Note de la fic :
Publié le 19/08/2013 à 01:18:02 par Pseudo supprimé
L'homme ouvrit lentement les yeux, perçant de son regard endormi les brumes d'un indiscernable souvenir. Celui du rêve auquel il venait d'échapper. Fermant à nouveau ses paupières, il emplit lentement ses poumons d'un air matinal qui se voulait pur et frais, finissant ainsi de se réveiller d'une courte nuit d'été. Le silence relatif du parc était traversé çà et là par quelques éclats de rire enfantins, fusants à travers les verts branchages. Cet endroit, baigné d'un doux lever de soleil, avait quelque chose d'étrange, de particulier et d'unique. C'est pourquoi l'homme aimait tant venir méditer ici ; dans l'espoir de fuir, les cauchemars peut-être, démons de ses nuits, en tout cas ses problèmes et penser à autre chose, penser tout simplement à rien.
Oui, cet endroit avait ceci de particulier que tout y semblait harmonieux, tout y était parfait. Même un pauvre clochard comme lui finissant sa nuit, affalé sur un triste banc de bois semblait y trouver sa place. C'était un peu comme si deux choses, aussi distinctes que l'espace et le temps, se réunissaient soudain en un même point... Créant ainsi un lieu, prisonnier entre deux mondes. Sur cette étrange pensée, la poitrine de l'homme se souleva à nouveau.
Les éclats de rire et les chauds rayons filtraient doucement, à mesure qu'une brise légère jouait son éternelle mélopée à travers la cime des arbres. En tendant un peu l'oreille, on pouvait aisément entendre le chant de quelques oiseaux, auquel répondaient, encore timidement, quelques hésitants grillons. Mais il y avait quelque chose d'autre. Quelque chose qui gênait, et mettait mal à l'aise. Quelque chose comme une plainte rauque, un chuintement à peine perceptible à travers tous ces sons. Quelque chose d'étranger à ce lieu.
La brise se renforça soudain. Le vent souffla, portant les volatiles à s'envoler dans d'horribles et stridents croassements, accompagnés de claquements d'ailes. L'homme tremblait, tétanisé, une perle de sueur froide lui hérissant l'échine. Un cri sauvage, un hurlement de détresse mi-homme, mi-animal venait de jaillir de derrière les épais buissons, le figeant sur place. Si bref fût-il, ce seul et terrible rugissement fut si puissant qu'il sembla modifier le cours même du temps, crevant l'espace d'une seconde la surface rassurante du réel. Son appel voyagea jusqu'aux abîmes infernaux que la conscience tient hors de portée des lumières de l'éveil. Les cauchemardesques ombres de ces gouffres venaient de sortir de leur torpeur et l'infini d'un instant, ramper en dehors du rêve.
Les éclats de rire revinrent alors, comme si rien ne s'était passé, ramenant l'homme au moment présent. Celui-ci se leva d'un bond en secouant la tête, clignant des yeux, tentant de se persuader de ce qu'il venait d'entendre. Ce cri... Était-il humain ? Ou animal ? Il n'aurait su le dire. Quelques oiseaux dansaient gracieusement dans un nouveau ballet, rendant à l'endroit son harmonie brisée. L'était-elle réellement ? N'avait-il pas tout imaginé ? L'homme était perdu en son imagination ; mille idées fusaient de toutes parts. La peur, la lâcheté, le sommeil et la paresse l'obligeant à rester ici, le laissant pantelant. Mais, l'envie et la fierté, le défi et surtout le besoin de rationaliser l'accident, prirent le dessus, le tirant malgré lui vers le son, l'emportant pas à pas derrière l'épais bosquet.
