Note de la fic :
Histoire au clair de lune
Par : Cérate
Genre : Fantastique
Statut : Terminée
Chapitre 15 : Vingtième Nuit
Publié le 31/05/2010 à 10:24:48 par Cérate
Je suis encore sur le champ de bataille lorsque mon mal de crâne reprend, plus terrible que jamais. Je lâche mon arme et tombe à genoux dans la boue, les mains contre la tête. Malgré le brouillard qui me sépare progressivement du monde je devine les ombres de mes soldats qui se déploient silencieusement autour de moi, pour me protéger. La sorcière est loin devant, montée sur sa jument blanche, furie renvoyant mes hommes en enfer à grands coups de lame.
Tout s'efface.
Je suis dans une plaine couverte de neige. Une étendue sans fin, blanche, étincelante, qui paraît presque apaisante dans son uniformité. Un seul détail vient troubler la scène : une tour solitaire se dresse face à moi, un assemblage de pierres en partie en ruine, qui jure affreusement avec la monotonie du paysage. Je m'avance vers elle. Mes pas ne laissent aucune empreinte sur mon passage, comme si j'étais plus léger encore que les flocons qui tombent lentement du ciel.
Soudain le sol se met à trembler, puis à enfler, me faisant rouler en arrière, les jambes par-dessus la tête. Je glisse sans pouvoir m'arrêter, alors qu'une montagne se soulève là où j'étais quelques instants auparavant. Et le démon émerge de sous la neige où il se cachait, gigantesque, splendide.
Il est aussi haut que le donjon solitaire, et bien plus large. Ses griffes d'ébène sont plus longues que mon propre corps, et sa teinte sombre contraste affreusement avec la blancheur des lieux, alors qu'il s'ébroue pour chasser la neige qui le recouvre encore.
Je n'ai rien d'autre pour me défendre que la force de mes poings. La magie est inopérante. Il avance lentement vers moi, tranquillement. Sûr que je ne peux lui échapper, coincé comme je le suis dans mon propre esprit. Je fonce sans réfléchir vers la tour, le seul endroit où je pourrais me cacher. Son poing énorme me cueille en pleine course, et je suis projeté en arrière. Ma vue se brouille sous la douleur.
Je retombe sur une place pavée. Je suis dans ce qui parait être un chantier naval. Il y a des échafaudages tout autour de moi, dans des grands hangars, où des navires en cours de construction attendent avec impatience de prendre la mer. L'océan qu'on aperçoit derrière est calme. Il n'y a pas un bruit. Personne aux alentours. Tout a l'air mort. Tout sauf moi, et mon tortionnaire. Il est là, gigantesque, émergeant d'un assemblage de poutres de chêne, qui se brisent comme des brindilles sur son passage. Malgré mes os meurtris je me relève, et fonce vers lui. Je suis le Prince Rasler, et je ne périrais pas sans combattre. Je tente de passer entre ses jambes, mais un coup titanesque me met à terre.
Je suis maintenant dans l'herbe. Il y a un immense lac à quelques pas, et j'aperçois des cimes enneigées alors que je me relève péniblement. Le démon est juste au-dessus de moi. Il attend que je sois debout pour frapper. J'évite son pied d'une roulade, puis tente de m'y agripper alors qu'il le soulève à nouveau. Sa peau est plus rêche et crevassée qu'un rocher, et mes mains se couvrent de sang alors qu'il secoue ses membres pour me faire lâcher prise. Je tombe à nouveau. Avant que la scène ne change, j'ai le temps de remarquer un énorme château, loin sur une des rives du lac.
Le monde tourne. Il y a du blé doré et foisonnant à perte de vue. La récolte est proche. Un moulin bâti de poutres et de plâtre tourne paresseusement sous le vent léger. Je me cache sous les épis dorés et je rampe péniblement pour prendre le monstre à revers. Mes déplacements sont rendus difficiles par mes os brisés.
Il m'a repéré. Une main gigantesque se rue vers moi, et ses griffes labourent la terre alors qu'il referme le poing pour me saisir. Il serre.
