Note de la fic :
Le siège d'Ophasia
Par : broly66
Genre : Fantastique
Statut : C'est compliqué
Chapitre 15 : Y'en as aussi
Publié le 04/01/2012 à 20:37:15 par broly66
Bon tout d'abord, j'ignore si je dois demander pardon pour le retard ou si ce serais de mauvais goût (j’admets qu'à partir d'un certain stade c'est plus que du retard) mais disons que j'ai du mal à m'organiser et à me motiver.
Quoi qu'il en soit je ne lâche pas (à part neiden (merci à lui), il y a encore des gens qui lisent au fait?).
Si vous êtes nouveau, bienvenue sur cette fic, go lire l'intro et bonne lecture à tous.
- Alors ?
Le capitaine de la garde se tient devant moi, il n’a plus rien à voir avec la loque que nous avons assommée l’autre soir.
L’œil vif, le dos droit, rasé de prêt.
Une rigueur militaire retrouvée.
On voit tout de suite qu’il est parfaitement dans son élément à ce moment précis.
Des années à patrouiller, arrêter des petits voleurs à la tire et à remplir des papiers à tout va… N’importe qui se serait ramolli.
Mais, maintenant, dans les quartiers de la garnison de la ville, je vois ce à quoi le capitaine devait ressembler avant d’être assigné à la province de Korinte.
- Le baron et sa famille ont été arrêtés, ils étaient tellement surpris qu’ils n’ont même pas opposé de résistance. Bon le fils du baron a bien essayé de mordre quelques uns de mes hommes mais il a été rapidement maîtrisé.
-Vous avez reçu la liste ?
Après être sortis du fort nous avons assigné à un diablotin la tâche de transporter la liste de noms au capitaine.
Nous avons laissé les prisonniers dans un cabanon abandonné (sous la garde vigilante de Jeanne et de Morgoth) puis nous nous sommes rendus au château, réaménagé en QG par le capitaine.
- Oui, les arrestations ont commencé dans les quartiers marchands de la ville, visiblement certains ont déjà plié bagage.
Je hausse les épaules.
- C’était inévitable de toute façon, l’arrestation du baron ne pouvait pas rester secrète bien longtemps.
Le capitaine opine du chef.
- Et maintenant ?
Il m’a complètement accepté comme son supérieur hiérarchique.
Après tout je suis mandaté par l’archimage.
- Il y a une cabane dans la forêt, à mi chemin entre le fort et le cimetière.
- L’ancienne cabane des bûcherons, je la connais bien, des jeunes viennent la squatter de temps en temps.
- Et bien certains de mes hommes s’y trouvent avec un paquet de prisonniers, si vous pouviez vous en occuper ce serait bien.
Un bref hochement de tête suivi d’un ordre aboyé à un subordonné.
- Vous m’avez l’air d’avoir le contrôle de la situation, je vais me reposer, en cas de problème contactez-moi à l’auberge du canal rouge.
5 jours plus tard.
L’archimage lit mon rapport en fronçant les sourcils.
J’ai eu un mal de chien pour l’écrire en si peu de temps.
J’ai même du mal à me tenir debout, droit comme si on m’avait enfoncé une claymore dans le cul.
Il pose finalement les feuilles sur son bureau et me regarde des pieds à la tête.
- Asseyez-vous.
Je retiens un soupir de soulagement et m’efforce de conserver une attitude digne.
- Vous avez fait du bon boulot là-bas, cependant les nouvelles que vous m’apportez sont préoccupantes.
Pas d’allusion à la Kohesio.
Je glisse une remarque.
- Et à propos de ce qui s’est passé dans le fort ?
L’archimage boit une gorgée et me répond d’un ton indifférent.
- C’est un pouvoir complexe, il est comme vivant et évolue différemment d’un groupe de personnes à un autre, cependant, je dirais que les événements de l’autre jour n’avaient rien d’exceptionnel, plus vous allez évoluer, plus votre lien avec la Kohesio va se renforcer.
Il marque un temps d’arrêt.
- Je comprends que l’expérience que vous avez vécu n’était pas des plus agréables, mais il me paraît évident que cela se reproduira, plutôt que de nager contre le courant vous devriez vous laisser pousser par celui-ci, et l’utiliser pour vous propulser.
Le message est clair.
Si on veut continuer à se servir de la Kohesio il va falloir s’habituer à partager nos pensées les uns avec les autres, ou on deviendra fous.
- Que faisons-nous désormais ?
- Vous avez quartier libre vous et vos hommes, pour les deux prochains jours, essayez de vous détendre, après ce délai nous reprendrons l’entraînement, je m’occupe du reste en ce qui concerne le baron.
Le message est reçu avec soulagement au sein de mon équipe. Depuis que nous avons partagé toutes nos pensées, même les plus intimes, chacun a eu tendance à se renfermer dans son coin, plus d’échange, plus de blague, des repas se passant dans le silence le plus total. L’idée d’avoir un peu de temps à soi loin des autres nous fait du bien.
Durant ces deux jours, repos, c’est l’ordre que je me suis donné à moi-même.
Churt a bien entretenu la maison pendant mon absence et m’a même préparé un petit-déjeuner digne d’un roi.
Le nain sait se faire discret, il est assez réservé quand je le questionne sur ses anciens maîtres mais vu ses manières on se doute qu’il a servi des aristocrates.
Je profite autant que possible de mes deux jours de repos. Je me promène, fais le point et me détends.
Ne pas penser aux problèmes à venir, ceux-ci nous rattraperont bien assez tôt.
2 jours plus tard.
- En effet c’est un problème.
Retour au bureau de l’archimage, celui-ci m’a interrompu au milieu d’un cours de danse (idéal pour améliorer la synchronisation de nos mouvements en plein combat), il avait des « nouvelles importantes » à me donner.
Agaçantes plus qu’importantes.
Imaginez-vous, essayant de mettre derrière les barreaux toute une organisation criminelle pour apprendre deux jours plus tard qu’ils sont libérés sur parole.
- Le baron a des relations mais la décision venait du conseil. Selon eux, nos déclarations sont « abracadabrantes ».
J’en reste sur le cul.
- Et nos preuves ? Les disparitions ?
- Les témoignages proviennent de voleurs et de fripouilles, ça ne tient pas face à un baron, le conseil a jugé qu’il s’agissait plus d’un groupe de jeunes voulant s’amuser que d’une véritable organisation criminelle, il est trop obnubilé par le seigneur des abysses, il ne regarde pas ce qui se trame.
- Alors personne ne nous croit ?
- En fait certains ont manifesté de l’intérêt, mais sans preuve solide…. Les nécromanciens sont trop discrets, ils ne représentent pas une menace suffisamment importante pour Ophasia, du moins pas de manière assez direct.
Un long silence s’abat sur nous.
Je bouillonne intérieurement.
Je hais la politique.
A vouloir contenter tout le monde, on en vient à ne plus agir.
Le conseil en est l’illustration parfaite.
La manifestation d’une volonté de ménager la chèvre et le chou.
Sa composition est la suivante : l’archimage (il représente les mages), un représentant des hommes (un roi, élu par les humains), un autre pour les elfes (la reine des elfes) et encore un pour les nains, ajoutez à cela un représentant des classes populaires, de la bourgeoisie et de l’aristocratie, le général en chef des forces armées, le leader de la guilde des aventuriers, le chef de la guilde des marchands, le responsable de la trésorerie d’Ophasiii et un conseiller élu par tous.
Ce mélange improbable est censé défendre chaque habitant d’Ophasiii et vote les lois à la majorité.
C’est juste, du moins sur le papier mais il en résulte des conflits d’intérêts qui viennent entraver la prise de décision.
Tout le monde en a conscience mais personne n’agit pour changer ça, car simplifier l’organisation de la politique Ophasienne c’est courir le risque de voir naître des injustices au sein des races/castes de la société.
Jusqu’ ici je m’en contentais.
Mais là c’est une atteinte à mon travail, un travail pour lequel j’ai failli mourir.
Bon gré, mal gré, si je veux monter en grade, je me retrouverai toujours mêlé aux affaires politiques de ce pays.
Autant s’en accommoder.
Je relève la tête, l’archimage m’observe en silence, une pipe à la main, la fumée commence à remplir la pièce.
Je ne l’ai pas vu l’allumer.
- Bon, il y a peut-être un moyen de rattraper le coup et de doubler le conseil, mais il va falloir se mouiller.
Il me lance un regard surpris puis un sourire traverse son visage, comme celui d’un gamin s’apprêtant à faire une bêtise.
- Je vous écoute
Le lendemain soir.
Les nuits sont froides à Ophasia.
L’archimage s’est montré réticent au début, le convaincre n’a pas été chose aisée.
Tout comme de tout préparer en une journée, mais le vieux a plus d’un tour dans son sac.
Je me demande à quel point il est puissant, les enchantements qu’il a utilisés en si peu de temps étaient d’un niveau supérieur et il n’avait même pas l’air essoufflé après ça.
Kaljig se fige, un garde passe devant nous sans nous voir et continue sa route.
Au moins le sort de dissimulation fonctionne mais mieux vaut éviter de trop s’exposer.
Ce genre de magie, en plus de drainer une grande quantité d’énergie, est très instable, et ne rend jamais parfaitement invisible.
- Tu crois que les autres s’en sortent ?
- T’inquiète, t’es pas le seul à savoir crocheter une serrure.
Nous avions formé des binômes, c’est moyennement recommandé pour l’infiltration car c’est deux fois plus de chances d’être capturé mais en raison de la nature parfois « instable » de mes hommes j’ai préféré créer des groupes avec l’espoir qu’au moins un membre de chaque duo soit assez raisonnable pour stopper son coéquipier si celui-ci décide de massacrer un garde.
Ou au moins, qu’il ne le laisse pas se battre seul.
La porte s’ouvre, la rue, d’habitude très fréquentée qui fait face à l’université militaire navale d’Ophasia, est vide.
Nous passons de longs couloirs sur les murs desquels sont accrochés des tableaux commémorant telle bataille, ou tel amiral célèbre.
Normalement, des alarmes magiques auraient dû se déclencher une fois la porte franchie mais les protections de l’archimage nous permettent de passer sans problème.
Après tout c’est la guilde des mages qui fournit la majorité des systèmes de sécurité des bâtiments publics d’Ophasiii.
Nous arrivons au niveau inférieur, là où se trouvent les fondations du bâtiment.
Les dirigeants de l’université n’ont pas placé d’autres gardes que des pions, plus là pour empêcher les internes de traîner dans les couloirs qu’autre chose.
Je sors la gemme de ma poche.
Elle vibre, complètement gorgée de magie.
Je la tapote du bout du doigt et sens le contact s’établir.
C’est la partie délicate.
Il va falloir pousser la pierre à libérer cette énergie, mais plus tard, beaucoup plus tard.
Ça demande beaucoup de concentration et la magie d’altération de Kaljig m’est d’une aide précieuse.
