Note de la fic : Non notée
Publié le 30/10/2014 à 15:33:49 par Vugo
Le lendemain, Benoît se réveilla avec la tête terriblement lourde. Pendant une de ces fractions de secondes où l'on a l'impression, au réveil, de ne plus se souvenir des événements de la veille, le jeune homme se demanda s'il n'avait pas un peu forcé sur l'alcool à la soirée de Léa. Puis il se souvint que la soirée de Léa n'avait pas eu lieu la veille, mais qu'elle était programmée pour ce soir. Et il se rappela. Romain Gary, cette envie d'écrire, et la folle nuit passée sur l'ordinateur, dans un état second devant ces mots qui s'accumulaient sur la page Word. Il se leva difficilement, se doucha, s'habilla à la va-vite, puis il se rendit dans la salle à manger. Sa mère et son frère étaient là, déjeunant tout deux. En voyant arriver Benoît, sa mère se leva, et l'embrassa vivement, en lui souhaitant un joyeux anniversaire.
« On a pas vingt ans tous les jours ! » disait-elle sans cesse, avec enthousiasme. Les deux frères se souhaitèrent mutuellement un bon anniversaire, puis la mère revint avec deux cadeaux. "Encore les mêmes, je suppose", ne put s'empêcher de penser Benoît, non pas de manière désolée, mais à la manière d'un vieux routard qui avait déjà emprunté cette route. Et en effet, les deux cadeaux, l'un pour lui, l'autre pour Antoine, étaient identiques. Benoît ne pu contenir un rire en voyant son cadeau, et toute l'ironie de la situation. Il s'agissait d'un nouveau portable.
« Merci beaucoup, Maman ! Je comptais justement changer de portable. Le précédent m'énervait pas mal... »
Comme chaque matins, Benoît et Antoine prirent ensemble le bus. Ils étaient en effet dans le même lycée ; mais ils avaient néanmoins choisis deux voies strictement opposées. Si l'un dédiait ces études aux lettres, l'autre était en classe préparatoire scientifique. Ils discutèrent, comme chaque matins, des mêmes banalités, leurs conversations tournant principalement autour de l'actualité vidéo ludique du moment. On disait qu'un remake de GTA : San Andreas allait sortir sur Xbox 360 et PS3. Alien : Isolation était, visiblement, pas aussi mauvais que ce qu'Antoine pensait, étant un grand fan de la licence cinématographique. Autour d'eux, toujours les mêmes visages. Benoît était frappé par cette vaste fresque humaine, si clichée, mais pourtant bien véridique, qui se jouait dans cet autobus. Du jeune au fond avec les écouteurs sur les oreilles jusqu'au vieillard, la canne entre les jambes, qui marmonnait dans sa barbe à propos du temps passé et du déclin de la jeunesse, tout les clichés étaient là. Enfin, le bus arriva à destination.
Les cours se passèrent normalement, sans incidents notables. Le travail donné par les professeurs commençait à s'accumuler, certes, mais rien d'anormal. Benoît, et les autres élèves d'ailleurs, avaient l'habitude de ce genre de choses. A la fin du cours, un seul mot d'ordre : vingt-heures tapante, devant le lycée. Ce soir, il n'écrirait pas.
Il passa rapidement chez lui, posa ses affaires, puis entreprit la difficile tâche de trouver des vêtements qui lui iraient à la perfection pour ce soir. Après tout, Léa sera là ; c'est elle même qui l'avait invité. Elle voulait qu'il soit là. Cette phrase, il se la répétait naïvement en boucle, comme s'il essayait de se convaincre qu'il était la seule personne au monde qu'elle voulait voir ce soir là. Après une longue hésitation entre la chemise blanche et la chemise à carreau, il opta pour la troisième option, la chemise noire, qui allait bien avec la fine barbe taillée qu'il arborait depuis quelques jours. Il se parfuma, un peu, mais pas trop, puis sa mère le déposa non loin du lycée. Mais pas trop prêt non plus. Á vingt ans, il ne voulait pas passer pour un assisté.