Les décors défilent autour de moi, comme autant de souvenirs enfouis qui ressurgissent. Ils passent furtivement, tel un rêve, se succédant à toute vitesse. Je distingue une salle de banquet, qui s'évanouit pour laisser place à une chambre luxueusement décorée, puis à l'océan. Des arbres apparaissent puis disparaissent aussitôt, des bâtiments inconnus sortent du néant puis s'effondrent, le monde entier passe devant mes yeux alors que je hurle de douleur, et que le démon serre, toujours plus fort, m'écrase de sa poigne de géant.
Tout devient flou, jusqu'à ce que, soudainement, le paysage se fixe.
La scène n'a plus rien d'humain, contrairement à ce qui défilait jusqu'alors devant mes yeux. Je suis en dehors du temps, dans un univers de clarté éblouissante. Le ciel et l'horizon sont composés de lumière pure. À mes pieds, sous l'énorme poing du démon, se trouve une gigantesque masse de noir absolu. Aucune lueur n'en sort, rien, pas même un reflet, comme si le sol dévorait e moindre rayon. Pourtant, loin d'être inerte, la surface grouille de créatures que je reconnais bien : ils sont en tout point semblables à mon bourreau, à cette créature qui me torture depuis mon réveil.
Il en a des milliers et des milliers, tous identiques, qui s'amassent autour de celui qui me tient dans ses poings. Ils semblent composés de la même matière que le sol, si bien qu'on n'arrive à les distinguer que par contraste avec l'éclat environnant. Ils se mouvent lentement, dans des directions apparemment anarchiques, à la poursuite de buts connus d'eux seuls.
Tandis que la créature qui me maintient prisonnier m'approche lentement de la surface de la planète noire, sûr de sa victoire, j'aperçois un éclair de lumière colorée qui tombe fugitivement à quelques pas de moi, puis disparaît aussitôt dans l'ombre. Et alors, tout trouve soudain sens à mes yeux : la sphère de néant est le royaume des morts, dans lequel les défunts viennent trouver le repos, et les démons en sont les gardiens.
J'imagine que le mien a dû s'agripper à mon âme lors de mon rappel vers les vivants, puis qu'il a cherché par tous les moyens à me ramener. Et maintenant il a gagné, je vais retourner vers l'oubli. Peu importe, j'aurai au moins revu ma princesse. Je ne regrette rien, pas même la souffrance.
Mon visage est tout près de la surface. Encore quelques pouces et elle m'absorbera.
Le titan me relâche enfin, et la douleur disparaît aussitôt.
La sphère m'absorbe sans un bruit.
Je tombe encore et encore, comme dans un cauchemar, toujours plus bas. Je ne comprends plus rien, moi qui m'étais préparé à disparaître pour de bon. Pourquoi suis-je toujours conscient ?
Je suis dans le noir total, seul avec mes pensées.
Je ne sais pas combien de temps a duré ma chute. Peut-être une éternité, peut-être un seul instant. Mais il est écrit que tout a une fin.
La mienne prend la forme d'une lueur rose, qui vient troubler l'épaisseur des ténèbres qui m'environnent. Elle s'affirme, prend de l'ampleur, et sa teinte fonce à mesure que je m'en approche. Ma chute ralentie.
Je suis maintenant environné d'une lumière violette, douce et tranquille. Elle ondule, me berce comme une mère qui prend soin de son enfant.. Je flotte entre deux mondes, suspendu dans un fluide épais et chaud, apaisé.
Je reconnais cette sensation.
Et cette couleur...
C''est celle du bijou de la princesse.
Mes yeux s'ouvrent sur l'améthyste qu'elle porte en pendentif. La pierre brûle d'un éclat sauvage, de cette même lumière qui m'a fait revenir d'entre les morts.
Je sens confusément que le cristal est le phare qui me maintient en vie. Il est chargé d'une magie puissante, d'un pouvoir que je n'arrive même pas à concevoir.
Mais il est incapable de faire disparaître ma souffrance.
Elle revient brutalement, implacablement, en même temps que ma conscience. Elle me renverse sous ses flots déferlants, s'abîme dans mes muscles déchirés, déchire mon esprit en quelques îlots isolés.
