Note de la fic :
Publié le 23/11/2015 à 22:07:56 par Sheyne
La technique porta ses fruits. Arrosé dans l'oeil, le géant grogna et se frotta le visage en titubant. Il n'en fallut pas plus au Roi pour se libérer de l'emprise et répliquer.
Sa nouvelle forme était bien plus rapide qu'il ne l'imaginait. En un instant, son poing alla écraser la glotte du monstre qui recula d'un pas. Le menton fut alors visé et la mâchoire claqua. L'effet fut direct : le géant grogna, blessé par l'uppercut, mais ce ne fut pas le seul mis à mal. La jeune femme étouffa un cri, le poignet meurtri par les deux coups envoyés, avec la résolue impression de frapper une montagne.
«Sale petite conne ! »
L'ours ragea. Intimidé, il bondit en arrière et tenta de dégainer une rapière sur son flanc droit. Ses gestes étaient patauds et trop lents. Alors, le Roi prit appui sur le mur dans son dos. Avant de s'en rendre compte, il fusait déjà à travers la pièce. L'espace qui le séparait du colosse fut avalé en un instant et son pied s'écrasa violemment sur les côtes, vidant tout l'air de ses poumons.
L'âme prisonnière exultait tant elle se découvrait de nouvelles capacités. Ce corps se rappelait tous les réflexes emmagasinés par son précédent propriétaire et ses mouvements incroyablement fluides lui permettaient des prouesses grisantes.
Envahi par l'adrénaline, tout s'enchaina. Le roi esquiva un monstrueux coup de coude défensif qui l'aurait fendu en deux s'il n'avait eu la souplesse pour prendre du recul. Mais le saut de côté laissa trop de possibilités au géant. Libre de ses mouvements, celui-ci acheva de sortir son fleuret qu'il pointa aussitôt comme une arme toute puissante. Toute l'action n'avait duré que quelques secondes, mais une nouvelle fois l'équilibre des forces était renversé. Gagner du temps ne servait à rien, les batailles d'auberge étant monnaie courante. Les deux camps prirent tout de même un moment pour souffler : "Alors, tu l'as vendu ?! - Le géant pesta - dis-moi à qui. Je t'épargnerai peut-être."
Le Seigneur retrouva sa respiration tout en assurant une distance satisfaisante entre lui et l'épée. Une des réponses a ses questions venait de tomber, enfin. Cette garce de voleuse avait piqué ce collier pour le compte de ce monstre velu. S'il n'était pas apparu en s'arrêtant au milieu de la route, il ne faisait aucun doute qu'elle aurait pu rejoindre ce "point de rendez-vous" sans encombre.
Seulement en l'état actuel des choses, il lui fallait juste se reposer et trouver comment retourner au palais. Le colosse n'était qu'un obstacle de plus dont il devait se débarrasser. Sa voix aiguë éclata donc :
«Ton foutu bijou, je l'ai rendu a son propriétaire, maintenant casse-toi et va le chercher toi-même. »
Comme un coq, le Roi roula des mécaniques dans un geste qui se voulait viril et impressionnant. Il secouait la tête de haut en bas en bombant le torse. Son visage féminin quant à lui arborait une mimique machiste. Ce qui n'était que pur automatisme dans son ancienne vie devint alors source de raillerie. L'ours haussa un sourcil en beuglant :
«Quoi ?! T'arrives à me résister et tu me dis que t'as pas réussi à voler un pauvre bouseux ? Mais... hey ! Arrête de bouger comme ça...
— Non, tu vois. »
Prenant conscience du grotesque de ses actions et stimulé par l'adrénaline, le souverain poussa le ridicule au maximum. Maintenant, il espérait juste déstabiliser assez son adversaire pour créer une faille dans sa garde. Sa voix faussement grave improvisa donc avec l'accent du coin et tout le sérieux du monde :
«La vérité c'est que je leur ai juste cassé la gueule dans une ruelle, tu vois. Je les ai explosés, mais genre littéralement. Pis j'les ai trainés dans la boue pour leur montrer ta force. Seulement, je suis une gentille fille tu sais, j'ai eu pitié. Alors peut-être que je n’aurai pas dû le leur laisser, ce pendentif. Mais j't'ai préparé le terrain... hmm... mec ! Et ça, ça compte ! T'as juste à y aller ! Parole !