On ne peut choisir une heure précise mais on peut donner un temps approximatif.
Finalement le sort me paraît stable, je l’applique sur la pierre, elle vrombit quelques instants puis se calme.
- C’est bon, on file.
Au même moment, les autres membres de mon unité effectuent la même opération dans d’autres bâtiments.
Le lendemain.
Je me lève tard ce matin.
La magie d’illusion est très fatigante et maintenir un sort d’invisibilité si longtemps prend beaucoup d’énergie.
J’attaque mon petit-déjeuner avec appétit mais j’ai malgré tout une boule dans l’estomac.
J’aurais préféré trouver une autre idée.
-Vous devez vous rendre dans le bureau de l’archimage au plus vite.
Évidement.
Je prends l’air surpris.
-Que se passe-t-il ?
-Il vous le dira mieux que moi.
Je déteste ces abrutis qui veulent se donner un genre en répondant aux questions de manière énigmatique, il ne fait que savourer le fait qu’il « sait » ce qui se passe et moi non.
Ce qui me fait rire c’est que je suis plus au courant que lui.
Depuis mon affectation sous les ordres de l’archimage j’ai mon bureau à la cité arcanique.
J’y examine des rapports de patrouilleurs ou d’officiers ayant fait escale dans des villes et ayant signalé des activités anormales lors du débriefing.
Le problème étant qu’aucun soldat ou force spéciale ne s’amuse à visiter un cimetière lorsqu’il se repose dans une cité. La majorité des « anomalies » concernent des soupçons de trafics, ou de prostitution. Et encore, bien souvent ils restent dans le vague, rarement plus d’une ligne est consacrée à ce genre de détails dans les rapports militaires.
Au final, rien de croustillant là-dedans.
J’arrive au bureau de l’archimage.
Il joue son rôle au cas où des oreilles traîneraient.
Grave attentat… blabla… nous enquêter… blabla… lui aller là bas en personne.
Je ne dis rien, lui adresse un hochement de tête et sors, un air grave sur le visage.
Certains pourraient croire que je suis atterré par ce que je viens d’entendre.
En fait je suis juste concentré.
J’arrive dans nos logements.
L’équipe m’y attend.
Tous sont équipés et sur le départ.
- Lequel ?
- L’école primaire.
- Je le savais ! Hoyfo, tu me dois 10 ophins !
-Vos gueules tous les deux, on y va.
Parier sur quel bâtiment allait exploser en premier… Il va falloir que je garde un œil sur Jeanne et Hoyfo.
Sur place c’est le chaos.
Beaucoup de fumée et de bruit.
Le sort était aussi fait pour attirer l’attention.
Les gens s’attroupent autour des lieux du sinistre pendant que des mages essayent de soigner un enfant gravement brûlé.
Partout les civils tentent de se rendre utiles.
L’incident étant de nature magique, c’est à la guilde des mages de s’occuper du problème.
Nous appliquons calmement le protocole, inspection des lieux (limitée en raison des chutes de débris encore fumants), magie de détection pour déterminer la nature du sort et son point de départ.
Ce n’est pas si évident car une partie de la structure s’est effondrée.
Bien sûr, le fait de savoir à l’avance aide un peu l’enquête.
Nous récoltons des fragments de la gemme quand une deuxième explosion se fait entendre au loin.
Un centre administratif cette fois.
Le lendemain.
Je m’effondre sur mon fauteuil.
Jamais je n’ai eu de journée aussi chargée.
- L’archimage veut encore vous voir.
Putaaaaaaaaiiiiiinnnnn.
Je me traîne lentement dans les couloirs.
2 gemmes ont explosé à moins d’une heure d’intervalle, le chaos était indescriptible.
Ophasia est tellement sécurisée qu’il est impensable qu’un tel événement puisse se produire.
Mais c’est arrivé, les protections magiques ont été déjouées et un attentat a eu lieu.
Je rentre dans le bureau et ferme la porte.
- Vous êtes vraiment quelqu’un de dangereux.
- Et vous êtes mon employeur.
Il sourit faiblement, sa journée a été aussi chargée que la mienne.
- Quand vous rentrez dans le monde de la politique, c’est avec fracas.
On peut le dire en effet.
Après la 3 ème explosion, nous sommes parvenus à remonter la piste des fragments, elle nous a conduits à un nécromancien qui n’avait, par chance, pas encore quitté la ville.
Après un rapide interrogatoire, les forces de la guilde des mages (moi et mon équipe) ont trouvé la position de plusieurs autres gemmes disséminées dans Ophasia, en évitant ainsi une catastrophe.
Bien entendu c’est la version officielle.
Dans les faits le nécromancien était un des types que l’on avait arrêtés dans la grotte à Korhinte et qui avait décidé de fêter sa libération inespérée dans une taverne.
Nous lui sommes tombés dessus et l’avons laissé inconscient dans sa chambre après avoir disposé des objets compromettants… Comme des gemmes et du matériel permettant de faire sauter la moitié des bâtiments importants d’Ophasia.
Il ne s’est réveillé que pour voir un contingent de gardes débarquer et le mettre aux arrêts.
Après lui avoir clairement fait comprendre que si il voulait éviter une exécution sur la place publique il avait intérêt à mentir et à témoigner contre ses anciens collègues (y compris le fils du baron) nous sommes simplement allés récupérer les gemmes qui n’avaient pas encore explosé.
En gros on est passés pour des héros, le baron et son fiston sont retournés en prison et le conseil ne pourra jamais étouffer ça.
Le peuple est bien trop en colère.
Après tout des enfants sont morts dans cette histoire.
Le coup de grâce a été donné par l’archimage qui a décrété, lors d’un discours officiel, que la pratique de la nécromancie est un danger pour le monde libre et qu’à compter de ce jour, il confierait à ses meilleurs hommes la charge de traquer les mécréants.
Donc à partir de maintenant, nous sommes une escouade officielle.
- Si vous saviez comme je me suis fait engueuler par le conseil pour avoir prononcé ce discours sans leur aval.
- Vous avez le soutien du peuple sur ce coup, ils ne peuvent rien faire.
- Oui, mais ils vont m’avoir à l’œil… Et vous aussi, vous êtes le capitaine en charge de chasser la nécromancie d’Ophasiii, vous sortez de l’ombre et devenez directement le centre de toutes les attentions.
Je souris.
- Et dire qu’ils étaient sur le point de m’oublier, il faut croire que je suis tout simplement trop extraordinaire pour rester loin des regards.
Le visage de l’archimage devient réprobateur
- Ne fanfaronnez pas trop, vous êtes une cible maintenant, au moindre faux pas, ils vous feront sombrer.
Son regard se remplit de malice.
- Et puis, vous allez devoir participer à des événements : réceptions, discours, inaugurations. Vous allez avoir un emploi du temps très chargé.
En effet ça a tendance à me briser le moral.
Il est toujours bien vu, au sein de la noblesse, d’inviter quelques officiers qui se sont distingués par leur exploits sur le champ de bataille.
Dans mon cas je suis vu par beaucoup comme le bras armé de l’archimage (ce n’est pas tout à fait faux). En d’autres termes, je vais être à la mode pendant un moment.
Comme si je n’avais pas assez de travail, je vais en plus devoir participer à toutes ces mondanités.
- N’oubliez pas que vous me représentez dans la lutte contre la nécromancie, vous n’avez pas le droit à l’erreur.
Sur ces mots il me congédie.
Je suis posé sur mon lit en lisant la lettre que Churt vient de m’apporter.
J’ai dormi comme un bébé après la journée d’hier.
Le soleil brille, je prends mon petit-déjeuner au lit et la seule chose qui pouvait me gâcher le moral apparaît alors que je n’ai même pas fini mon thé : une lettre me convie à une réception organisée le lendemain même.
Ils n’ont pas perdu de temps, évidemment je ne vais pas pouvoir me défiler.
Sans parler du boulot que j’ai à faire entre temps : trouver un moyen plus efficace que des rapports militaires pour faire la chasse aux nécromanciens.
Au moins sur ce dernier point j’ai peut-être une solution.
J’avale un grain de raisin et une gorgée de thé avant de me mettre debout.
Direction les archives de la cité arcanique, il va falloir que je parle à Toj’dra.
- Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?
- Il me faudrait les dossiers de tous les prisonniers qui croupissent dans les prisons d’Ophasiii en attente d’une condamnation, mage ou non, peu importe… Enfin la routine quoi.
Le nain lève les yeux au ciel.
Nous sommes devenus plus proches depuis un moment, après tout, si je suis la main droite de l’archimage, Toj’dra est indubitablement sa main gauche.
-Installe-toi je t’amène ça, tu sais qu’il faut une autorisation spéciale et un bon motif pour avoir accès à ces dossiers normalement ?
Je lui adresse un sourire.
- Tu vas très bien te débrouiller, j’en suis sûr.
Il revient quelques minutes plus tard, les bras chargés de dossiers.
- Il y en a d’autres si tu veux.
- Comme d’habitude.
Je soupire.
Comme lorsque j’ai sélectionné les membres de mon équipe, un long travail m’attend.
Au moins les archives de la cité arcanique sont un lieu de travail parfait : elles ne sont pas ouvertes à tous, donc peu fréquentées, et des pierres lumineuses sont disposées de manière à éclairer les livres, même la nuit.
Après des heures de travail, cinq profils sont retenus.
Le recrutement va commencer.
J’ai bien le temps d’aller en visiter un ou deux avant la tombée de la nuit, les geôles impériales ne sont pas loin.
Les visites étant autorisées, je n’ai pas de mal à me retrouver en tête à tête avec le premier candidat.
Dans la pièce, une table en bois usé et deux sièges.
Étant donné mon nouveau grade j’ai obtenu des gardes qu’ils me laissent seul avec le prisonnier.
Celui-ci me regarde d’un air sévère, sur la défensive, je ne doute pas une seconde qu’il me tuerait s’il le pouvait.
Pourquoi dois-je toujours traîner avec des gens comme ça ?
- Bonsoir Khamsin, si tant est que ce soit votre nom.
Il se contente de me fixer, toute l’agressivité du monde se lit dans ses yeux.
Super.
- Vous avez été arrêté pour avoir fracassé sept clients dans une taverne après une soirée bien arrosée, il a d’ailleurs fallu une douzaine de gardes pour vous maîtriser complètement, pas mal du tout si on considère que la moitié d’entre eux étaient des orcs.
Un sourire fugace manque de se dessiner sur son visage mais il se retient et se rapproche de moi, sans cesser de me fixer.
Bordel mais quand est-ce qu’il va cligner des yeux ?
- Tu me veux quoi connard ?
Je résiste à l’envie de reculer ou même de détourner le regard (envie qui pourtant est bien présente).
Au contraire j’avance moi aussi mon buste.
