Note de la fic :
Publié le 29/08/2014 à 16:32:29 par Loiseau
Je suis né quelques heures avant que le soleil ne meure. L’astre paternel qui avait éclairé le monde durant des millénaires s’était progressivement éteint, chandelle vacillant sous le vent du Temps. Je me souviens confusément de la lumière agonisante qui filtrait par la fenêtre de ma maison et des larmes de ma mère qui tombaient, salées, sur son sein et mon front. Je me rappelle vaguement de la voix grave d’un homme qui prononçait avec tristesse des mots que je ne connaissais pas et de l’odeur d’angoisse qui flottait dans la pièce. Je ne me souviens pas, en revanche – mais on me l’a raconté – du grésillement de la télévision et du spot gouvernemental qui annonçait en boucle et dans toutes les langues parlées :
-Citoyens du monde, le soleil va s’éteindre. Rejoignez les installations souterraines les plus proches. Je répète : rejoignez les installations souterraines les plus proches.
Mon dernier souvenir des heures suivant ma naissance est celui d’une course effrénée sur la route menant à la grande ville non loin de chez nous. J’étais balloté contre le torse de mon père et mes yeux tous neufs fixaient un point derrière lui. Une immense boule de lumière orange dévorée par les ombres de l’espace et un froid terrible qui s’installait.
Je sais que nous avons réussi à atteindre l’entrée d’une installation. Les gens s’y pressaient, terrorisés, certains essayaient d’emporter avec eux leurs meubles, leurs babioles, et des militaires les leurs arrachaient des mains. Pas de surplus inutile dans les abris. Ce n’était encore que le début…
Quelques années plus tard, j’ai vingt-deux ans. Je vis, comme tous les autres êtres humains, en troglodyte. Les abris étaient devenus un véritable monde souterrain, une fourmilière grouillante semblable à ce que fut notre monde. A la différence qu’il n’y avait que des jeunes dans ce monde ci. Aucun de ceux qui avaient un jour connu la lumière du soleil n’avait survécu longtemps, et leurs enfants et petits-enfants non plus. La durée de vie est d’une trentaine d’année, tout au plus, et je sais que mon tour viendra donc bientôt. Ce n’est pas une mauvaise chose. Personne ne veut vivre longtemps dans les souterrains, et personne ne peut vivre dans l’ancien monde. Trop froid, beaucoup trop froid. Certains s’y étaient risqués et avaient presque gelés sur place. Les souterrains aussi sont froids, mais on peut tout de même y vivre (si vivre est vraiment le mot …).
Malgré la durée de vie réduite, les instincts bestiaux de l’humain sont toujours présents et meurtres et viols sont monnaie courante dans ces couloirs sombres, ces espaces clos et ces dortoirs insalubres et à la promiscuité dangereuse. Au début un semblant d’ordre régnait, grâce aux militaires et aux policiers, mais sans personne pour les diriger ils devinrent des « gens normaux ». Prêts à tuer pour une boite de conserve, un manteau plus chaud, ou même une moisissure comestible.
On a aussi entendu parler de quelques cas de cannibalisme. Et j’ai été le témoin de l’un de ces cas.
C’est en errant dans les couloirs sans but précis, en essayant d’éviter les excréments au sol, les cadavres ou presque-cadavres affalés contre les murs, les vendeurs de paradis artificiels et autres enfers en seringues, les types dangereux, les bagarres… que je me retrouvais devant une salle comme il y en a beaucoup dans le monde souterrain. Ce sont de simples cubes, sans raison d’être particulière. Ils servent souvent de salles de shoot ou de boxons. Celui-ci était pire.
Au centre de la pièce, à même le sol répugnant, une femme se tenait allongée, haletante et les jambes écartées. Quatre personnes, trois hommes et une autre femme, se tenaient accroupis près d’elle. Tous étaient d’une maigreur affolante. J’observais la scène dans une fascination horrifiée. La femme allongée était en train d’accoucher ! Et à peine le nouveau-né avait-il sortit sa tête que l’autre femme se saisit de lui et l’extirpa de la matrice tandis que la nouvelle mère hurlait de douleur. Je ne pouvais plus bouger tant l’angoisse et le dégoût me paralysaient. Puis tous se redressèrent et s’approchèrent de l’enfant, tout couvert de sang et de placenta, encore relié à sa mère par le cordon ombilical. Il poussa un vagissement au moment où l’un des hommes sortait un surin rouillé de la poche de son manteau et tranchait le lien. La mère se redressa et prit l’enfant dans ses bras sans la moindre tendresse, avec de la répulsion dans le regard. Puis un rictus déforma sa bouche, elle tendit l’enfant à ceux qui l’entouraient et cria :
-Bon appétit, mes amis. C’est la maison qui offre !