Devant le lycée, un petit groupe d'une dizaine de personnes s'était formé. Des gens de la classe. Léa était là, bien sûr, elle avait revêtu une robe blanche qui lui allait bien. Thomas et Pierre étaient s'étaient lancés dans ce qui semblait être un débat enflammé, et Benoît déduit, connaissant les deux individus, qu'ils étaient en plein débat politique. Le premier étant de droite, et l'autre étant de gauche, les deux se lançaient régulièrement dans ce genre de joutes verbales, d'autant plus que s'ils étaient séparés par des idées différentes, la passion écervelée qui animait leurs luttes respectives était bien la même. Benoît n'avait jamais été très branché politique. Il était du genre indécis, et être de droite ou de gauche était, déjà, un choix beaucoup trop tranché à son goût. Clémence s'était bouclée les cheveux, et avait une robe au décolleté hypnotique. Enfin, Nico s'approcha de lui avec entrain. Il transportait un sac, dans lequel se faisait entendre le bruit de bouteilles s'entrechoquant.
« Hey, Benoît ! J'espère que tu viens pas les mains vides, ma couille.
Ils s'appelaient "ma couille" depuis pas mal de temps.
— T'inquiètes, j'ai une bouteille de whisky dans mon sac », précisa Benoît, presque offensé par le doute émis par son pote. Après tout, il venait à chaque soirées avec une bouteille de whisky. C'était devenu une tradition personnelle ; et un oubli de la sorte serait perçu par lui même comme étant un véritable manquement à son honneur. Mathilde -la blonde, pas la brune - vint à leur rencontre.
« Prêts pour ce soir, les gars ?
— Carrément, répondit Benoît. Ca fait longtemps, qu'on est pas sorti faire la fête tous ensemble. J'espère que tu ne finiras pas comme la dernière fois !
Nico pouffa de rire. La dernière fois, Mathilde avait passé une nuit torride, en tête à tête avec les toilettes. Il y eût un échange de fluides, certes, mais ce fut majoritairement des fluides gastriques.
— Oui bon, ça va, hein ! La prochaine fois que ça t'arrive, je vais bien me foutre de ta gueule ! » acheva Mathilde, en regardant Benoît avec un amusant regard de défi.
Enfin, le petit groupe se mit en route en direction de la maison de François, qui était non loin et qui se trouvait être assez grande afin d'accueillir tout le monde. C'était une curieuse petite troupe que celle qui descendait la rue Victor-Hugo, en cette douce nuit automnale. Un petit groupe hétérogène de gens très différents, aux origines sociales très variées, qui, réunis par les hasards de la vie, riaient tous ensembles à gorges déployées. Benoît se sentait bien, parmi ces gens là. Enfin, ils arrivèrent devant la maison de François. C'était une vieille demeure, qui datait du siècle dernier. Elle avait trois étages, deux colonnes qui ressemblaient à du marbre soutenaient le vaste porche, et elle était dotée d'un immense jardin qui, s'il devait assurément être verdoyant et magnifique le jour, était relativement inquiétant, maintenant que la nuit était tombée. La musique était forte, et les murs vibraient. "La soirée va être bonne", pensa Benoît.
La porte s'ouvrit. C'était François.
« Entrez, les mecs ! » dit-il, avec des yeux qui illustraient à merveille son manque de sobriété.
La petite troupe s'exécuta. L'intérieur de la bâtisse était digne de son aspect extérieur ; devant eux se trouvait un grand salon, dans lequel des meubles anciens cohabitaient harmonieusement avec des objets derniers cris : une commode en chêne se trouvait à côté d'un écran plasma, et il y avait une table basse style Louis-Philippe sur laquelle était installée la sono. Les fauteuils avaient étés poussés, afin de laisser un espace libre, au centre de la pièce, où les gens étaient assis en cercle, accompagnés d'un nombre incalculable de bouteilles colorées et de gobelets, tantôt pleins, tantôt vides. On discutait, on riait, on buvait. Benoît ne connaissait pas tout le monde. Certes, la majorité des gens présents étaient des gens de la classe, mais certains venaient d'autres classes préparatoires. Il y avait un jeune homme aux cheveux longs et au style hippie qu'il avait déjà croisé dans les couloirs du lycée. De la même manière, une fille assez grande, rousse, et au nez retroussé, était en train de discuter avec Fred. La présence de ces inconnus ne lui déplaisait pas : c'était l'occasion ou jamais de faire quelques rencontres.