- T’as intérêt à changer de ton, je suis là pour te faire l’offre de ta vie… Tu vas aller en taule, et vu tes antécédents avec la justice, tu vas y rester un petit moment, quand tu sortiras, tu ne s’ras même plus en mesure de tenir une épée, d’ailleurs en parlant d’épée, ta petite chérie que tu trimballes tout le temps avec toi… Culioque, ben elle aura sûrement été volée par un garde et tu ne la reverras jamais, c’est vrai qu’une aussi belle lame ce serait dommage de la laisser rouiller non ?
Il essaye de me mettre un coup de boule en grognant.
Je l’esquive et attends qu’il se calme.
Ce taré entretient une relation très fusionnelle avec son épée, il la considère presque comme sa femme.
C’est du fétichisme à ce stade-là.
- T’as fini ? Bien alors voilà mon offre : je te fais sortir de là, je te restitue ton épée, je t’offre un salaire plus que généreux, et je te laisse gambader en toute liberté à travers Ophasiii.
J’ai éveillé son intérêt, mais il est toujours méfiant.
- Tu veux quoi en échange ?
- Je veux que tu te balades, et que tu te fasses des amis, que tu en apprennes plus sur les villes où tu vas. Je veux que tu te renseignes un maximum sur les nécromanciens, que tu trouves leurs planques et éventuellement leurs membres, je veux toutes les infos possibles. Je veux que tu établisses un contact avec les voleurs, les clodos et les assassins qui traînent dans les bas-fonds des villes pour qu’ils forment un réseau d’informateurs à mon usage. Après ça tu m’envoies un courrier et je déboule avec mon équipe pour faire le ménage, t’as même pas à te battre dans l’histoire et tu jouis d’une liberté absolue. Chaque fois que tu trouves une planque, t’as un supplément sur ton salaire, si je te demande de te bagarrer ou d’assassiner quelqu’un, t’as un supplément sur ton salaire, et si tu fais du bon travail, t’as un supplément sur ton salaire.
Ayant affaire à un ancien mercenaire, je trouve important d’insister sur le supplément au niveau du salaire.
Le type me regarde des pieds à la tête puis se met à rire.
- T’es taré de payer pour un job comme ça. Mais c’est ton fric. Rends-moi mon arme et ma liberté et je serai ton homme.
Je lui souris à mon tour et me lève.
- Vous serez relâché d’ici la fin de la semaine, on se reverra à ce moment là.
Je quitte la pièce sans attendre de réponse.
Sur les cinq, quatre ont accepté et sur les quatre, deux m’ont plu.
Le lendemain
- C’est trop serré.
- Non monsieur je vous jure qu’il vous va à ravir.
Le costume pour la fête de ce soir était arrivé un peu plus tôt dans la journée.
Je ne comprendrai jamais cette passion pour les froufrous et cette débauche de couleurs.
Rouge, or, blanc, quelques touches de bleu, et un peu de violet au niveau des jambes.
Un phœnix déployant ses ailes –l’emblème de la guilde des mages- parcourt mon torse et mes bras.
Ma seule consolation est que tous les membres de mon équipe auront des uniformes similaires.
- Bon Churt je te laisse la maison, il va falloir que je parle au groupe qui va m’accompagner ce soir, je ne voudrais pas qu’ils fassent de scandale.
Comme à son habitude le nain fait une petite courbette et retourne à son ménage.
Quel pied d’avoir un majordome finalement.
J’enfile une cape de voyage, je ne veux pas qu’on me voie marcher dans la rue dans cet accoutrement grotesque.
Tous les membres de l’équipe sont déjà là, dans les baraquements qui nous sont réservés dans l’université arcanique.
En fait c’est plus une maison mise à disposition par la guilde, dans l’enceinte de l’université, qu’autre chose.
-Oh qu’il est beau notre capitaine !
Éclats de rires dans la salle, j’ai en effet hérité du costume le plus tape-à-l’œil.
L’archimage me le payera.
- Mouais, vos gueules, je veux être sûr que la soirée va dérouler sans accroc. Des petites boutades entre nous ok, mais quand on sera là-bas vous avez intérêt à vous tenir à carreau ou vous aurez affaire à moi pigé ?
- On sait se tenir chef pas de problème.
Jeanne me regarde depuis le fond de la pièce, un sourire narquois aux lèvres.
- On verra ça.
Nous retrouvons l’archimage deux heures plus tard, devant les portes de l’université.
- Je vois que les costumes que j’ai commandés pour vous sont bien arrivés, tant mieux.
Rand bougonne.
- Vous auriez pu choisir quelque chose de moins…
- Moulant ?
- Tape-à-l’œil ?
- Criard ?
-Ridicule ?
- Moche ?
- J’allais dire « coloré »
L’archimage nous jette un regard assassin.
Depuis quelque temps une réelle connivence s’est installée entre les membres de l’équipe, j’ignore moi-même comment on en est arrivés là.
Certaines choses se font toutes seules.
- N’essayez même pas de sortir ce genre de trait d’esprit ce soir.
- Je les ai bien briefés.
- J’espère.
- Moi aussi.
Nouveau regard agacé mais cette fois il a du mal à dissimuler son sourire.
- Bon pas de faux pas.
Nous effectuons le voyage dans une grande calèche à quatre rangées de sièges.
Les quartiers riches d’Ophasia.
Une avalanche de luxe et de couleurs.
C’est à celui qui étalera le plus sa richesse.
Nous nous arrêtons devant un manoir, entouré par un jardin que n’importe qui qualifierait de magnifique.
Des parcelles de terre, suspendues en hauteur par des sorts, desquelles coulent des plantes parfaitement taillées ainsi que des trombes d’eau venant s’enfoncer dans le sol, une fontaine éclairée par des pierres lumineuses dispersées à l’intérieur, des fleurs de différentes couleurs parcourant le sol des…
- On y est.
L’archimage me tire de mes pensées et descend du véhicule.
Je lui emboîte le pas et marche légèrement en retrait par rapport à lui.
Mon équipe se place en deux colonnes et nous suivent.
Dedans la fête bat déjà son plein.
Nous trouvons malgré tout le moyen de nous faire remarquer, visiblement nous sommes les invités d’honneur.
- Voilà donc les héros du jour !
L’organisatrice de la soirée, une femme un peut ronde mariée à un des marchands les plus riches de la ville, nous accueille avec un large sourire.
D’ailleurs tout le monde sourit ici, avec plus ou moins de talent.
- Grazzellia, quel plaisir de vous voir !
L’archimage commence son petit numéro, j’essaye de ne pas me faire repérer.
- Alors vous êtes donc le fameux capitaine dont tout le monde parle ? Celui qui a emprisonné les nécromanciens en ville ?
Je fais de mon mieux pour ne pas paraître intimidé.
Je n’ai jamais eu de problème pour parler devant des soldats, simplement parce que je me suis toujours efforcé d’être sincère. Ici la situation est différente, je dois mentir sans que ça se voie, la démarche est donc à l’opposé de ce que j’ai l’habitude de faire.
J’essaye de prendre exemple sur tout le monde ici et j’adopte un air enjoué et sûr de moi.
- J’imagine que c’est moi, et à qui ai-je l’honneur ?
- Ancaros, assistant du chambellan de la reine des elfes, je représente ce dernier qui n’a pas pu venir ce soir…
Le larbin d’un larbin en d’autres termes.
-… Quoi qu’il en soit n’hésitez pas à me solliciter si vous avez besoin de quoi que ce soit.
Compte là-dessus.
-Avec plaisir.
Je souris et bois un verre.
La soirée va être longue.
1h plus tard
Je parviens enfin à me sortir de la masse.
J’ai passé mon temps à sourire et à boire avec des étrangers.
Tous m’ont proposé de l’aide au cas où j’aurais une question ou besoin d’un coup de main.
Pas étonnant, si j’ai une dette envers eux je serai moralement obligé de leur rendre un service en retour, et un service d’un homme se trouvant dans les petits papiers de l’archimage c’est précieux.
Même si ma morale est flexible, je n’ai pas l’intention de leur demander quoi que ce soit, plus loin ils se trouvent de mes affaires, mieux je me porterai.
Je me fais agripper par Adrihane.
- Danse avec moi.
Elle ne me tutoie pas d’habitude.
- Que se passe-t-il ?
Mes talents de danseur ne sont pas très développés en temps normal et j’ai la tête qui tourne un peu.
Quoi qu’ils mettent dans leurs verres, une chose est sûre : il y a de la pomme.
Je me rassure en me disant que les autres n’ont pas plus fière allure que moi sur la piste de danse.
- Ces nobles sont d’un sans-gêne, une femme dans les forces spéciales ils n’en voient pas souvent alors forcément, ça les attire. Des lourds j’en ai vus mais ces jeunes nobliaux de province sont les pires, je ne peux même pas les frapper !
Je surprends en effet quelques regards de concupiscence se posant sur ma partenaire.
- Et une femme avec deux yeux de couleurs différentes, forcément ça les attire encore plus, c’est à se demander si ils n’ont pas fait un pari sur qui parviendrait à me ramener dans sa couche.
Il faut admettre que ses yeux uniques ont quelque chose d’attirant.
Je me laisse porter par la musique en dévisageant quiconque essayerait de s’approcher de ma cavalière.
- Au moins, il y en a une que ça a l’air d’amuser.
En effet Jeanne rit aux éclats en changeant régulièrement de partenaires.
C’est typiquement le genre de femme qui aime avoir tous les hommes à ses pieds.
Brand quant à lui observe la scène en gardant le visage crispé.
- Tu crois qu’il y a quelque chose entre ces deux-là ?
Adrihane paraît un peu surprise puis hausse les épaules.
- Brand est tombé sous son charme c’est évident et cela amuse Jeanne. Après je suppose qu’elle le fait mijoter sans jamais lui laisser une chance de conclure.
Je hoche la tête.
C’est aussi mon avis.
Adrihane me lâche.
- Merci pour la danse capitaine, vous devriez aider Seinai elle a l’air d’avoir des problèmes similaires aux miens, je vais aller discuter avec Morgoth.
Elle m’adresse le premier sourire chaleureux de la soirée, puis disparaît dans la masse d’invités.
Je repère mon illusionniste, le regard vide, visiblement découragée au milieu de jeunes nobles trop entreprenants.
Parmi tous les membres de mon équipe Seinai a toujours été un mystère.
Je sais qu’elle a vécu des trucs dégueulasses pendant sa jeunesse mais je n’ai jamais eu de détails et franchement je préfère ne pas en avoir.
Elle est très renfermée, peut-être plus que Kaljig dans la mesure où il est possible d’établir un contact avec ce dernier à condition de poser des questions et d’être chaleureux avec lui.
Je m’enfonce dans cette marée de chacals en rut.
- Désolé messieurs mais je vous l’emprunte.
- Attends ton tour l’ami.
Je me fige et plonge mon regard dans celui de mon interlocuteur.
Je vais te tuer, toi ta famille et tes amis, je t’arracherai la peau et te boufferai le cœur. Je te crèverai les yeux avant de te couper les couilles, je…
L’elfe qui une seconde auparavant paraissait si sûr de lui recule d’un pas et fait mine de regarder son verre.