— Putain je rêve ! Mais tu crois te payer ma tronche avec ton histoire et tes gestes à la con, salope ?! Sais-tu au moins qui m'a embauché ?! Les hauts gradés impériaux ne tolèrent aucun échec, c'est la contrepartie du paiement que tu as déjà reçu ! »
Brusquement, le Roi se ressaisit. L'ancien propriétaire du corps accomplissait une requête d'une personne importante et ça, c'était vraiment une information pertinente. Information qui de plus s'emboitait parfaitement dans ses plans. En l'approchant, il s'approchait aussi du palais. S'il ramenait son bijou a ce noble, peut être qu'il aurait une chance de le convaincre de son identité ou du moins de l'utiliser comme tremplin. C'était à tenter et une si grosse piste offerte si facilement ne pouvait qu'être saisie au vol.
Son intérêt nouveau et son changement d'attitude furent perçus par le géant qui lança un dernier avertissement, avide, mais peu enclin à se risquer dans un autre round après que la tension ait autant diminué :
«Tu commences à peine à te faire un nom dans le milieu. Alors, par respect pour ton agilité et notre contrat, si tu règles ça avant le lever du soleil je ferai l'impasse sur tes talents d'actrice et tes mensonges déplorables. Tu me laisses ta part à venir, tu restes en vie et je raconte rien de cette histoire. T'en dis quoi ? »
L'intéressé se balança d'un pied sur l'autre et le parquet grinça. Luttant intérieurement, le Roi se rendit à l'évidence. Même si l'arrogance de son adversaire le piquait au plus haut point, même si le marché était terriblement désavantageux et que sa seule envie sur l'instant était de retourner combattre pour se défouler et oublier sa misère, ce n'était pas la bonne voie. Il était d'ailleurs surpris lui même de faire part d'autant de retenue, alors qu'hier encore il aurait cédé à ses pulsions.
Se maîtriser lui permettrait d'atteindre un dessein plus grand et puis plus tard il aurait tout le loisir de revenir avec une armée pour traquer ce chien. Dans l'instant, il prit donc ce qui semblait être la bonne décision, d'autant plus qu'il n'avait rien a foutre de sa "part" des sous :
«J'accepte, mais je tiens à remettre personnellement le collier.
— Ce qui n'est absolument pas dans les accords, il s'agit de mon contact personnel, tu n'es qu'une merde, un pion entre mes mains.
— Ah mais t'as pas le choix. C'est ça ou tu tentes de me tuer maintenant. Mais tu n'as pas intérêt à te manquer. - D'un mouvement du menton, il désigna la rapière. - Ton "jouet" est bien beau, mais un coup d'estoc risque de manquer une cible rapide. Et puis... tu te mettras en danger toi même sur le terrain si je ne prends pas les risques à ta place. J'imagine que c'est pour ça que tu es venu ici de toute manière, pour me forcer à y retourner sous la menace. »
Bien entendu, le colosse aurait aussi bien pu engager quelqu'un d'autre. Mais la nuit approchait et le temps avait l'air de lui faire défaut. Alors l'ours hurla. Martelant les planches a ses pieds il capitula finalement en grognant :
«Putain de salope de merde ! Très bien... Je reviens dans quelques heures le temps de retrouver ce bâtard. Mais je te mets au jus, pétasse, tout transite par moi ici. Si j'ai réussi à te retrouver une fois il me serait facile de le faire encore. Essaie de t'enfuir et on verra si t'arrives à esquiver mon "jouet" pendant que tu dors. Drôle de réveil. »
En quittant la pièce, il s'exclama une dernière fois :
«Et bon appétit ma belle. »
La porte claqua violemment et tout fut fini. La jeune femme resta seule au milieu de la chambre miteuse. S'il n'y avait eu la dégoutante odeur persistante de sueur masculine elle aurait juré être victime d'hallucinations passagères. À bien y réfléchir, la scène avait été tellement étrange...Un gros malade vient la tuer... Et finalement non, il décide de repartir sans l'avoir touché une fois, il faisait juste semblant pour la menacer. De plus maintenant elle savait exactement quoi faire. On lui donne un but à atteindre, comme ça, une opportunité lui tombe du ciel...
