Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Et après ?


Par : DuconMcleod
Genre : Sentimental
Statut : C'est compliqué



Chapitre 2 : Vautours


Publié le 03/06/2010 à 18:41:15 par DuconMcleod

Born in the seventies disait la chanson.

Encore aujourd’hui, ces années fastes évoquent pour beaucoup l’essoufflement du mouvement hippy, du flower power et des trips psychédéliques substances illicites-induits. Une période qui fut marquée par l’ascension de groupes rock désormais mythiques, les Who, AC/DC, Toto pour ne citer qu’eux. Il y eut également la défaite au Vietnam, les deux chocs pétroliers, le scandale du Watergate, la révolution sexuelle. Des années placées sous le signe de l’espoir en somme, bercées par le vent du changement.

Pourtant, il aura fallu que j’atteigne ma vingtième année pour connaitre les faits historiques et culturels marquants qui survinrent en même temps que mes jeunes années. Avant ça, j’aurais bien été incapable de nommer le Président de la République en fonction. C’était tout juste si je savais à quoi correspondait ce titre.

Certes, j’étais né dans les années soixante-dix, mais dans les années soixante-dix d’une autre dimension. Un monde parallèle où les lois et règles de ce que les Ainés appelaient le « monde extérieur » ne semblaient pas avoir cours.

L’école de Dieu, ainsi que les affres de mon enfance, avaient retenu l’attention du grand public lorsque nous nous étions retrouvés sous le feu des projecteurs au milieu des années 90. Des individus d’origines diverses aux intérêts variés cherchèrent à décortiquer mon passé comme on disséquerait une pauvre souris lors d’une séance de travaux pratiques en sciences naturelles. Quelquefois c’étaient des journalistes de grande importance, des sociologues ou des avocats. Mine de rien, notre histoire avait suscité bien des débats enflammés chez les intellectuels de tous bords. Mais dans la plupart des cas, il ne s’agissait que de petites gens, des rapaces qui avaient eu vent de nos péripéties par l’intermédiaire du journal télévisé ou d’un des torchons qu’on vendait pour deux sous à tous les coins de rues. De pauvres bougres qui comblaient la vacuité de leur existence en se passionnant pour la nôtre.

Par exemple, combien de fois m’a- t-on demandé si la colonie, était bien un nid d’aigles perché sur un roc solitaire quelque part dans le sud de la France ? Une véritable forteresse, protégée de chez protégée ? Fallait-il réellement plusieurs jours de marche pour espérer atteindre le bastion de la confrérie ?

En fait de forteresse, la colonie était naturellement protégée par des bosquets de plantes épineuses : ronces, églantiers, aubépines. Bâtie à flanc de montagne, elle s’ouvrait vers le sud sur une large forêt, où nous nous promenions parfois le dimanche, moi, mes frères et mes parents. Des remparts de verdure et de plantes séchées, rien de spécialement efficace ou de particulièrement dissuasif. C’était également un coin facile d’accès pour quiconque avait un cœur et des poumons en état normal de fonctionnement. Une petite route en terre battue qui serpentait parmi les vallons et les cours d’eau assurait la liaison entre la colonie et les bleds voisins. Elle formait un véritable cordon ombilical qui nous permettait de drainer toutes les denrées nécessaires depuis le monde extérieur.

Les petits curieux me demandent aussi souvent : est-ce vrai que nous vivions dans des conditions précaires, avec le minimum vital pour nous loger, et le seul feu de bois pour nous chauffer ?

Pour tout avouer, les petites maisons d’après guerre qui nous servaient de logis possédaient tout ce qui se faisait de plus moderne en matière de technologies. Électricité, chauffage central, eau courante. Evidemment, aucune de ces charmantes petites chaumières n’était dotée du téléphone ou de la télévision. Et je ne parle même pas de la radio. En revanche les intendants de la colonie, les Pères, avaient accès aux différents médias avec parmi eux un journal hebdomadaire qui leur était amené chaque jeudi, en même temps que les denrées périssables. Nous disposions donc de jolies petites maisonnettes confortables et douillettes. Juste ce qu’il fallait, ni plus, ni moins. Une réalité somme toute bien éloignée de l’image « âge de pierre » que se faisait la plupart des gens.

Et alors, les adeptes de questions désagréables insistent. Notre accès à la culture était plutôt restreint, n’est-ce pas ? Difficile de se faire un film ou de dénicher un bon bouquin hein ?