Quand on fixe quelqu’un en pensant à toutes les tortures qu’on voudrait lui faire subir, il le sent.
J’attrape Seinai et l’emmène sur la piste.
Elle prononce d’une petite voix.
- Merci capitaine.
- Laisse tomber, on danse encore un peu et après tu rentres chez toi, ton absence sera à peine remarquée de toute façon, je vais prendre des dispositions pour que tu sois raccompagnée chez toi par un cocher.
Elle hoche la tête doucement et je sens une infinie gratitude émanant d’elle.
Seinai a toujours eu des problèmes pour communiquer avec les autres et supporte mal toute forme de contact, particulièrement le contact physique.
Dans la vie de tous les jours, elle se cache sous ses illusions, elle manipule les perceptions de ses interlocuteurs (j’ai moi-même mis du temps à m’en rendre compte). Ici elle ne peut pas utiliser de magie, interdiction donnée par l’archimage, et se retrouve face à des gens qu’elle ne peut envoyer chier en bonne et due forme.
La soirée continue et je me sens de plus en plus joyeux.
C’est rarement bon signe.
En tout cas, ce qu’ils mettent dans leurs verres : c’est pas du jus de raisin.
Je repère Kaljig dans son coin.
Il est doué pour mettre ses interlocuteurs mal à l’aise grâce à ses réponses laconiques et son regard fuyant.
- Tu t’ennuies Kaljig ?
- Non… ça va.
- Je peux te demander un service ?
Il me fait oui de la tête, en fixant un rideau.
- Infiltre-toi dans les quartiers privés de notre hôtesse et vois si tu peux trouver quelque chose.
Il tourne la tête et me regarde enfin dans les yeux.
Je sens de la joie émaner de lui.
De la joie pure et non feinte, comme un enfant à qui on aurait offert un jouet.
- Vous cherchez quelque chose en particulier ?
- Non, c’est plus que, quitte à être dans la demeure d’un des types les plus riches d’Ophasia, autant fouiner un peu et découvrir ses noirs secrets.
Pour un peu il sautillerait sur place.
- Attends.
Il se fige.
- Tu as bu ?
- Bien sûr que non, je bois très peu.
Je lui tends mon verre.
- Rince-toi la bouche avec ça, si un garde te surprend dans les couloirs : titube, souffle-lui ton haleine au visage et dis-lui que tu vis dans un bateau jaune.
- Et qu’est-ce que ça veut dire ?
- Rien, mais il aura l’impression que t’es bourré et te fera sortir sans se dire que t’étais sur le point de voler son employeur.
2 heures plus tard.
- Vous êtes sûr que vous voulez ça ?
Dans une chambre vide et à l’écart des invités, Adrihane me dévisage.
Moi je m’efforce de conserver une attitude normale.
- J’ai dû boire, beaucoup boire. Ils essayent de me saouler pour me faire baisser ma garde.
- Je sais mais c’est très douloureux et vous allez sentir la violette pendant un moment.
- Peu importe.
Elle soupire et pose ses mains sur mon dos.
Elle n’avait pas menti, j’ai mal.
Je m’effondre par terre en transpirant, mes consommations de la soirée s’évacuant par ma sueur.
C’est comme si un million d’aiguilles perçaient ma peau en même temps.
Je serre les dents.
L’effet s’estompe peu à peu.
- Je vous avais prévenu.
-Tu as bien fait… Pfiou…
Je me relève difficilement et remets mon pourpoint.
- Merci Adrihane, si tu veux rentrer chez toi tu peux, les autres sont déjà partis.
- C’est ce que je comptais faire, vous voulez rester vous ?
Je commence à avoir la migraine.
- Je suis le capitaine, premier arrivé, dernier parti.
Elle hoche la tête.
- Faites attention, certains champs de bataille sont plus dangereux que d’autres.
Elle s’apprête à faire demi-tour.
-Adrihane ?
- Oui ?
- Comment je suis ? Comme capitaine ?
Cette question sonne comme un aveu de faiblesse à mes oreilles, mais les restes d’alcool qui embrument encore mon cerveau me rendent loquace.
Elle sourit de nouveau.
- Vous vous en sortez à merveille.
Je la sens sincère et ça me fait plaisir.
Pour la première fois, quelqu’un qui a été sur le terrain avec moi me félicite.
Ça vaut tous les hommages du monde.
- Merci Adrihanne.
Elle quitte la pièce sans rien dire.
Je me redresse, me regarde dans un miroir, souffle un coup et fixe mon reflet.
C’est l’esprit allégé et le torse bombé que je retourne dans la fosse aux lions.
3 heures plus tard.
Les au-revoir étaient interminables, je ne me souvenais même plus des gens auxquels j’avais parlé.
Je m’effondre dans ma calèche.
- Tout va bien cap ?
Je sursaute, Kaljig m’attendait dedans.
- C’est déjà allé mieux, t’as trouvé quelque chose ?
Il secoue la tête.
- Non, enfin j’ai bien vu quelques papiers pouvant indirectement prouver que le maître de maison n’est pas toujours très en règle concernant ses affaires mais rien de solide, et rien qui puisse conduire aux nécromanciens.
- Pas grave, je ne m’attendais pas à grand-chose de toute façon, bon travail.
- Attendez je ne repars pas les mains vides.
Il me tend une bouteille de vin que je regarde sans comprendre.
- C’est pour quoi ?
- C’est pour vous, je me suis dit que ça vous ferait plaisir, je suis tombé sur la cave à vin tout à l’heure et j’ai vu cette bouteille, une cuvée de Sultairenne datant de l’ère 2 ème, une petite merveille.
-Tu t’y connais en vin toi ?
- C’est essentiel quand on est un voleur, une bouteille peut parfois valoir autant qu’un bijou, ne pas connaître la valeur des choses c’est gâcher des occasions.
Encore cette lueur dans ses yeux quand il évoque son passé de voleur.
- T’aurais pu t’arrêter non ? Tu devais être riche à la fin ?
Il hoche la tête.
- J’ai essayé de raccrocher une fois, je n’ai pas tenu bien longtemps.
- Pourquoi ça ?
-Comment dire ? Le vol c’est une expérience unique, le fait de caresser les goupilles d’une serrure, être rapide mais soigneux. Quand vous volez tout prend une importance, regardez par exemple ouvrir une porte, à quel point est-ce banal d’ouvrir une porte ? Vous souvenez-vous de la dernière porte que vous avez ouverte ? Et l’avant-dernière ? Non. Moi je me souviens de toutes les portes que j’ai ouvertes quand je volais, parce que derrière chaque porte peut se trouver un piège, un garde, un chien, le propriétaire de la maison, ou un trésor. Tant que vous ne l’avez pas ouverte vous ne savez pas ce qu’il y a derrière, mais vous pouvez tout gagner ou tout perdre sur une simple porte. Un gond qui grince et c’est la fin.
- Si tu volais pour le sport, pourquoi ne pas restituer ton butin après coup ?
- Mais ce serait criminel ! Le moment où vous revendez votre prise, c’est le moment où vous évaluez la qualité de votre vol. C’est comme si quelqu’un arrivait et vous attribuait une note : « bravo tu as bien volé, je serais prêt à payer beaucoup pour te voir le refaire » comme l’argent a de la valeur pour les gens du métier, chaque pièce qu’il accepte de lâcher est un trésor.
Je reste pantois.
En une soirée j’en ai plus appris sur mes hommes qu’en plusieurs semaines de cohabitation.
-Merci de m’avoir écouté cap, je descends là.
- Bonne nuit Kaljig.
J’entre dans un bureau prêté par l’archimage.
Les deux hommes à l’intérieur tournent la tête vers moi.
J’essaye d’ignorer la gueule de bois que je traîne depuis ce matin et je vais m’assoir en silence dans le siège qui leur fait face.
- Bien nous n’avons pas toute la journée et vous devez avoir pas mal de questions donc je vais vous faire une version courte…
L’homme de gauche s’appelle Rcaz, il porte une tunique blanche et son visage est caché par un masque noir laissant simplement discerner ses yeux verts.
Une capuche couvre ses cheveux, je sais par le rapport qu’à la suite d’un accident il a été défiguré, ses cordes vocales ont été endommagées et il n’est capable de parler qu’en concentrant son mana dans sa gorge.
Le son qui en sort est fort déplaisant et sa voix est la plus rauque qu’il m’a été donné d’entendre.
-… pour faire simple je suis à la tête d’un groupe un peu spécial qui combat la nécromancie dans tout Ophasiii…
Celui de droite se nomme Khamsin, un homme massif portant des habits assez légers, ses cheveux sont sales, il est mal rasé et son regard semble vous transpercer.
-… et comme je vous l’ai déjà expliqué, je veux que vous alliez de ville en ville pour trouver des planques de nécromanciens.
-Je bosse en solo, c’était pas prévu le coup du coéquipier.
- Faites comme vous voulez, je vous présente aujourd’hui pour que si un jour vous vous croisez, vous évitiez de vous entretuer. Maintenant parlons un peu de votre job, vous disposerez de colliers spéciaux, ils sont très rares et j’aimerais que vous évitiez de les perdre…
Joignant le geste à la parole je leur tends les précieux pendentifs cédés à regret par l’archimage.
-… si vous alignez les symboles se trouvant sur les plaquettes, vous pourrez, en concentrant votre magie dedans m’envoyer un court message : la ville où vous êtes et le lieu de rendez-vous par exemple. Je déboulerai ensuite dans ladite ville et nous pourrons parler de vive-voix, comme le processus est gourmand en mana, je vous recommande de ne l’utiliser que si vous êtes sûrs de la présence de nécromanciens, le reste du temps envoyez les messages par courrier. Votre job est de préparer le terrain, je vous remettrai vos payements en main-propre, ils devraient largement suffire à couvrir vos frais, mais je me fiche de savoir comment vous avez obtenu vos infos, je ne rembourserai pas les pots de vin que vous verserez. Des questions ?
Ce qui est bien c’est que les gens pensent qu’être taciturne ça donne l’air cool.
Je sais très bien qu’aucun ne va poser de question.
- Bien dans ce cas laissez-moi ajouter une chose, si vous faites du bon boulot, vous serez riches, si vous me trahissez ou si vous essayez de m’entuber, je vous fais ajouter à la liste noire d’Ophasiii et croyez-moi j’ai assez de relations pour le faire.
Le liste noire d’Ophasiii est simplement la liste qui recense les plus grands criminels du royaume, les récompenses accordées à ceux qui capturent les cibles sont immenses, mortes ou vives.
Rares sont ceux qui ont survécu après avoir vu leur nom s’ajouter à cette liste, les visages de ces hommes sont rapidement connus de tous et même à l’étranger on n’est pas à l’abri des chasseurs de primes.
- Maintenant que tout est clair je vous laisse voir les détails avec Toj’dra, le conseiller de l’archimage, il vous remettra vos armes et vous informera des procédures pour me faire parvenir vos rapports…
Présent
J’ai bien fait d’engager ces deux-là.
