Note de la fic :
Publié le 25/09/2016 à 02:00:03 par Loiseau
Deuxième réveil de la journée, mais cette fois je suis en alerte. Les deux petits écouteurs noirs sont tombés de mes oreilles pendant que je dormais, mais au moins je me souviens de tout. Le rêve que m’a vendu le vieil arabe était réellement… inspirant. Et, selon ses dires, absolument unique. Même lui ne savait pas ce qu’il contenait. Autrement dit, je peux allégrement piocher dedans pour écrire ma pub. Sans me doucher ni m’habiller, je saute sur mon ordinateur et je commence à écrire des pistes. Cette pub pour lessive sera la plus épique et la plus réussie de l’histoire. Un peu de ceci, un peu de cela… et le tour sera joué ! Ern’ va me supplier de le remplacer à la direction, Diane va me tomber dans les bras et je serais enfin riche. Fini la piaule minuscule, finie la bière bon marché et les rêves de pécores. Place au luxe ! Et dire que ça m’a presque rien coûté. Le vieux Hichem avait l’air réticent à me vendre ce rêve, mais j’ai su le convaincre. Mes doigts courent sur le clavier de mon ordinateur tandis que je pompe sans vergogne des idées au rêve que je viens d’avoir. Riche, riche, riche.
~~~
Curieusement, ce rêve m’a plu. Un banal pique-nique entre copines de classe qui se terminait par l’arrivée d’un très beau jeune homme. Un rêve d’adolescente niaise. Ca faisait longtemps que j’en avais pas eu. Quelque part, c’est agréable. Un rêve qui n’a aucun enjeu, qui n’est que plaisir. Je comprends que certains se vautrent dedans au point d’en devenir complètement abrutis. Paradoxalement, ça m’attriste de voir que les ambitions de beaucoup en matière de rêve se limitent à s’amuser entre amis et rencontrer un bon parti. Pourquoi ne pas le vivre ? Pourquoi ne pas profiter du sommeil pour expérimenter ce qu’on ne peut pas faire dans la « vraie vie » ? Une fois, j’ai rêvé que j’étais le vent et que je survolais le monde. Je voyais les beautés et les horreurs de notre terre, des enfants naitre et mourir, des fleuves vifs ou taris, des déserts et des forêts luxuriantes. Un monde couvert de plantes qui n’existent pas, de couleurs inconnues et de sons qu’aucun humain n’a jamais entendu. Un rêve unique, un rêve qui n’appartenait qu’à moi et qui émanait de moi. Voilà, ce que devait être un rêve. Un cadeau de soi à soi. Je commence à comprendre ce qu’Hichem voulait dire lorsqu’il parlait de ma capacité à trouver le meilleur même dans les rêves les plus nuls. En réalité, je n’arrive pas à me satisfaire de ce qui est préfabriqué, artificiel. Je veux sans cesse y ajouter mon grain de sel. Et pour le coup, c’est ce que je vais faire !
~~~
Je trépigne d’impatience devant le bureau de Ern’. Ma pub va juste le faire bander, c’est sûr. Elle est parfaite. Pile ce que les gens veulent. Un peu de cul, un peu d’humour, un rythme soutenu. Oui, oui, je sais, ce n’est que pour vendre de la lessive. Mais quand on voit qu’une marque de soutien-gorge s’est mise à intégrer des tanks dans ses pubs, on se dit que tout peut passer. Pour l’instant c’est Diane qui est dans le bureau. Je ricane en imaginant la surprise que cette pétasse aura quand je deviendrais son supérieur hiérarchique. De quoi lui faire ravaler son sourire narquois parfaitement maquillé. Une fois de plus, je feuillette mon dossier, nerveusement. J’attends comme un gland pour la dernière fois de ma vie.
~~~
-Je suis désolé Diane, mais ça ne va pas le faire. Si on publie ça, tous nos partenaires vont nous lâcher. Il faut que tu corriges ton projet.
-Ernie, vous savez quelle importance j’attache au bien-être de notre entreprise. Mais je ne peux pas modifier cette pub. Je ne peux pas… je ne peux plus me contenter de montrer aux gens le reflet de leur vide intérieur uniquement pour les satisfaire.
