Charlotte.

Elle commença à courir devant moi tout en me faisant signe de la suivre. Je n'ai pas hésité un instant, je ne le regrette à aucun moment. J'aurai pu choisir de partir et de dire non à tout ça, mais Charlotte m'offrait un présent que je ne connaissais pas et que je brûlais d'envie d'étreindre à en perdre souffle. J'ai mis mes pas dans les siens pour la rejoindre.

Elle courait droit devant, au milieu de la route déserte, tandis que sonnait neuf heures. Tout était vide ce soir. Sauf elle, tellement vivante dans sa course folle. Je ne savais pas où j'allais mais je m'en moquais tant que sa main tenait la mienne. Si elle m'avait dit d'aller au bout du monde avec elle, j'aurais acheté les billets sur le champ !

Nous sommes arrivés dans un petite clairière près de la ville. Elle m'a montré de la tête une petite chaumière pour me dire qu'on était arrivé. L'endroit était vétuste et à l'intérieur se tenait une discussion animé entre deux hommes. Charlotte a ouvert la porte brusquement. Et j'ai découvert deux jeunes de mon âge, du moins d'un âge proche. La même détermination farouche dans leurs yeux que dans ceux de Charlotte. Les deux hommes se sont tus en me voyant. Le plus grand, un punk à la crête rouge, le corps décharné a reniflé bruyamment ; le plus petit, le crâne rasé, s'est avancé vers Charlotte pour la prendre à part.

- C'est qui le keum ?
- T'inquiète. C'est mon Jules ! Il est des nôtres !

J'ai reculé d'un air sceptique. Je me sentais pas du tout à l'aise dans cet univers à mille lieux du mien. Je commençais à manquer d'air. Depuis que j'étais tout petit, je vivais fréquemment des crises d'angoisse lorsque je sentais la situation m'échapper. « Troubles paniques » avait diagnostiqué le médecin de famille pour mes 8 ans, « Il faudra apprendre à vivre avec. On finit tous par crever de toute façon. » Ce qui avait alors achever de me traumatiser à vie.

- T'fais quoi d'ta vie ? cracha le punk.
- Je suis lycéen en TL.
- T'es rien quoi...

Le punk renifla de nouveau en regardant Charlotte. Ma tête de jeune bourgeois ne lui revenait sans doute pas. Pour ma défense, je ne l'étais pas, bourgeois, mais on me reprochait souvent d'en donner l'impression. Un fâcheux petit air de supériorité qui m'avait parfois attiré des ennuis auprès de gens plus costauds que moi. Autre souvenir d'enfance... Freud avait raison en disant que tout se joue à cet âge là.

- Relax Will, tempéra Charlotte, il demande que ça de faire ses preuves. Et si vous l'acceptez pas, c'est moi qui me casse.
- Faut lui faire l'épreuve ! s'écria Will le punk.
- On a jamais eu d'épreuve, remarqua le garçon au crâne rasé.
- Hash n'a pas tort. On en a jamais eu.
- Faut dire qu'on a jamais ramené notre plan cul dans le groupe ! rétorqua Will.
- T'es con parfois !

Charlotte regardait Will, Will me regardait et moi je cherchais désespérément à croiser le regard de Charlotte. Quand Hash, il commençait calmement à rouler un pétard. La scène se poursuivit pendant une minute, où chacun regardait les autres en chiens de faïence, quand Hash prit enfin la parole tout en tirant sur sa beuh.

- Donne ta main mec.

J'ai regardé Charlotte angoissé. Je ne savais pas quoi faire, ces deux là ne m'inspirait aucune confiance.

- Donne lui ta main Simon.

J'ai alors tendu ma main à ce type qui avait une gueule de facho. Ca ne collait pas pourtant, un punk et un facho ne font jamais bon ménage. Hors ces deux là avaient l'air de très bien se connaître et s'apprécier. Et Charlotte dans tout ça ? Qu'est ce qu'elle faisait avec eux ? J'eus à peine le temps de songer à tout ça, il m'attrapa la main et la claqua contre la table en bois.

- Va chercher le bidon Will !
- Oh ! Vous faîtes quoi là ?

Ca y est la peur commençait à m'envahir. Mes muscles se tétanisèrent, je ne pouvais plus bouger et la respiration devenait difficile. Même si je l'avais voulu, je n'aurais pas pu prendre la fuite.

- T'as déjà vu Fight Club ? demanda Will en ouvrant le bidon juste à côté de moi. T'sais la scène où Tyler Durden brûle la main du narrateur à l'acide.
- Non ! Déconnez pas ! Faîtes pas ça.

Je pouvais pas bouger. J'en étais incapable, j'ai lancé un regard peureux à Charlotte qui me regardait en se mordant les lèvres. Pourquoi ne faisait-elle rien ? J'ai eu le déclic ! En voyant Charlotte, je me suis senti plus grand devant les deux tordus. J'ai regardé Will droit dans les yeux.

- Fais le...