Lentement, il avança à travers les denses feuillages, tentant du mieux qu'il pouvait de les écarter de ses mains. Ses pieds écrasants de minces racines, manquaient maintes fois de faire coincer ses veilles chaussures trouées et le faire basculer tête en avant. Le buisson griffu semblait vouloir le retenir de ses branches, l'agrippant tel un monstre tentaculaire, déchirant dans de secs craquements les quelques bouts de tissus de ses loques d'habits. Serrant les dents, l'adulte avisa un tronc d'arbre sur sa droite. Sans prendre garde à l'écorce suintante, il prit appuie de sa main pour finalement parvenir à s'extirper de ce piège dans un concert de craquements sonores, qui n'étaient pas sans rappeler le bruit d'os qui se brisent net.
Sur cette pensée, l'homme essuya ses mains moites sur ce qu'il lui restait de vêtements. Il jura. L'une d'entre elles était presque entièrement recouverte de sève. Qu'il devait avoir l'air pitoyable ainsi ! Quel visage offrait-il aux gens avec sa barbe naissante ? Avec ses cheveux et ses yeux graisseux, emmêlés à n'en plus pouvoir, tels les feuillages de ce buisson auquel il venait de réchapper ? Il pesta en contemplant avec dégout sa main poisseuse, gluante d'un liquide d'ébène. Il en avait marre de ce monde. Il en avait marre de cette vie.
Avisant un lavoir, il décida de s'y trainer, dans l'espoir de se purger de ce liquide infâme qui lui serrait les doigts. Qu'est-ce qui lui avait pris de traverser ces fourrés ? Il était à présent convaincu qu'il n'y avait pas eu de cri. Ou peut-être, mais pas un cri épouvantable comme il avait cru l'entendre ! Peut-être était-ce... Non, il ne voyait pas. Mais qu'importe ? Au moins, l'endroit comportait une large bassine d'eau propre dans laquelle il pourrait se laver. À bien y regarder, elle n'était pas si propre que ça. Une masse noirâtre semblait flotter en son sein. De plus près, on y voyait deux extrémités... Une plus longue, quelque peu recourbée sur elle-même, et l'autre de forme plus arrondie... Une tête ? Une... oui, l'homme pouvait apercevoir deux yeux verts, sans vies, qui semblaient le fixer par delà le gouffre de la mort. Et quelque chose comme... un corps de chat. Plissant les yeux, il le vit. Un chat noyé qui flottait au-dessus de l'onde en le fixant, en l'accusant.
Le vent souffla de plus belle, les feuilles mortes, arrachées aux arbres enflammés par un soleil dépérissant, dansaient tout autour de la scène dans un éternel ballet mortel. Le souffle macabre précipita le corps sans vie jusqu'au bord du lavoir. Et cette ambiance pesante, cette impression le prenait aux tripes. Ici, il n'avait pas sa place. L'humain tremblant de froid, sortit l'animal des flots avant de détourner les yeux. Détourner les yeux de ce cadavre, de ce regard sans vie, qui pourtant semblait le fixer de l'au-delà. S'obligeant à respirer lentement pour se raisonner, l'homme chercha une sortie. L'air, presque palpable, était empli tout entier de cet horrible parfum de moisissure. Comme si d'invisibles corps en putréfactions se trouvaient tout autour de lui.
— Merci, souffla quelque chose.
La voix froide figea l'humain sur place. Son sang se glaça, ses yeux s'écarquillèrent. Il l'aurait juré... Il n'y avait que la mort dans cette clairière. Une rafale putride survola l'endroit.
— Tu ne te retournes pas ? Reprit la voix de femme, mielleuse, douce comme une menace.
— N.. Non. Balbutia l'homme. Pars, je t'en pris. Je n'ai rien fait...
— Mais si...
Sa voix était douce comme un souffle, douce comme la mort qu'elle semblait promettre.
— Pourquoi trembles-tu ? Insiste-t-elle, incrédule, peut-être même amusée, semblant chaque seconde plus proche. Tu as peur.