Mais elle est là pour me soutenir.
Alissa. Mon amour.
Je suis dans les bras de la princesse. Elle a le visage penché vers moi et me soutient, alors que je hurle de douleur vers la pleine lune. Elle semble partager ma peine, me murmure des mots apaisants, que je ne comprends pas.
Les minutes passent, et je finis par reprendre le contrôle de moi-même. Mais je suis trop faible pour ne serait-ce que desserrer les lèvres.
Je gis à même le sol, la tête sur ses genoux, la face vers la lune argentée. Ses longs cheveux noirs me cachent la douceur des étoiles et viennent me chatouiller tendrement. C'est une belle nuit, limpide et profonde. Il n'y a aucun bruit de combat. Mes hommes ont tous disparu. Le champ de bataille est désert, mis à part nous.
Le visage de la princesse est triste et grave, comme chaque soir depuis que je suis revenu. Elle parle calmement, tendrement, presque en chuchotant.
-C'est fini mon amour, me dit-elle. C'est fini. Tout va bien maintenant. Je suis avec toi, pour toujours. Tu n'auras plus à souffrir. Je t'aime, je t'aime, et je t'aimerai encore, pour l'éternité.
Elle n'a pas l'air sure que je l'entende, mais elle continue à parler, plus pour elle-même que pour moi. Chacune de ses phrases est ponctuée de longs silences.
-Je ne savais pas que tu souffrirais à ce point. Comment aurais-je pu l'imaginer ? Personne n'avait jamais fait ce que j'ai fait. Je ne pensais qu'à moi. Je voulais te faire revenir, pour moi, pour pouvoir t'embrasser encore, t'aimer comme avant. Je n'ai pas imaginé que ta douleur pourrait être si grande. J'ai été égoïste mon amour, je ne pouvais souffrir de te perdre. Me pardonneras-tu ?
Son ton devient presque suppliant, alors que de grosses larmes viennent s'écraser contre mon visage. Je voudrais lui répondre, lui dire que tout est pardonné, qu'il n'y a rien à pardonner, que le bonheur de pouvoir l'entendre, la toucher, la combattre même, est bien plus important que la souffrance. Mais mes lèvres, clouées par la douleur, et ne peuvent articuler le moindre son.
Elle reprend en pleurant ouvertement, incapable cette fois d'endiguer sa peine :
-C'est fini mon amour, tu ne souffriras plus. Plus rien ne pourra nous séparer. Nous serons ensemble, pour l'éternité.
Et elle m'embrasse.
Le temps s'arrête alors que ses lèvres chaudes viennent caresser les miennes. J'exulte de bonheur, malgré la douleur qui me paralyse. Même si mes souvenirs sont partis à jamais, je sais que je viens de retrouver pour de bon mon amante, ma princesse, celle sans qui je ne peux vivre. Plus de combats inutiles, nous resterons ensemble, unis dans l'amour, jusqu'à ce que la mort nous sépare.
La sensation de l'acier froid qui s'enfonce entre mes côtes réussit finalement à desceller mes lèvres. Un long soupir s'échappe de ma bouche alors qu'elle retire lentement son visage, et me contemple en pleurant.
-Je t'aime, mon amour. Je serai toujours avec toi.
Je tente de me débattre, secoué jusqu'au plus profond de mon âme par cette trahison, mais elle n'a aucun mal à me maintenir allongé tant je suis faible.
Alissa retire son pendentif, qu'elle pose sur ma poitrine couverte de sang. Elle murmure une formule, et il explose en un millier d'éclats. Toute ma souffrance se retire au même moment, et je sens le démon, libéré, qui retourne vers le royaume des morts avec une promesse muette : je t'attends.
Et alors que la vie s'échappe peu à peu de mon corps et que le monde s'obscurcit, mon regard abandonne lentement le visage si beau, si fin de mon amante, et va se poser sur la lune, énorme, étincelante. Elle nous contemple tristement, comme consciente du drame qui se joue sous ses yeux.
La princesse pose doucement ma tête contre le sol et se met debout.