Souvent le destin fait des choses étranges, et on est surpris de voir la fidélité de certains, ainsi que la perfidie d’autres gens.
A bientôt j’espère.
:mac:
Quoi qu'il en soit je ne lâche pas (à part neiden (merci à lui), il y a encore des gens qui lisent au fait?).
Si vous êtes nouveau, bienvenue sur cette fic, go lire l'intro et bonne lecture à tous.
- Alors ?
Le capitaine de la garde se tient devant moi, il n’a plus rien à voir avec la loque que nous avons assommée l’autre soir.
L’œil vif, le dos droit, rasé de prêt.
Une rigueur militaire retrouvée.
On voit tout de suite qu’il est parfaitement dans son élément à ce moment précis.
Des années à patrouiller, arrêter des petits voleurs à la tire et à remplir des papiers à tout va… N’importe qui se serait ramolli.
Mais, maintenant, dans les quartiers de la garnison de la ville, je vois ce à quoi le capitaine devait ressembler avant d’être assigné à la province de Korinte.
- Le baron et sa famille ont été arrêtés, ils étaient tellement surpris qu’ils n’ont même pas opposé de résistance. Bon le fils du baron a bien essayé de mordre quelques uns de mes hommes mais il a été rapidement maîtrisé.
-Vous avez reçu la liste ?
Après être sortis du fort nous avons assigné à un diablotin la tâche de transporter la liste de noms au capitaine.
Nous avons laissé les prisonniers dans un cabanon abandonné (sous la garde vigilante de Jeanne et de Morgoth) puis nous nous sommes rendus au château, réaménagé en QG par le capitaine.
- Oui, les arrestations ont commencé dans les quartiers marchands de la ville, visiblement certains ont déjà plié bagage.
Je hausse les épaules.
- C’était inévitable de toute façon, l’arrestation du baron ne pouvait pas rester secrète bien longtemps.
Le capitaine opine du chef.
- Et maintenant ?
Il m’a complètement accepté comme son supérieur hiérarchique.
Après tout je suis mandaté par l’archimage.
- Il y a une cabane dans la forêt, à mi chemin entre le fort et le cimetière.
- L’ancienne cabane des bûcherons, je la connais bien, des jeunes viennent la squatter de temps en temps.
- Et bien certains de mes hommes s’y trouvent avec un paquet de prisonniers, si vous pouviez vous en occuper ce serait bien.
Un bref hochement de tête suivi d’un ordre aboyé à un subordonné.
- Vous m’avez l’air d’avoir le contrôle de la situation, je vais me reposer, en cas de problème contactez-moi à l’auberge du canal rouge.
5 jours plus tard.
L’archimage lit mon rapport en fronçant les sourcils.
J’ai eu un mal de chien pour l’écrire en si peu de temps.
J’ai même du mal à me tenir debout, droit comme si on m’avait enfoncé une claymore dans le cul.
Il pose finalement les feuilles sur son bureau et me regarde des pieds à la tête.
- Asseyez-vous.
Je retiens un soupir de soulagement et m’efforce de conserver une attitude digne.
- Vous avez fait du bon boulot là-bas, cependant les nouvelles que vous m’apportez sont préoccupantes.
Pas d’allusion à la Kohesio.
Je glisse une remarque.
- Et à propos de ce qui s’est passé dans le fort ?
L’archimage boit une gorgée et me répond d’un ton indifférent.
- C’est un pouvoir complexe, il est comme vivant et évolue différemment d’un groupe de personnes à un autre, cependant, je dirais que les événements de l’autre jour n’avaient rien d’exceptionnel, plus vous allez évoluer, plus votre lien avec la Kohesio va se renforcer.
Il marque un temps d’arrêt.
- Je comprends que l’expérience que vous avez vécu n’était pas des plus agréables, mais il me paraît évident que cela se reproduira, plutôt que de nager contre le courant vous devriez vous laisser pousser par celui-ci, et l’utiliser pour vous propulser.
Le message est clair.
Si on veut continuer à se servir de la Kohesio il va falloir s’habituer à partager nos pensées les uns avec les autres, ou on deviendra fous.
- Que faisons-nous désormais ?
- Vous avez quartier libre vous et vos hommes, pour les deux prochains jours, essayez de vous détendre, après ce délai nous reprendrons l’entraînement, je m’occupe du reste en ce qui concerne le baron.
Le message est reçu avec soulagement au sein de mon équipe. Depuis que nous avons partagé toutes nos pensées, même les plus intimes, chacun a eu tendance à se renfermer dans son coin, plus d’échange, plus de blague, des repas se passant dans le silence le plus total. L’idée d’avoir un peu de temps à soi loin des autres nous fait du bien.
Durant ces deux jours, repos, c’est l’ordre que je me suis donné à moi-même.
Churt a bien entretenu la maison pendant mon absence et m’a même préparé un petit-déjeuner digne d’un roi.
Le nain sait se faire discret, il est assez réservé quand je le questionne sur ses anciens maîtres mais vu ses manières on se doute qu’il a servi des aristocrates.
Je profite autant que possible de mes deux jours de repos. Je me promène, fais le point et me détends.
Ne pas penser aux problèmes à venir, ceux-ci nous rattraperont bien assez tôt.
2 jours plus tard.
- En effet c’est un problème.
Retour au bureau de l’archimage, celui-ci m’a interrompu au milieu d’un cours de danse (idéal pour améliorer la synchronisation de nos mouvements en plein combat), il avait des « nouvelles importantes » à me donner.
Agaçantes plus qu’importantes.
Imaginez-vous, essayant de mettre derrière les barreaux toute une organisation criminelle pour apprendre deux jours plus tard qu’ils sont libérés sur parole.
- Le baron a des relations mais la décision venait du conseil. Selon eux, nos déclarations sont « abracadabrantes ».
J’en reste sur le cul.
- Et nos preuves ? Les disparitions ?
- Les témoignages proviennent de voleurs et de fripouilles, ça ne tient pas face à un baron, le conseil a jugé qu’il s’agissait plus d’un groupe de jeunes voulant s’amuser que d’une véritable organisation criminelle, il est trop obnubilé par le seigneur des abysses, il ne regarde pas ce qui se trame.
- Alors personne ne nous croit ?
- En fait certains ont manifesté de l’intérêt, mais sans preuve solide…. Les nécromanciens sont trop discrets, ils ne représentent pas une menace suffisamment importante pour Ophasia, du moins pas de manière assez direct.
Un long silence s’abat sur nous.
Je bouillonne intérieurement.
Je hais la politique.
A vouloir contenter tout le monde, on en vient à ne plus agir.
Le conseil en est l’illustration parfaite.
La manifestation d’une volonté de ménager la chèvre et le chou.
Sa composition est la suivante : l’archimage (il représente les mages), un représentant des hommes (un roi, élu par les humains), un autre pour les elfes (la reine des elfes) et encore un pour les nains, ajoutez à cela un représentant des classes populaires, de la bourgeoisie et de l’aristocratie, le général en chef des forces armées, le leader de la guilde des aventuriers, le chef de la guilde des marchands, le responsable de la trésorerie d’Ophasiii et un conseiller élu par tous.
Ce mélange improbable est censé défendre chaque habitant d’Ophasiii et vote les lois à la majorité.
C’est juste, du moins sur le papier mais il en résulte des conflits d’intérêts qui viennent entraver la prise de décision.
Tout le monde en a conscience mais personne n’agit pour changer ça, car simplifier l’organisation de la politique Ophasienne c’est courir le risque de voir naître des injustices au sein des races/castes de la société.
Jusqu’ ici je m’en contentais.
Mais là c’est une atteinte à mon travail, un travail pour lequel j’ai failli mourir.
Bon gré, mal gré, si je veux monter en grade, je me retrouverai toujours mêlé aux affaires politiques de ce pays.
Autant s’en accommoder.
Je relève la tête, l’archimage m’observe en silence, une pipe à la main, la fumée commence à remplir la pièce.
Je ne l’ai pas vu l’allumer.
- Bon, il y a peut-être un moyen de rattraper le coup et de doubler le conseil, mais il va falloir se mouiller.
Il me lance un regard surpris puis un sourire traverse son visage, comme celui d’un gamin s’apprêtant à faire une bêtise.
- Je vous écoute
Le lendemain soir.
Les nuits sont froides à Ophasia.
L’archimage s’est montré réticent au début, le convaincre n’a pas été chose aisée.
Tout comme de tout préparer en une journée, mais le vieux a plus d’un tour dans son sac.
Je me demande à quel point il est puissant, les enchantements qu’il a utilisés en si peu de temps étaient d’un niveau supérieur et il n’avait même pas l’air essoufflé après ça.
Kaljig se fige, un garde passe devant nous sans nous voir et continue sa route.
Au moins le sort de dissimulation fonctionne mais mieux vaut éviter de trop s’exposer.
Ce genre de magie, en plus de drainer une grande quantité d’énergie, est très instable, et ne rend jamais parfaitement invisible.
- Tu crois que les autres s’en sortent ?
- T’inquiète, t’es pas le seul à savoir crocheter une serrure.
Nous avions formé des binômes, c’est moyennement recommandé pour l’infiltration car c’est deux fois plus de chances d’être capturé mais en raison de la nature parfois « instable » de mes hommes j’ai préféré créer des groupes avec l’espoir qu’au moins un membre de chaque duo soit assez raisonnable pour stopper son coéquipier si celui-ci décide de massacrer un garde.
Ou au moins, qu’il ne le laisse pas se battre seul.
La porte s’ouvre, la rue, d’habitude très fréquentée qui fait face à l’université militaire navale d’Ophasia, est vide.
Nous passons de longs couloirs sur les murs desquels sont accrochés des tableaux commémorant telle bataille, ou tel amiral célèbre.
Normalement, des alarmes magiques auraient dû se déclencher une fois la porte franchie mais les protections de l’archimage nous permettent de passer sans problème.
Après tout c’est la guilde des mages qui fournit la majorité des systèmes de sécurité des bâtiments publics d’Ophasiii.
Nous arrivons au niveau inférieur, là où se trouvent les fondations du bâtiment.
Les dirigeants de l’université n’ont pas placé d’autres gardes que des pions, plus là pour empêcher les internes de traîner dans les couloirs qu’autre chose.
Je sors la gemme de ma poche.
Elle vibre, complètement gorgée de magie.
Je la tapote du bout du doigt et sens le contact s’établir.
C’est la partie délicate.
Il va falloir pousser la pierre à libérer cette énergie, mais plus tard, beaucoup plus tard.
Ça demande beaucoup de concentration et la magie d’altération de Kaljig m’est d’une aide précieuse.
On ne peut choisir une heure précise mais on peut donner un temps approximatif.
Finalement le sort me paraît stable, je l’applique sur la pierre, elle vrombit quelques instants puis se calme.
- C’est bon, on file.
Au même moment, les autres membres de mon unité effectuent la même opération dans d’autres bâtiments.