Les ténèbres semblaient dévorer le soleil, assombrissant les ciels nuageux à mesure que la créature approchait. Elle était là, juste derrière lui, le cadavre avait disparu. L'humain frissonnait de terreur, ne pouvant bouger. Un souffle mortel roula sur sa nuque, glaçant la sueur froide qui lui parcourait le dos. Le fil froid d'une lame lui lissa lentement les contours du cou. Il déglutit, tétanisé d'épouvante, sentant une patte, une main, quatre griffes fines s'enfoncer dans la chair, se ficher dans son épaule. L'homme serra les dents, les larmes aux yeux, un liquide chaud se répandait autour de sa blessure. L'odeur de chair calcinée lui remontait au visage, brulant ses yeux voilés. Il avait froid.
— Vois comme tu trembles ! gloussa la créature. Maintenant, ouvre les yeux !
Les sons semblaient se perdre, la consistance des choses changer. Tout devenait sombre, tout lui parvenait de loin. Son corps ne lui répondait plus. Ses sens devenaient néant. Seule persistait la douleur. La morsure du froid à travers ses habits. Le froid de la mort... Peut-être. Non. C'était trop réel. C'était...
— NOOOOON !!
L'homme, pris d'une terreur sans borne, se jeta à terre, s'enfouissant le visage tout entier dans la neige. Il hurlait, bougeait en tout sens, se débattait tant qu'il pouvait, laissant son rugissement se perdre à travers l'immensité de l'endroit. C'était affreux. Cette créature, cette odeur, cette souffrance. Ce cauchemar, aussi réel que l'on puisse l'imaginer. Le vivre. Épuisé, il tenta de se relever, avant se s'écrouler, tombant à genoux. Les jambes pantelantes. C'était fini... Un cauchemar... Oui, c'était fini. Il s'obligea à respirer calmement, ses larmes chaudes s'enfonçaient dans le manteau blanc qui recouvrait le sol.
— Tu m'as sauvée, je t'ai ouvert les yeux. Commença une voix féline, amusée, dans son dos. Nous sommes quittes.
Hoquetant de surprise, le visage de l'homme se figea dans un masque d'épouvante tandis qu'un flot de terreur pure s'échappait de ses yeux.
— Regarde dans quel état tu te mets. Souffla-t-elle dans son dos, d'un ton empli de faux reproches.
La créature se délectait de ces instants. Ces moments où ces frêles ignorants étaient si faibles.
Lentement, l'homme tourna la tête, cherchant à savoir à qui il parlait. Il reconnaissait l'endroit, le lavoir. Mais tout autour de lui une multitude de cadavres étaient empilés les uns sur les autres. Certains humains, d'autres informes, rongés pour la plupart par des centaines de vers. Les relents étaient pestilentiels et l'ensemble formait une masse blanchâtre, couverte de mucus verdâtre se mouvant en tous sens dans de répugnants bruits de succions, comme animées d'une vie propre. L'humain toussa de dégout, laissant glisser entre ses doigts poisseux une matière chaude et visqueuse. Celle-ci s'écrasa au sol, creusant la neige dans un dégagement de vapeur avant de disparaître entièrement.
— Où... Où suis-je ?! Implora l'homme en tournant son écœurant visage vers son ravisseur.
Quelque chose bondit soudain sur son épaule. Ses doigts fins, ses vives griffes raclèrent et s'enfoncèrent. L'humain ne pouvait pas fuir... il avait trop peur et... et il était bien aussi. La terreur le cajolait, lui offrant une torpeur qui lui parlait d'extase. Une douce caresse lui frôla l'oreille tandis que la masse noire s'installait contre sa tête.
— Où es-tu ? Où es-tu ? Mima doucement la voix. Mais où penses-tu donc être ?
Il déglutit. Quelle était cette chose ? Il n'osait tourner son regard vers elle de peur de ce qui pourrait se passer. Il lui suffirait d'un coup, d'un seul, pour lui lacérer le visage et lui arracher la vue. Il le savait, il le sentait. Tout ceci paraissait si vrai. Mais pourtant... Oui, ça ne pouvait l'être.
— Je.. Je rêve.. Tenta-t-il, et son audace lui faisait craindre le pire.