Elle se découpe comme une ombre dans la lumière de l'astre de la nuit, ses cheveux flottant doucement au vent.
Impuissant, je la vois lever son poignard, cérémonieusement, et le retourner vers elle-même.
Le monde s'arrête, et une dernière pensée traverse mon esprit avant que je ne disparaisse :
J'arrive.
Tout s'efface.
Je suis dans une plaine couverte de neige. Une étendue sans fin, blanche, étincelante, qui paraît presque apaisante dans son uniformité. Un seul détail vient troubler la scène : une tour solitaire se dresse face à moi, un assemblage de pierres en partie en ruine, qui jure affreusement avec la monotonie du paysage. Je m'avance vers elle. Mes pas ne laissent aucune empreinte sur mon passage, comme si j'étais plus léger encore que les flocons qui tombent lentement du ciel.
Soudain le sol se met à trembler, puis à enfler, me faisant rouler en arrière, les jambes par-dessus la tête. Je glisse sans pouvoir m'arrêter, alors qu'une montagne se soulève là où j'étais quelques instants auparavant. Et le démon émerge de sous la neige où il se cachait, gigantesque, splendide.
Il est aussi haut que le donjon solitaire, et bien plus large. Ses griffes d'ébène sont plus longues que mon propre corps, et sa teinte sombre contraste affreusement avec la blancheur des lieux, alors qu'il s'ébroue pour chasser la neige qui le recouvre encore.
Je n'ai rien d'autre pour me défendre que la force de mes poings. La magie est inopérante. Il avance lentement vers moi, tranquillement. Sûr que je ne peux lui échapper, coincé comme je le suis dans mon propre esprit. Je fonce sans réfléchir vers la tour, le seul endroit où je pourrais me cacher. Son poing énorme me cueille en pleine course, et je suis projeté en arrière. Ma vue se brouille sous la douleur.
Je retombe sur une place pavée. Je suis dans ce qui parait être un chantier naval. Il y a des échafaudages tout autour de moi, dans des grands hangars, où des navires en cours de construction attendent avec impatience de prendre la mer. L'océan qu'on aperçoit derrière est calme. Il n'y a pas un bruit. Personne aux alentours. Tout a l'air mort. Tout sauf moi, et mon tortionnaire. Il est là, gigantesque, émergeant d'un assemblage de poutres de chêne, qui se brisent comme des brindilles sur son passage. Malgré mes os meurtris je me relève, et fonce vers lui. Je suis le Prince Rasler, et je ne périrais pas sans combattre. Je tente de passer entre ses jambes, mais un coup titanesque me met à terre.
Je suis maintenant dans l'herbe. Il y a un immense lac à quelques pas, et j'aperçois des cimes enneigées alors que je me relève péniblement. Le démon est juste au-dessus de moi. Il attend que je sois debout pour frapper. J'évite son pied d'une roulade, puis tente de m'y agripper alors qu'il le soulève à nouveau. Sa peau est plus rêche et crevassée qu'un rocher, et mes mains se couvrent de sang alors qu'il secoue ses membres pour me faire lâcher prise. Je tombe à nouveau. Avant que la scène ne change, j'ai le temps de remarquer un énorme château, loin sur une des rives du lac.
Le monde tourne. Il y a du blé doré et foisonnant à perte de vue. La récolte est proche. Un moulin bâti de poutres et de plâtre tourne paresseusement sous le vent léger. Je me cache sous les épis dorés et je rampe péniblement pour prendre le monstre à revers. Mes déplacements sont rendus difficiles par mes os brisés.
Il m'a repéré. Une main gigantesque se rue vers moi, et ses griffes labourent la terre alors qu'il referme le poing pour me saisir. Il serre.
Les décors défilent autour de moi, comme autant de souvenirs enfouis qui ressurgissent. Ils passent furtivement, tel un rêve, se succédant à toute vitesse. Je distingue une salle de banquet, qui s'évanouit pour laisser place à une chambre luxueusement décorée, puis à l'océan. Des arbres apparaissent puis disparaissent aussitôt, des bâtiments inconnus sortent du néant puis s'effondrent, le monde entier passe devant mes yeux alors que je hurle de douleur, et que le démon serre, toujours plus fort, m'écrase de sa poigne de géant.