Celle du karma peut être, l'occasion de montrer a quel point son âme est digne de reprendre son trône ! Oui, après tout c'était lui le héros de l'histoire, de par sa condition divine il était normal que le destin lui offre toutes les chances de retrouver sa place.
Le roi prit une grande inspiration pour calmer les palpitations de son coeur. Bien qu'heureux des prouesses de son nouveau corps, celui-ci paraissait terriblement émotif. La phase de danger passée, ses jambes se mirent à trembler et ses yeux s'embuèrent sans qu'il ne puisse les contrôler. Un mal-être le gagna : le sang pulsait à ses oreilles et chacune des émotions semblait contrarier ses véritables sentiments. Tout s'ordonnait comme si à nouveau son anatomie imposait sa propre volonté en outrepassant ses pensées.
Seulement deux minutes plus tard, tout rentra dans l'ordre. Il mit simplement ça sur le compte de la condition féminine et se vida tête. Après un dernier tour devant le miroir pour s'assurer d'être présentable, il franchit le seuil de la pièce. Les escaliers filèrent sous ses pas et le virent débouler dans la salle commune, la tête haute.
«La voilà ! L'aubergiste appela, tout sourire. Ton ami a été rapide, dit ! Tu en as de la chance... un homme aussi musclé.
— Ce n'est pas mon ami... Grogna-t-il.
— Vraiment ? - Son visage devint plus sombre - Alors s'il te plait, fais tes "affaires" ailleurs, tu n'es pas dans un bordel ici.
— Pardon ?! Que... quoi ! Non ! Ce n'était pas l'objet de sa visite... »
L'aubergiste voyant la jeune femme scandalisée en face d'elle, elle partit d'un grand éclat de rire, avouant plaisanter joyeusement. Une nouvelle question s'imposa au roi. Un moment, il tenta de l'ignorer, jugé comme absurde en raison de la pauvreté du quartier, mais la cupidité fut plus forte :
«Dites, comment faites-vous pour être aussi heureuse dans pareil... »
Il voulut rajouter "dans pareil dépotoir", et évoquer la masse informe qui lui servait de corps, mais il se retint juste à temps. La grasse propriétaire prit un instant pour réfléchir, avant de balancer simplement :
«Dans pareil quartier, hein... Cet étage n'est pas le meilleur c'est vrai, mais tu sais ce n'est pas le pire. Rapport a la satisfaction j'avoue que je ne me suis jamais posé la question, je me contente de vivre... Mais oh ! Tu es si jolie tu sais, c'est vraiment triste de gâcher ton temps à te demander tout ça. Le bonheur est souvent dans les petites choses du quotidien. Pourquoi ne pas juste profiter du moment présent en dégustant un bon petit plat, hein ?! - Elle piqua la jeune femme du doigt – T'es toute maigre tu peux bien avaler quelque chose ! »
Le Seigneur fronça les sourcils affichant un minois contrarié, l'autre déblatérait des conneries sur le bonheur... Elle prenait obligatoirement des drogues en douce pour être heureuse dans un physique pareil. Il commença à s'énerver et son ton devint perçant :
«Vous me faites marcher ! Vous me dites que vous ne vendez pas d'ékstasis ? Ou peut-être bien que vous ne voulez pas m'en donner ?!