Benoît s'installa dans le cercle, qui déjà était en train de se briser, et se reconstituait progressivement en quelques groupes plus petits. Il y avait Nico, Fred et Clémence. Benoît décida de se servir un premier verre. On parlait de tout et de rien, des cours, des gens absents, de banalités. Banalités dont l'intérêt devenaient croissant au fur et à mesure que les verres se vidaient et se remplissaient. La conversation montait en intérêt, de manière proportionnelle à la descente du niveau de chaque verres. De fil en aiguille, on s'était mis à parler de politique, où plutôt, de l'absence d'intérêt de la jeunesse pour la politique. Fred prononça une phrase, qui retint l'attention de Benoît, malgré l'alcool qui commençait sérieusement à lui monter à la tête.
« On est une jeunesse sans idéaux, les mecs. »
Benoît se leva, prétextant une envie de pisser. La vérité était ailleurs ; il ne voulait pas avoir cette conversation. Son manque d'idées, son absence d'idéaux, il en était conscient, et il ne voulait pas penser à ça maintenant, tout de suite, l'esprit embrumé par l'alcool. De l'autre côté de la pièce, Léa discutait avec le jeune hippie de tout à l'heure. Il détourna le regard, et entra dans les chiottes. Il ne marchait pas très droit.
Etranges moments que ces moments où, seul avec soi-même, on se retrouve dans les toilettes, à se regarder dans le miroir, alors que les vibrations de la musique continuent à agiter les murs, comme provenant d'une autre dimension. Benoît appréciait grandement ces instants, dans les toilettes, où le temps paraissait être suspendu alors que la fête battait son plein. Une sorte de calme en plein cœur de la tempête, qu'il aimait particulièrement.
A la sortie des toilettes, Clémence était là, seule. Le sourire aux lèvres, le regard vague, elle faisait tourner machinalement une mèche bouclée entre ses doigts, pour des raisons mystérieuses que ses grands yeux étincelants ne semblaient vouloir révéler. Ces derniers se posèrent sur Benoît. Et tout se passa très vite. Benoît sentit quelque chose de chaud et de doux blottit contre lui. C'était Clémence ; elle s'était jetée dans ses bras avant même que son esprit, comme ankylosé par l'alcool, ne remarquât ce soudain élan de se part. Ne sachant que faire, mais guidé par une pulsion irraisonnable, il l'enlaça à son tour, posant ses mains dans le creux de ses hanches. Il restèrent ainsi, collés l'un contre l'autre, durant de longues secondes.
« Tu es vraiment un mec... unique, Benoît, lui dit-elle doucement. Malgré son cœur qui s'accélérait à chaque mots qu'elle prononçait, Benoît ne put s'empêcher de remarquer que son haleine empestait délicieusement le rhum.
— Toi aussi, répondit-il simplement. Les mots, par quelque étrange embouteillage, semblaient coincés au fond de sa gorge.
— Embrasse-moi dans le cou... »
Il ne savait pas si ces cinq mots avaient été prononcés par Clémence ou par les spiritueux qu'elle avait engloutis auparavant. Toujours est-il qu'il ne savait pas non plus si c'était lui ou bien l'alcool qui se mis à lui poser doucement des baisers dans le coin de son cou, délicatement, puis de manière de plus en plus fougueuse à mesure qu'il sentait l'étreinte de Clémence se resserrer. Elle sentait l'orange, elle sentait le sucré. Si l'ardeur avait été un parfum, elle aurait sans aucun doute été ce savant mélange d'agrumes qui émanait de son corps. Puis il senti à son tout les lèvres pulpeuses de Clémence lui caresser la peau. Dans cette intense étreinte, les amours de Benoît semblaient se mélanger ; la frustration qui lui travaillait les entrailles depuis des années semblait quitter son corps, comme transcendée par la réalité de cet autre corps qui s'offrait à lui. L'image de Léa s'imposa à lui, puis elle fut substituée par celle Manon, son ex. Mais très vite, c'est une autre image qui lui vint à l'esprit, bien plus imposante et écrasante, bien plus puissante que les précédentes. Océane était là, gigantesque, magnifique, et l'observait silencieusement dans un coin de sa tête.
Ce n'était pas Clémence, qu'il enlaçait fougueusement de la sorte ; c'était tout ses amours passés, manqués ou perdus.
