Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Quel triste monde


Par : faces-of-truth
Genre : Réaliste
Statut : Terminée



Chapitre 1


Publié le 11/09/2010 à 22:37:43 par faces-of-truth

Quel triste monde. Comme tous les matins, je partis légèrement en retard pour le travail ; allez chercher pourquoi, je ne pouvais me résoudre, moi pourtant si sérieuse et appliquée, à quitter mon lit douillet pour affronter la fraîcheur et la pollution dans la rue.
Mais cette fois, je dus en payer le prix car mon bus s’était permis à peine deux minutes d’avance et quitta mon arrêt avant que je ne puisse l’atteindre.
Fustigeant et pestant, je me mis à courir, déterminée à atteindre la prochaine destination avant lui… en supposant que les feux rouges soient de mon côté.
Lors de ma course, je passai prêt d’un perron sur lequel était assise une petite fille en pyjama. Cela m’intrigua, mais je n’eus pas temps de m’arrêter, je devais absolument arriver au prochain arrêt avant le car.
Ce fut mon jour de chance, un camion-citerne bloqua la circulation et je pus arriver à mon objectif en me contentant de marcher vite sur les trente derniers mètres.
Je montai dans mon bus, encore essoufflée. J’arriverai au travail à temps.
Mais le souvenir de cette enfant me resta…

Le lendemain, je fis un effort pour me lever plus tôt et réussis à prendre mon bus, sans avoir à presser le pas.
Le chauffeur reprit sa route et j’aperçus à travers la baie, sur le même perron, la petite fille, assise sur les marches, en pyjama.
Le moyen de transport freina à cause d’un feu et je pus distinguer son visage. Il était magnifique, mais gagné par la tristesse.

Le matin suivant, je fus prête une demi-heure en avance et partis vers mon arrêt. Je n’y restai cependant pas et continuai à marcher jusqu’à ce fameux perron. La petite fille était là, dans la même position que la veille.
En m’approchant, j’ouïs une musique douce qui provenait d’une fenêtre ouverte du rez-de-chaussée.
-Que fais-tu là à cette heure-ci, ma chérie ? demandai-je. Où est ta maman ?
L’enfant posa son regard sur moi. Celui-ci était bouleversant, ses yeux bleus retenaient des larmes ; je n’aurais jamais imaginer qu’un visage humain puisse exprimer un tel chagrin.
-Ma maman dort à la maison, là, répondit-elle en désignant l’immeuble derrière elle.
-Pourquoi n’es-tu pas chez toi ?
-Parce que c’est triste…
-Pourquoi cela ? Ta maman sait que tu n’es pas dans ton lit ?
Ses pupilles me fixèrent alors, avec un air suppliant.
-Elle doit surtout pas savoir !
Ce regard affolé m’effraya presque. Elle baissa alors la tête.
-Ma maman est malade… Très malade… Elle dit qu’elle va bientôt partir… Alors je dois rester chez moi toute la journée avec elle, je n’ai même plus le droit d’aller à l’école… À cette heure-ci, elle dort encore… C’est le seul moment de la journée où je peux voir autre chose…
Cette histoire me noua la gorge. Le ton de la voix était à la fois ferme et mature, et aussi perdu…
-Je suis désolée…, dis-je dans un soupir.
Le crissement soudain des pneus de mon bus m’alerta de sa présence.
-Je dois partir, ma chérie, je reviendrai demain si tu veux bien…
Elle acquiesça d’un mouvement de tête et je filai au prochain arrêt pour monter dans le car.
Je pris une place libre et plongeai dans mes pensées. Ce que la petite fille venait de me révéler me poignarda le cœur. Je plaignais sa mère, mais elle n’avait pas à faire endurer cette épreuve à son enfant de cette manière. Pourtant, je la comprenais. Et c’était ça le plus difficile. Quel triste monde…

Le lendemain, je me levai avec une heure d’avance sur le programme habituel et retrouvai la fillette sur son perron. La même musique passait toujours derrière la fenêtre ouverte.
-Tu sais d’où ça vient ? questionnai-je, également assise sur une marche.
-De ma chambre, dit-elle. C’est ma mélodie préférée, Maman veut qu’elle passe toute la journée… Elle veut me voir heureuse tant qu’elle est là…
Je gardai un silence de quelques secondes.
-Ça me fait beaucoup de peine pour elle, avouai-je.
La petite fille jeta un caillou sur le trottoir.
-Je veux pas qu’elle parte… Je veux qu’on reprenne notre vie d’avant…
Je fis de mon mieux pour la consoler, mais les mots qui auraient pu la délivrer de sa torpeur ne me venaient pas. Je doutais même de leur existence.
-Tu sais, déclarai-je, je suis touchée que tu te confies à moi comme ça… Si tu as peur, tu peux m’en parler, tu peux tout me dire…
-Mais je n’ai pas peur… Je suis juste triste…
-D’accord…

Tous les matins, je passais la voir. Tous les jours, je lui parlais. Toutes les semaines, elle paraissait plus pâle…
Et puis un vendredi, alors que je me dirigeai vers son entrée, ce ne fut pas une enfant que je vis assise sur les marches, mais une femme. Une femme recroquevillée sur le perron, la tête cachée dans ses mains, sanglotant bruyamment.
Intriguée, je m’avançai un petit peu. La fenêtre du rez-de-chaussée était toujours ouverte, mais aucune musique n’en sortait.
Alors je compris. Je compris tout. Je m’éloignais d’une dizaine de mètres et fondis en larmes.
En nous effaçant la crainte de notre propre mort, on souffre plus pour les autres mais on ne subit pas l’agonie de la peur.
Je savais alors, en montant dans mon bus, que la vie n’aurait plus jamais l’image que j’avais d’elle avant ma rencontre avec la petite fille…
Quel triste monde…


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