— Oh je vois ! L'aubergiste tapa du plat de la main, visiblement éclairé quant au sujet exact de la conversation. C'était donc là que tu voulais en venir ! Et bien, si tu en veux, y'a bien un garde qui en vend dans le quartier... une marron ! Mais vu la qualité ça va te couter très cher... Et puis entre nous... - un clin d'oeil encourageant – on a l'habitude de saupoudrer un peu d'ataraxia dans la bière. Ce n’est peut-être pas ce que tu cherches, mais ça a le mérite de satisfaire les gens. Ils causent moins de pagaille et nos plats ont meilleur goût ! »
Le roi laissa tomber, dépité. Une bouffée d'air filtra entre ses lèvres et ses mains frêles embarquèrent le plat ainsi qu'un pichet d'alcool local. Marron... De l'ekstasis marron... Vendre un truc pareil devrait être interdit... Comment allait-il faire lui maintenant, condamné au malheur éternel. Il déplora presque ses souvenirs. La félicité sans limites dans laquelle il se plongeait hier encore lui paraissait si lointaine... Il se sentait comme un humain apercevant une seule fois le soleil et aveuglé à jamais. Vraiment, il regrettait d'avoir atteint pareille beauté pour en être privé aujourd'hui. La vie ne lui souriait pas. Il lui fallait récupérer son trône au plus vite, plutôt crever que de passer le reste de ses jours noyé dans ces sous-émotions affreuses, plutôt que de vivre comme cette foutue tenancière.
Mais peu à peu, la bière l'apaisa. Les discussions allaient bon train, une dizaine de personnes occupaient l'auberge, six hommes, trois femmes et lui même. Il avait pris la liberté de se poser dans un coin de la pièce au lieu de parler aux bouseux qui alimentaient l'allégresse générale. Cela lui permettait d'observer la scène sans qu'on le regarde trop. Il n'aimait pas la manière dont les hommes semblaient l'inspecter de haut en bas en épiant toujours plus bas que ses yeux.
La douce rougeur, caractéristique du soir tombant, teintait les larges fenêtres d'écarlate. Un grand feu brulait dans l'âtre de pierre et les tables de bois occupaient la majeure partie de l'espace. Presque tout était en bois dans la cité... à cause de la présence de l'arbre. Ses capacités de régénération étant inouïe et ses racines innombrables, les carrières de bois étaient aussi abondantes qu'infinies. Malgré tout, quelques matériaux nécessaires se faisaient plus précieux d'année en année. À commencer par la pierre ininflammable, mais aussi le métal des installations électriques, la céramique, le charbon, le gaz... Les dérivés des produits de l'ancien temps, que seuls quelques éminents scientifiques arrivaient encore à transformer ou remettre en marche. Les puissants générateurs mus par le soleil, ou la centrale d'épuration en étaient un parfait exemple. Au moins trois fois centenaire, si parvenait toujours à les maintenir en fonctionnement c'était par pur miracle. Un de ces jours, ils faibliraient sans que l'on puisse en changer les pièces et les paliers inférieurs seraient condamnés.
Lui, en tant que Seigneur de ce monde, avait eu la meilleure éducation possible. Il pouvait se targuer d'être l'un des plus éminents savants d'Yggdrasil. Mais il fallait se rendre à l'évidence, le savoir qui n'avait pu être reconquis après l'apocalypse se perdait inexorablement.
Le flot de ses pensées cessa lorsque la dernière goutte de liquide fut avalée. Rien n'aurait pu lui faire toucher à son plat, mais l'action de l'alcool mêlé d'atarax sur son estomac vide eut un puissant effet sédatif. L'esprit lavé et enivré, la récente jeune femme traina son corps trop mince jusqu'à son lit. Elle put y dormir six heures, avant qu'un Ours ne surgisse des ombres pour l'embarquer vers la dure réalité des bas plateaux.
Au coeur du crépuscule nocturne, l'âme perdue s'engagea sur la route de son destin.
Sa nouvelle forme était bien plus rapide qu'il ne l'imaginait. En un instant, son poing alla écraser la glotte du monstre qui recula d'un pas. Le menton fut alors visé et la mâchoire claqua. L'effet fut direct : le géant grogna, blessé par l'uppercut, mais ce ne fut pas le seul mis à mal. La jeune femme étouffa un cri, le poignet meurtri par les deux coups envoyés, avec la résolue impression de frapper une montagne.