-C’est en leur montrant ça qu’ils se sentiront vides. Ils se rendront compte qu’ils ne savent plus rêver, plus créer et beaucoup refuseront de continuer à acheter des rêves. Et si ça se produit, nous on est marrons parce que nos clients sont presque tous dans l’industrie du sommeil.
Ernie se lève de sa chaise et commence à faire les cent pas, comme tout bon patron agacé qui se respecte. Je me mords la lèvre inférieure. Je savais bien qu’il n’apprécierait pas, mais au final je ne suis pas si inquiète que ça, j’ai fait ce que j’avais à faire.
-Diane, tu es talentueuse, ça ne fait aucun doute. On m’a même dit que tu ne consommais quasiment aucun rêve, j’en conclus que tu as une imagination fertile, au vu de tes précédentes… œuvres ! Mais, mais, mais… là tu dépasses un peu les limites autorisées. Tu ne peux pas tout simplement envoyer dans la gueule du peuple « Au fait, vous êtes creux dans votre âme, réveillez-vous ! ». Ils ne comprendraient pas, on se retrouverait avec des procès, nos clients dégageraient et en un rien de temps on serait en…
-Ern ! je le coupe. Tu me dois bien ça. Si t’as pu offrir autant de cadeaux à ta maitresse ce mois-ci c’est grâce à moi et à la pub pour DF.
~~~
Ça y est, elle sort du bureau. Son visage est fermé et elle a l’air passablement mécontent. Un frisson de plaisir me parcoure l’échine. Elle me décoche son habituel regard méprisant auquel je réponds par un sourire qui l’est tout autant. Bientôt, ma grande, tu crieras mon nom en mordant les oreillers. Je ne sais pas quel projet conceptuel t’as encore présenté au vieux Ernie, mais cette fois on dirait bien qu’il t’a lâché. J’entre dans la pièce d’une démarche impériale et m’avance vers le bureau en bois verni de Ern’. Son regard fatigué de basset m’exaspère toujours autant mais je sais que derrière son apparence maladive, le vieux rusé a encore de la ressource. Je pose délicatement mon dossier devant lui et attend qu’il m’invite à m’asseoir. Ce qu’il ne fait pas. Il prend simplement mon dossier et commence à le feuilleter. Une fois qu’il a terminé sa lecture, il ferme les yeux et prend une longue inspiration. Ça y est, l’heure de ma consécration !
-Alban…
-Oui, Ernie ?
-C’est sans aucun doute le projet le moins original, le plus plat et le plus artificiel que je n’ai jamais vu. Sur l’échelle de la nullité on a dépassé de loin la gonzesse déguisée en poulet rôti.
La nausée m’envahi.
-Et c’est pour ça qu’on a va le garder, Alban. Et c’est aussi pour ça que tu vas avoir une promotion, tout mauvais que tu es.
-Je… je suis pas sûr de bien…
-Tu vois… Par cette porte vient de sortir l’une des personnes les plus douées et talentueuses qui soient. A partir d’un songe pour gamine décérébrée, elle a conçu un message d’espoir et d’éveil pour tous les enfants. Toi… je ne sais même pas comment ces idées saugrenues ont pu s’infiltrer dans ton crâne mais je suis certain qu’elles ne viennent pas de toi. Et ben même en piquant les idées des autres, t’arrives à être inintéressant. C’est ça qui va faire ta force dans ce milieu. Tu sauras toujours être suffisamment médiocre pour convenir à la majorité, bravo. Maintenant dégage. Demain tu changes de bureau, tu prends celui de Diane.
Et le voilà qui me tourne le dos délibérément. Je bafouille quelques débuts de phrases sans cohérence. Puis je respire un grand coup, décidant de ne pas tenir compte des insultes. Je sais qu’il m’a toujours détesté, c’est sûrement sa façon de me dire que j’ai fait du bon travail.
-Mais… Diane ne va-t-elle pas mal le prendre ? demande-je.
-Je l’ai virée. Je l’ai virée parce qu’elle a des idées qui sont trop grandes pour notre petite entreprise publicitaire. Je l’ai viré pour ne pas la voir faner et mourir. Je l’ai viré parce que, contrairement à toi, elle a de la valeur en tant qu’humain.
