Note de la fic :
Publié le 03/04/2015 à 13:13:16 par faces-of-truth
Le premier soir, j’ai regardé dans sa direction par un heureux hasard. À la base, j’étais simplement venu, couvert de honte, pour oublier l’humiliation que j’avais fait subir à un pauvre bougre. Et puis c’est arrivé. Un courant d’air, un vol de mouche, une odeur familière, un spasme nerveux. Ça aurait pu être chacune de ces causes, mais je préfère me cantonner à une réponse plus ésotérique : j’ai regardé dans sa direction, parce que c’était mon Destin. Je me tenais ici, dans ce capharnaüm bondé et puant alors que j’aurais pu tout aussi bien me rendre au cinéma ou casser la croûte au fast-food du coin. Mais j‘étais là, sans vraiment savoir pourquoi, et j’ai pu trouver la raison de ma présence ici. En sa personne. En sa magnifique personne.
Le deuxième soir, je l’ai cherchée des yeux une bonne heure durant. En vain. Elle avait brillé par son absence et, pourtant, elle était plus envahissante que jamais dans les limbes tortueux de mon esprit. Et je me demandais, je m’interrogeais. Allait-elle revenir ? Où était-elle à cet instant présent ? Ce ne pouvait être le fantasme d’un soir, le coup de cœur d’une Lune, l’envoûtement d’un battement de cils. Ce moment de contemplation ne m’avait pas été accordé d’un dédain aussi inconséquent que les circonstances voulaient me le faire croire. J’étais lié à elle par le Destin. Rien ne pouvait réfuter cette évidence.
Le troisième soir a été comme le deuxième.
Le quatrième soir, alors que la partie d’échecs névrosée entre le Destin et la Fatalité tendait à l’avantage de cette dernière, je l’ai vue réapparaître dans mon champ de vision, comme un phare dans un océan d’une nuit éternelle. Elle m’a paru moins hypnotisante que la première fois, mais je mettais cette rétrogradation sur le compte de l’excitation, comme si mon esprit me défendait d’aborder ce navire. Sans doute trop ambitieux comme prise avec ma chaloupe de célibataire. L’envie m’a pris, la détermination a fait entendre sa voix, le désespoir m’a invité à me jeter corps et âme dans l’arène de la lionne. Mais les chaînes de la lâcheté m’ont maintenu à ma place. Et comme la cigogne en escale sur un îlot, elle s’est envolée aussitôt car rien ne la retenait.
Le cinquième soir, je suis resté chez moi.
Le sixième soir, j’ai attendu, telle une statue, le regard rivé sur la porte d’entrée du capharnaüm, guettant son arrivée. Je frémissais comme un avion en zone de turbulence dès qu’une main poussait la poignée et fustigeais dès que je voyais que la personne à qui appartenait ce membre n’était pas elle. J’ai patienté et pisté au moins deux heures. Et au moment où l’abandon était prononcé, où l’étendard du forfait était levé, je l’ai aperçue dans l’entrebâillement de bois. Fière et droite. Mais moins que la dernière fois. Si cela n’était pas un signe du Destin… Elle s’est avancé et s’est assise à ma gauche. J’aurais préféré à ma droite, car un spot lumineux m’éblouissait et m’obligeait à plisser les yeux pour y voir correctement.
J’ai inspiré un grand coup et ai pris mon courage à deux mains. Mais comme un morceau de savon mouillé, il a du me glisser entre les doigts car je me suis arrêté en cours de route. Elle a tout de même remarqué mon initiative, car elle a posé son regard sur moi. Je ne perdrais pas de temps à tenter de décrire cette divine créature, car ni aucune prose ni aucune strophe ne pourrait prétendre se marier à tant de perfection.
— Vous alliez dire quelque chose, m’a-t-elle lancé d’une voix psychédélique.
À cet instant, le courage ne m’a été d’aucune utilité, car ça a été la peur qui a guidé mes gestes et mes paroles. Et, en bon ventriloque qu’elle fait, la peur peut se révéler être une excellente oratrice.
— À dire vrai oui, ai-je déclaré d’un ton posé. Je sens que mon cœur bat plus intensément lorsque je vous vois, que mon âme se lamente dans sa geôle quand vous me regardez, que mon ego se meurt dès lors que vous me parlez et que, en somme, je vous aime de l’amour le plus profond et le plus intense.
Face à tant de sincérité infantile, la créature s’est mise à rire. Elle a bombé le torse, s’est levé, m’a tourné le dos et s’en est allé. Me laissant seul.
Le septième soir, elle m’est revenue d’elle-même, sans que je fasse quoi que ce soit dans ce sens. Elle a alors pris ma main, sans un mot, et a passé ses doigts le long de mes phalanges. Mon corps a failli exploser d’excitation et elle a enfoncé son regard dans le mien. Je ne la trouvais plus aussi belle que le premier jour, mais son pouvoir d’ensorcellement n’en avait guère pâti.