«Sale petite conne ! »
L'ours ragea. Intimidé, il bondit en arrière et tenta de dégainer une rapière sur son flanc droit. Ses gestes étaient patauds et trop lents. Alors, le Roi prit appui sur le mur dans son dos. Avant de s'en rendre compte, il fusait déjà à travers la pièce. L'espace qui le séparait du colosse fut avalé en un instant et son pied s'écrasa violemment sur les côtes, vidant tout l'air de ses poumons.
L'âme prisonnière exultait tant elle se découvrait de nouvelles capacités. Ce corps se rappelait tous les réflexes emmagasinés par son précédent propriétaire et ses mouvements incroyablement fluides lui permettaient des prouesses grisantes.
Envahi par l'adrénaline, tout s'enchaina. Le roi esquiva un monstrueux coup de coude défensif qui l'aurait fendu en deux s'il n'avait eu la souplesse pour prendre du recul. Mais le saut de côté laissa trop de possibilités au géant. Libre de ses mouvements, celui-ci acheva de sortir son fleuret qu'il pointa aussitôt comme une arme toute puissante. Toute l'action n'avait duré que quelques secondes, mais une nouvelle fois l'équilibre des forces était renversé. Gagner du temps ne servait à rien, les batailles d'auberge étant monnaie courante. Les deux camps prirent tout de même un moment pour souffler : "Alors, tu l'as vendu ?! - Le géant pesta - dis-moi à qui. Je t'épargnerai peut-être."
Le Seigneur retrouva sa respiration tout en assurant une distance satisfaisante entre lui et l'épée. Une des réponses a ses questions venait de tomber, enfin. Cette garce de voleuse avait piqué ce collier pour le compte de ce monstre velu. S'il n'était pas apparu en s'arrêtant au milieu de la route, il ne faisait aucun doute qu'elle aurait pu rejoindre ce "point de rendez-vous" sans encombre.
Seulement en l'état actuel des choses, il lui fallait juste se reposer et trouver comment retourner au palais. Le colosse n'était qu'un obstacle de plus dont il devait se débarrasser. Sa voix aiguë éclata donc :
«Ton foutu bijou, je l'ai rendu a son propriétaire, maintenant casse-toi et va le chercher toi-même. »
Comme un coq, le Roi roula des mécaniques dans un geste qui se voulait viril et impressionnant. Il secouait la tête de haut en bas en bombant le torse. Son visage féminin quant à lui arborait une mimique machiste. Ce qui n'était que pur automatisme dans son ancienne vie devint alors source de raillerie. L'ours haussa un sourcil en beuglant :
«Quoi ?! T'arrives à me résister et tu me dis que t'as pas réussi à voler un pauvre bouseux ? Mais... hey ! Arrête de bouger comme ça...
— Non, tu vois. »
Prenant conscience du grotesque de ses actions et stimulé par l'adrénaline, le souverain poussa le ridicule au maximum. Maintenant, il espérait juste déstabiliser assez son adversaire pour créer une faille dans sa garde. Sa voix faussement grave improvisa donc avec l'accent du coin et tout le sérieux du monde :
«La vérité c'est que je leur ai juste cassé la gueule dans une ruelle, tu vois. Je les ai explosés, mais genre littéralement. Pis j'les ai trainés dans la boue pour leur montrer ta force. Seulement, je suis une gentille fille tu sais, j'ai eu pitié. Alors peut-être que je n’aurai pas dû le leur laisser, ce pendentif. Mais j't'ai préparé le terrain... hmm... mec ! Et ça, ça compte ! T'as juste à y aller ! Parole !