Tout devient flou, jusqu'à ce que, soudainement, le paysage se fixe.
La scène n'a plus rien d'humain, contrairement à ce qui défilait jusqu'alors devant mes yeux. Je suis en dehors du temps, dans un univers de clarté éblouissante. Le ciel et l'horizon sont composés de lumière pure. À mes pieds, sous l'énorme poing du démon, se trouve une gigantesque masse de noir absolu. Aucune lueur n'en sort, rien, pas même un reflet, comme si le sol dévorait e moindre rayon. Pourtant, loin d'être inerte, la surface grouille de créatures que je reconnais bien : ils sont en tout point semblables à mon bourreau, à cette créature qui me torture depuis mon réveil.
Il en a des milliers et des milliers, tous identiques, qui s'amassent autour de celui qui me tient dans ses poings. Ils semblent composés de la même matière que le sol, si bien qu'on n'arrive à les distinguer que par contraste avec l'éclat environnant. Ils se mouvent lentement, dans des directions apparemment anarchiques, à la poursuite de buts connus d'eux seuls.
Tandis que la créature qui me maintient prisonnier m'approche lentement de la surface de la planète noire, sûr de sa victoire, j'aperçois un éclair de lumière colorée qui tombe fugitivement à quelques pas de moi, puis disparaît aussitôt dans l'ombre. Et alors, tout trouve soudain sens à mes yeux : la sphère de néant est le royaume des morts, dans lequel les défunts viennent trouver le repos, et les démons en sont les gardiens.
J'imagine que le mien a dû s'agripper à mon âme lors de mon rappel vers les vivants, puis qu'il a cherché par tous les moyens à me ramener. Et maintenant il a gagné, je vais retourner vers l'oubli. Peu importe, j'aurai au moins revu ma princesse. Je ne regrette rien, pas même la souffrance.
Mon visage est tout près de la surface. Encore quelques pouces et elle m'absorbera.
Le titan me relâche enfin, et la douleur disparaît aussitôt.
La sphère m'absorbe sans un bruit.
Je tombe encore et encore, comme dans un cauchemar, toujours plus bas. Je ne comprends plus rien, moi qui m'étais préparé à disparaître pour de bon. Pourquoi suis-je toujours conscient ?
Je suis dans le noir total, seul avec mes pensées.
Je ne sais pas combien de temps a duré ma chute. Peut-être une éternité, peut-être un seul instant. Mais il est écrit que tout a une fin.
La mienne prend la forme d'une lueur rose, qui vient troubler l'épaisseur des ténèbres qui m'environnent. Elle s'affirme, prend de l'ampleur, et sa teinte fonce à mesure que je m'en approche. Ma chute ralentie.
Je suis maintenant environné d'une lumière violette, douce et tranquille. Elle ondule, me berce comme une mère qui prend soin de son enfant.. Je flotte entre deux mondes, suspendu dans un fluide épais et chaud, apaisé.
Je reconnais cette sensation.
Et cette couleur...
C''est celle du bijou de la princesse.
Mes yeux s'ouvrent sur l'améthyste qu'elle porte en pendentif. La pierre brûle d'un éclat sauvage, de cette même lumière qui m'a fait revenir d'entre les morts.
Je sens confusément que le cristal est le phare qui me maintient en vie. Il est chargé d'une magie puissante, d'un pouvoir que je n'arrive même pas à concevoir.
Mais il est incapable de faire disparaître ma souffrance.
Elle revient brutalement, implacablement, en même temps que ma conscience. Elle me renverse sous ses flots déferlants, s'abîme dans mes muscles déchirés, déchire mon esprit en quelques îlots isolés.
Mais elle est là pour me soutenir.
Alissa. Mon amour.
Je suis dans les bras de la princesse. Elle a le visage penché vers moi et me soutient, alors que je hurle de douleur vers la pleine lune. Elle semble partager ma peine, me murmure des mots apaisants, que je ne comprends pas.