~~~
Aujourd’hui, sur les murs de la ville, entre pub pour soda et pub pour maquillage, entre buildings gris et temps morose, entre ruelles et grandes artères, à certains coins de rue, on peut voir une petite affiche collée sur les murs. Elle ne paie pas de mine et il faut s’arrêter devant pour bien la voir. Ses couleurs pastel attirent l’œil par leur douceur. Sur l’affiche, un dessin : un enfant est assis dans l’herbe et mange une pomme avec délice et sur son crâne pousse un pommier. En dessous, cinq lettres.
RÊVEZ.
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Curieusement, ce rêve m’a plu. Un banal pique-nique entre copines de classe qui se terminait par l’arrivée d’un très beau jeune homme. Un rêve d’adolescente niaise. Ca faisait longtemps que j’en avais pas eu. Quelque part, c’est agréable. Un rêve qui n’a aucun enjeu, qui n’est que plaisir. Je comprends que certains se vautrent dedans au point d’en devenir complètement abrutis. Paradoxalement, ça m’attriste de voir que les ambitions de beaucoup en matière de rêve se limitent à s’amuser entre amis et rencontrer un bon parti. Pourquoi ne pas le vivre ? Pourquoi ne pas profiter du sommeil pour expérimenter ce qu’on ne peut pas faire dans la « vraie vie » ? Une fois, j’ai rêvé que j’étais le vent et que je survolais le monde. Je voyais les beautés et les horreurs de notre terre, des enfants naitre et mourir, des fleuves vifs ou taris, des déserts et des forêts luxuriantes. Un monde couvert de plantes qui n’existent pas, de couleurs inconnues et de sons qu’aucun humain n’a jamais entendu. Un rêve unique, un rêve qui n’appartenait qu’à moi et qui émanait de moi. Voilà, ce que devait être un rêve. Un cadeau de soi à soi. Je commence à comprendre ce qu’Hichem voulait dire lorsqu’il parlait de ma capacité à trouver le meilleur même dans les rêves les plus nuls. En réalité, je n’arrive pas à me satisfaire de ce qui est préfabriqué, artificiel. Je veux sans cesse y ajouter mon grain de sel. Et pour le coup, c’est ce que je vais faire !
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Je trépigne d’impatience devant le bureau de Ern’. Ma pub va juste le faire bander, c’est sûr. Elle est parfaite. Pile ce que les gens veulent. Un peu de cul, un peu d’humour, un rythme soutenu. Oui, oui, je sais, ce n’est que pour vendre de la lessive. Mais quand on voit qu’une marque de soutien-gorge s’est mise à intégrer des tanks dans ses pubs, on se dit que tout peut passer. Pour l’instant c’est Diane qui est dans le bureau. Je ricane en imaginant la surprise que cette pétasse aura quand je deviendrais son supérieur hiérarchique. De quoi lui faire ravaler son sourire narquois parfaitement maquillé. Une fois de plus, je feuillette mon dossier, nerveusement. J’attends comme un gland pour la dernière fois de ma vie.
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-Je suis désolé Diane, mais ça ne va pas le faire. Si on publie ça, tous nos partenaires vont nous lâcher. Il faut que tu corriges ton projet.
-Ernie, vous savez quelle importance j’attache au bien-être de notre entreprise. Mais je ne peux pas modifier cette pub. Je ne peux pas… je ne peux plus me contenter de montrer aux gens le reflet de leur vide intérieur uniquement pour les satisfaire.
-C’est en leur montrant ça qu’ils se sentiront vides. Ils se rendront compte qu’ils ne savent plus rêver, plus créer et beaucoup refuseront de continuer à acheter des rêves. Et si ça se produit, nous on est marrons parce que nos clients sont presque tous dans l’industrie du sommeil.
Ernie se lève de sa chaise et commence à faire les cent pas, comme tout bon patron agacé qui se respecte. Je me mords la lèvre inférieure. Je savais bien qu’il n’apprécierait pas, mais au final je ne suis pas si inquiète que ça, j’ai fait ce que j’avais à faire.
-Diane, tu es talentueuse, ça ne fait aucun doute. On m’a même dit que tu ne consommais quasiment aucun rêve, j’en conclus que tu as une imagination fertile, au vu de tes précédentes… œuvres ! Mais, mais, mais… là tu dépasses un peu les limites autorisées. Tu ne peux pas tout simplement envoyer dans la gueule du peuple « Au fait, vous êtes creux dans votre âme, réveillez-vous ! ». Ils ne comprendraient pas, on se retrouverait avec des procès, nos clients dégageraient et en un rien de temps on serait en…
-Ern ! je le coupe. Tu me dois bien ça. Si t’as pu offrir autant de cadeaux à ta maitresse ce mois-ci c’est grâce à moi et à la pub pour DF.