— Putain je rêve ! Mais tu crois te payer ma tronche avec ton histoire et tes gestes à la con, salope ?! Sais-tu au moins qui m'a embauché ?! Les hauts gradés impériaux ne tolèrent aucun échec, c'est la contrepartie du paiement que tu as déjà reçu ! »
Brusquement, le Roi se ressaisit. L'ancien propriétaire du corps accomplissait une requête d'une personne importante et ça, c'était vraiment une information pertinente. Information qui de plus s'emboitait parfaitement dans ses plans. En l'approchant, il s'approchait aussi du palais. S'il ramenait son bijou a ce noble, peut être qu'il aurait une chance de le convaincre de son identité ou du moins de l'utiliser comme tremplin. C'était à tenter et une si grosse piste offerte si facilement ne pouvait qu'être saisie au vol.
Son intérêt nouveau et son changement d'attitude furent perçus par le géant qui lança un dernier avertissement, avide, mais peu enclin à se risquer dans un autre round après que la tension ait autant diminué :
«Tu commences à peine à te faire un nom dans le milieu. Alors, par respect pour ton agilité et notre contrat, si tu règles ça avant le lever du soleil je ferai l'impasse sur tes talents d'actrice et tes mensonges déplorables. Tu me laisses ta part à venir, tu restes en vie et je raconte rien de cette histoire. T'en dis quoi ? »
L'intéressé se balança d'un pied sur l'autre et le parquet grinça. Luttant intérieurement, le Roi se rendit à l'évidence. Même si l'arrogance de son adversaire le piquait au plus haut point, même si le marché était terriblement désavantageux et que sa seule envie sur l'instant était de retourner combattre pour se défouler et oublier sa misère, ce n'était pas la bonne voie. Il était d'ailleurs surpris lui même de faire part d'autant de retenue, alors qu'hier encore il aurait cédé à ses pulsions.
Se maîtriser lui permettrait d'atteindre un dessein plus grand et puis plus tard il aurait tout le loisir de revenir avec une armée pour traquer ce chien. Dans l'instant, il prit donc ce qui semblait être la bonne décision, d'autant plus qu'il n'avait rien a foutre de sa "part" des sous :
«J'accepte, mais je tiens à remettre personnellement le collier.
— Ce qui n'est absolument pas dans les accords, il s'agit de mon contact personnel, tu n'es qu'une merde, un pion entre mes mains.
— Ah mais t'as pas le choix. C'est ça ou tu tentes de me tuer maintenant. Mais tu n'as pas intérêt à te manquer. - D'un mouvement du menton, il désigna la rapière. - Ton "jouet" est bien beau, mais un coup d'estoc risque de manquer une cible rapide. Et puis... tu te mettras en danger toi même sur le terrain si je ne prends pas les risques à ta place. J'imagine que c'est pour ça que tu es venu ici de toute manière, pour me forcer à y retourner sous la menace. »
Bien entendu, le colosse aurait aussi bien pu engager quelqu'un d'autre. Mais la nuit approchait et le temps avait l'air de lui faire défaut. Alors l'ours hurla. Martelant les planches a ses pieds il capitula finalement en grognant :
«Putain de salope de merde ! Très bien... Je reviens dans quelques heures le temps de retrouver ce bâtard. Mais je te mets au jus, pétasse, tout transite par moi ici. Si j'ai réussi à te retrouver une fois il me serait facile de le faire encore. Essaie de t'enfuir et on verra si t'arrives à esquiver mon "jouet" pendant que tu dors. Drôle de réveil. »
En quittant la pièce, il s'exclama une dernière fois :
«Et bon appétit ma belle. »
La porte claqua violemment et tout fut fini. La jeune femme resta seule au milieu de la chambre miteuse. S'il n'y avait eu la dégoutante odeur persistante de sueur masculine elle aurait juré être victime d'hallucinations passagères. À bien y réfléchir, la scène avait été tellement étrange...Un gros malade vient la tuer... Et finalement non, il décide de repartir sans l'avoir touché une fois, il faisait juste semblant pour la menacer. De plus maintenant elle savait exactement quoi faire. On lui donne un but à atteindre, comme ça, une opportunité lui tombe du ciel...