— Je suis une sorcière, m’a-t-elle dit, je me nourris de la chaleur que je fais naître dans l’organe des autres, je me délecte des yeux qui me dévorent et je me régale des songes que je ponds dans le crâne de mes victimes.
J’ai avalé ma salive, savourant mon statut d’animal piégé dans sa toile érotique.
— Je ne rêve que de vous servir, et de m’abreuver de votre présence, ai-je avoué.
— Hélas, tu ne rêves en réalité que de m’oublier, m’a-t-elle repris, car tu souffres de devoir contempler un joyau derrière une vitre que ton être n’est pas capable de briser.
Cette dernière phrase m’a alors comme transpercé la poitrine. Cette fois, c’était moi qui me levais et partais. Sauf que je pleurais.
Le huitième soir, je l’ai passé seul dans mes draps, à guérir ma plaie sentimentale de son poignard verbal.
Et le neuvième soir, alors que je pénétrais dans le capharnaüm puant et crasseux, je l’ai tout de suite aperçu, assis à ma place, seul, semblant attendre mon arrivée imminente. Je l’ai observé un instant, puis me suis avancée.
Ce qui m’a d’abord frappé, c’était son regard, attristé et pathétique. Ensuite, c’était sa personne, tout simplement. Je la trouvais laide ; ses yeux étaient sans intelligence, sa peau sans éclat et son aura s’apparentait à un bois de cheminée froid.
Je l’ai contemplé avec mépris et, alors que je m’apprêtais à lui cracher au visage ma haine et ma morgue à son égard, je me suis retenue et ai décidé de lui faire subir la plus belle des humiliations. Je l’ignorerais. Et puis j’attendrais. J’attendrais qu’il vienne m’aborder, pour voir comment il allait s’y prendre, pour pouvoir le laisser pousser comme une fleur que l’on arrache ensuite une fois qu’elle est à maturité.
Je me suis enfoncée dans le capharnaüm et ai profité de la soirée. Mais je sentais plus tard son regard sur moi, épiant le moindre de mes gestes et baisant de ses yeux mes courbes.
Comme s’il me voyait pour la première fois.
Peut-être était-ce le cas ?
Mais quelle chance il a eu de me remarquer, MOI, parmi tout ce monde autour de nous.
Ce devait probablement être cela ce qu’on appelle le Destin.
Le deuxième soir, je l’ai cherchée des yeux une bonne heure durant. En vain. Elle avait brillé par son absence et, pourtant, elle était plus envahissante que jamais dans les limbes tortueux de mon esprit. Et je me demandais, je m’interrogeais. Allait-elle revenir ? Où était-elle à cet instant présent ? Ce ne pouvait être le fantasme d’un soir, le coup de cœur d’une Lune, l’envoûtement d’un battement de cils. Ce moment de contemplation ne m’avait pas été accordé d’un dédain aussi inconséquent que les circonstances voulaient me le faire croire. J’étais lié à elle par le Destin. Rien ne pouvait réfuter cette évidence.
Le troisième soir a été comme le deuxième.
Le quatrième soir, alors que la partie d’échecs névrosée entre le Destin et la Fatalité tendait à l’avantage de cette dernière, je l’ai vue réapparaître dans mon champ de vision, comme un phare dans un océan d’une nuit éternelle. Elle m’a paru moins hypnotisante que la première fois, mais je mettais cette rétrogradation sur le compte de l’excitation, comme si mon esprit me défendait d’aborder ce navire. Sans doute trop ambitieux comme prise avec ma chaloupe de célibataire. L’envie m’a pris, la détermination a fait entendre sa voix, le désespoir m’a invité à me jeter corps et âme dans l’arène de la lionne. Mais les chaînes de la lâcheté m’ont maintenu à ma place. Et comme la cigogne en escale sur un îlot, elle s’est envolée aussitôt car rien ne la retenait.
Le cinquième soir, je suis resté chez moi.
Le sixième soir, j’ai attendu, telle une statue, le regard rivé sur la porte d’entrée du capharnaüm, guettant son arrivée. Je frémissais comme un avion en zone de turbulence dès qu’une main poussait la poignée et fustigeais dès que je voyais que la personne à qui appartenait ce membre n’était pas elle. J’ai patienté et pisté au moins deux heures. Et au moment où l’abandon était prononcé, où l’étendard du forfait était levé, je l’ai aperçue dans l’entrebâillement de bois. Fière et droite. Mais moins que la dernière fois. Si cela n’était pas un signe du Destin… Elle s’est avancé et s’est assise à ma gauche. J’aurais préféré à ma droite, car un spot lumineux m’éblouissait et m’obligeait à plisser les yeux pour y voir correctement.