Un rire clair et limpide éclata près de lui. L'homme se retourna brusquement, sans même le vouloir. Le poids qui le clouait sur place avait disparu, sa blessure s'en était allée. Et déjà le décor changeait, la neige devenait boue ; boue qui s'évaporait, laissant de larges trous de vide à même le sol à mesure que chutaient d'immenses, de titanesques gouttes d'eau, chacune large comme le monde qu'il croyait avoir quitté. Rien ne se pouvait, mais pourtant...
— Es-tu Homme qui rêve être papillon, ou bien papillon qui rêve être un Homme ? Mais si tu rêves... Commença la voix de cauchemars. C'est que je suis toi, n'est-ce pas ? Pourtant, peux-tu me faire partir ?
Entièrement perdu, pris de malaise dans ce monde sans logique, le concerné ferma les yeux, niant ce qu'il voyait, ce qui ne pouvait être. Il sentait un vent immobile lui caresser ses deux visages, tandis qu'un monde nouveau lui apparaissait peu à peu, sans qu'il eût ouvert ses paupières.
— Je vois ce que tu cherches à faire, poursuivit la créature sans parler, tu cherches à te réveiller en t'endormant... mais sache que tu ne feras que t'endormir en te réveillant. Tu vois pour la première fois, si tu poursuis sur cette voie, ça sera également la dernière.
— Tu ne peux pas exister !! Hurla l'homme en se saisissant la tête de ses mains. Comment un monde sans logique pourrait exister ?!
— Et comment un monde si petit que celui que tu crois réel aux lois si définit pourrait exister ?
L'homme sentit un sourire se dessiner quelque part, mais déjà plus rien n'était. Aspiré par la vision qu'il avait eue, il creva sans s'en rendre compte la mince surface du réel, émergeant dans une grande inspiration comme on le ferait de l'eau, comme on le fait d'une nuit de cauchemars. Son cœur cognait dans sa poitrine. Il secoua la tête en clignant fortement des yeux dans l'espoir de se convaincre du rêve qu'il venait de faire. Une main collante accrocha la sueur sur son front. Tout était normal.
Le banc sur lequel il reposait baignait dans une douce clairière. Au loin, il pouvait entendre les oiseaux et quelques rires d'enfants. De même, quelque chose vibrait sur sa poitrine. Il y posa ses yeux... Pour y trouver les iris émeraude d'un chat au manteau de nuit.
Ce dernier se leva tout en le considérant du regard, et, semblant hocher la tête, bondit hors de sa vue pour se perdre dans l'obscurité des branchages.
Oui, cet endroit avait ceci de particulier que tout y semblait harmonieux, tout y était parfait. Même un pauvre clochard comme lui finissant sa nuit, affalé sur un triste banc de bois semblait y trouver sa place. C'était un peu comme si deux choses, aussi distinctes que l'espace et le temps, se réunissaient soudain en un même point... Créant ainsi un lieu, prisonnier entre deux mondes. Sur cette étrange pensée, la poitrine de l'homme se souleva à nouveau.
Les éclats de rire et les chauds rayons filtraient doucement, à mesure qu'une brise légère jouait son éternelle mélopée à travers la cime des arbres. En tendant un peu l'oreille, on pouvait aisément entendre le chant de quelques oiseaux, auquel répondaient, encore timidement, quelques hésitants grillons. Mais il y avait quelque chose d'autre. Quelque chose qui gênait, et mettait mal à l'aise. Quelque chose comme une plainte rauque, un chuintement à peine perceptible à travers tous ces sons. Quelque chose d'étranger à ce lieu.
La brise se renforça soudain. Le vent souffla, portant les volatiles à s'envoler dans d'horribles et stridents croassements, accompagnés de claquements d'ailes. L'homme tremblait, tétanisé, une perle de sueur froide lui hérissant l'échine. Un cri sauvage, un hurlement de détresse mi-homme, mi-animal venait de jaillir de derrière les épais buissons, le figeant sur place. Si bref fût-il, ce seul et terrible rugissement fut si puissant qu'il sembla modifier le cours même du temps, crevant l'espace d'une seconde la surface rassurante du réel. Son appel voyagea jusqu'aux abîmes infernaux que la conscience tient hors de portée des lumières de l'éveil. Les cauchemardesques ombres de ces gouffres venaient de sortir de leur torpeur et l'infini d'un instant, ramper en dehors du rêve.