Comme dit, la télévision, la radio et les journaux étaient réservés aux Pères de la colonie. De toute façon vu ce qu’on y diffuse comme aberrations, je n’ai jamais pensé que ce fut une grande perte. Niveau livres, il y avait toujours moyen de trouver son bonheur, à condition de ne pas se passionner exclusivement pour les auteurs du XXème, ou pour tout autre écrivain mort il y a moins de cinquante ans. De même, était prohibé tout ouvrage un tant soit peu sulfureux. Vous pouviez d’emblée oublier Les liaisons dangereuses, Le diable au corps, et les bouquins de ce goût-là. Sans parler des livres érotiques ou carrément pornos. Un des seuls récits d’adultère disponible à la bibliothèque de la colonie était Le rouge et le noir, ce qui représentait en soit un bel effort de tolérance de la part des Pères. Mais pour être honnête, je ne l’ai jamais vu disparaître de l’étagère des romans français du XIXème, et l’hypothèse que quelqu’un eût un jour ne serait-ce que l’envie de l’emprunter m’est toujours apparue comme hautement improbable.
Il y avait aussi un cinéma, où l’on diffusait des films un peu plus récents que les livres. Mais ici encore s’exerçait la censure des Pères de la colonie. La liste des films disponible pour le frère lambda se résumait ainsi à des œuvres sans ambition, des drames romantiques plutôt plats, et quelques Walt Disney pour les enfants. De temps en temps, les pères acceptaient de mettre à disposition de certains jeunes élus des bandes capables de susciter un intérêt réel pour le septième art : Welles, Chaplin, Hitchcock et même Kubrick. D’un coup la carte s’étoffait et alors, nous riions aux éclats en regardant Dr Folamour, retenions notre souffle devant La mort aux trousses et bavions en silence à la vue de Marylin Monroe. Étions-nous les seuls à puiser nos fantasmes de cette source intarissable, la salle de projection ? Certainement pas. En effet, l’abondance des films cachés au grand public alimentait la rumeur qui voulait que les Pères se soient constitués au fil des ans une monumentale cinémathèque, incluant notamment des produits de l’industrie de la pornographie, florissante à cette époque.

Puis ces emmerdeurs de service me posent La question à trois cents: la colonie avait bien été fondé par d’ancien SS ? Le racisme était-il une institution ? La religion omniprésente ? Ils se demandaient également comment tant de gens avaient pu être séduits par un mode de vie aussi réactionnaire.

Mes questions préférées ! Ridicules à souhait. Et pourtant, il faut bien le reconnaitre, elles reposent, à défaut d’être entièrement vrai, sur une demi vérité. Pour avoir mené pas mal de recherches de mon côté sur l’histoire de notre patelin, je peux affirmer que nous n’avons jamais rien eu à voir avec les nazis. Du moins pas directement.

Créée durant le chaos de l’après-guerre, la confrérie était composée de personnages plus ou moins louches avec un lien plus ou moins manifeste avec le gouvernement de Vichy, et qui avaient tout intérêt à voir leurs noms s’éclipser du devant de la scène. Passé trouble sous Pétain et avenir incertains sous De Gaulle, puis sous la convention. Ces hommes et ces femmes, s’ils n’étaient certes pas des agneaux, étaient néanmoins loin d’être des criminels. Ni héroïques pionniers, ni soldats de la mort. Des types au final pas si différents de ceux qui fondèrent les Etats-Unis d’Amérique (cette similitude n’ayant d’ailleurs surement pas échappée à nos ancêtres, ces derniers nommant « colonie » le lieu qu’ils décidèrent d’occuper, là où en réalité, il y avait tout sauf une « colonie »). Le temps passa et on finit par oublier jusqu’à l’existence de ces individus. Certains alors retournèrent dans leurs cités d’origines, lassé de la vie dans les montagnes parmi les bouseux et autres cul-terreux. Ceux qui demeurèrent s’entendirent pour créer un lieu où l’on formerait les enfants des membres de la communauté aux postes les plus prestigieux du marché du travail. Médecins, notaires, professeurs à l’université, managers, etc… Ainsi naquirent la confrérie et L’école de Dieu.

Belle histoire n’est-ce pas ? Je pourrais aussi vous régurgiter la belle légende rose bonbon qu’on m’avait fait avaler de force lorsque j’étais en primaire, mais je pense que vous me serez gré de vous épargner ce tissu de conneries.