Lorsqu'il comprit cela, il était déjà trop tard. Pour la première fois de son existence, Benoît s'était laissé allé à une pulsion purement physique, lui qui avait toujours recherché autre chose, peut-être même quelque chose de plus bestial et sauvage encore que l'attraction sexuelle. Benoît voulait de la Passion, il voulait ce qu'il avait déjà ressenti auparavant. Il voulait sentir ses entrailles s'ouvrir, se déchirer, pour finir en lambeaux. Il voulait souffrir, être un héros digne des plus grands poèmes romantiques. Il recherchait une sorte d'absolu inatteignable. Il voulait une deuxième Océane.
Benoît retira brusquement ses lèvres du cou de Clémence, et, alors que cette dernière s'apprêtait à l'embrasser, il la quitta.
« On a pas vingt ans tous les jours ! » disait-elle sans cesse, avec enthousiasme. Les deux frères se souhaitèrent mutuellement un bon anniversaire, puis la mère revint avec deux cadeaux. "Encore les mêmes, je suppose", ne put s'empêcher de penser Benoît, non pas de manière désolée, mais à la manière d'un vieux routard qui avait déjà emprunté cette route. Et en effet, les deux cadeaux, l'un pour lui, l'autre pour Antoine, étaient identiques. Benoît ne pu contenir un rire en voyant son cadeau, et toute l'ironie de la situation. Il s'agissait d'un nouveau portable.
« Merci beaucoup, Maman ! Je comptais justement changer de portable. Le précédent m'énervait pas mal... »
Comme chaque matins, Benoît et Antoine prirent ensemble le bus. Ils étaient en effet dans le même lycée ; mais ils avaient néanmoins choisis deux voies strictement opposées. Si l'un dédiait ces études aux lettres, l'autre était en classe préparatoire scientifique. Ils discutèrent, comme chaque matins, des mêmes banalités, leurs conversations tournant principalement autour de l'actualité vidéo ludique du moment. On disait qu'un remake de GTA : San Andreas allait sortir sur Xbox 360 et PS3. Alien : Isolation était, visiblement, pas aussi mauvais que ce qu'Antoine pensait, étant un grand fan de la licence cinématographique. Autour d'eux, toujours les mêmes visages. Benoît était frappé par cette vaste fresque humaine, si clichée, mais pourtant bien véridique, qui se jouait dans cet autobus. Du jeune au fond avec les écouteurs sur les oreilles jusqu'au vieillard, la canne entre les jambes, qui marmonnait dans sa barbe à propos du temps passé et du déclin de la jeunesse, tout les clichés étaient là. Enfin, le bus arriva à destination.
Les cours se passèrent normalement, sans incidents notables. Le travail donné par les professeurs commençait à s'accumuler, certes, mais rien d'anormal. Benoît, et les autres élèves d'ailleurs, avaient l'habitude de ce genre de choses. A la fin du cours, un seul mot d'ordre : vingt-heures tapante, devant le lycée. Ce soir, il n'écrirait pas.
Il passa rapidement chez lui, posa ses affaires, puis entreprit la difficile tâche de trouver des vêtements qui lui iraient à la perfection pour ce soir. Après tout, Léa sera là ; c'est elle même qui l'avait invité. Elle voulait qu'il soit là. Cette phrase, il se la répétait naïvement en boucle, comme s'il essayait de se convaincre qu'il était la seule personne au monde qu'elle voulait voir ce soir là. Après une longue hésitation entre la chemise blanche et la chemise à carreau, il opta pour la troisième option, la chemise noire, qui allait bien avec la fine barbe taillée qu'il arborait depuis quelques jours. Il se parfuma, un peu, mais pas trop, puis sa mère le déposa non loin du lycée. Mais pas trop prêt non plus. Á vingt ans, il ne voulait pas passer pour un assisté.
Devant le lycée, un petit groupe d'une dizaine de personnes s'était formé. Des gens de la classe. Léa était là, bien sûr, elle avait revêtu une robe blanche qui lui allait bien. Thomas et Pierre étaient s'étaient lancés dans ce qui semblait être un débat enflammé, et Benoît déduit, connaissant les deux individus, qu'ils étaient en plein débat politique. Le premier étant de droite, et l'autre étant de gauche, les deux se lançaient régulièrement dans ce genre de joutes verbales, d'autant plus que s'ils étaient séparés par des idées différentes, la passion écervelée qui animait leurs luttes respectives était bien la même. Benoît n'avait jamais été très branché politique. Il était du genre indécis, et être de droite ou de gauche était, déjà, un choix beaucoup trop tranché à son goût. Clémence s'était bouclée les cheveux, et avait une robe au décolleté hypnotique. Enfin, Nico s'approcha de lui avec entrain. Il transportait un sac, dans lequel se faisait entendre le bruit de bouteilles s'entrechoquant.