Celle du karma peut être, l'occasion de montrer a quel point son âme est digne de reprendre son trône ! Oui, après tout c'était lui le héros de l'histoire, de par sa condition divine il était normal que le destin lui offre toutes les chances de retrouver sa place.
Le roi prit une grande inspiration pour calmer les palpitations de son coeur. Bien qu'heureux des prouesses de son nouveau corps, celui-ci paraissait terriblement émotif. La phase de danger passée, ses jambes se mirent à trembler et ses yeux s'embuèrent sans qu'il ne puisse les contrôler. Un mal-être le gagna : le sang pulsait à ses oreilles et chacune des émotions semblait contrarier ses véritables sentiments. Tout s'ordonnait comme si à nouveau son anatomie imposait sa propre volonté en outrepassant ses pensées.
Seulement deux minutes plus tard, tout rentra dans l'ordre. Il mit simplement ça sur le compte de la condition féminine et se vida tête. Après un dernier tour devant le miroir pour s'assurer d'être présentable, il franchit le seuil de la pièce. Les escaliers filèrent sous ses pas et le virent débouler dans la salle commune, la tête haute.
«La voilà ! L'aubergiste appela, tout sourire. Ton ami a été rapide, dit ! Tu en as de la chance... un homme aussi musclé.
— Ce n'est pas mon ami... Grogna-t-il.
— Vraiment ? - Son visage devint plus sombre - Alors s'il te plait, fais tes "affaires" ailleurs, tu n'es pas dans un bordel ici.
— Pardon ?! Que... quoi ! Non ! Ce n'était pas l'objet de sa visite... »
L'aubergiste voyant la jeune femme scandalisée en face d'elle, elle partit d'un grand éclat de rire, avouant plaisanter joyeusement. Une nouvelle question s'imposa au roi. Un moment, il tenta de l'ignorer, jugé comme absurde en raison de la pauvreté du quartier, mais la cupidité fut plus forte :
«Dites, comment faites-vous pour être aussi heureuse dans pareil... »
Il voulut rajouter "dans pareil dépotoir", et évoquer la masse informe qui lui servait de corps, mais il se retint juste à temps. La grasse propriétaire prit un instant pour réfléchir, avant de balancer simplement :
«Dans pareil quartier, hein... Cet étage n'est pas le meilleur c'est vrai, mais tu sais ce n'est pas le pire. Rapport a la satisfaction j'avoue que je ne me suis jamais posé la question, je me contente de vivre... Mais oh ! Tu es si jolie tu sais, c'est vraiment triste de gâcher ton temps à te demander tout ça. Le bonheur est souvent dans les petites choses du quotidien. Pourquoi ne pas juste profiter du moment présent en dégustant un bon petit plat, hein ?! - Elle piqua la jeune femme du doigt – T'es toute maigre tu peux bien avaler quelque chose ! »
Le Seigneur fronça les sourcils affichant un minois contrarié, l'autre déblatérait des conneries sur le bonheur... Elle prenait obligatoirement des drogues en douce pour être heureuse dans un physique pareil. Il commença à s'énerver et son ton devint perçant :
«Vous me faites marcher ! Vous me dites que vous ne vendez pas d'ékstasis ? Ou peut-être bien que vous ne voulez pas m'en donner ?!
— Oh je vois ! L'aubergiste tapa du plat de la main, visiblement éclairé quant au sujet exact de la conversation. C'était donc là que tu voulais en venir ! Et bien, si tu en veux, y'a bien un garde qui en vend dans le quartier... une marron ! Mais vu la qualité ça va te couter très cher... Et puis entre nous... - un clin d'oeil encourageant – on a l'habitude de saupoudrer un peu d'ataraxia dans la bière. Ce n’est peut-être pas ce que tu cherches, mais ça a le mérite de satisfaire les gens. Ils causent moins de pagaille et nos plats ont meilleur goût ! »
Le roi laissa tomber, dépité. Une bouffée d'air filtra entre ses lèvres et ses mains frêles embarquèrent le plat ainsi qu'un pichet d'alcool local. Marron... De l'ekstasis marron... Vendre un truc pareil devrait être interdit... Comment allait-il faire lui maintenant, condamné au malheur éternel. Il déplora presque ses souvenirs. La félicité sans limites dans laquelle il se plongeait hier encore lui paraissait si lointaine... Il se sentait comme un humain apercevant une seule fois le soleil et aveuglé à jamais. Vraiment, il regrettait d'avoir atteint pareille beauté pour en être privé aujourd'hui. La vie ne lui souriait pas. Il lui fallait récupérer son trône au plus vite, plutôt crever que de passer le reste de ses jours noyé dans ces sous-émotions affreuses, plutôt que de vivre comme cette foutue tenancière.