Ce n’est pourtant qu’au cours des années 60-70 que la confrérie commença vraiment à prendre de l’importance. Les profonds bouleversements sociaux et culturels qui survinrent durant cette période laissèrent un nombre incroyable de gens en désarroi spirituel. Des individus, prêt à se vouer corps et âme à la cause absurde de n’importe quel minable, pour peu qu’il ait eu l’air inspiré par quelque puissance divine. Parmi ces minables, il y avait les Pères de la colonie. Parmi ces gens influençable, il y avait mes parents. Je suis sur que vous avez déjà rencontré ces jeunes qui en peu de temps passent de la casquette Lacoste et du pull Airness au pantalon de skateur et au t-shirt Metallica. Vous visualisez le spécimen ? Et bien revenez quarante ans en arrière et vous obtenez mes géniteurs. De parfaits pigeons pour les requins de la colonie. Il avait ainsi suffit du babillage d’un recruteur pour que ceux-ci confient leur avenir à L’école de Dieu. Le pacte démoniaque signé, ces derniers troquèrent leur fût baba cool à pattes d’éléphant, leurs gilets afghans ainsi que le patchouli contre la tunique sobre de la colonie, et leur philosophie karma contre la bonne vieille morale chrétienne.
Mes parents, ces grands enfants qui n’avaient jamais franchement désiré franchir le ruisseau ténu qui les séparaient du monde des adultes. Liés désormais à la confrérie pour l’éternité. Et plus si affinités.

Enfin, les plus tenaces de ces parasites de la souffrance, ces mêmes gens qui s’arrêtent à chaque accident de la route pour espérer apercevoir le macchabé tout cramé du conducteur, ces drogués de la peine me demandent : vous ne pouviez être heureux n’est-ce pas ?

Je vivais dans les montagnes, avec plein d’espace libre pour courir et jouer lorsqu’on me le permettait. J’étais sous la tutelle de parents immatures certes, mais aimant comme pas deux. Autour de la colonie il y avait des chutes d’eaux d’une beauté sans pareille, des forêts ou l’on pouvait, comble de l’émerveillement, voir s’ébattre des animaux sauvages. L’été, allongés dans les prés, on regardait dans la douceur du soir le soleil disparaître derrière les montagnes, et l’hiver on cueillait les stalactites qui pendaient aux toits des bâtisses, persuadés de détenir entre nos mains des trésors d’une valeur inestimable. Nous vivions en plein milieu d’un paysage tout ce qu’il y a de plus romantique, un lieu idéal pour passer une enfance rêvée.

Si seulement ça avait été si simple.

En vérité, j’ai bien vécu mon enfance. Si elle a pu être malheureuse, ce ne fut pas à cause des raisons grossières que les trois quarts des gens imaginent. Et ce n’est que parvenu à l’âge adulte que j’ai vraiment entrevu la mutilation lente et minutieuse dont j’avais fait l’objet. Pourtant lorsque les vautours m’interrogent sur mon passé, j’ai pris l’habitude de toujours leur donner une réponse affirmative.

Vos parents vous battaient ? Oui. Étiez-vous le souffre-douleur de vos frères ? Eh oui.

Je ne souhaite pas qu’on me plaigne, qu’on me vienne en aide et je n’ai que faire de leur foutue compassion factice. Je veux juste qu’on me laisse en paix, qu’on ne me force pas à répondre jusqu’à la fin de mes jours aux mêmes questions. Les gens, quand ils voient briller leurs craintes au fond de votre œil, lorsque d’un coup vous incarnez leurs frayeurs et rendez plausible ce qui pour eux relevait du pur cauchemar, alors ils se taisent. Alors ils portent leurs mains à leur bouche, comme pour retenir un cri muet. Alors les gens, ils vous jettent un regard mi intrigué, mi apeuré, et murmurent un « je suis désolé, j’aurais pas cru, c’est vraiment terrible, Jésus Marie Joseph » (rayez la mention inutile).

On vous forçait à prendre de la drogue ? Oui. Vous avez subi des attouchements sexuels ? Oui. Oui. Oui.

Je me surprends même parfois à en rajouter, espérant combler les attentes tacites de mes interlocuteurs.

Vos parents buvaient ? Oui, et ils me faisaient participer, rendez vous compte à cinq ans j’avais déjà connu une vingtaine de cuite. Une vingtaine ! Est-ce vrai que les membres de la colonie s’échangeaient leurs épouses ? Oh oui, et nous étions en plus forcés d’assister à leurs ébats, quelle tragédie !

Au fond pour eux, peu importe que mes récits reflètent la réalité ou non, ce qui compte, c’est d’avoir la possibilité de relater lors du repas dominical, ou d’une soirée huppée entre amis ou collègues de boulots, avec moult détails sordides la triste histoire des rescapés de la colonie. Façon comme une autre de se donner une contenance.

Ces gens, je me demande parfois s’ils ne recherchent pas tout simplement quelqu’un d’un petit plus malheureux qu’eux.


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