J’ai inspiré un grand coup et ai pris mon courage à deux mains. Mais comme un morceau de savon mouillé, il a du me glisser entre les doigts car je me suis arrêté en cours de route. Elle a tout de même remarqué mon initiative, car elle a posé son regard sur moi. Je ne perdrais pas de temps à tenter de décrire cette divine créature, car ni aucune prose ni aucune strophe ne pourrait prétendre se marier à tant de perfection.
— Vous alliez dire quelque chose, m’a-t-elle lancé d’une voix psychédélique.
À cet instant, le courage ne m’a été d’aucune utilité, car ça a été la peur qui a guidé mes gestes et mes paroles. Et, en bon ventriloque qu’elle fait, la peur peut se révéler être une excellente oratrice.
— À dire vrai oui, ai-je déclaré d’un ton posé. Je sens que mon cœur bat plus intensément lorsque je vous vois, que mon âme se lamente dans sa geôle quand vous me regardez, que mon ego se meurt dès lors que vous me parlez et que, en somme, je vous aime de l’amour le plus profond et le plus intense.
Face à tant de sincérité infantile, la créature s’est mise à rire. Elle a bombé le torse, s’est levé, m’a tourné le dos et s’en est allé. Me laissant seul.
Le septième soir, elle m’est revenue d’elle-même, sans que je fasse quoi que ce soit dans ce sens. Elle a alors pris ma main, sans un mot, et a passé ses doigts le long de mes phalanges. Mon corps a failli exploser d’excitation et elle a enfoncé son regard dans le mien. Je ne la trouvais plus aussi belle que le premier jour, mais son pouvoir d’ensorcellement n’en avait guère pâti.
— Je suis une sorcière, m’a-t-elle dit, je me nourris de la chaleur que je fais naître dans l’organe des autres, je me délecte des yeux qui me dévorent et je me régale des songes que je ponds dans le crâne de mes victimes.
J’ai avalé ma salive, savourant mon statut d’animal piégé dans sa toile érotique.
— Je ne rêve que de vous servir, et de m’abreuver de votre présence, ai-je avoué.
— Hélas, tu ne rêves en réalité que de m’oublier, m’a-t-elle repris, car tu souffres de devoir contempler un joyau derrière une vitre que ton être n’est pas capable de briser.
Cette dernière phrase m’a alors comme transpercé la poitrine. Cette fois, c’était moi qui me levais et partais. Sauf que je pleurais.
Le huitième soir, je l’ai passé seul dans mes draps, à guérir ma plaie sentimentale de son poignard verbal.
Et le neuvième soir, alors que je pénétrais dans le capharnaüm puant et crasseux, je l’ai tout de suite aperçu, assis à ma place, seul, semblant attendre mon arrivée imminente. Je l’ai observé un instant, puis me suis avancée.
Ce qui m’a d’abord frappé, c’était son regard, attristé et pathétique. Ensuite, c’était sa personne, tout simplement. Je la trouvais laide ; ses yeux étaient sans intelligence, sa peau sans éclat et son aura s’apparentait à un bois de cheminée froid.
Je l’ai contemplé avec mépris et, alors que je m’apprêtais à lui cracher au visage ma haine et ma morgue à son égard, je me suis retenue et ai décidé de lui faire subir la plus belle des humiliations. Je l’ignorerais. Et puis j’attendrais. J’attendrais qu’il vienne m’aborder, pour voir comment il allait s’y prendre, pour pouvoir le laisser pousser comme une fleur que l’on arrache ensuite une fois qu’elle est à maturité.
Je me suis enfoncée dans le capharnaüm et ai profité de la soirée. Mais je sentais plus tard son regard sur moi, épiant le moindre de mes gestes et baisant de ses yeux mes courbes.
Comme s’il me voyait pour la première fois.
Peut-être était-ce le cas ?
Mais quelle chance il a eu de me remarquer, MOI, parmi tout ce monde autour de nous.
Ce devait probablement être cela ce qu’on appelle le Destin.
Commentaires
- Droran
05/04/2015 à 07:44:23
Il en faut peu au personnage pour qu'il aille pleurer dans ses draps. :o)
Je n'ai pas bien compris la fin. Le trouvait-elle laid et sans éclat depuis le départ, ou n'était-elle pas restée indifférente depuis le premier soir ?
Jolie texte, en tout cas. J'apprécie les dialogues !
Mon avis rejoint également celui de Tylendel, on pourrait s'attendre à une suite.
Bien joué, tes écrits sont toujours aussi bons faces-of-truth. Sombre aussi. C'est un plaisir de te lire. - Tylendel
04/04/2015 à 16:02:10
Cela donne envie de savoir la suite de l'histoire ~ Continue donc !