Publié le 20/11/2011 à 18:09:21 par Gregor
1973.
Tu nous parles d'une époque qui n'a jamais eu cours dans ta réalité. Elle était là avant, coincée entre la guerre et la crise, vague douceâtre d'une époque que tes parents regrettent. 1973, tu l'as gravée sur le bois de ta table, tu l'as cousue sur le revers de tes débardeur, tu l'as écrite sur des notes papier, au stylo rouge, avec de belles courbes déliées. Avec ce nombre-année, tu dresses un portrait mi-figue, mi-raison, une esquisse nostalgique avec ce jeune homme que tu ne connais qu'en rêve. Serge ne dépasse pas de l'année 1973. Il y est coincé, il l'incarne, il la sublime. Serge n'est qu'un fantôme, il te le rend bien. Ses soupirs sont des rimes inconnues, jamais prononcées, venues de ce passé glorieux et inexistant. Serge, une fois, t'a fait comprendre qu'il était possible qu'il t'aimât. Tu lui as glissé un regard soumis, froid et cuisant à la fois, en passant la main quelque part dans tes longs cheveux couleur de bohème. Serge a mis la main dans cet endroit paisible, près de ton cœur, un demi-sourire rougi de sentiment en prime. Tu as pris ses longs doigts, tu as remonté sa chemisette, tu as effleuré la peau tendue de sa pomme d’Adam, tu as poursuivi sur ses lèvres, le poignet léger, avant d’atterrir dans ses cheveux un peu trop noir.
Et tu as émergé, cruellement, loin de 1973. Serge est resté là-bas.
Serge.
Charmant jeune homme fréquentant un lycée général, dans une quelconque ville de province. Terminale, en filière A, l'assiduité en moins. Octobre frappe aux portes de son âme, son pantalon s'exclame contre la morsure du vent, et bat la cadence. Image romantique et convenue, qui lui sied à merveille. On notera son mètre soixante-dix, ses dix-huit ans de redoublant, son sourire déjà jauni par les brunes sans filtres, ses mains osseuses, sa maigreur.
Il a rendu à plus d'une femme un plaisir interdit, toujours en sourdine. Le sourire qui coud son visage est un fil de chanvre raide, aussi traître que le bord d'une feuille de papier. Tôt ou tard, il cisaille ses proies sans violence, trop inconscient de son charisme, de sa puissance.
Oui, Serge est aussi la définition d'un bourreau des cœurs. Il est aimé, le rend bien, sans équivoque. Seul le temps demeure une grande inconnue dans cette relation à trois : lui, elle(s), le désir. Parfois, on introduit des substances légales, voir illégales. On les rend futiles ou essentielles, mais de toute façon, pour Serge, ce n'est pas le fond du problème. Le LSD est un mot magique qu'on s'envoie par timbres non affranchis, direction les étoiles sans retour à l'expéditeur. Le SIDA est une inconnue sans équation, donc sans solutions puisque sans problématique. Serge vit bien dans cette époque libre, où rien ne coûte trop cher, où l'avenir semble facile, factice, tracé au marqueur blanc sur une route parfaitement rectiligne.
On a oublié quelque chose. Dire à Serge qu'il y a Anne.
Soyons clairs. La jeune femme per-pubère qui encre ses pages de sentiments nobles n'est qu'un prétexte trop pur et trop coloré pour être réalité unique. Anne n'est pas plus temporelle que Serge, couleur primaire qui traverse comme un trait la rue de Rivoli, un soir de mai, accroché au dos d'un ami roulant en vespa. Tu les vois, les petites dentelles sur sa robe ivoire aux tessitures ambrées ? Tu la vois, quand elle sourit, dans le virage, là, au pied de l'Hôtel de la Marine, quand le soleil se couche et embrase la pierre ? Tu la vois, plus tard, quand la soirée bat son plein, et quand avec son verre de vodka-pomme, elle est en pleine discussion avec ce beau jeune homme, à la chemisette bien tenue, les dents un peu jaunes ? La voilà, notre Anne, télescopée temporelle qui atterrit dans le monde de Serge, sans avertissement ni pré-requis. On la charge, on l'envoie, à la réception personne n'y comprend grand chose. Mais elle ne dénote pas, avec ses beaux cheveux roux, un peu bouclées. On lui dit qu'un jeune homme lui fait remettre un verre, elle sent son cœur qui cogne, qui explose ses tout petits os, qui liquéfie son souffle en une boue dorée, répugnance attirante.
Elle rit, Anne. Elle a raison. Le drame vient bien assez tôt.
Paris, conte magique dont trois millions de figurants assure l'ambiance. Cette nuit, été naissant oblige, le calme s'installe au creux de quelques persiennes, dans ce quartier chic qu'ils nomment Auteuil. Sous les dorures exubérantes, la vie chante auprès des draps de flanelles bien dépliés. Elle crie, jouit, lui hurle des mots qu'il aime, qu'elle ne maîtrise pas, ne comprend pas. Banale et vulgaire, l'amourette de ce couple magique, rencontre improbable dans un appartement que l'un comme l'autre ne connaissent pas. Quelle importance ? Ils veulent juste profiter de cet instant volé, s'arrêter dans un doux havre avant de repartir, fulgurants, brûler leurs ailes dans cette jeunesse qu'ils chérissent parfois un peu trop. Lui, il se donne beaucoup de mal pour ne pas la brusquer, elle, pour ne pas lui faire remarquer. Les mains s'agitent, frénétiques, sur et sous les draps, sur et sous les corps noués, graphiques, improbables. Frénésies cloniques, quand tout soudain, la hargne d'un présent loin, très lointain, resurgit en une mousse de bave impressionnante, accompagnée de son cortège de spasme neuromusculaire. Anne convulse sur le sexe de Serge, se tend en un arc impossible, se reprend, repart, et finalement se brise comme un bois trop sec.