Les éclats de rire revinrent alors, comme si rien ne s'était passé, ramenant l'homme au moment présent. Celui-ci se leva d'un bond en secouant la tête, clignant des yeux, tentant de se persuader de ce qu'il venait d'entendre. Ce cri... Était-il humain ? Ou animal ? Il n'aurait su le dire. Quelques oiseaux dansaient gracieusement dans un nouveau ballet, rendant à l'endroit son harmonie brisée. L'était-elle réellement ? N'avait-il pas tout imaginé ? L'homme était perdu en son imagination ; mille idées fusaient de toutes parts. La peur, la lâcheté, le sommeil et la paresse l'obligeant à rester ici, le laissant pantelant. Mais, l'envie et la fierté, le défi et surtout le besoin de rationaliser l'accident, prirent le dessus, le tirant malgré lui vers le son, l'emportant pas à pas derrière l'épais bosquet.
Lentement, il avança à travers les denses feuillages, tentant du mieux qu'il pouvait de les écarter de ses mains. Ses pieds écrasants de minces racines, manquaient maintes fois de faire coincer ses veilles chaussures trouées et le faire basculer tête en avant. Le buisson griffu semblait vouloir le retenir de ses branches, l'agrippant tel un monstre tentaculaire, déchirant dans de secs craquements les quelques bouts de tissus de ses loques d'habits. Serrant les dents, l'adulte avisa un tronc d'arbre sur sa droite. Sans prendre garde à l'écorce suintante, il prit appuie de sa main pour finalement parvenir à s'extirper de ce piège dans un concert de craquements sonores, qui n'étaient pas sans rappeler le bruit d'os qui se brisent net.
Sur cette pensée, l'homme essuya ses mains moites sur ce qu'il lui restait de vêtements. Il jura. L'une d'entre elles était presque entièrement recouverte de sève. Qu'il devait avoir l'air pitoyable ainsi ! Quel visage offrait-il aux gens avec sa barbe naissante ? Avec ses cheveux et ses yeux graisseux, emmêlés à n'en plus pouvoir, tels les feuillages de ce buisson auquel il venait de réchapper ? Il pesta en contemplant avec dégout sa main poisseuse, gluante d'un liquide d'ébène. Il en avait marre de ce monde. Il en avait marre de cette vie.
Avisant un lavoir, il décida de s'y trainer, dans l'espoir de se purger de ce liquide infâme qui lui serrait les doigts. Qu'est-ce qui lui avait pris de traverser ces fourrés ? Il était à présent convaincu qu'il n'y avait pas eu de cri. Ou peut-être, mais pas un cri épouvantable comme il avait cru l'entendre ! Peut-être était-ce... Non, il ne voyait pas. Mais qu'importe ? Au moins, l'endroit comportait une large bassine d'eau propre dans laquelle il pourrait se laver. À bien y regarder, elle n'était pas si propre que ça. Une masse noirâtre semblait flotter en son sein. De plus près, on y voyait deux extrémités... Une plus longue, quelque peu recourbée sur elle-même, et l'autre de forme plus arrondie... Une tête ? Une... oui, l'homme pouvait apercevoir deux yeux verts, sans vies, qui semblaient le fixer par delà le gouffre de la mort. Et quelque chose comme... un corps de chat. Plissant les yeux, il le vit. Un chat noyé qui flottait au-dessus de l'onde en le fixant, en l'accusant.