« Hey, Benoît ! J'espère que tu viens pas les mains vides, ma couille.
Ils s'appelaient "ma couille" depuis pas mal de temps.
— T'inquiètes, j'ai une bouteille de whisky dans mon sac », précisa Benoît, presque offensé par le doute émis par son pote. Après tout, il venait à chaque soirées avec une bouteille de whisky. C'était devenu une tradition personnelle ; et un oubli de la sorte serait perçu par lui même comme étant un véritable manquement à son honneur. Mathilde -la blonde, pas la brune - vint à leur rencontre.
« Prêts pour ce soir, les gars ?
— Carrément, répondit Benoît. Ca fait longtemps, qu'on est pas sorti faire la fête tous ensemble. J'espère que tu ne finiras pas comme la dernière fois !
Nico pouffa de rire. La dernière fois, Mathilde avait passé une nuit torride, en tête à tête avec les toilettes. Il y eût un échange de fluides, certes, mais ce fut majoritairement des fluides gastriques.
— Oui bon, ça va, hein ! La prochaine fois que ça t'arrive, je vais bien me foutre de ta gueule ! » acheva Mathilde, en regardant Benoît avec un amusant regard de défi.
Enfin, le petit groupe se mit en route en direction de la maison de François, qui était non loin et qui se trouvait être assez grande afin d'accueillir tout le monde. C'était une curieuse petite troupe que celle qui descendait la rue Victor-Hugo, en cette douce nuit automnale. Un petit groupe hétérogène de gens très différents, aux origines sociales très variées, qui, réunis par les hasards de la vie, riaient tous ensembles à gorges déployées. Benoît se sentait bien, parmi ces gens là. Enfin, ils arrivèrent devant la maison de François. C'était une vieille demeure, qui datait du siècle dernier. Elle avait trois étages, deux colonnes qui ressemblaient à du marbre soutenaient le vaste porche, et elle était dotée d'un immense jardin qui, s'il devait assurément être verdoyant et magnifique le jour, était relativement inquiétant, maintenant que la nuit était tombée. La musique était forte, et les murs vibraient. "La soirée va être bonne", pensa Benoît.
La porte s'ouvrit. C'était François.
« Entrez, les mecs ! » dit-il, avec des yeux qui illustraient à merveille son manque de sobriété.
La petite troupe s'exécuta. L'intérieur de la bâtisse était digne de son aspect extérieur ; devant eux se trouvait un grand salon, dans lequel des meubles anciens cohabitaient harmonieusement avec des objets derniers cris : une commode en chêne se trouvait à côté d'un écran plasma, et il y avait une table basse style Louis-Philippe sur laquelle était installée la sono. Les fauteuils avaient étés poussés, afin de laisser un espace libre, au centre de la pièce, où les gens étaient assis en cercle, accompagnés d'un nombre incalculable de bouteilles colorées et de gobelets, tantôt pleins, tantôt vides. On discutait, on riait, on buvait. Benoît ne connaissait pas tout le monde. Certes, la majorité des gens présents étaient des gens de la classe, mais certains venaient d'autres classes préparatoires. Il y avait un jeune homme aux cheveux longs et au style hippie qu'il avait déjà croisé dans les couloirs du lycée. De la même manière, une fille assez grande, rousse, et au nez retroussé, était en train de discuter avec Fred. La présence de ces inconnus ne lui déplaisait pas : c'était l'occasion ou jamais de faire quelques rencontres.
Benoît s'installa dans le cercle, qui déjà était en train de se briser, et se reconstituait progressivement en quelques groupes plus petits. Il y avait Nico, Fred et Clémence. Benoît décida de se servir un premier verre. On parlait de tout et de rien, des cours, des gens absents, de banalités. Banalités dont l'intérêt devenaient croissant au fur et à mesure que les verres se vidaient et se remplissaient. La conversation montait en intérêt, de manière proportionnelle à la descente du niveau de chaque verres. De fil en aiguille, on s'était mis à parler de politique, où plutôt, de l'absence d'intérêt de la jeunesse pour la politique. Fred prononça une phrase, qui retint l'attention de Benoît, malgré l'alcool qui commençait sérieusement à lui monter à la tête.