Mais peu à peu, la bière l'apaisa. Les discussions allaient bon train, une dizaine de personnes occupaient l'auberge, six hommes, trois femmes et lui même. Il avait pris la liberté de se poser dans un coin de la pièce au lieu de parler aux bouseux qui alimentaient l'allégresse générale. Cela lui permettait d'observer la scène sans qu'on le regarde trop. Il n'aimait pas la manière dont les hommes semblaient l'inspecter de haut en bas en épiant toujours plus bas que ses yeux.
La douce rougeur, caractéristique du soir tombant, teintait les larges fenêtres d'écarlate. Un grand feu brulait dans l'âtre de pierre et les tables de bois occupaient la majeure partie de l'espace. Presque tout était en bois dans la cité... à cause de la présence de l'arbre. Ses capacités de régénération étant inouïe et ses racines innombrables, les carrières de bois étaient aussi abondantes qu'infinies. Malgré tout, quelques matériaux nécessaires se faisaient plus précieux d'année en année. À commencer par la pierre ininflammable, mais aussi le métal des installations électriques, la céramique, le charbon, le gaz... Les dérivés des produits de l'ancien temps, que seuls quelques éminents scientifiques arrivaient encore à transformer ou remettre en marche. Les puissants générateurs mus par le soleil, ou la centrale d'épuration en étaient un parfait exemple. Au moins trois fois centenaire, si parvenait toujours à les maintenir en fonctionnement c'était par pur miracle. Un de ces jours, ils faibliraient sans que l'on puisse en changer les pièces et les paliers inférieurs seraient condamnés.
Lui, en tant que Seigneur de ce monde, avait eu la meilleure éducation possible. Il pouvait se targuer d'être l'un des plus éminents savants d'Yggdrasil. Mais il fallait se rendre à l'évidence, le savoir qui n'avait pu être reconquis après l'apocalypse se perdait inexorablement.
Le flot de ses pensées cessa lorsque la dernière goutte de liquide fut avalée. Rien n'aurait pu lui faire toucher à son plat, mais l'action de l'alcool mêlé d'atarax sur son estomac vide eut un puissant effet sédatif. L'esprit lavé et enivré, la récente jeune femme traina son corps trop mince jusqu'à son lit. Elle put y dormir six heures, avant qu'un Ours ne surgisse des ombres pour l'embarquer vers la dure réalité des bas plateaux.
Au coeur du crépuscule nocturne, l'âme perdue s'engagea sur la route de son destin.
Commentaires
- Droran
25/11/2015 à 00:44:51
Les impériaux manigancent des choses dans les bas-quartier.. hmm, il va peut-être se rendre compte que son royaume semble pourri jusqu'à la moelle. :/
- Sheyne
24/11/2015 à 14:05:48
Vu que l'aubergiste est hyper heureuse il pense simplement qu'elle se drogue. Alors il ignore son discours sur le bonheur pour lui demander de la drogue aussi.
Mais j'vais préciser ça alors. Merci - Loiseau
24/11/2015 à 12:55:31
J'ai pas compris la transition entre "Tu peux bien manger quelque chose" et "Vous ne vendez pas d'ékstasis"
Sinon c'est super bien. Riche et poussé, j'attends avec impatience la suite de cette aventure-ci... et de voir à quoi ressemblent les suivantes