Le lendemain.
Je me lève tard ce matin.
La magie d’illusion est très fatigante et maintenir un sort d’invisibilité si longtemps prend beaucoup d’énergie.
J’attaque mon petit-déjeuner avec appétit mais j’ai malgré tout une boule dans l’estomac.
J’aurais préféré trouver une autre idée.
-Vous devez vous rendre dans le bureau de l’archimage au plus vite.
Évidement.
Je prends l’air surpris.
-Que se passe-t-il ?
-Il vous le dira mieux que moi.
Je déteste ces abrutis qui veulent se donner un genre en répondant aux questions de manière énigmatique, il ne fait que savourer le fait qu’il « sait » ce qui se passe et moi non.
Ce qui me fait rire c’est que je suis plus au courant que lui.
Depuis mon affectation sous les ordres de l’archimage j’ai mon bureau à la cité arcanique.
J’y examine des rapports de patrouilleurs ou d’officiers ayant fait escale dans des villes et ayant signalé des activités anormales lors du débriefing.
Le problème étant qu’aucun soldat ou force spéciale ne s’amuse à visiter un cimetière lorsqu’il se repose dans une cité. La majorité des « anomalies » concernent des soupçons de trafics, ou de prostitution. Et encore, bien souvent ils restent dans le vague, rarement plus d’une ligne est consacrée à ce genre de détails dans les rapports militaires.
Au final, rien de croustillant là-dedans.
J’arrive au bureau de l’archimage.
Il joue son rôle au cas où des oreilles traîneraient.
Grave attentat… blabla… nous enquêter… blabla… lui aller là bas en personne.
Je ne dis rien, lui adresse un hochement de tête et sors, un air grave sur le visage.
Certains pourraient croire que je suis atterré par ce que je viens d’entendre.
En fait je suis juste concentré.
J’arrive dans nos logements.
L’équipe m’y attend.
Tous sont équipés et sur le départ.
- Lequel ?
- L’école primaire.
- Je le savais ! Hoyfo, tu me dois 10 ophins !
-Vos gueules tous les deux, on y va.
Parier sur quel bâtiment allait exploser en premier… Il va falloir que je garde un œil sur Jeanne et Hoyfo.
Sur place c’est le chaos.
Beaucoup de fumée et de bruit.
Le sort était aussi fait pour attirer l’attention.
Les gens s’attroupent autour des lieux du sinistre pendant que des mages essayent de soigner un enfant gravement brûlé.
Partout les civils tentent de se rendre utiles.
L’incident étant de nature magique, c’est à la guilde des mages de s’occuper du problème.
Nous appliquons calmement le protocole, inspection des lieux (limitée en raison des chutes de débris encore fumants), magie de détection pour déterminer la nature du sort et son point de départ.
Ce n’est pas si évident car une partie de la structure s’est effondrée.
Bien sûr, le fait de savoir à l’avance aide un peu l’enquête.
Nous récoltons des fragments de la gemme quand une deuxième explosion se fait entendre au loin.
Un centre administratif cette fois.
Le lendemain.
Je m’effondre sur mon fauteuil.
Jamais je n’ai eu de journée aussi chargée.
- L’archimage veut encore vous voir.
Putaaaaaaaaiiiiiinnnnn.
Je me traîne lentement dans les couloirs.
2 gemmes ont explosé à moins d’une heure d’intervalle, le chaos était indescriptible.
Ophasia est tellement sécurisée qu’il est impensable qu’un tel événement puisse se produire.
Mais c’est arrivé, les protections magiques ont été déjouées et un attentat a eu lieu.
Je rentre dans le bureau et ferme la porte.
- Vous êtes vraiment quelqu’un de dangereux.
- Et vous êtes mon employeur.
Il sourit faiblement, sa journée a été aussi chargée que la mienne.
- Quand vous rentrez dans le monde de la politique, c’est avec fracas.
On peut le dire en effet.
Après la 3 ème explosion, nous sommes parvenus à remonter la piste des fragments, elle nous a conduits à un nécromancien qui n’avait, par chance, pas encore quitté la ville.
Après un rapide interrogatoire, les forces de la guilde des mages (moi et mon équipe) ont trouvé la position de plusieurs autres gemmes disséminées dans Ophasia, en évitant ainsi une catastrophe.
Bien entendu c’est la version officielle.
Dans les faits le nécromancien était un des types que l’on avait arrêtés dans la grotte à Korhinte et qui avait décidé de fêter sa libération inespérée dans une taverne.
Nous lui sommes tombés dessus et l’avons laissé inconscient dans sa chambre après avoir disposé des objets compromettants… Comme des gemmes et du matériel permettant de faire sauter la moitié des bâtiments importants d’Ophasia.
Il ne s’est réveillé que pour voir un contingent de gardes débarquer et le mettre aux arrêts.
Après lui avoir clairement fait comprendre que si il voulait éviter une exécution sur la place publique il avait intérêt à mentir et à témoigner contre ses anciens collègues (y compris le fils du baron) nous sommes simplement allés récupérer les gemmes qui n’avaient pas encore explosé.
En gros on est passés pour des héros, le baron et son fiston sont retournés en prison et le conseil ne pourra jamais étouffer ça.
Le peuple est bien trop en colère.
Après tout des enfants sont morts dans cette histoire.
Le coup de grâce a été donné par l’archimage qui a décrété, lors d’un discours officiel, que la pratique de la nécromancie est un danger pour le monde libre et qu’à compter de ce jour, il confierait à ses meilleurs hommes la charge de traquer les mécréants.
Donc à partir de maintenant, nous sommes une escouade officielle.
- Si vous saviez comme je me suis fait engueuler par le conseil pour avoir prononcé ce discours sans leur aval.
- Vous avez le soutien du peuple sur ce coup, ils ne peuvent rien faire.
- Oui, mais ils vont m’avoir à l’œil… Et vous aussi, vous êtes le capitaine en charge de chasser la nécromancie d’Ophasiii, vous sortez de l’ombre et devenez directement le centre de toutes les attentions.
Je souris.
- Et dire qu’ils étaient sur le point de m’oublier, il faut croire que je suis tout simplement trop extraordinaire pour rester loin des regards.
Le visage de l’archimage devient réprobateur
- Ne fanfaronnez pas trop, vous êtes une cible maintenant, au moindre faux pas, ils vous feront sombrer.
Son regard se remplit de malice.
- Et puis, vous allez devoir participer à des événements : réceptions, discours, inaugurations. Vous allez avoir un emploi du temps très chargé.
En effet ça a tendance à me briser le moral.
Il est toujours bien vu, au sein de la noblesse, d’inviter quelques officiers qui se sont distingués par leur exploits sur le champ de bataille.
Dans mon cas je suis vu par beaucoup comme le bras armé de l’archimage (ce n’est pas tout à fait faux). En d’autres termes, je vais être à la mode pendant un moment.
Comme si je n’avais pas assez de travail, je vais en plus devoir participer à toutes ces mondanités.
- N’oubliez pas que vous me représentez dans la lutte contre la nécromancie, vous n’avez pas le droit à l’erreur.
Sur ces mots il me congédie.
Je suis posé sur mon lit en lisant la lettre que Churt vient de m’apporter.
J’ai dormi comme un bébé après la journée d’hier.
Le soleil brille, je prends mon petit-déjeuner au lit et la seule chose qui pouvait me gâcher le moral apparaît alors que je n’ai même pas fini mon thé : une lettre me convie à une réception organisée le lendemain même.
Ils n’ont pas perdu de temps, évidemment je ne vais pas pouvoir me défiler.
Sans parler du boulot que j’ai à faire entre temps : trouver un moyen plus efficace que des rapports militaires pour faire la chasse aux nécromanciens.
Au moins sur ce dernier point j’ai peut-être une solution.
J’avale un grain de raisin et une gorgée de thé avant de me mettre debout.
Direction les archives de la cité arcanique, il va falloir que je parle à Toj’dra.
- Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?
- Il me faudrait les dossiers de tous les prisonniers qui croupissent dans les prisons d’Ophasiii en attente d’une condamnation, mage ou non, peu importe… Enfin la routine quoi.
Le nain lève les yeux au ciel.
Nous sommes devenus plus proches depuis un moment, après tout, si je suis la main droite de l’archimage, Toj’dra est indubitablement sa main gauche.
-Installe-toi je t’amène ça, tu sais qu’il faut une autorisation spéciale et un bon motif pour avoir accès à ces dossiers normalement ?
Je lui adresse un sourire.
- Tu vas très bien te débrouiller, j’en suis sûr.
Il revient quelques minutes plus tard, les bras chargés de dossiers.
- Il y en a d’autres si tu veux.
- Comme d’habitude.
Je soupire.
Comme lorsque j’ai sélectionné les membres de mon équipe, un long travail m’attend.
Au moins les archives de la cité arcanique sont un lieu de travail parfait : elles ne sont pas ouvertes à tous, donc peu fréquentées, et des pierres lumineuses sont disposées de manière à éclairer les livres, même la nuit.
Après des heures de travail, cinq profils sont retenus.
Le recrutement va commencer.
J’ai bien le temps d’aller en visiter un ou deux avant la tombée de la nuit, les geôles impériales ne sont pas loin.
Les visites étant autorisées, je n’ai pas de mal à me retrouver en tête à tête avec le premier candidat.
Dans la pièce, une table en bois usé et deux sièges.
Étant donné mon nouveau grade j’ai obtenu des gardes qu’ils me laissent seul avec le prisonnier.
Celui-ci me regarde d’un air sévère, sur la défensive, je ne doute pas une seconde qu’il me tuerait s’il le pouvait.
Pourquoi dois-je toujours traîner avec des gens comme ça ?
- Bonsoir Khamsin, si tant est que ce soit votre nom.
Il se contente de me fixer, toute l’agressivité du monde se lit dans ses yeux.
Super.
- Vous avez été arrêté pour avoir fracassé sept clients dans une taverne après une soirée bien arrosée, il a d’ailleurs fallu une douzaine de gardes pour vous maîtriser complètement, pas mal du tout si on considère que la moitié d’entre eux étaient des orcs.
Un sourire fugace manque de se dessiner sur son visage mais il se retient et se rapproche de moi, sans cesser de me fixer.
Bordel mais quand est-ce qu’il va cligner des yeux ?
- Tu me veux quoi connard ?
Je résiste à l’envie de reculer ou même de détourner le regard (envie qui pourtant est bien présente).
Au contraire j’avance moi aussi mon buste.
- T’as intérêt à changer de ton, je suis là pour te faire l’offre de ta vie… Tu vas aller en taule, et vu tes antécédents avec la justice, tu vas y rester un petit moment, quand tu sortiras, tu ne s’ras même plus en mesure de tenir une épée, d’ailleurs en parlant d’épée, ta petite chérie que tu trimballes tout le temps avec toi… Culioque, ben elle aura sûrement été volée par un garde et tu ne la reverras jamais, c’est vrai qu’une aussi belle lame ce serait dommage de la laisser rouiller non ?