Je ne décrirai pas ce qui suivit. Mais c’est ce qui m’a poussé à retourner à la surface, en dépit du froid, en dépit de la mort certaine qui m’attendait là-bas.
C’est aujourd’hui, que je remonte.
Vêtu de plusieurs couches de manteaux, désarmé, résigné, je me suis rendu « de nuit » à l’une des sorties du souterrain. Rien ne nous interdit de sortir, c’est une manière comme une autre de mourir et, au moins, ça limite les risques de maladies. J’ouvre la porte du sas et la referme derrière moi. Quelqu’un s’y trouve déjà, mort ou vivant je n’en sais rien. Il ou elle est allongé dans un coin et ne bouge pas, ne semble même pas respirer. Peu importe. J’ouvre la deuxième porte et le froid me saisit. Seules les étoiles et une lune blafarde, éclairée par des astres bien plus lointains que feu notre soleil, apportent un semblant de lumière à ce monde mort. Chacune de mes inspirations est douloureuse mais, resserrant mes oripeaux, j’avance. Je sais parfaitement où je vais. Je rejoins, sans même connaitre le chemin, la petite ferme où je suis né, à l’écart de la ville. Autour de moi tout est gelé, pâle, fragilisé. Les immeubles tombent en ruines, les arbres sont des fossiles sinistres sortant du sol et des corps gisent çà et là.
Au bout de quelques minutes de marche dans un froid assassin, j’aperçois ma ferme au loin. Il ne reste pas grand-chose debout mais je la reconnais malgré tout. Mes parents me l’ont maintes fois décrite et un sentiment étrange me prend à la gorge lorsque je contemple cette vieille bâtisse effondrée… Je m’en approche lentement tout en réalisant que mes forces me quittent plus rapidement que ce que je pensais. Inutile d’essayer d’entrer. Je me contente d’en faire le tour. Derrière la baraque, ce qui fut un champ de tournesols et qui n’est plus qu’un cimetière désormais… La terre y est morte et les fleurs, comme cristallisées, tournent leurs fleurs blanches vers… La lune ? Pris d’un doute, je me précipite sur la fleur la plus proche et touche en tremblotant les pétales opalescents. Ils sont froids mais vivants. Ces fleurs vivent… de la lune !
Tournant les yeux vers le firmament alors que mes jambes s’effondrent sous moi et que je tombe parmi les fleurs, je me remémore le poème d’un prophète des souterrains.
[c]Virelune, virelune
Fleur perlée
Plante de Neptune
Tu es la vie après la mort
Le renouveau, le bel essor
Le premier chant d’un âge d’or
Ô Virelune, immortelle des glaces
Fille du tournesol
Divine obole
Puissante grâce
Sauve-nous ![/c]
-Citoyens du monde, le soleil va s’éteindre. Rejoignez les installations souterraines les plus proches. Je répète : rejoignez les installations souterraines les plus proches.
Mon dernier souvenir des heures suivant ma naissance est celui d’une course effrénée sur la route menant à la grande ville non loin de chez nous. J’étais balloté contre le torse de mon père et mes yeux tous neufs fixaient un point derrière lui. Une immense boule de lumière orange dévorée par les ombres de l’espace et un froid terrible qui s’installait.
Je sais que nous avons réussi à atteindre l’entrée d’une installation. Les gens s’y pressaient, terrorisés, certains essayaient d’emporter avec eux leurs meubles, leurs babioles, et des militaires les leurs arrachaient des mains. Pas de surplus inutile dans les abris. Ce n’était encore que le début…
Quelques années plus tard, j’ai vingt-deux ans. Je vis, comme tous les autres êtres humains, en troglodyte. Les abris étaient devenus un véritable monde souterrain, une fourmilière grouillante semblable à ce que fut notre monde. A la différence qu’il n’y avait que des jeunes dans ce monde ci. Aucun de ceux qui avaient un jour connu la lumière du soleil n’avait survécu longtemps, et leurs enfants et petits-enfants non plus. La durée de vie est d’une trentaine d’année, tout au plus, et je sais que mon tour viendra donc bientôt. Ce n’est pas une mauvaise chose. Personne ne veut vivre longtemps dans les souterrains, et personne ne peut vivre dans l’ancien monde. Trop froid, beaucoup trop froid. Certains s’y étaient risqués et avaient presque gelés sur place. Les souterrains aussi sont froids, mais on peut tout de même y vivre (si vivre est vraiment le mot …).
Malgré la durée de vie réduite, les instincts bestiaux de l’humain sont toujours présents et meurtres et viols sont monnaie courante dans ces couloirs sombres, ces espaces clos et ces dortoirs insalubres et à la promiscuité dangereuse. Au début un semblant d’ordre régnait, grâce aux militaires et aux policiers, mais sans personne pour les diriger ils devinrent des « gens normaux ». Prêts à tuer pour une boite de conserve, un manteau plus chaud, ou même une moisissure comestible.