Le vent souffla de plus belle, les feuilles mortes, arrachées aux arbres enflammés par un soleil dépérissant, dansaient tout autour de la scène dans un éternel ballet mortel. Le souffle macabre précipita le corps sans vie jusqu'au bord du lavoir. Et cette ambiance pesante, cette impression le prenait aux tripes. Ici, il n'avait pas sa place. L'humain tremblant de froid, sortit l'animal des flots avant de détourner les yeux. Détourner les yeux de ce cadavre, de ce regard sans vie, qui pourtant semblait le fixer de l'au-delà. S'obligeant à respirer lentement pour se raisonner, l'homme chercha une sortie. L'air, presque palpable, était empli tout entier de cet horrible parfum de moisissure. Comme si d'invisibles corps en putréfactions se trouvaient tout autour de lui.
— Merci, souffla quelque chose.
La voix froide figea l'humain sur place. Son sang se glaça, ses yeux s'écarquillèrent. Il l'aurait juré... Il n'y avait que la mort dans cette clairière. Une rafale putride survola l'endroit.
— Tu ne te retournes pas ? Reprit la voix de femme, mielleuse, douce comme une menace.
— N.. Non. Balbutia l'homme. Pars, je t'en pris. Je n'ai rien fait...
— Mais si...
Sa voix était douce comme un souffle, douce comme la mort qu'elle semblait promettre.
— Pourquoi trembles-tu ? Insiste-t-elle, incrédule, peut-être même amusée, semblant chaque seconde plus proche. Tu as peur.
Les ténèbres semblaient dévorer le soleil, assombrissant les ciels nuageux à mesure que la créature approchait. Elle était là, juste derrière lui, le cadavre avait disparu. L'humain frissonnait de terreur, ne pouvant bouger. Un souffle mortel roula sur sa nuque, glaçant la sueur froide qui lui parcourait le dos. Le fil froid d'une lame lui lissa lentement les contours du cou. Il déglutit, tétanisé d'épouvante, sentant une patte, une main, quatre griffes fines s'enfoncer dans la chair, se ficher dans son épaule. L'homme serra les dents, les larmes aux yeux, un liquide chaud se répandait autour de sa blessure. L'odeur de chair calcinée lui remontait au visage, brulant ses yeux voilés. Il avait froid.
— Vois comme tu trembles ! gloussa la créature. Maintenant, ouvre les yeux !
Les sons semblaient se perdre, la consistance des choses changer. Tout devenait sombre, tout lui parvenait de loin. Son corps ne lui répondait plus. Ses sens devenaient néant. Seule persistait la douleur. La morsure du froid à travers ses habits. Le froid de la mort... Peut-être. Non. C'était trop réel. C'était...
— NOOOOON !!
L'homme, pris d'une terreur sans borne, se jeta à terre, s'enfouissant le visage tout entier dans la neige. Il hurlait, bougeait en tout sens, se débattait tant qu'il pouvait, laissant son rugissement se perdre à travers l'immensité de l'endroit. C'était affreux. Cette créature, cette odeur, cette souffrance. Ce cauchemar, aussi réel que l'on puisse l'imaginer. Le vivre. Épuisé, il tenta de se relever, avant se s'écrouler, tombant à genoux. Les jambes pantelantes. C'était fini... Un cauchemar... Oui, c'était fini. Il s'obligea à respirer calmement, ses larmes chaudes s'enfonçaient dans le manteau blanc qui recouvrait le sol.
— Tu m'as sauvée, je t'ai ouvert les yeux. Commença une voix féline, amusée, dans son dos. Nous sommes quittes.
Hoquetant de surprise, le visage de l'homme se figea dans un masque d'épouvante tandis qu'un flot de terreur pure s'échappait de ses yeux.
— Regarde dans quel état tu te mets. Souffla-t-elle dans son dos, d'un ton empli de faux reproches.
La créature se délectait de ces instants. Ces moments où ces frêles ignorants étaient si faibles.