Il essaye de me mettre un coup de boule en grognant.
Je l’esquive et attends qu’il se calme.
Ce taré entretient une relation très fusionnelle avec son épée, il la considère presque comme sa femme.
C’est du fétichisme à ce stade-là.
- T’as fini ? Bien alors voilà mon offre : je te fais sortir de là, je te restitue ton épée, je t’offre un salaire plus que généreux, et je te laisse gambader en toute liberté à travers Ophasiii.
J’ai éveillé son intérêt, mais il est toujours méfiant.
- Tu veux quoi en échange ?
- Je veux que tu te balades, et que tu te fasses des amis, que tu en apprennes plus sur les villes où tu vas. Je veux que tu te renseignes un maximum sur les nécromanciens, que tu trouves leurs planques et éventuellement leurs membres, je veux toutes les infos possibles. Je veux que tu établisses un contact avec les voleurs, les clodos et les assassins qui traînent dans les bas-fonds des villes pour qu’ils forment un réseau d’informateurs à mon usage. Après ça tu m’envoies un courrier et je déboule avec mon équipe pour faire le ménage, t’as même pas à te battre dans l’histoire et tu jouis d’une liberté absolue. Chaque fois que tu trouves une planque, t’as un supplément sur ton salaire, si je te demande de te bagarrer ou d’assassiner quelqu’un, t’as un supplément sur ton salaire, et si tu fais du bon travail, t’as un supplément sur ton salaire.
Ayant affaire à un ancien mercenaire, je trouve important d’insister sur le supplément au niveau du salaire.
Le type me regarde des pieds à la tête puis se met à rire.
- T’es taré de payer pour un job comme ça. Mais c’est ton fric. Rends-moi mon arme et ma liberté et je serai ton homme.
Je lui souris à mon tour et me lève.
- Vous serez relâché d’ici la fin de la semaine, on se reverra à ce moment là.
Je quitte la pièce sans attendre de réponse.
Sur les cinq, quatre ont accepté et sur les quatre, deux m’ont plu.
Le lendemain
- C’est trop serré.
- Non monsieur je vous jure qu’il vous va à ravir.
Le costume pour la fête de ce soir était arrivé un peu plus tôt dans la journée.
Je ne comprendrai jamais cette passion pour les froufrous et cette débauche de couleurs.
Rouge, or, blanc, quelques touches de bleu, et un peu de violet au niveau des jambes.
Un phœnix déployant ses ailes –l’emblème de la guilde des mages- parcourt mon torse et mes bras.
Ma seule consolation est que tous les membres de mon équipe auront des uniformes similaires.
- Bon Churt je te laisse la maison, il va falloir que je parle au groupe qui va m’accompagner ce soir, je ne voudrais pas qu’ils fassent de scandale.
Comme à son habitude le nain fait une petite courbette et retourne à son ménage.
Quel pied d’avoir un majordome finalement.
J’enfile une cape de voyage, je ne veux pas qu’on me voie marcher dans la rue dans cet accoutrement grotesque.
Tous les membres de l’équipe sont déjà là, dans les baraquements qui nous sont réservés dans l’université arcanique.
En fait c’est plus une maison mise à disposition par la guilde, dans l’enceinte de l’université, qu’autre chose.
-Oh qu’il est beau notre capitaine !
Éclats de rires dans la salle, j’ai en effet hérité du costume le plus tape-à-l’œil.
L’archimage me le payera.
- Mouais, vos gueules, je veux être sûr que la soirée va dérouler sans accroc. Des petites boutades entre nous ok, mais quand on sera là-bas vous avez intérêt à vous tenir à carreau ou vous aurez affaire à moi pigé ?
- On sait se tenir chef pas de problème.
Jeanne me regarde depuis le fond de la pièce, un sourire narquois aux lèvres.
- On verra ça.
Nous retrouvons l’archimage deux heures plus tard, devant les portes de l’université.
- Je vois que les costumes que j’ai commandés pour vous sont bien arrivés, tant mieux.
Rand bougonne.
- Vous auriez pu choisir quelque chose de moins…
- Moulant ?
- Tape-à-l’œil ?
- Criard ?
-Ridicule ?
- Moche ?
- J’allais dire « coloré »
L’archimage nous jette un regard assassin.
Depuis quelque temps une réelle connivence s’est installée entre les membres de l’équipe, j’ignore moi-même comment on en est arrivés là.
Certaines choses se font toutes seules.
- N’essayez même pas de sortir ce genre de trait d’esprit ce soir.
- Je les ai bien briefés.
- J’espère.
- Moi aussi.
Nouveau regard agacé mais cette fois il a du mal à dissimuler son sourire.
- Bon pas de faux pas.
Nous effectuons le voyage dans une grande calèche à quatre rangées de sièges.
Les quartiers riches d’Ophasia.
Une avalanche de luxe et de couleurs.
C’est à celui qui étalera le plus sa richesse.
Nous nous arrêtons devant un manoir, entouré par un jardin que n’importe qui qualifierait de magnifique.
Des parcelles de terre, suspendues en hauteur par des sorts, desquelles coulent des plantes parfaitement taillées ainsi que des trombes d’eau venant s’enfoncer dans le sol, une fontaine éclairée par des pierres lumineuses dispersées à l’intérieur, des fleurs de différentes couleurs parcourant le sol des…
- On y est.
L’archimage me tire de mes pensées et descend du véhicule.
Je lui emboîte le pas et marche légèrement en retrait par rapport à lui.
Mon équipe se place en deux colonnes et nous suivent.
Dedans la fête bat déjà son plein.
Nous trouvons malgré tout le moyen de nous faire remarquer, visiblement nous sommes les invités d’honneur.
- Voilà donc les héros du jour !
L’organisatrice de la soirée, une femme un peut ronde mariée à un des marchands les plus riches de la ville, nous accueille avec un large sourire.
D’ailleurs tout le monde sourit ici, avec plus ou moins de talent.
- Grazzellia, quel plaisir de vous voir !
L’archimage commence son petit numéro, j’essaye de ne pas me faire repérer.
- Alors vous êtes donc le fameux capitaine dont tout le monde parle ? Celui qui a emprisonné les nécromanciens en ville ?
Je fais de mon mieux pour ne pas paraître intimidé.
Je n’ai jamais eu de problème pour parler devant des soldats, simplement parce que je me suis toujours efforcé d’être sincère. Ici la situation est différente, je dois mentir sans que ça se voie, la démarche est donc à l’opposé de ce que j’ai l’habitude de faire.
J’essaye de prendre exemple sur tout le monde ici et j’adopte un air enjoué et sûr de moi.
- J’imagine que c’est moi, et à qui ai-je l’honneur ?
- Ancaros, assistant du chambellan de la reine des elfes, je représente ce dernier qui n’a pas pu venir ce soir…
Le larbin d’un larbin en d’autres termes.
-… Quoi qu’il en soit n’hésitez pas à me solliciter si vous avez besoin de quoi que ce soit.
Compte là-dessus.
-Avec plaisir.
Je souris et bois un verre.
La soirée va être longue.
1h plus tard
Je parviens enfin à me sortir de la masse.
J’ai passé mon temps à sourire et à boire avec des étrangers.
Tous m’ont proposé de l’aide au cas où j’aurais une question ou besoin d’un coup de main.
Pas étonnant, si j’ai une dette envers eux je serai moralement obligé de leur rendre un service en retour, et un service d’un homme se trouvant dans les petits papiers de l’archimage c’est précieux.
Même si ma morale est flexible, je n’ai pas l’intention de leur demander quoi que ce soit, plus loin ils se trouvent de mes affaires, mieux je me porterai.
Je me fais agripper par Adrihane.
- Danse avec moi.
Elle ne me tutoie pas d’habitude.
- Que se passe-t-il ?
Mes talents de danseur ne sont pas très développés en temps normal et j’ai la tête qui tourne un peu.
Quoi qu’ils mettent dans leurs verres, une chose est sûre : il y a de la pomme.
Je me rassure en me disant que les autres n’ont pas plus fière allure que moi sur la piste de danse.
- Ces nobles sont d’un sans-gêne, une femme dans les forces spéciales ils n’en voient pas souvent alors forcément, ça les attire. Des lourds j’en ai vus mais ces jeunes nobliaux de province sont les pires, je ne peux même pas les frapper !
Je surprends en effet quelques regards de concupiscence se posant sur ma partenaire.
- Et une femme avec deux yeux de couleurs différentes, forcément ça les attire encore plus, c’est à se demander si ils n’ont pas fait un pari sur qui parviendrait à me ramener dans sa couche.
Il faut admettre que ses yeux uniques ont quelque chose d’attirant.
Je me laisse porter par la musique en dévisageant quiconque essayerait de s’approcher de ma cavalière.
- Au moins, il y en a une que ça a l’air d’amuser.
En effet Jeanne rit aux éclats en changeant régulièrement de partenaires.
C’est typiquement le genre de femme qui aime avoir tous les hommes à ses pieds.
Brand quant à lui observe la scène en gardant le visage crispé.
- Tu crois qu’il y a quelque chose entre ces deux-là ?
Adrihane paraît un peu surprise puis hausse les épaules.
- Brand est tombé sous son charme c’est évident et cela amuse Jeanne. Après je suppose qu’elle le fait mijoter sans jamais lui laisser une chance de conclure.
Je hoche la tête.
C’est aussi mon avis.
Adrihane me lâche.
- Merci pour la danse capitaine, vous devriez aider Seinai elle a l’air d’avoir des problèmes similaires aux miens, je vais aller discuter avec Morgoth.
Elle m’adresse le premier sourire chaleureux de la soirée, puis disparaît dans la masse d’invités.
Je repère mon illusionniste, le regard vide, visiblement découragée au milieu de jeunes nobles trop entreprenants.
Parmi tous les membres de mon équipe Seinai a toujours été un mystère.
Je sais qu’elle a vécu des trucs dégueulasses pendant sa jeunesse mais je n’ai jamais eu de détails et franchement je préfère ne pas en avoir.
Elle est très renfermée, peut-être plus que Kaljig dans la mesure où il est possible d’établir un contact avec ce dernier à condition de poser des questions et d’être chaleureux avec lui.
Je m’enfonce dans cette marée de chacals en rut.
- Désolé messieurs mais je vous l’emprunte.
- Attends ton tour l’ami.
Je me fige et plonge mon regard dans celui de mon interlocuteur.
Je vais te tuer, toi ta famille et tes amis, je t’arracherai la peau et te boufferai le cœur. Je te crèverai les yeux avant de te couper les couilles, je…
L’elfe qui une seconde auparavant paraissait si sûr de lui recule d’un pas et fait mine de regarder son verre.
Quand on fixe quelqu’un en pensant à toutes les tortures qu’on voudrait lui faire subir, il le sent.
J’attrape Seinai et l’emmène sur la piste.
Elle prononce d’une petite voix.