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Ça y est, elle sort du bureau. Son visage est fermé et elle a l’air passablement mécontent. Un frisson de plaisir me parcoure l’échine. Elle me décoche son habituel regard méprisant auquel je réponds par un sourire qui l’est tout autant. Bientôt, ma grande, tu crieras mon nom en mordant les oreillers. Je ne sais pas quel projet conceptuel t’as encore présenté au vieux Ernie, mais cette fois on dirait bien qu’il t’a lâché. J’entre dans la pièce d’une démarche impériale et m’avance vers le bureau en bois verni de Ern’. Son regard fatigué de basset m’exaspère toujours autant mais je sais que derrière son apparence maladive, le vieux rusé a encore de la ressource. Je pose délicatement mon dossier devant lui et attend qu’il m’invite à m’asseoir. Ce qu’il ne fait pas. Il prend simplement mon dossier et commence à le feuilleter. Une fois qu’il a terminé sa lecture, il ferme les yeux et prend une longue inspiration. Ça y est, l’heure de ma consécration !
-Alban…
-Oui, Ernie ?
-C’est sans aucun doute le projet le moins original, le plus plat et le plus artificiel que je n’ai jamais vu. Sur l’échelle de la nullité on a dépassé de loin la gonzesse déguisée en poulet rôti.
La nausée m’envahi.
-Et c’est pour ça qu’on a va le garder, Alban. Et c’est aussi pour ça que tu vas avoir une promotion, tout mauvais que tu es.
-Je… je suis pas sûr de bien…
-Tu vois… Par cette porte vient de sortir l’une des personnes les plus douées et talentueuses qui soient. A partir d’un songe pour gamine décérébrée, elle a conçu un message d’espoir et d’éveil pour tous les enfants. Toi… je ne sais même pas comment ces idées saugrenues ont pu s’infiltrer dans ton crâne mais je suis certain qu’elles ne viennent pas de toi. Et ben même en piquant les idées des autres, t’arrives à être inintéressant. C’est ça qui va faire ta force dans ce milieu. Tu sauras toujours être suffisamment médiocre pour convenir à la majorité, bravo. Maintenant dégage. Demain tu changes de bureau, tu prends celui de Diane.
Et le voilà qui me tourne le dos délibérément. Je bafouille quelques débuts de phrases sans cohérence. Puis je respire un grand coup, décidant de ne pas tenir compte des insultes. Je sais qu’il m’a toujours détesté, c’est sûrement sa façon de me dire que j’ai fait du bon travail.
-Mais… Diane ne va-t-elle pas mal le prendre ? demande-je.
-Je l’ai virée. Je l’ai virée parce qu’elle a des idées qui sont trop grandes pour notre petite entreprise publicitaire. Je l’ai viré pour ne pas la voir faner et mourir. Je l’ai viré parce que, contrairement à toi, elle a de la valeur en tant qu’humain.
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Aujourd’hui, sur les murs de la ville, entre pub pour soda et pub pour maquillage, entre buildings gris et temps morose, entre ruelles et grandes artères, à certains coins de rue, on peut voir une petite affiche collée sur les murs. Elle ne paie pas de mine et il faut s’arrêter devant pour bien la voir. Ses couleurs pastel attirent l’œil par leur douceur. Sur l’affiche, un dessin : un enfant est assis dans l’herbe et mange une pomme avec délice et sur son crâne pousse un pommier. En dessous, cinq lettres.
RÊVEZ.
Commentaires
- Loiseau
04/10/2016 à 03:17:35
Merci infiniment
- Droran
04/10/2016 à 03:09:39
Très jolie fin, l'affiche finale a une signification très forte et facile à comprendre. J'ai adoré ce texte, son réalisme, ses petites idées de narration, son originalité, son humour, et son rythme qui ne faiblit jamais.
Bien joué, c'est très maîtrisé. - Loiseau
26/09/2016 à 23:03:24
Merci à toi ! Ravi que ça t'ai plu
- Megakoul
26/09/2016 à 10:25:52
Merci Loiseau, c'était un plaisir