« On est une jeunesse sans idéaux, les mecs. »
Benoît se leva, prétextant une envie de pisser. La vérité était ailleurs ; il ne voulait pas avoir cette conversation. Son manque d'idées, son absence d'idéaux, il en était conscient, et il ne voulait pas penser à ça maintenant, tout de suite, l'esprit embrumé par l'alcool. De l'autre côté de la pièce, Léa discutait avec le jeune hippie de tout à l'heure. Il détourna le regard, et entra dans les chiottes. Il ne marchait pas très droit.
Etranges moments que ces moments où, seul avec soi-même, on se retrouve dans les toilettes, à se regarder dans le miroir, alors que les vibrations de la musique continuent à agiter les murs, comme provenant d'une autre dimension. Benoît appréciait grandement ces instants, dans les toilettes, où le temps paraissait être suspendu alors que la fête battait son plein. Une sorte de calme en plein cœur de la tempête, qu'il aimait particulièrement.
A la sortie des toilettes, Clémence était là, seule. Le sourire aux lèvres, le regard vague, elle faisait tourner machinalement une mèche bouclée entre ses doigts, pour des raisons mystérieuses que ses grands yeux étincelants ne semblaient vouloir révéler. Ces derniers se posèrent sur Benoît. Et tout se passa très vite. Benoît sentit quelque chose de chaud et de doux blottit contre lui. C'était Clémence ; elle s'était jetée dans ses bras avant même que son esprit, comme ankylosé par l'alcool, ne remarquât ce soudain élan de se part. Ne sachant que faire, mais guidé par une pulsion irraisonnable, il l'enlaça à son tour, posant ses mains dans le creux de ses hanches. Il restèrent ainsi, collés l'un contre l'autre, durant de longues secondes.
« Tu es vraiment un mec... unique, Benoît, lui dit-elle doucement. Malgré son cœur qui s'accélérait à chaque mots qu'elle prononçait, Benoît ne put s'empêcher de remarquer que son haleine empestait délicieusement le rhum.
— Toi aussi, répondit-il simplement. Les mots, par quelque étrange embouteillage, semblaient coincés au fond de sa gorge.
— Embrasse-moi dans le cou... »
Il ne savait pas si ces cinq mots avaient été prononcés par Clémence ou par les spiritueux qu'elle avait engloutis auparavant. Toujours est-il qu'il ne savait pas non plus si c'était lui ou bien l'alcool qui se mis à lui poser doucement des baisers dans le coin de son cou, délicatement, puis de manière de plus en plus fougueuse à mesure qu'il sentait l'étreinte de Clémence se resserrer. Elle sentait l'orange, elle sentait le sucré. Si l'ardeur avait été un parfum, elle aurait sans aucun doute été ce savant mélange d'agrumes qui émanait de son corps. Puis il senti à son tout les lèvres pulpeuses de Clémence lui caresser la peau. Dans cette intense étreinte, les amours de Benoît semblaient se mélanger ; la frustration qui lui travaillait les entrailles depuis des années semblait quitter son corps, comme transcendée par la réalité de cet autre corps qui s'offrait à lui. L'image de Léa s'imposa à lui, puis elle fut substituée par celle Manon, son ex. Mais très vite, c'est une autre image qui lui vint à l'esprit, bien plus imposante et écrasante, bien plus puissante que les précédentes. Océane était là, gigantesque, magnifique, et l'observait silencieusement dans un coin de sa tête.
Ce n'était pas Clémence, qu'il enlaçait fougueusement de la sorte ; c'était tout ses amours passés, manqués ou perdus.
Lorsqu'il comprit cela, il était déjà trop tard. Pour la première fois de son existence, Benoît s'était laissé allé à une pulsion purement physique, lui qui avait toujours recherché autre chose, peut-être même quelque chose de plus bestial et sauvage encore que l'attraction sexuelle. Benoît voulait de la Passion, il voulait ce qu'il avait déjà ressenti auparavant. Il voulait sentir ses entrailles s'ouvrir, se déchirer, pour finir en lambeaux. Il voulait souffrir, être un héros digne des plus grands poèmes romantiques. Il recherchait une sorte d'absolu inatteignable. Il voulait une deuxième Océane.
Benoît retira brusquement ses lèvres du cou de Clémence, et, alors que cette dernière s'apprêtait à l'embrasser, il la quitta.