On a aussi entendu parler de quelques cas de cannibalisme. Et j’ai été le témoin de l’un de ces cas.
C’est en errant dans les couloirs sans but précis, en essayant d’éviter les excréments au sol, les cadavres ou presque-cadavres affalés contre les murs, les vendeurs de paradis artificiels et autres enfers en seringues, les types dangereux, les bagarres… que je me retrouvais devant une salle comme il y en a beaucoup dans le monde souterrain. Ce sont de simples cubes, sans raison d’être particulière. Ils servent souvent de salles de shoot ou de boxons. Celui-ci était pire.
Au centre de la pièce, à même le sol répugnant, une femme se tenait allongée, haletante et les jambes écartées. Quatre personnes, trois hommes et une autre femme, se tenaient accroupis près d’elle. Tous étaient d’une maigreur affolante. J’observais la scène dans une fascination horrifiée. La femme allongée était en train d’accoucher ! Et à peine le nouveau-né avait-il sortit sa tête que l’autre femme se saisit de lui et l’extirpa de la matrice tandis que la nouvelle mère hurlait de douleur. Je ne pouvais plus bouger tant l’angoisse et le dégoût me paralysaient. Puis tous se redressèrent et s’approchèrent de l’enfant, tout couvert de sang et de placenta, encore relié à sa mère par le cordon ombilical. Il poussa un vagissement au moment où l’un des hommes sortait un surin rouillé de la poche de son manteau et tranchait le lien. La mère se redressa et prit l’enfant dans ses bras sans la moindre tendresse, avec de la répulsion dans le regard. Puis un rictus déforma sa bouche, elle tendit l’enfant à ceux qui l’entouraient et cria :
-Bon appétit, mes amis. C’est la maison qui offre !
Je ne décrirai pas ce qui suivit. Mais c’est ce qui m’a poussé à retourner à la surface, en dépit du froid, en dépit de la mort certaine qui m’attendait là-bas.
C’est aujourd’hui, que je remonte.
Vêtu de plusieurs couches de manteaux, désarmé, résigné, je me suis rendu « de nuit » à l’une des sorties du souterrain. Rien ne nous interdit de sortir, c’est une manière comme une autre de mourir et, au moins, ça limite les risques de maladies. J’ouvre la porte du sas et la referme derrière moi. Quelqu’un s’y trouve déjà, mort ou vivant je n’en sais rien. Il ou elle est allongé dans un coin et ne bouge pas, ne semble même pas respirer. Peu importe. J’ouvre la deuxième porte et le froid me saisit. Seules les étoiles et une lune blafarde, éclairée par des astres bien plus lointains que feu notre soleil, apportent un semblant de lumière à ce monde mort. Chacune de mes inspirations est douloureuse mais, resserrant mes oripeaux, j’avance. Je sais parfaitement où je vais. Je rejoins, sans même connaitre le chemin, la petite ferme où je suis né, à l’écart de la ville. Autour de moi tout est gelé, pâle, fragilisé. Les immeubles tombent en ruines, les arbres sont des fossiles sinistres sortant du sol et des corps gisent çà et là.
Au bout de quelques minutes de marche dans un froid assassin, j’aperçois ma ferme au loin. Il ne reste pas grand-chose debout mais je la reconnais malgré tout. Mes parents me l’ont maintes fois décrite et un sentiment étrange me prend à la gorge lorsque je contemple cette vieille bâtisse effondrée… Je m’en approche lentement tout en réalisant que mes forces me quittent plus rapidement que ce que je pensais. Inutile d’essayer d’entrer. Je me contente d’en faire le tour. Derrière la baraque, ce qui fut un champ de tournesols et qui n’est plus qu’un cimetière désormais… La terre y est morte et les fleurs, comme cristallisées, tournent leurs fleurs blanches vers… La lune ? Pris d’un doute, je me précipite sur la fleur la plus proche et touche en tremblotant les pétales opalescents. Ils sont froids mais vivants. Ces fleurs vivent… de la lune !
Tournant les yeux vers le firmament alors que mes jambes s’effondrent sous moi et que je tombe parmi les fleurs, je me remémore le poème d’un prophète des souterrains.
[c]Virelune, virelune
Fleur perlée
Plante de Neptune
Tu es la vie après la mort
Le renouveau, le bel essor
Le premier chant d’un âge d’or
Ô Virelune, immortelle des glaces
Fille du tournesol
Divine obole
Puissante grâce
Sauve-nous ![/c]
Commentaires
- Loiseau
30/08/2014 à 13:24:49
Merci !
Le but est justement qu'elle soit courte. Mais bon, peut-être qu'un jour je me déciderai à l'étoffer ! - VonDaklage
29/08/2014 à 18:34:53
Comme c'est beau !
Il y a matière à ce que tu étires la nouvelle, voire même la rallonger je pense.