce. Je ne veux pas continuer. Je l’ai perdue. C’est ma faute. C’est notre faute à tous. Mais je serai bientôt lavé de mon impureté. Je n’ai pas su son nom.

Je ne sors plus. Livide, le regard vitreux, j’attends que mon sang ne s’écoule. De mes veines ouvertes se répand mon sang sur les draps blancs du lit. Lentement, les endorphines et l’étourdissement me propulsent dans une autre dimension. Je flirte avec le divin dans une nouvelle sensation. Je n’ai jamais senti mon esprit se dissocier autant de mon corps. Je suis ailleurs. Cette fois ci, je pousserai l’expérience plus loin que la précédente. J’irai au bout, si cela me permettait de trouve ce que je cherche.

Mon corps vide se rassasie de luxure, et ses besoins sont tus par les calmants. Je me nourris à la novocaïne à présent. Mes accès de rage se font plus communs. Je hurle, je brise. Des heures durant, je partage ma chair avec n’importe qui. Avec tous. Je prends du plaisir car je partage ma chair. Je passe mes jours dans les bordels. Je cherche le transport. Je veux retrouver la sensation que j’ai eu par le passé. Je cherche vainement. Je suis un simulacre de Jésus car je me donne.

Je regarde l’eau claire d’en haut, à genoux, mes yeux rivés vers le fond incolore. Mon sang s’écoule en un torrent ininterrompu sur la cuvette. Ma rencontre misérable avec la cocaïne s’achève là, dans les toilettes. Je suis paumé. Je m’oublie. Mon sang se mêle à l’eau dans un rouge vermeil. Tout en moi crie de détresse. Je ne m’arrête pas. Je sens qu’au fond du ruisseau salvateur se cache des merveilles extraordinaires, et malgré mon saignement abondant, je continue à sniffer, me rapprochant encore un peu de dieu. Peu m’importe de mourir ici, si je peux me compléter. Trois ans. Déjà trois ans que j’ai essayé tout ce que je trouvais. Valium, héroïne, tout, même le plus glauque. Je me laisse noyer dans ma luxure et ma folie, qui doucement prend le dessus, guidée par le dieu qui enivre chacun de mes shoots.

Le temps est encore passé, longtemps. Je sors de cette rue. Dehors, la pluie tombe. J’ouvre les bras. Je les recueille sur mes vieux vêtements putrides tachés par les fumées, les vomissures, les substances que j’ai consommé. Le pluie lave mes vêtements et me lave de mes pêchés. J’ai rêvé que c’étaient ses larmes. Elle pleurait pour moi, pour nous. Les gouttes éclataient par terre, dans une multitude de gerbes d’eau, et j’entendais sa voix. Elle était changée. Quand je me suis réveillé, j’étais net. Pour la première fois depuis trois ans. Plein d’une détermination nouvelle, je me suis mis en route.

Je suis rentré chez moi aujourd’hui. Tout est encore à sa place. Tout s’est cristallisé. Je vais retourner dans mon rêve. Je ne vis plus que de ca. Je m’approche de ma prochaine tentative. Je tourne lentement tous les boutons. Au bout d’a peine une minute, mes yeux se ferment, et ce que je vois est terrifiant. Une terre calcinée, vallonnée, noire charbon. Le soleil a disparu du ciel ardent, rouge sang qui me surplombe, et je me rends compte qu’il est en fait remplacé par la lune la plus noire que je n’ai jamais aperçu. Je ne suis jamais venu ici, et pourtant, l’endroit me semble familier. Le murmure glacé de l’eau sur la roche emplit mon oreille. Je cours, je cours, et m’agenouille. A mon aplomb s’envole une corneille. Elle craille. J’expire comme je peux. Je suis empli de craintes. Mon cœur défaille, mon cerveau se déconnecte, mais je résiste à la tentation de me laisser aller à fermer les yeux et laisser le gaz qui emplit l’appartement m’emporter. Je n’en ai plus conscience depuis longtemps déjà, mais une partie de moi sait que je manque de temps et que je dois faire vite. Je ris, nerveux, mais je n’ose pas baisser les yeux. Soudain, comme appliqué à observer la scène, la corneille s’arrête. Je baisse enfin les yeux vers l’eau. Les effluves de ce poison dont je ne me passe plus depuis trois ans essaie de m’arracher à ma rêverie. C‘est Dieu qui vit dans ma fumée. Mais peut m’importe. Ca y’est, je vois mon reflet. Je hurle. Un long hurlement déchirant qui rompt le silence de ces lieux. Et je continue à hurler, je n’en peux plus. Les eaux viennent me chercher, ou peut-être est-ce moi qui plonge vers elle malgré ma terreur. Tout est devenu noir, et je m’enfonce dans l’abîme. Je me débats, je veux ressortir. Je m’englue, et tout me tire vers le fond. Je suis en train de disparaître de la réalité, dans la terreur. Je ne veux pas. Je m’accroche. Doucement, une fumée familière vient me chatouiller les narines. C’est mon nectar, et petit à petit, ce qui finissait de me retenir dans la réalité s’amenuise. Je tombe. Au fond du gouffre sont gravées des inscription: «Ici reposera:». Le voilà mon Graal, ma quête, mon désir, ma raison de vivre. C‘est mon suicide. Je n’existe plus. Je suis en dehors de la réalité, votre réalité, je suis baigné dans la terreur le vide et l‘angoisse. La défaite. Dans la fumée. Mon corps est étendu dans la cuisine, ca y est. Je suis mort.


Commentaires