Les minutes passent, et je finis par reprendre le contrôle de moi-même. Mais je suis trop faible pour ne serait-ce que desserrer les lèvres.
Je gis à même le sol, la tête sur ses genoux, la face vers la lune argentée. Ses longs cheveux noirs me cachent la douceur des étoiles et viennent me chatouiller tendrement. C'est une belle nuit, limpide et profonde. Il n'y a aucun bruit de combat. Mes hommes ont tous disparu. Le champ de bataille est désert, mis à part nous.
Le visage de la princesse est triste et grave, comme chaque soir depuis que je suis revenu. Elle parle calmement, tendrement, presque en chuchotant.
-C'est fini mon amour, me dit-elle. C'est fini. Tout va bien maintenant. Je suis avec toi, pour toujours. Tu n'auras plus à souffrir. Je t'aime, je t'aime, et je t'aimerai encore, pour l'éternité.
Elle n'a pas l'air sure que je l'entende, mais elle continue à parler, plus pour elle-même que pour moi. Chacune de ses phrases est ponctuée de longs silences.
-Je ne savais pas que tu souffrirais à ce point. Comment aurais-je pu l'imaginer ? Personne n'avait jamais fait ce que j'ai fait. Je ne pensais qu'à moi. Je voulais te faire revenir, pour moi, pour pouvoir t'embrasser encore, t'aimer comme avant. Je n'ai pas imaginé que ta douleur pourrait être si grande. J'ai été égoïste mon amour, je ne pouvais souffrir de te perdre. Me pardonneras-tu ?
Son ton devient presque suppliant, alors que de grosses larmes viennent s'écraser contre mon visage. Je voudrais lui répondre, lui dire que tout est pardonné, qu'il n'y a rien à pardonner, que le bonheur de pouvoir l'entendre, la toucher, la combattre même, est bien plus important que la souffrance. Mais mes lèvres, clouées par la douleur, et ne peuvent articuler le moindre son.
Elle reprend en pleurant ouvertement, incapable cette fois d'endiguer sa peine :
-C'est fini mon amour, tu ne souffriras plus. Plus rien ne pourra nous séparer. Nous serons ensemble, pour l'éternité.
Et elle m'embrasse.
Le temps s'arrête alors que ses lèvres chaudes viennent caresser les miennes. J'exulte de bonheur, malgré la douleur qui me paralyse. Même si mes souvenirs sont partis à jamais, je sais que je viens de retrouver pour de bon mon amante, ma princesse, celle sans qui je ne peux vivre. Plus de combats inutiles, nous resterons ensemble, unis dans l'amour, jusqu'à ce que la mort nous sépare.
La sensation de l'acier froid qui s'enfonce entre mes côtes réussit finalement à desceller mes lèvres. Un long soupir s'échappe de ma bouche alors qu'elle retire lentement son visage, et me contemple en pleurant.
-Je t'aime, mon amour. Je serai toujours avec toi.
Je tente de me débattre, secoué jusqu'au plus profond de mon âme par cette trahison, mais elle n'a aucun mal à me maintenir allongé tant je suis faible.
Alissa retire son pendentif, qu'elle pose sur ma poitrine couverte de sang. Elle murmure une formule, et il explose en un millier d'éclats. Toute ma souffrance se retire au même moment, et je sens le démon, libéré, qui retourne vers le royaume des morts avec une promesse muette : je t'attends.
Et alors que la vie s'échappe peu à peu de mon corps et que le monde s'obscurcit, mon regard abandonne lentement le visage si beau, si fin de mon amante, et va se poser sur la lune, énorme, étincelante. Elle nous contemple tristement, comme consciente du drame qui se joue sous ses yeux.
La princesse pose doucement ma tête contre le sol et se met debout.
Elle se découpe comme une ombre dans la lumière de l'astre de la nuit, ses cheveux flottant doucement au vent.
Impuissant, je la vois lever son poignard, cérémonieusement, et le retourner vers elle-même.
Le monde s'arrête, et une dernière pensée traverse mon esprit avant que je ne disparaisse :
J'arrive.