Serge s'égare loin d'Auteuil. Sa nudité se revêt d'un jean trop large qu'il maintient d'une main, tandis que son torse imberbe s’accommode d'un maillot de corps déchiré. Son regard ivre d'amour, saoulé par la marée d'un sentiment cynique, se perd dans les méandres mélancoliques d'une foret verdâtre, cotonneuse. Anne a disparu. Dommage, mais il faudra faire avec. En vérité, pauvre petit animal humain, la femelle que tu gonflais de foutre t'oublie, doucement. Tu la vois, dans une scène improbable, coincée au coin d'un tableau inexistant, prisonnière d'un cadre de bois et de songes, le regard aussi livide que sa peau. Triste ressentiment, que tu suis de loin, alors que, quelque part dans ton esprit, 1973 résonne comme l'appel irrépressible d'une vie passée, déjà écrite. Ton souffle se crispe en une moue triste, accompagnée de son cortège de larmes ravalées.
Anne est là, elle est bien. Elle t'oublie, elle oublie ton année, elle oublie le lycée, elle oublie l'Amour. Elle regarde ailleurs, dans une direction que tu ne peux pas voir. C'est normal après tout, tu ne peux pas vraiment connaître un futur que tu n'as jamais vécu. La foret de vos Songes devient l'écrin d'une dernière rencontre, sans au revoir, tableau pastel et sombre, au trait gras, aux ombres infinies.
Anne émerge aussi. Une seringue au creux de son petit coude trop maigre. Et elle sait. Elle sait pour Serge, pour 1973, pour Auteuil, pour la forêt. Elle sait que là-bas, loin du temps, il y a une petite réalité en forme de garçon un peu maigre, au dents jaunies. Elle sait que pour lui, parfois, le mot Amour est un peu trop fort.
Commentaires
- Javier
29/07/2012 à 13:59:31
C'est très beau. J'ai beaucoup aimé lire ton texte.
- Sheyne
19/06/2012 à 13:06:39
Sinon j'ai rien compris à la fin
Mais c'est taille de bien écrit... - Sheyne
19/06/2012 à 12:58:28
1973 c'est aussi l'année de NOEl
Prestigieux rassemblement de pauvres pays démunis...
1973 C'est le nouvel ordre mondial lnternationale à l'Onu... - Profiteur
19/06/2012 à 12:34:12
Je trouve ça très beau. Vraiment très beau. J'ai pas totalement saisi la fin, mais... .
Contrairement aux autres, j'ai éprouvé du plaisir à le lire.
Génial comme toutes tes nouvelles. - Pseudo supprimé
22/11/2011 à 14:50:51
Comme d'hab, un vocabulaire et une syntaxe à tomber. Mais je rejoins l'avis de snake, il faut le lire 3 fois avant de bien cerner le truc.
Bref, malgré la qualité de l'écriture, je n'ai éprouvé aucun plaisir à lire... - Gregor
20/11/2011 à 21:59:05
Ice merci, ça fait plaisir
Snake not a problem, je vois où tu veux en venir. Comme je te l'avais expliqué, cet texte tiens plus de l'essai, assez loin de ce que je fais et je vise dans la grande majorité des cas. Mais ton avis reste pertinent : un texte trop complexe ne transporte pas, donc ne touche pas ... - snake-of-fire
20/11/2011 à 19:40:18
Je connais ton perfectionnisme visant à sublimer la narration, mais là c'est lourd, très lours, trop lourd... on dirait presque que c'est fait expres de faire inutilement compliqué afin de ce donner un genre ( je te rassure, je sais que ce n'est pas ton raisonnement )
J'applaudis l'effort d'écriture, mais un texte peut etre bien écrit sans pour autant être plaisant, et pour ma part, il ne m'a pas interessé...
Devoir tout les 2 mots interpréter ta phrase qui est implicité metaphoriquement au maximum, c'est vite agaçant, car finalement, ça nous force à re-rédiger le texte cerebralement
C'est peut être l'effet recherché, si c'est cela, c'est réussi, mais dans tout les cas, je n'aime pas, car pour moi un texte ça doit te raconter une histoire, or, cette histoire là est raconter d'une façon presque ésothérique de par le puissant vocabulaire utilisé, et on doit" traduire" et interpreter chaque passage... pour moi, cela va a l'encontre de l'idée que je me fais d'un texte, qui pour moi doit t'expliquer quelques choses, avec figures de style, certe, mais pas de façon aussi peu explicite...
PAS TAPAY - IceWood
20/11/2011 à 18:21:37
voilà j'ai lu et ... WOUAH .
C'est tellement bien rédigé ...
Bon j'avoue qu'il y a une partie que j'ai pas compris mais sinon, c'est super
5/5 - IceWood
20/11/2011 à 18:10:47
Sans avoir lu je sais que c'est bien rédigé