Lentement, l'homme tourna la tête, cherchant à savoir à qui il parlait. Il reconnaissait l'endroit, le lavoir. Mais tout autour de lui une multitude de cadavres étaient empilés les uns sur les autres. Certains humains, d'autres informes, rongés pour la plupart par des centaines de vers. Les relents étaient pestilentiels et l'ensemble formait une masse blanchâtre, couverte de mucus verdâtre se mouvant en tous sens dans de répugnants bruits de succions, comme animées d'une vie propre. L'humain toussa de dégout, laissant glisser entre ses doigts poisseux une matière chaude et visqueuse. Celle-ci s'écrasa au sol, creusant la neige dans un dégagement de vapeur avant de disparaître entièrement.
— Où... Où suis-je ?! Implora l'homme en tournant son écœurant visage vers son ravisseur.
Quelque chose bondit soudain sur son épaule. Ses doigts fins, ses vives griffes raclèrent et s'enfoncèrent. L'humain ne pouvait pas fuir... il avait trop peur et... et il était bien aussi. La terreur le cajolait, lui offrant une torpeur qui lui parlait d'extase. Une douce caresse lui frôla l'oreille tandis que la masse noire s'installait contre sa tête.
— Où es-tu ? Où es-tu ? Mima doucement la voix. Mais où penses-tu donc être ?
Il déglutit. Quelle était cette chose ? Il n'osait tourner son regard vers elle de peur de ce qui pourrait se passer. Il lui suffirait d'un coup, d'un seul, pour lui lacérer le visage et lui arracher la vue. Il le savait, il le sentait. Tout ceci paraissait si vrai. Mais pourtant... Oui, ça ne pouvait l'être.
— Je.. Je rêve.. Tenta-t-il, et son audace lui faisait craindre le pire.
Un rire clair et limpide éclata près de lui. L'homme se retourna brusquement, sans même le vouloir. Le poids qui le clouait sur place avait disparu, sa blessure s'en était allée. Et déjà le décor changeait, la neige devenait boue ; boue qui s'évaporait, laissant de larges trous de vide à même le sol à mesure que chutaient d'immenses, de titanesques gouttes d'eau, chacune large comme le monde qu'il croyait avoir quitté. Rien ne se pouvait, mais pourtant...
— Es-tu Homme qui rêve être papillon, ou bien papillon qui rêve être un Homme ? Mais si tu rêves... Commença la voix de cauchemars. C'est que je suis toi, n'est-ce pas ? Pourtant, peux-tu me faire partir ?
Entièrement perdu, pris de malaise dans ce monde sans logique, le concerné ferma les yeux, niant ce qu'il voyait, ce qui ne pouvait être. Il sentait un vent immobile lui caresser ses deux visages, tandis qu'un monde nouveau lui apparaissait peu à peu, sans qu'il eût ouvert ses paupières.
— Je vois ce que tu cherches à faire, poursuivit la créature sans parler, tu cherches à te réveiller en t'endormant... mais sache que tu ne feras que t'endormir en te réveillant. Tu vois pour la première fois, si tu poursuis sur cette voie, ça sera également la dernière.
— Tu ne peux pas exister !! Hurla l'homme en se saisissant la tête de ses mains. Comment un monde sans logique pourrait exister ?!
— Et comment un monde si petit que celui que tu crois réel aux lois si définit pourrait exister ?
L'homme sentit un sourire se dessiner quelque part, mais déjà plus rien n'était. Aspiré par la vision qu'il avait eue, il creva sans s'en rendre compte la mince surface du réel, émergeant dans une grande inspiration comme on le ferait de l'eau, comme on le fait d'une nuit de cauchemars. Son cœur cognait dans sa poitrine. Il secoua la tête en clignant fortement des yeux dans l'espoir de se convaincre du rêve qu'il venait de faire. Une main collante accrocha la sueur sur son front. Tout était normal.
Le banc sur lequel il reposait baignait dans une douce clairière. Au loin, il pouvait entendre les oiseaux et quelques rires d'enfants. De même, quelque chose vibrait sur sa poitrine. Il y posa ses yeux... Pour y trouver les iris émeraude d'un chat au manteau de nuit.
Ce dernier se leva tout en le considérant du regard, et, semblant hocher la tête, bondit hors de sa vue pour se perdre dans l'obscurité des branchages.