- Merci capitaine.
- Laisse tomber, on danse encore un peu et après tu rentres chez toi, ton absence sera à peine remarquée de toute façon, je vais prendre des dispositions pour que tu sois raccompagnée chez toi par un cocher.
Elle hoche la tête doucement et je sens une infinie gratitude émanant d’elle.
Seinai a toujours eu des problèmes pour communiquer avec les autres et supporte mal toute forme de contact, particulièrement le contact physique.
Dans la vie de tous les jours, elle se cache sous ses illusions, elle manipule les perceptions de ses interlocuteurs (j’ai moi-même mis du temps à m’en rendre compte). Ici elle ne peut pas utiliser de magie, interdiction donnée par l’archimage, et se retrouve face à des gens qu’elle ne peut envoyer chier en bonne et due forme.
La soirée continue et je me sens de plus en plus joyeux.
C’est rarement bon signe.
En tout cas, ce qu’ils mettent dans leurs verres : c’est pas du jus de raisin.
Je repère Kaljig dans son coin.
Il est doué pour mettre ses interlocuteurs mal à l’aise grâce à ses réponses laconiques et son regard fuyant.
- Tu t’ennuies Kaljig ?
- Non… ça va.
- Je peux te demander un service ?
Il me fait oui de la tête, en fixant un rideau.
- Infiltre-toi dans les quartiers privés de notre hôtesse et vois si tu peux trouver quelque chose.
Il tourne la tête et me regarde enfin dans les yeux.
Je sens de la joie émaner de lui.
De la joie pure et non feinte, comme un enfant à qui on aurait offert un jouet.
- Vous cherchez quelque chose en particulier ?
- Non, c’est plus que, quitte à être dans la demeure d’un des types les plus riches d’Ophasia, autant fouiner un peu et découvrir ses noirs secrets.
Pour un peu il sautillerait sur place.
- Attends.
Il se fige.
- Tu as bu ?
- Bien sûr que non, je bois très peu.
Je lui tends mon verre.
- Rince-toi la bouche avec ça, si un garde te surprend dans les couloirs : titube, souffle-lui ton haleine au visage et dis-lui que tu vis dans un bateau jaune.
- Et qu’est-ce que ça veut dire ?
- Rien, mais il aura l’impression que t’es bourré et te fera sortir sans se dire que t’étais sur le point de voler son employeur.
2 heures plus tard.
- Vous êtes sûr que vous voulez ça ?
Dans une chambre vide et à l’écart des invités, Adrihane me dévisage.
Moi je m’efforce de conserver une attitude normale.
- J’ai dû boire, beaucoup boire. Ils essayent de me saouler pour me faire baisser ma garde.
- Je sais mais c’est très douloureux et vous allez sentir la violette pendant un moment.
- Peu importe.
Elle soupire et pose ses mains sur mon dos.
Elle n’avait pas menti, j’ai mal.
Je m’effondre par terre en transpirant, mes consommations de la soirée s’évacuant par ma sueur.
C’est comme si un million d’aiguilles perçaient ma peau en même temps.
Je serre les dents.
L’effet s’estompe peu à peu.
- Je vous avais prévenu.
-Tu as bien fait… Pfiou…
Je me relève difficilement et remets mon pourpoint.
- Merci Adrihane, si tu veux rentrer chez toi tu peux, les autres sont déjà partis.
- C’est ce que je comptais faire, vous voulez rester vous ?
Je commence à avoir la migraine.
- Je suis le capitaine, premier arrivé, dernier parti.
Elle hoche la tête.
- Faites attention, certains champs de bataille sont plus dangereux que d’autres.
Elle s’apprête à faire demi-tour.
-Adrihane ?
- Oui ?
- Comment je suis ? Comme capitaine ?
Cette question sonne comme un aveu de faiblesse à mes oreilles, mais les restes d’alcool qui embrument encore mon cerveau me rendent loquace.
Elle sourit de nouveau.
- Vous vous en sortez à merveille.
Je la sens sincère et ça me fait plaisir.
Pour la première fois, quelqu’un qui a été sur le terrain avec moi me félicite.
Ça vaut tous les hommages du monde.
- Merci Adrihanne.
Elle quitte la pièce sans rien dire.
Je me redresse, me regarde dans un miroir, souffle un coup et fixe mon reflet.
C’est l’esprit allégé et le torse bombé que je retourne dans la fosse aux lions.
3 heures plus tard.
Les au-revoir étaient interminables, je ne me souvenais même plus des gens auxquels j’avais parlé.
Je m’effondre dans ma calèche.
- Tout va bien cap ?
Je sursaute, Kaljig m’attendait dedans.
- C’est déjà allé mieux, t’as trouvé quelque chose ?
Il secoue la tête.
- Non, enfin j’ai bien vu quelques papiers pouvant indirectement prouver que le maître de maison n’est pas toujours très en règle concernant ses affaires mais rien de solide, et rien qui puisse conduire aux nécromanciens.
- Pas grave, je ne m’attendais pas à grand-chose de toute façon, bon travail.
- Attendez je ne repars pas les mains vides.
Il me tend une bouteille de vin que je regarde sans comprendre.
- C’est pour quoi ?
- C’est pour vous, je me suis dit que ça vous ferait plaisir, je suis tombé sur la cave à vin tout à l’heure et j’ai vu cette bouteille, une cuvée de Sultairenne datant de l’ère 2 ème, une petite merveille.
-Tu t’y connais en vin toi ?
- C’est essentiel quand on est un voleur, une bouteille peut parfois valoir autant qu’un bijou, ne pas connaître la valeur des choses c’est gâcher des occasions.
Encore cette lueur dans ses yeux quand il évoque son passé de voleur.
- T’aurais pu t’arrêter non ? Tu devais être riche à la fin ?
Il hoche la tête.
- J’ai essayé de raccrocher une fois, je n’ai pas tenu bien longtemps.
- Pourquoi ça ?
-Comment dire ? Le vol c’est une expérience unique, le fait de caresser les goupilles d’une serrure, être rapide mais soigneux. Quand vous volez tout prend une importance, regardez par exemple ouvrir une porte, à quel point est-ce banal d’ouvrir une porte ? Vous souvenez-vous de la dernière porte que vous avez ouverte ? Et l’avant-dernière ? Non. Moi je me souviens de toutes les portes que j’ai ouvertes quand je volais, parce que derrière chaque porte peut se trouver un piège, un garde, un chien, le propriétaire de la maison, ou un trésor. Tant que vous ne l’avez pas ouverte vous ne savez pas ce qu’il y a derrière, mais vous pouvez tout gagner ou tout perdre sur une simple porte. Un gond qui grince et c’est la fin.
- Si tu volais pour le sport, pourquoi ne pas restituer ton butin après coup ?
- Mais ce serait criminel ! Le moment où vous revendez votre prise, c’est le moment où vous évaluez la qualité de votre vol. C’est comme si quelqu’un arrivait et vous attribuait une note : « bravo tu as bien volé, je serais prêt à payer beaucoup pour te voir le refaire » comme l’argent a de la valeur pour les gens du métier, chaque pièce qu’il accepte de lâcher est un trésor.
Je reste pantois.
En une soirée j’en ai plus appris sur mes hommes qu’en plusieurs semaines de cohabitation.
-Merci de m’avoir écouté cap, je descends là.
- Bonne nuit Kaljig.
J’entre dans un bureau prêté par l’archimage.
Les deux hommes à l’intérieur tournent la tête vers moi.
J’essaye d’ignorer la gueule de bois que je traîne depuis ce matin et je vais m’assoir en silence dans le siège qui leur fait face.
- Bien nous n’avons pas toute la journée et vous devez avoir pas mal de questions donc je vais vous faire une version courte…
L’homme de gauche s’appelle Rcaz, il porte une tunique blanche et son visage est caché par un masque noir laissant simplement discerner ses yeux verts.
Une capuche couvre ses cheveux, je sais par le rapport qu’à la suite d’un accident il a été défiguré, ses cordes vocales ont été endommagées et il n’est capable de parler qu’en concentrant son mana dans sa gorge.
Le son qui en sort est fort déplaisant et sa voix est la plus rauque qu’il m’a été donné d’entendre.
-… pour faire simple je suis à la tête d’un groupe un peu spécial qui combat la nécromancie dans tout Ophasiii…
Celui de droite se nomme Khamsin, un homme massif portant des habits assez légers, ses cheveux sont sales, il est mal rasé et son regard semble vous transpercer.
-… et comme je vous l’ai déjà expliqué, je veux que vous alliez de ville en ville pour trouver des planques de nécromanciens.
-Je bosse en solo, c’était pas prévu le coup du coéquipier.
- Faites comme vous voulez, je vous présente aujourd’hui pour que si un jour vous vous croisez, vous évitiez de vous entretuer. Maintenant parlons un peu de votre job, vous disposerez de colliers spéciaux, ils sont très rares et j’aimerais que vous évitiez de les perdre…
Joignant le geste à la parole je leur tends les précieux pendentifs cédés à regret par l’archimage.
-… si vous alignez les symboles se trouvant sur les plaquettes, vous pourrez, en concentrant votre magie dedans m’envoyer un court message : la ville où vous êtes et le lieu de rendez-vous par exemple. Je déboulerai ensuite dans ladite ville et nous pourrons parler de vive-voix, comme le processus est gourmand en mana, je vous recommande de ne l’utiliser que si vous êtes sûrs de la présence de nécromanciens, le reste du temps envoyez les messages par courrier. Votre job est de préparer le terrain, je vous remettrai vos payements en main-propre, ils devraient largement suffire à couvrir vos frais, mais je me fiche de savoir comment vous avez obtenu vos infos, je ne rembourserai pas les pots de vin que vous verserez. Des questions ?
Ce qui est bien c’est que les gens pensent qu’être taciturne ça donne l’air cool.
Je sais très bien qu’aucun ne va poser de question.
- Bien dans ce cas laissez-moi ajouter une chose, si vous faites du bon boulot, vous serez riches, si vous me trahissez ou si vous essayez de m’entuber, je vous fais ajouter à la liste noire d’Ophasiii et croyez-moi j’ai assez de relations pour le faire.
Le liste noire d’Ophasiii est simplement la liste qui recense les plus grands criminels du royaume, les récompenses accordées à ceux qui capturent les cibles sont immenses, mortes ou vives.
Rares sont ceux qui ont survécu après avoir vu leur nom s’ajouter à cette liste, les visages de ces hommes sont rapidement connus de tous et même à l’étranger on n’est pas à l’abri des chasseurs de primes.
- Maintenant que tout est clair je vous laisse voir les détails avec Toj’dra, le conseiller de l’archimage, il vous remettra vos armes et vous informera des procédures pour me faire parvenir vos rapports…
Présent
J’ai bien fait d’engager ces deux-là.
Souvent le destin fait des choses étranges, et on est surpris de voir la fidélité de certains, ainsi que la perfidie d’autres gens.
A bientôt j’espère.
:mac: