Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel: :noel:

Les arbres n'ont jamais existé


Par : Loiseau
Genre : Science-Fiction
Statut : C'est compliqué



Chapitre 1 : Bitume


Publié le 24/07/2014 à 04:02:41 par Loiseau

-Que vas-tu faire maintenant ?

-Fuir.

-Fuir où ?

-Là où il n’y a plus de béton.


L’enfant me regarde tristement. Ses grands yeux bleus qui sondent mon âme se ferment et un soupir s’échappe de sa petite bouche rose. Je n’ai jamais vu un enfant aussi vieux, aussi usé. Mais le Béton a cette propriété. Il ronge la vie et la vivacité. Il ronge les espoirs et les rêves. Il ronge jusqu’à l’innocence pourtant si grande des âmes nouvelles.


-Le Béton ne s’arrête jamais, tu sais ? reprend le môme - Il recouvre le monde. Là où il n’y a pas de béton, il y a de l’eau. De l’eau sale, polluée et malodorante. Qu’est-ce que tu espères ? Trouver un arbre ?

-Peut-être…

-Ah… Et où ? Quel arbre aurait pu survivre à la « marche vers le progrès » ?

-Il y a forcément des endroits où….

-Non. Non, il n’y en a pas.


L’enfant saute du muret sur lequel il s’était juché et arrache une feuille de lierre en plastique de celui-ci. Il l’observe pendant quelques secondes d’un air dégouté puis la froisse dans sa main. Elle crisse désagréablement. Il me regarde à nouveau et secoue la tête avant de me tapoter le coude et de commencer à remonter la rue grise. En passant il largue un crachat sur l’une des sculptures métalliques tordues qui la borde.


-Allez, bonne chance dans ta quête. De toute façon si tu restes plus longtemps ici ils finiront par t’avoir. Ou c’est le Béton qui t’auras.

-Tu ne veux pas venir avec moi ?

-Non. On ne se connait pas. Et puis même… Moi je suis un enfant de l’asphalte, du goudron, du bitume… J’ai sûrement des bouts de métal dans le cœur, du ciment dans les veines et des graviers comme globules. Je suis né là, je mourrai là. J’ai même plus envie d’espérer autre chose que ce cauchemar urbain…. Je ne sais même pas si mes poumons sont faits pour absorber autre chose que cet oxygène en boite qu’on respire désormais.

-Tu crois à leurs conneries sur le pollen et l’air naturel ?


L’enfant se tait un instant, gêné puis il répond :


-J’en sais rien. Tout ce que je sais c’est qu’ils essaient progressivement de nous faire croire que les arbres n’ont jamais existé. Que nous avons toujours vécu comme ça, dans cette atmosphère artificielle. Et au final… C’est peut-être mieux de les croire, ça évite d’avoir à penser que si nous avions le courage de le changer, notre monde pourrait être différent.


-Comment un être aussi jeune peut-il être aussi plein de désespoir et de cynisme ? murmure-je


Il ne me répond pas et reprend sa route. Pauvre petit être noyé dans la ville, tu es aussi rêche et dur que ce trottoir que tu martèles de tes baskets neuves. Je ne lui crie pas au revoir, je ne lui dit pas adieu. Je ne lui adresse même pas un petit signe de la main. Une voiture passe près de lui, déversant un nuage de fumée nauséabond dans sa course effrénée vers… Vers quoi ? Un supermarché ? Une villa cossue ? Une barre d’immeubles triste à en crever dans la banlieue ? Peu importe au fond. Partout il y aura le Béton et l’Acier, Le Chrome et le Ciment, La Rouille et la Route. Les vapeurs infâmes des gens et de leurs véhicules. Et leur cœur et leur âme qui se couvrent d’une croûte de tristesse et de lassitude. Ils se conforment à l’image de notre monde stérile. Comment peut-on avoir de la vie en soi si la Vie ne nous entoure pas ?


Las, je soupire et ajuste mon sac à dos sur mon épaule. Par où commencer ? Le Nord ? Je regarde dans cette direction et ne vois que le cœur de ma ville et son architecture verticale. Au Sud, des usines. Je ne vois pas l’Est à cause d’un immeuble juste devant moi et l’Ouest… A l’Ouest je sais qu’il y a la mer. Ou plutôt une nappe de pétrole et de plastique qui autrefois était appelée « la mer ». Je suis sûr que s’ils avaient pu le faire, ils l’auraient aussi recouverte de béton.

Bon… Va pour le Sud. Je ne peux pas me rendre à l’aéroport. Trop surveillé. Mais la gare ne bénéficie pas de cette vigilance, puisque les trains servent principalement au transport de marchandises. Je n’aurais qu’à me glisser dans l’un de ces convois et sauter en marche quand je jugerai le moment propice. J'avance. Mes grosses chaussures de sécurité claquent en rythme sur le trottoir. Une voiture passe de temps en temps, vrombissante et polluante. A une époque j’aurais pu faire du stop. Mais aujourd’hui plus personne ne s’arrête pour aider quelqu’un d’autre. Pas forcément par peur ou méfiance, mais juste parce que ça ne présente aucun intérêt matériel. Peut-être que si j’agitais une liasse de billets en tendant le pouce ça marcherait mieux… Encore que… Qui se souvient de la signification du pouce tendu de nos jours ?
En marchant je regarde autour de moi sans vraiment voir. Je ne suis jamais venu dans ce quartier, pourtant je connais déjà ces immeubles gris aux fenêtres desquels pend du linge. Les antennes qui hérissent les toits, les caméras qui scrutent chaque coin de rue, les rideaux clos, le bruit des télévisions qui filtre en dehors… Les horreurs difformes, toutes de fer et d’acier, supposées décorer les rues, le long des trottoirs. Les buissons et arbustes de plastique incolore dans les « jardins » des villas. Les fontaines lourdes et disgracieuses plantées au milieu des ronds-points. C’est anxiogène, laid et étouffant. Et ça recouvre tout. Depuis des années. Depuis des années on ne respire que cet « oxygène en boite » comme disait l’enfant de tout à l’heure. Nos yeux ne voient que de la grisaille, partout. Et ce qu’on mange… J’en ai des frissons de dégoût rien que d’y songer. Tout ce qui nous entoure paraît destiné à nous faire déprimer. Même le ciel semble se plier à l’empire monochrome du gris. Sur un mur un tag rouge adresse un doigt d’honneur coloré au monde entier. Le blaze du graffeur me donne un léger sourire : Esp0ir. Le zéro en guise de « o » en dit long. Allez, continue d’avancer dans ce labyrinthe décoloré, continue d’emplir tes poumons d’air vicié, continuellement recyclé, qui brûle tes poumons lorsqu’une goulée de pseudo-oxygène se mêle à un nuage de gaz de voiture. Continue de baisser la tête sur cette ligne sans fin de dalles de béton. Continue d’ignorer ceux qui croisent ta route, ils n’ont plus d’espoir, ils ne savent plus rien, ils ont oublié tout ce qui ne peut rien leur apporter sur le plan matériel. Ce sont des zombies, aux neurones asservies par les spots télévisés du gouvernement, le téléachat et autres émissions minables et débilitantes.


En arrivant à la vieille gare j’admire un instant le bâtiment. Ou plutôt j’admire son impassible morosité. Un bunker a plus de charme que cette monstruosité de béton et de fer rouillé. Le vacarme des trains me vrille les oreilles et l’odeur de saleté, de gaz, de pétrole et de fer brûlant me saisit à la gorge. Ce n’est plus une gare destinée aux gens, c’est une gare de commerce. Plus besoin de se soucier de la sérénité des passagers, pas d’absorbeurs d’odeurs, ni de ventilation, ni de murs insonorisés.
Quel train choisir ? Peu importe au fond, je ne sais même pas où je vais. Un train noir entre en gare, sur le quai juste devant moi. Des hommes ouvrent les portes et sortent des caisses d’armes. Encore un convoi qui causera de nombreuses morts. J’attends quelques minutes qu’ils aient fini de décharger et que les cheminots aillent se reposer avant de reprendre la route, puis je me glisse dans l’un des wagons dont la porte était ouverte. Il est spacieux, sombre et pas trop chaud ni humide, exactement ce qu’il me fallait. Je me dirige vers un angle du wagon et me dissimule derrière une pile de caisse. Après une hésitation, j’en ouvre une, prends un revolver et des munitions, le charge et referme la caisse. Je hais les armes, mais celle-ci me sauvera peut-être la vie si je suis découvert.
Me blottissant de mon mieux dans mon sweat à capuche, j’essaie de dormir un peu. Je n’entends pas le train se remettre en marche.


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